Cour administrative d'appel de Douai

Ordonnance du 14 avril 2022

14/04/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un arrêt n° 18DA02411 du 19 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Douai, saisie d'un appel présenté pour le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord, a annulé l'ordonnance du tribunal administratif de Lille du 30 octobre 2018 et a renvoyé l'affaire devant le tribunal pour qu'il soit statué sur la requête présentée par le SDIS du Nord.

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 octobre 2018, 24 décembre 2019, 24 janvier 2020 et 25 février 2021, le SDIS du Nord, représenté par Me Gros, a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier de Valenciennes à lui verser la somme de 80 964 euros en réparation du préjudice subi du fait des interventions réalisées à la demande du centre 15 du service d'aide médicale urgente rattaché à cet établissement.

Par un jugement n° 1910993 du 22 décembre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté la requête du SDIS du Nord.

Procédure devant la cour :

Par un mémoire, enregistré le 28 février 2022, le SDIS du Nord, représenté par la SCP Manuel Gros Héloïse Hicter et associés, demande à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête enregistrée le 14 février 2022 tendant à l'annulation du jugement du 22 décembre 2021 du tribunal administratif de Lille et à la condamnation du centre hospitalier de Valenciennes à lui verser la somme de 80 964 euros, augmentée des intérêts au taux légal, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales dans sa version, à titre principal, issue de la loi n° 96-369 du 3 mai 1996 ou, à titre subsidiaire, dans sa version issue de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021.

Il soutient que la portée effective de l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat de ces dispositions, dans sa décision " Centre hospitalier universitaire de Bordeaux " n° 443335 du 30 décembre 2021, méconnaît l'article 72-2 de la Constitution relatif au principe de compensation de tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriale, l'article 72 de la Constitution relatif au principe de libre administration des collectivités territoriales et le principe d'égalité garanti par l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la décision n° 443335 du Conseil d'Etat du 30 décembre 2021 " Centre hospitalier universitaire de Bordeaux " publiée aux tables.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le décret n°2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ". Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

2. Aux termes de l'article R*. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

3. En application des dispositions susmentionnées de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il est procédé par la juridiction saisie à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la condition que la disposition litigieuse soit applicable au litige, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution, sauf changement de circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

4. Aux termes de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales : " Les services d'incendie et de secours () concourent, avec les autres services et professionnels concernés, () aux secours d'urgence. / Dans le cadre de leurs compétences, ils exercent les missions suivantes : () / 4° Les secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation ". Aux termes de l'article L. 6311-1 du code de la santé publique : " L'aide médicale urgente a pour objet, en relation notamment avec les dispositifs communaux et départementaux d'organisation des secours, de faire assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état ". L'article R. 6311-1 de ce code précise : " Les services d'aide médicale urgente ont pour mission de répondre par des moyens exclusivement médicaux aux situations d'urgence. / Lorsqu'une situation d'urgence nécessite la mise en œuvre conjointe de moyens médicaux et de moyens de sauvetage, les services d'aide médicale urgente joignent leurs moyens à ceux qui sont mis en œuvre par les services d'incendie et de secours ".

5. Dans sa décision n° 443335 du 30 décembre 2021, " Centre hospitalier universitaire de Bordeaux " publiée aux tables, le Conseil d'Etat a jugé que lorsque le SDIS intervient dans sa mission de secours d'urgence aux blessés ou aux accidentés sur la voie publique au titre du 4° de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, il lui incombe d'assumer la charge financière de l'évacuation de la personne secourue vers un établissement de santé, quelle que soit la gravité de l'état de la personne, dès lors que ce transport doit être regardé comme le prolongement des missions de secours d'urgence aux accidentés et blessés qui lui sont dévolues, qui inclut l'évacuation du blessé. La circonstance que la structure mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) soit également intervenue sur décision du médecin coordinateur du centre 15, pour assurer la prise en charge médicale urgente de la personne et que le transport, par le service départemental d'incendie et de secours, au sein de son véhicule de secours et d'assistance aux victimes, se fasse en présence du médecin de la SMUR, est sans incidence sur cette obligation légale.

6. Si le SDIS du Nord soutient que cette interprétation jurisprudentielle méconnaît l'article 72-2 de la Constitution relatif au principe de compensation de tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales, l'interprétation qui a été faite de ces dispositions n'a ni pour objet, ni pour effet de transférer aux services départementaux d'incendie et de secours une compétence en matière d'aide médicale urgente ou de procéder à une extension de leurs compétences. Dès lors, en l'absence de charge supplémentaire, aucun transfert financier ne doit avoir lieu au titre de la dotation nationale de l'Etat allouée pour le fonctionnement des services médicaux d'urgence, à destination des départements ou des communes finançant les services départementaux d'incendie et de secours.

7. Si le SDIS du Nord soutient ensuite que cette interprétation jurisprudentielle méconnaît l'article 72 de la Constitution relatif au principe de libre administration des collectivités territoriales en ce qu'elle porterait atteinte au principe d'autonomie financière de celles-ci et créerait une tutelle du centre hospitalier de rattachement du service d'aide médicale urgente et, donc, par transparence, de l'Etat, sur la compétence exercée par le service départemental d'incendie et de secours, il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu'aucun transfert, ni extension de compétence ne résulte de cette interprétation, qui n'entraîne donc aucune charge supplémentaire pour les budgets communaux et départementaux, ni aucune tutelle par les centres hospitaliers de rattachement du service d'aide médicale urgente, sur les activités de secours d'urgence exercées par les services départementaux d'incendie et de secours.

8. Si le SDIS du Nord soutient encore que cette interprétation jurisprudentielle méconnaît le principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens au motif qu'une même évacuation vers un établissement de santé est financée tantôt par une dotation de l'Etat si c'est un véhicule du service de l'aide médicale urgente, tantôt par la commune ou le département si c'est un véhicule du service départemental d'incendie et de secours, cette différence de financement est sans incidence sur le principe d'égalité s'appliquant aux usagers du service public de l'aide médicale d'urgence, dont l'égalité de traitement est garantie par la présence d'un médecin en cas de transport sanitaire.

9. Enfin, les dispositions de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales dans leur rédaction résultant de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021, n'ont pas fait l'objet de l'interprétation jurisprudentielle litigieuse. La constitutionnalité de ces dispositions ne peut donc être remise en cause par le biais de cette interprétation jurisprudentielle.

10. Il résulte de ce qui vient d'être dit que les questions soulevées ne présentent pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'interprétation jurisprudentielle de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales résultant de la décision du Conseil d'Etat n° 443335 du 30 décembre 2021, " Centre hospitalier universitaire de Bordeaux " publiée aux tables, porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, doit être écarté.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'interprétation jurisprudentielle qu'il a donnée des dispositions de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au service départemental d'incendie et de secours du Nord.

Fait à Douai, le 14 avril 2022.

La présidente de la 2ème chambre,

Signé : A. Seulin La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme

La greffière

Signé : Anne-Sophie Villette

N°22DA00305 QPC