Cour administrative d'appel de Bordeaux

Arrêt du 12 avril 2022

12/04/2022

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Soyaux a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté interministériel du 27 septembre 2017 en tant qu'il a refusé de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur son territoire pour des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols survenus entre le 1er janvier et le 31 décembre 2016, ainsi que la décision du 19 décembre 2017 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 1800483 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 septembre 2020 et 21 janvier 2022, la commune de Soyaux, représentée par Me Merlet-Bonnan, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 17 juillet 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté interministériel du 27 septembre 2017 et la décision du 19 décembre 2017 rejetant son recours gracieux ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'économie et des finances, au ministre de l'intérieur et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics de prendre une nouvelle décision portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle de la commune dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le tribunal a entaché sa décision d'irrégularité en ne respectant pas les règles de la charge de la preuve faute d'avoir exigé de l'Etat qu'il verse aux débats les données et relevés établis par Météo-France ou le compte-rendu de la commission interministérielle et censés établir le bien-fondé de l'arrêté en litige ;

- le tribunal a dénaturé les pièces du dossier en estimant disposer des conclusions techniques issues du modèle élaboré par Météo-France et entaché sa décision d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation ;

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

- la composition de la commission interministérielle est irrégulière au regard des dispositions de la circulaire du 27 mars 1984 dès lors qu'elle était composée de plus de trois membres et d'un secrétaire et que plusieurs membres de la caisse de réassurance y ont siégé ;

- la commission n'a pas été saisie d'un dossier complet au regard des circulaires du 27 mars 1984 et 19 mai 1998 dès lors qu'elle n'a été saisie que d'un tableau transmis par Météo-France ;

- elle s'est estimée liée par le tableau de Météo-France et n'a pas procédé à l'examen du dossier de la commune ;

- les services de l'Etat n'ont pas instruit la demande de la commune en méconnaissance des circulaires du 27 mars 1984 et 19 mai 1998 dès lors qu'ils n'ont sollicité aucune information auprès de la commune, n'ont joint aucun rapport technique permettant l'analyse du phénomène et n'ont pas transmis le dossier complet au ministre de l'intérieur ;

- le courrier de notification de l'arrêté interministériel est insuffisamment motivé en droit comme en fait ;

- les ministres se sont estimés à tort liés par l'avis de la commission interministérielle dès lors que l'arrêté est uniquement motivé par l'avis de cette commission ;

- les critères utilisés ne sont pas pertinents et ne prennent pas en compte la sécheresse pour certaines périodes, par exemple d'octobre à décembre, alors que la commune a été touchée par une sécheresse très sévère d'août à décembre 2016 ;

- la méthode employée pour analyser le phénomène n'est ni fiable ni objective ; le tableau de Météo-France se borne à donner une moyenne sur une durée de trois mois sans prendre en compte la réalité d'un élément climatique qui peut avoir une intensité exceptionnelle sur une période plus courte ou dépasser le 30 septembre pour la sécheresse estivale ; le découpage en 4 périodes administratives ne tient pas compte des réalités météorologiques et des conséquences de cet événement climatique sur les terrains ; ce tableau ne tient pas compte non plus de l'intensité de la réhydratation des sols ; les données apportées par l'Etat portent sur deux mailles qui dépassent le territoire de la commune ; la circulaire du 10 mai 2019 considère que les critères utilisés pour 2016 n'étaient pas suffisamment pertinents ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation dès lors que le phénomène de sécheresse exceptionnel en 2016 provoquant un assèchement important des sols présente un caractère intense et anormal.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 mars 2021, le ministre de l'intérieur, représenté par Me Fergon, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune requérante la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct enregistré le 21 avril 2021, la commune de Soyaux demande à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 125-1 du code des assurances.

Elle soutient que :

- l'article L. 125-1 du code des assurances est applicable au litige dès lors qu'il constitue la base légale de l'arrêté interministériel contesté ;

- cet article L. 125-1 n'a pas fait l'objet d'une déclaration de conformité à la Constitution par le Conseil Constitutionnel ;

- l'article L. 125-1 traduit une incompétence négative du législateur qui a manqué à son obligation constitutionnelle d'adopter des dispositions suffisamment précises et non équivoques ;

- l'article L. 125-1 du code des assurances porte atteinte au principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 notamment au principe d'égalité devant les charges publiques protégé par l'article 13 de la Déclaration ;

- il porte atteinte au principe de solidarité nationale et d'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales garanti par l'alinéa 12 du préambule de la Constitution de 1946 ;

- ainsi, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée n'est pas dépourvue de caractère sérieux, au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance de 1958.

Par une ordonnance du 21 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 février 2022.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation du courrier du préfet de la Charente, notifiant l'arrêté interministériel du 27 septembre 2017, dès lors qu'un tel courrier ne constitue pas une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours.

La commune de Soyaux a présenté des observations, enregistrées le 4 mars 2022 en réponse au moyen d'ordre public communiqué. Elle soutient qu'elle n'a pas entendu demander l'annulation du courrier de notification du préfet de la Charente.

Un mémoire présenté pour la commune de Soyaux a été présenté le 4 mars 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 34 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code des assurances ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- les conclusions de M. Gueguein, rapporteur public,

- et les observations de Me Merlet-Bonnan, représentant la commune de Soyaux.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Soyaux a adressé au préfet de la Charente une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle de son territoire au titre des mouvements de terrains différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols observés au cours de l'année 2016. Par un arrêté du 27 septembre 2017, le ministre de l'intérieur, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics ont établi la liste des communes faisant l'objet d'une reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, parmi lesquelles la commune de Soyaux ne figure pas. La commune de Soyaux, à laquelle le préfet de la Charente a notifié l'arrêté interministériel par courrier du 23 octobre 2017, a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté interministériel du 27 septembre 2017 en tant qu'il ne reconnaît pas l'état de catastrophe naturelle sur son territoire et de la décision de rejet de son recours gracieux. Dans le dernier état de ses écritures, la commune de Soyaux relève appel du jugement du 17 juillet 2020 par lequel le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté interministériel du 27 septembre 2017 et de la décision de rejet de son recours gracieux.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article LO 771-1 du code de justice administrative : " La transmission par une juridiction administrative d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ". L'article 23-2 de cette ordonnance dispose que : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat (). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure () ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative () aux droits et libertés garantis par la Constitution () se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat () ".

3. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances " () Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. (). ".

4. Selon la commune, l'article L. 125-1 précité révèle une incompétence négative du législateur, lequel s'est borné à donner une définition imprécise de la notion de catastrophe naturelle sans détailler les critères et les conditions relatives à l'intensité de l'agent naturel caractérisant une telle catastrophe et sans prévoir l'intervention du pouvoir règlementaire en vue d'une définition précise et objective de ces critères. De là découle, selon la commune, la méconnaissance par l'article L. 125-1 du code des assurances du principe d'égalité devant la loi, du principe d'égalité des communes et des sinistrés devant les charges publiques, du principe de solidarité nationale et du principe d'égalité des charges devant les calamités nationales dès lors que l'imprécision des critères à l'œuvre conduit l'administration, lors de l'instruction des demandes, à traiter différemment des communes se trouvant dans la même situation.

5. Les matières qui relèvent de la compétence du législateur sont énumérées à l'article 34 de la Constitution qui distingue, s'agissant de ces matières, entre celles pour lesquelles la loi fixe les règles et celles pour lesquelles elle détermine des principes fondamentaux. En vertu de l'article 34 de la Constitution, le régime de la propriété et des droits réels est au nombre des matières pour lesquelles le législateur détermine des principes fondamentaux.

6. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 125-1 que le législateur, pour définir les effets des catastrophes naturelles, a retenu plusieurs critères cumulatifs liés à la nature matérielle et directe des dommages subis - que les mesures de prévention habituelles lorsqu'elles ont pu être mises en œuvre n'ont pu empêcher - au caractère non assurable de ces dommages et au fait que ceux-ci ont eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel. Ces dispositions présentent un caractère général, qui s'explique par la grande variété des phénomènes naturels assimilables à une catastrophe naturelle et à la technicité que requiert leur appréciation, laquelle tient compte de l'évolution des connaissances scientifiques pouvant conduire à revoir périodiquement les paramètres scientifiques et la méthodologie mis en œuvre pour caractériser l'intensité des phénomènes observés. Pour autant, ces dispositions n'en définissent pas moins, à l'aide des critères qu'elles prévoient, la notion de catastrophe naturelle avec une précision qui n'est pas insuffisante au regard de l'article 34 précité de la Constitution, lequel impose au législateur, en matière de droit de propriété et de droits réels, non pas de fixer des règles mais de déterminer des principes fondamentaux. Ainsi, en définissant de la sorte la notion de catastrophe naturelle et en ne prévoyant pas l'intervention du pouvoir règlementaire pour que soient précisées les modalités d'application de l'article L. 125-1 du code des assurances, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence au regard de l'article 34 de la Constitution. Par suite, le grief invoqué par la commune à l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité ne présente pas un caractère sérieux justifiant que cette question soit transmise au Conseil d'Etat.

Sur la régularité du jugement :

7. Si la commune requérante soutient que le tribunal n'aurait pas respecté les règles de dévolution de la charge de la preuve devant le juge de l'excès de pouvoir en ne faisant pas usage de ses pouvoirs d'instruction pour obtenir de l'administration les éléments qui ont fondé sa décision, il ne ressort pas des pièces du dossier que les éléments produits par le préfet devant les premiers juges, en particulier le procès-verbal de la commission interministérielle et les données de Météo-France, n'auraient pas été suffisants pour fonder la décision des premiers juges et que ces derniers auraient méconnu leur office en ne faisant pas usage de leurs pouvoirs d'instruction. Par ailleurs, la circonstance alléguée selon laquelle le tribunal aurait entaché son jugement d'erreur de fait et d'appréciation est, par elle-même, sans incidence sur la régularité du jugement dès lors qu'elle se rattache au bien-fondé du raisonnement des premiers juges.

Sur la légalité de l'arrêté interministériel du 27 septembre 2017 :

8. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances : " Les contrats d'assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l'Etat et garantissant les dommages d'incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France () ouvrent droit à la garantie de l'assuré contre les effets des catastrophes naturelles () Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles () les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'Etat dans le département, assortie d'une motivation. () ".

9. En premier lieu, si les dispositions précitées exigent que la décision des ministres, assortie de sa motivation, soit, postérieurement à la publication de l'arrêté, notifiée par le représentant de l'État dans le département à chaque commune concernée, elles ne sauraient être interprétées comme imposant une motivation en la forme de l'arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle qui serait une condition de légalité de ce dernier. Ainsi, la circonstance que la lettre du 23 octobre 2017 par laquelle le préfet a notifié à la commune de Soyaux l'arrêté du 27 septembre 2017 en litige ne serait pas motivée est sans incidence sur la légalité de cet arrêté.

10. En deuxième lieu, la circulaire du 27 mars 1984 a institué une commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles pour donner aux ministres compétents un avis sur les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle dont ils sont saisis. Par une autre circulaire du 19 mai 1998, l'autorité ministérielle a posé des règles de constitution, de validation et de transmission des dossiers de demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle et a précisé, dans le cas de dommages résultant de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, que la demande doit être accompagnée d'un rapport géotechnique et d'un rapport météorologique relatif à l'événement.

11. Il ressort des pièces du dossier que la commission interministérielle qui s'est réunie le 19 septembre 2017 pour examiner les demandes de reconnaissance de catastrophe naturelle a rendu son avis sur la base d'un tableau établi par Météo-France. Ce tableau distingue, pour chaque commune, la période concernée par la demande ainsi que la maille territoriale de rattachement. Les critères définis par Météo-France pour la reconnaissance d'un état de catastrophe naturelle y sont reportés et font l'objet d'une application pour chacune des communes concernées. Alors même que le préfet n'a pas demandé à la commune de Soyaux de lui adresser des éléments sur l'épisode climatique considéré avant de transmettre son dossier à l'autorité ministérielle, contrairement aux prévisions des circulaires du 27 mars 1984 et du 19 mai 1998, il ne ressort pas des pièces du dossier que les membres de la commission et les ministres décisionnaires, qui disposaient des données fournies par Météo-France qu'ils ont comparées aux critères servant à apprécier l'état de catastrophe naturelle, n'auraient pas été en mesure de connaître avec une précision suffisante les conditions climatiques propres à la commune concernée, ni qu'ils se seraient abstenus de procéder à un examen circonstancié de la demande en se bornant à entériner le tableau établi par Météo-France. Enfin, eu égard au travail préparatoire effectué par les services de Météo-France antérieurement à la réunion du 19 septembre 2017, la circonstance que la commission ait examiné au cours de cette séance la situation d'un grand nombre de communes n'est pas, à elle seule, de nature à établir que cette commission n'aurait pas rendu son avis et les ministres compétents ne se seraient pas prononcés sur la situation particulière de la commune de Soyaux.

12. En troisième lieu, selon la circulaire du 27 mars 1984, la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles est composée d'un représentant du ministère de l'intérieur appartenant à la direction de la sécurité civile, d'un représentant du ministère de l'économie et des finances appartenant à la direction des assurances et d'un représentant du ministère chargé du budget membre de la direction du budget, le secrétariat de la commission étant assuré par la Caisse centrale de réassurance. Lors de sa réunion du 19 septembre 2017, la commission interministérielle était composée de quatre représentants du ministre de l'intérieur, un représentant du ministre de l'économie et des finances, un représentant du ministre de l'action et des comptes publics, deux représentants du ministre de la transition écologique et solidaire, deux représentants du ministre des outre-mer et deux membres de la Caisse centrale de réassurance. Ainsi, la commission était composée de plus de trois membres et de plus d'un secrétaire, contrairement aux prévisions de la circulaire du 27 mars 1984.

13. Toutefois, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

14. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que, par elle-même, cette composition aurait privé la commune d'une garantie tenant notamment à l'impartialité qui s'impose aux membres de la commission ou à l'obligation qui incombe à ces derniers de procéder à un examen circonstancié de chaque demande. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que cette composition a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise. En particulier, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la seule présence, au sein de la commission, de représentants de la Caisse centrale de réassurance, société détenue à 100 % par l'État proposant avec la garantie de ce dernier la couverture assurantielle des catastrophes naturelles, ne suffit pas à entacher d'irrégularité la composition de la commission au regard du principe d'impartialité. Par suite, cet arrêté n'est pas irrégulier du fait que des personnalités non prévues par la circulaire du 27 mars 1984 ont siégé et participé aux travaux et au vote de la commission interministérielle, laquelle est investie d'une mission purement technique.

15. En quatrième lieu, la commission interministérielle a pour seule mission, ainsi qu'il a été dit, d'éclairer les ministres sur l'application à chaque commune des méthodologies et paramètres scientifiques permettant de caractériser les phénomènes naturels en cause, les avis qu'elle émet ne liant pas les autorités compétentes. Il est donc loisible aux ministres décisionnaires de s'appuyer sur l'avis de la commission et même de s'en approprier le contenu dans leur appréciation de l'existence d'un état de catastrophe naturelle au sein des communes concernées. En l'espèce, il ne ressort ni des motifs de l'arrêté en litige du 27 septembre 2017 ni des pièces du dossier que les ministres se seraient sentis tenus de suivre la position adoptée par la commission interministérielle et auraient ainsi méconnu l'étendue de leur compétence. Par suite, le moyen soulevé doit être écarté.

16. En cinquième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances que le législateur a entendu confier aux ministres concernés la compétence pour se prononcer sur les demandes des communes tendant à la reconnaissance sur leur territoire de l'état de catastrophe naturelle. Il leur appartient, à cet effet, d'apprécier l'intensité et l'anormalité des agents naturels en cause sur le territoire des communes concernées. Ils peuvent légalement, même en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires le prévoyant, s'entourer, avant de prendre les décisions relevant de leurs attributions, des avis qu'ils estiment utile de recueillir et s'appuyer sur des méthodologies et paramètres scientifiques, sous réserve que ceux-ci apparaissent appropriés, en l'état des connaissances, pour caractériser l'intensité des phénomènes en cause et leur localisation, qu'ils ne constituent pas une condition nouvelle à laquelle la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait subordonnée ni ne dispensent les ministres d'un examen particulier des circonstances propres à chaque commune. Il incombe enfin aux ministres concernés de tenir compte de l'ensemble des éléments d'information ou d'analyse dont ils disposent, le cas échéant à l'initiative des communes concernées.

17. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties sans aller jusqu'à exiger de l'auteur du recours d'apporter la preuve des faits qu'il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.

18. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la commune de Soyaux a présenté, à l'appui de sa demande, des bulletins météorologiques et un bilan climatique de l'été 2016, le ministre de l'intérieur ayant, pour sa part, adressé aux premiers juges un tableau, établi par Météo-France, distinguant pour chaque commune la période concernée par la demande, la maille territoriale de rattachement et mettant en œuvre les critères de référence. Pour vérifier l'exacte application par les ministres décisionnaires de l'article L. 125-1 du code des assurances, lequel dispose notamment que la commune est le demandeur de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, les premiers juges ont confronté les arguments des deux parties au vu des éléments apportés par chacune d'elles et ont pu ainsi former leur conviction, quand bien même ils se sont abstenus de faire usage de leurs pouvoirs d'instruction en ne sollicitant pas de l'administration la production de documents complémentaires.

19. Pour apprécier, afin de mettre en application les dispositions précitées de l'article L. 125-1 du code des assurances, si la sécheresse constatée en 2016 sur le territoire de Soyaux présentait un caractère anormal et intense, conditions nécessaires à la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, l'administration s'est fondée sur les données météorologiques de Météo-France et l'outil SIM (Safran/Isba/Modcou) mis au point par cet établissement public pour modéliser, à l'aide des données pluviométriques conservées dans 4 500 postes d'observation, le bilan hydrique du territoire français. Cette modélisation a conduit à couvrir le territoire français métropolitain d'une grille composée de 9 000 mailles de 8 km de côté. Le modèle Safran est un système d'analyse à mésoéchelle de variables atmosphériques qui utilise des observations de surface, combinées à des données d'analyse de modèles météorologiques pour produire les paramètres horaires nécessaires au fonctionnement d'ISBA au pas de temps horaire. Ces paramètres (température, humidité, vent, précipitations solides et liquides, rayonnement solaire et infrarouge incident), sont analysés par pas de 300 m d'altitude puis interpolés sur une grille de calcul régulière (8 x 8 km). Le modèle ISBA (Interaction sol-biosphère-atmosphère) simule les échanges d'eau et d'énergie entre le sol et l'atmosphère en tenant compte de trois couches de sol (surface, zone racinaire, zone profonde) et de deux températures (température de surface globale du continuum sol-végétation et température profonde) pour modéliser les flux d'eau avec l'atmosphère (interception, évaporation, transpiration) et avec le sol (ruissellement des précipitations et drainage dans le sol). Son pas de temps est de 5 mn. Le modèle Modcou est un modèle hydrologique distribué qui utilise en entrée les données de ruissellement et de drainage d'ISBA pour calculer l'évolution des nappes et le débit des rivières. Sa maille de calcul varie en fonction de la limite des bassins versants et du réseau hydrographique et son pas de temps est de trois heures. La grille mise au point à l'aide de l'outil SIM doit permettre d'apprécier pour chaque maille le niveau d'intensité de l'aléa naturel en fonction de critères permettant d'étudier le bilan hydrique des sols argileux, lequel ne s'arrête pas à la seule prise en compte de données strictement météorologiques de pluviométrie, afin d'apprécier avec une plus grande précision que les anciens modèles les mouvements de terrains différentiels consécutifs à la succession d'épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols.

20. Les outils élaborés permettent d'intégrer dans le bilan hydrique un paramètre de teneur en eau des sols, laquelle est mesurée par l'index SWI (Soil Wetness Index). Cet index fournit des moyennes d'humidité du sol par rapport auxquelles est comparée la période concernée par la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Les données de mesure sont fournies par les 4 500 postes d'observation répartis sur l'ensemble du territoire et sont disponibles depuis 1958. Ainsi, la sécheresse hivernale est considérée comme revêtant une intensité anormale lorsque l'indice d'humidité du sol superficiel moyen est inférieur à la normale sur les quatre trimestres de l'année et qu'une décade du trimestre de fin de recharge (janvier à mars) est inférieure à 80% de la normale. La sécheresse printanière est retenue comme catastrophe naturelle lorsque la moyenne de l'index SWI, calculée sur les trois mois du second trimestre est si faible que la durée de retour d'un tel épisode est au moins de 25 années, correspondant à une année de sécheresse de rang 1 ou 2 sur la période courant de 1959 à 2015. Quant à l'intensité anormale de la sécheresse estivale, elle est retenue lorsque la teneur en eau des sols est inférieure à 70 % de son niveau habituel durant le 3ème trimestre de l'année considérée et que le nombre de décades au cours desquelles le niveau d'humidité du sol superficiel mesuré par l'index SWI est inférieur à 0,27, soit l'une des trois périodes les plus longues sur la période 1989-2016. L'intensité anormale de la sécheresse estivale peut aussi être retenue lorsque l'index SWI des neuf décades composant la période de juillet à septembre de l'année considérée est si faible que le temps de retour à la normale de la moyenne SWI représente au moins 25 années.

21. La commune appelante fait valoir que les critères utilisés par les autorités ministérielles ne sont ni adéquats, ni fiables, ni complets. Ces critères, qui ne reposent pas exclusivement sur des données météorologiques de pluviométrie, ont été adaptés au cours des années 2000 pour tenir compte de l'évolution des connaissances scientifiques à la disposition des ministres décisionnaires lorsqu'ils ont pris l'arrêté en litige du 27 septembre 2017. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la méthode employée empêcherait la prise en compte de la situation particulière de chaque commune ni qu'elle serait inappropriée pour apprécier de manière suffisamment objective, précise et conforme aux buts poursuivis par l'article L. 125-1 du code des assurances, l'intensité anormale du phénomène à l'origine des mouvements de terrains différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols durant l'année 2016. La circonstance que les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, présentées à partir de l'année 2018, soient instruites à l'aide des " outils de modélisation hydrométéorologique de Météo-France les plus performants " tenant compte des " progrès les plus récents accomplis dans la connaissance de cet aléa ", selon les termes de la circulaire ministérielle du 10 mai 2019 sur la révision des critères de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, ne permet pas d'estimer, non plus que les nouvelles recommandations du service " Drias les futurs du climat " de Météo-France, que les outils et critères précédents, utilisés en l'espèce par l'administration, présentaient un caractère imprécis au point d'aboutir à une appréciation erronée de l'intensité et de l'anormalité de la sécheresse observée en 2016 sur le territoire de Soyaux à l'origine de la demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle.

22. En sixième et dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les informations associées aux " mailles " 6447 et 6448, à l'intérieur desquelles s'étend le territoire de Soyaux, ne permettraient pas d'appréhender avec une pertinence et une précision suffisantes l'intensité de l'aléa naturel observé au cours de l'année 2016 en cause. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges au point 9 de leur jugement, aucun des critères pris en compte par l'administration pour retenir un aléa d'intensité anormale en période hivernale, printanière et estivale n'était rempli ainsi que l'établit suffisamment la fiche de notification des motivations de l'arrêté interministériel en litige produite au dossier. Il en est ainsi alors même que le relevé SWI présenté en appel par la commune fait apparaitre un faible indice d'humidité des sols, à Soyaux, pour la période de janvier à décembre 2016, la valeur absolue de l'indice de sécheresse ne suffisant pas à caractériser un épisode de catastrophe naturelle alors que, comme il vient d'être dit, les critères d'appréciation retenus par l'administration, qui prennent en compte l'intensité et l'anormalité de l'évènement, ne sont pas remplis pour Soyaux.

23. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Soyaux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Soyaux demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune une somme de 100 euros à verser à l'Etat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

Article 2 : La requête de la commune de Soyaux est rejetée.

Article 3 : La commune de Soyaux versera à l'Etat une somme de 100 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Soyaux, au ministre de l'intérieur et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie pour information en sera délivrée à la préfète de la Charente.

Délibéré après l'audience du 8 mars 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Nathalie Gay, première conseillère,

Mme Laury Michel, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2022.

La rapporteure,

Laury A

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et au ministre de l'économie, des finances et de la relance, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Code publication

C