Cour administrative d'appel de Lyon

Arrêt du 14 avril 2022

14/04/2022

Irrecevabilité

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B A a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012, 2013, 2014 et 2015.

Par un jugement n° 1900068 du 12 juin 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoire enregistrés les 3 juillet 2020, 14 juin 2021 et 14 mars 2022, Mme A, représentée par Me Chareyre, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 12 juin 2020 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités susmentionnées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice.

Elle soutient que :

- la vérification de comptabilité a réellement débuté le jour même de la remise de l'avis de vérification de comptabilité, le 2 août 2017 et elle n'a pas disposé du délai nécessaire pour faire appel à un conseil de son choix en méconnaissance de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ;

- de plus, elle n'a pas pu bénéficier d'un débat oral et contradictoire ;

- la somme de 38 980 euros doit être déduite de la base taxable, car elle ne concerne pas les sommes détournées ;

- les sommes remboursées avant la mise en recouvrement des rappels ne constituent pas des détournements de fond mais doivent être assimilés à des prêts obtenus de manière forcée auprès de la part de son employeur ;

- l'imposition de la totalité des sommes alors qu'une partie a été remboursée constitue une rupture d'égalité qui méconnaît les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que les associés qui ont détourné des fonds qu'ils ont reversés dans la caisse sociale peuvent déduire ces montants de leurs revenus taxables.

Par des mémoires enregistrés le 22 décembre 2020 et le 10 mars 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requérante a disposé d'un délai suffisant pour se faire assister d'un conseil de son choix ;

- elle a pu bénéficier d'un débat oral et contradictoire ;

- elle n'établit pas l'exagération du montant des bases d'impositions retenues ;

- les sommes remboursées ne peuvent être déduites du revenu taxable ;

- la méconnaissance du principe d'égalité de traitement n'est pas établie.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;

- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;

- les observations de Me Chareyre, , représentant Mme A ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A, qui exerçait l'activité de secrétaire comptable au sein d'une société, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les années 2012, 2013, 2014 et jusqu'au 11 décembre 2015, à l'issue de laquelle, par lettre du 1er décembre 2017, l'administration lui a notifié des rectifications dans la catégorie des bénéfices commerciaux, selon la procédure d'évaluation d'office, en application des dispositions combinées des articles L. 73 et L. 68 3° du livre des procédures fiscales, à raison de détournements de fonds commis au détriment de son employeur. Parallèlement, Mme A a fait l'objet d'une procédure d'examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle portant sur ses revenus des années 2014, 2015 et 2016 qui n'a donné lieu à aucune rectification des revenus de l'intéressée. Mme A relève appel du jugement du 12 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012, 2013, 2014 et 2015.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu, une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification ou par l'envoi d'un avis d'examen de comptabilité. Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. L'avis informe le contribuable que la charte des droits et obligations du contribuable vérifié peut être consultée sur le site internet de l'administration fiscale ou lui être remise sur simple demande. "

3. Aux termes de l'article L. 47 B de ce même livre : " Au cours d'une procédure d'examen de situation fiscale personnelle, l'administration peut examiner les opérations figurant sur des comptes financiers utilisés à la fois à titre privé et professionnel et demander au contribuable tous éclaircissements ou justifications sur ces opérations sans que cet examen et ces demandes constituent le début d'une procédure de vérification de comptabilité. / Au cours d'une procédure de vérification de comptabilité, l'administration peut procéder aux mêmes examens et demandes, sans que ceux-ci constituent le début d'une procédure d'examen de situation fiscale personnelle. / L'administration peut tenir compte, dans chacune de ces procédures, des constatations résultant de l'examen des comptes ou des réponses aux demandes d'éclaircissements ou de justifications, et faites dans le cadre de l'autre procédure conformément aux seules règles applicables à cette dernière. ".

4. Si l'administration est en droit d'examiner, à l'occasion d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle, les comptes bancaires qui retracent à la fois les opérations privées et les opérations professionnelles, elle ne peut, pour contrôler et, le cas échéant, redresser les bénéfices retirés par l'intéressé de son activité professionnelle, se fonder sur les données qu'elle a pu recueillir en prenant connaissance des éléments des comptes bancaires qui, se rapportant à l'exercice de cette activité, ont le caractère de documents comptables, sans avoir procédé, préalablement, à une vérification de comptabilité, en respectant les garanties prévues par la loi pour ce type de contrôle.

5. D'une part, il résulte de l'instruction et notamment de la proposition de rectification du 1er décembre 2017 relative à l'examen de la situation fiscale personnelle dont Mme A a fait l'objet que, lors du premier entretien qui a eu lieu le 2 août 2017 dans le cadre de ce contrôle, la requérante n'a remis en mains propres à la vérificatrice, que les relevés bancaires relevant de la période du 1er novembre 2015 au 30 novembre 2016 qui, à l'exception de la période du 1er novembre au 11 décembre 2015 ne concerne pas les rectifications en litige. Ainsi, en ce qui concerne la période antérieure au 1er novembre 2015, contrairement à ce que soutient la requérante, l'administration n'a pu matériellement engager les opérations de vérification de comptabilité le 2 août 2017 en examinant les relevés bancaires qui lui avaient été remis. En ce qui concerne la période du 1er novembre au 11 décembre 2015, la circonstance que les crédits bancaires inscrits sur les relevés remis à la vérificatrice, le 2 août 2017, n'aient donné lieu à aucune demande de justification concernant l'origine de ces sommes ne permet pas d'établir que la vérificatrice se serait livrée, dès cette date, à un examen critique de ces documents comptables. Ainsi, contrairement à ce que prétend la requérante, la vérificatrice n'a pas eu la possibilité de déterminer immédiatement, le 2 août 2017, jour de la remise de l'avis de vérification de comptabilité, le montant du bénéfice non commercial réalisé par l'intéressée. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que, si le 2 août 2017, lors du premier entretien prévu dans le cadre de la procédure d'examen de situation fiscale personnelle, la vérificatrice a remis en mains propres à Mme A, un avis de vérification de comptabilité, les opérations de contrôle ont débuté dans les locaux de l'administration, le 31 août 2017, à la demande de l'intéressée. Ainsi, à la date du 31 août 2017, la requérante avait pu disposer d'un délai suffisant pour se faire assister d'un conseil.

6. D'autre part, il résulte de l'instruction et notamment de la proposition de rectification du 1er décembre 2017 faisant suite à la vérification de comptabilité, que la première intervention a eu lieu le 31 août 2017 dans les locaux de l'administration et que la vérificatrice a dressé ce jour, un procès-verbal de défaut de présentation de comptabilité. La réunion de synthèse s'est tenue le 30 novembre 2017 et a permis la présentation des conclusions du contrôle. Ces réunions ont permis de présenter l'activité de détournements de fonds de la requérante. Si Mme A fait valoir qu'elle aurait demandé en vain la communication de l'ensemble des relevés bancaires sur lesquels elle a fondé les redressements litigieux, cette circonstance ne permet pas d'établir à elle seule qu'elle aurait été privée d'un débat oral et contradictoire. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les impositions litigieuses auraient été établies au terme d'une procédure de contrôle irrégulière. Enfin, la requérante ne peut se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales du paragraphe n° 60 de la doctrine BOI-CF-PGR-20-10-20171004 qui concerne la procédure d'imposition.

Sur le bien-fondé des impositions :

7. Aux termes de l'article 92 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus () " Il résulte de ces dispositions que des détournements de fonds, qui constituent pour leur auteur une source de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de revenus, sont imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.

8. Ainsi qu'il a été rappelé précédemment, les revenus tirés par Mme A de détournements de fonds ont été évalués d'office. En vertu des articles L 193 et R. 193-1 du livre des procédures fiscales, il incombe à Mme A de démontrer le caractère exagéré des impositions en litige, alors même qu'elle aurait demandé en vain, après la mise en recouvrement des impositions litigieuses, la communication des relevés bancaires sur lesquels l'administration s'est fondée.

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que pour évaluer à la somme de 190 839 euros, le montant global des crédits bancaires correspondant aux détournements de fonds opérés par Mme A, l'administration, qui n'était pas liée par la procédure pénale dont la requérante a fait l'objet, s'est fondée sur l'analyse des sommes, perçues en espèces ou en chèques, portées au crédit des comptes bancaires de Mme A. Toutefois, alors que la requérante fait valoir qu'il existe une différence de 38 980 euros entre le montant retenu par l'administration et celui retenu par le juge pénal, à hauteur de 151 859 euros, l'administration n'apporte aucun élément permettant de démontrer que cette somme correspondrait à des revenus d'origine indéterminée. Mme A est ainsi fondée à demander la décharge des impositions correspondantes.

10. Toutefois, l'état du dossier ne permet pas déterminer avec exactitude le montant des réductions applicables à chacune des années en litige correspondant au montant global de 38 980 euros. Il y a lieu d'ordonner avant-dire droit un supplément d'instruction contradictoire sur ce point.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 12 du code général des impôts : " L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ". L'article 156 du même code prévoit que : " L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal () ".

12. La requérante fait valoir qu'en application d'un protocole transactionnel du 2 janvier 2018 conclu avec son employeur, elle a d'ores et déjà remboursé une somme de 66 850 euros à laquelle il convient de rajouter le prix de la revente de deux de ses véhicules qui ont été confisqués dans le cadre de la procédure pénale et qu'ainsi ces sommes doivent être regardées comme des remboursements d'un " prêt forcé " obtenu de son ancien employeur. Toutefois, il est constant que l'intéressée a eu la disposition des sommes litigieuses. La circonstance qu'elle ait reversé ces sommes par la suite reste sans incidence sur le caractère de bénéfices non commerciaux de la totalité des montants correspondants aux détournements réalisés, dès lors que l'intéressée a ainsi exercé un acte de disposition. Par suite, nonobstant le remboursement ultérieur d'une partie de ces sommes, c'est à bon droit que l'administration a imposé l'intégralité de ces revenus au titre de l'année de leur disposition.

13. En dernier lieu, la requérante fait valoir que les sommes remboursées par des associés d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés sont admises en déduction de leur revenu taxable, et qu'en lui refusant de procéder à la même déduction l'administration a méconnu les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Toutefois, un tel moyen ne peut être utilement soulevé qu'à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité présentée dans les formes prescrites par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et l'article R. 771-13 du code de justice administrative. Faute d'être soulevé à l'appui d'une telle question présentée par mémoire distinct, ce moyen est irrecevable.

DECIDE :

Article 1er : Il est ordonné, avant dire droit sur les conclusions de la requête, un supplément d'instruction aux fins, pour les différentes parties, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, de préciser, en vue de tirer les conséquences de ce qui a été dit au point 9 du présent arrêt, le montant des réductions applicables aux bases imposables de Mme A à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales de chacune des années 2012, 2013, 2014 et 2015, dans la limite de la somme globale de 38 980 euros.

Article 2 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B A et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 24 mars 2022 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Le Frapper, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 avril 2022.

 

 

 

La rapporteure,

P. DècheLe président,

F. Bourrachot

La greffière,

C. Langlet

 

 

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

 

Pour expédition,

La greffière,

ap

Code publication

C