Cour administrative d'appel de Nancy

Ordonnance du 5 avril 2022 n° 21NC03235

05/04/2022

Autre

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Design assurances a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la réduction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2019.

Par un mémoire distinct, l'EURL Design assurances a également demandé au tribunal administratif de Nancy de transmettre au Conseil d'État une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts dans sa version issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

Par un jugement n° 2100589 du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 décembre 2021, l'EURL Design assurances, représentée par Me Zapf, demande à la cour :

1°) à titre principal, de surseoir à statuer jusqu'à ce que la cour et, le cas échéant, le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel se soient prononcés sur la question prioritaire de constitutionnalité relative au I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts qui sera posée par la requérante dans un mémoire distinct et motivé ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler le jugement du 14 octobre 2021 du tribunal administratif de Nancy ;

3°) de prononcer la réduction sollicitée ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a refusé de transmettre la question de la conformité à la Constitution des dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts ;

- ces dispositions méconnaissent les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er au premier protocole additionnel à cette convention en ce qu'elles instituent une différence de traitement injustifiée, uniquement fondée sur le mode de détention du capital social ;

- les objectifs de rendement budgétaire et de lutte contre l'optimisation fiscale ne peuvent justifier une différence de traitement entre les contribuables ;

- le dispositif de consolidation du chiffre d'affaires a pour effet d'assujettir à la CVAE les sociétés dont le chiffre d'affaires est compris entre 152 500 euros et 500 000 euros.

Par un mémoire distinct enregistré le 14 décembre 2021, l'EURL Design assurances, représentée par Me Zapf, doit être regardée comme contestant le refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité opposé par le tribunal administratif de Nancy dans son jugement du 14 octobre 2021.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a refusé de transmettre la question de la conformité à la Constitution des dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts dès lors que ces dispositions sont applicables au litige, qu'elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution et que la question soulevée présente un caractère sérieux ;

- en effet, la mise en œuvre des dispositions de l'article 1586 quater I bis du code général des impôts, dans leur rédaction issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, génère une rupture d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ;

- le dispositif institué génère d'abord une rupture d'égalité selon le mode de détention du capital social ; les sociétés qui ont opté pour l'impôt sur les sociétés et qui sont détenues à plus de 95 % par une autre société ont un taux d'imposition réel supérieur aux autres sociétés ayant opté pour l'impôt sur les sociétés détenues par des personnes physiques ou par d'autres sociétés ;

- le dispositif génère également une rupture d'égalité face à l'exonération de la CVAE dont bénéficient, en application de l'article 1586 quater I a) du code général des impôts, les entreprises dont le chiffre d'affaires n'excède pas 500 000 euros ; en effet, le dispositif de consolidation du chiffre d'affaires conduit à assujettir à la CVAE des entreprises qui, réalisant un chiffre d'affaires individuel compris entre 152 500 euros et 500 000 euros, n'auraient pas été imposées à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises en l'absence d'un tel dispositif ;

- le dispositif génère encore une rupture d'égalité compte tenu de l'absence de neutralisation des facturations intragroupes aboutissant, dans certains cas, à une double imposition ;

- le dispositif génère enfin une rupture d'égalité en ce que, contrairement aux autres sociétés de personnes qui font l'objet d'une consolidation sans même appartenir à un groupe d'intégration fiscale dans les conditions précédemment décrites, le chiffre d'affaires d'une société en participations (SEP) ne peut faire l'objet de cette consolidation avec celui des associés qui la détiennent ;

- ces différences de traitement ne sont pas justifiées par des critères objectifs et rationnels ; le législateur a poursuivi un objectif de rendement budgétaire et de lutte contre l'optimisation fiscale ;

- le Conseil constitutionnel a déjà jugé que la lutte contre l'optimisation fiscale ne permettait pas de justifier la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée, portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. L'EURL Design assurances relève appel du jugement du 14 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à la réduction de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe pour frais de chambres de commerce et d'industrie auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2019, et d'autre part, à la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État.

Sur la contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " () Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ". Aux termes de l'article R. 771-12 du code de justice administrative : " Lorsque, en application du dernier alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, l'une des parties entend contester, à l'appui d'un appel formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité opposé par le premier juge, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai d'appel dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission () ". En vertu de l'article R. 771-5 du même code : " Sauf s'il apparaît de façon certaine, au vu du mémoire distinct, qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, notification de ce mémoire est faite aux autres parties. () ". L'article R. 771-7 de ce code dispose que : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. ".

3. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'un tribunal administratif a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion du recours formé contre le jugement qui statue sur le litige, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé, que le refus de transmission précédemment opposé l'ait été par une décision distincte du jugement, dont il joint alors une copie, ou directement par ce jugement. Saisie de la contestation de ce refus, la cour procède à cette transmission si la question prioritaire de constitutionnalité porte sur une disposition législative et si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

4. D'une part, en vertu du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 : " Lorsqu'une entreprise, quels que soient son régime d'imposition des bénéfices, le lieu d'établissement, la composition du capital et le régime d'imposition des bénéfices des entreprises qui la détiennent, remplit les conditions de détention fixées au I de l'article 223 A pour être membre d'un groupe, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du I du présent article s'entend de la somme de son chiffre d'affaires et des chiffres d'affaires des entreprises qui remplissent les mêmes conditions pour être membres du même groupe. / Le premier alinéa du présent I bis s'applique, y compris lorsque les entreprises mentionnées à ce même premier alinéa ne sont pas membres d'un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis. / Ledit premier alinéa n'est pas applicable lorsque la somme des chiffres d'affaires mentionnée au même premier alinéa est inférieure à 7 630 000 € ". Aux termes du I de l'article 223 A du code général des impôts : " Une société, ci-après désignée par les mots : " société mère ", peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe, ci-après désignés par les mots : " sociétés du groupe ", ou de sociétés ou d'établissements stables, ci-après désignés par les mots : " sociétés intermédiaires ", détenus à 95 % au moins par la société mère de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe ou de sociétés intermédiaires. ".

5. D'autre part, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ". Et aux termes de l'article 13 du même texte : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ".

6. Si le mémoire distinct qu'elle produit à l'instance d'appel se présente formellement comme tendant à soulever une question prioritaire de constitutionnalité, la société requérante doit en réalité, eu égard à la teneur de ce mémoire, être regardée comme contestant le refus du tribunal de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant lui. Elle soutient que les dispositions du I bis de l'article 1586 quater précité, en réservant un traitement différent, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, aux sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts pour être membres d'un groupe fiscalement intégré et aux sociétés qui ne remplissent pas ces conditions, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 susvisés.

7. D'une part, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. D'autre part, en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques garantie par l'article 13 de la Déclaration de 1789.

8. En premier lieu, la société requérante fait valoir que la différence de traitement entre les sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts et celles qui ne les remplissent pas, les premières étant imposées à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises selon un taux effectif d'imposition tenant compte du chiffre d'affaires consolidé du groupe économique auquel elles appartiennent, alors que les secondes sont imposées selon un taux effectif tenant compte de leur seul chiffre d'affaires propre et de ce fait moins élevé, n'est pas justifiée par une différence de situation entre ces sociétés au regard de l'objet de cette imposition, ni par un motif d'intérêt général.

9. Il ressort toutefois des travaux préparatoires à la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 de laquelle sont issues les dispositions contestées qu'en les adoptant, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dû par l'ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d'affaires en son sein. La différence de traitement ainsi instituée par ces dispositions, qui poursuit ainsi un but d'intérêt général visant notamment à faire obstacle à certains schémas d'optimisation fiscale, repose sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l'objet du dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises prévu au I bis de l'article 1586 quater précité, dès lors que toutes les entreprises remplissant les conditions de détention requises pour être membres d'un groupe fiscalement intégré, susceptible d'être structuré en vue de réduire le montant total de la cotisation due par les sociétés du groupe, sont soumises aux mêmes règles de calcul de ce dégrèvement, qu'elles soient membres ou non d'un tel groupe au regard de l'impôt sur les sociétés. A cet égard, la circonstance que le législateur aurait également poursuivi un objectif de rendement budgétaire n'est pas de nature à caractériser par elle-même une atteinte au principe d'égalité devant la loi. En outre, l'objectif de lutte contre des montages d'optimisation fiscale poursuivi par le législateur ne saurait être utilement contesté au motif qu'il existe un dispositif anti-abus prévu au III de l'article 1586 quater, lequel ne fait pas double emploi avec le dispositif de dégrèvement en cause. Par suite, les dispositions critiquées du I bis de l'article 1586 quater ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi.

10. En deuxième lieu, il est soutenu que le dispositif de consolidation du chiffre d'affaires méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques en raison de son incidence sur l'imposition à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises de sociétés réalisant un chiffre d'affaires individuel compris entre 152 500 euros et 500 000 euros et remplissant les conditions de détention pour être membre d'un groupe fiscalement intégré.

11. Cependant, comme il a été relevé au point 9 ci-dessus, en adoptant les dispositions critiquées, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dû par l'ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d'affaires en son sein. Le législateur a ainsi tenu compte de la situation particulière des sociétés membres d'un groupe économique et en particulier de celles relevant de groupes économiques les plus importants, dont le chiffre d'affaires consolidé est supérieur ou égal à 7 630 000 euros, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, pour leur appliquer les règles de droit commun, en fonction de leur chiffre d'affaires, du taux effectif d'imposition correspondant à leurs facultés contributives. Dès lors, le dispositif de consolidation du chiffre d'affaires, qui peut conduire à imposer à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises des sociétés qui, réalisant un chiffre d'affaires individuel compris entre 152 500 euros et 500 000 euros, n'auraient pas été imposées à cette cotisation en l'absence d'un tel dispositif, n'est pas manifestement disproportionné et n'impose pas au contribuable une charge excessive au regard de ses capacités contributives. La différence de traitement est par suite fondée sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi.

12. En troisième et dernier lieu, il est également soutenu que l'absence de neutralisation des facturations intragroupes aboutirait dans certains cas à une double imposition et conduirait, au sein des sociétés de personnes, à une inégalité de traitement au profit de sociétés en participation.

13. En se bornant à alléguer le risque d'un " double comptage du chiffre d'affaires intragroupe " sans même donner la moindre précision sur la prétendue double imposition qui en résulterait, la société requérante n'apporte, en tout état de cause, aucun élément de nature à établir une rupture d'égalité au détriment des entreprises membres d'un groupe économique. Par ailleurs, les sociétés en participation ont la possibilité d'opter pour leur assujettissement à l'impôt sur les sociétés en application du 3 de l'article 206 du code général des impôts et leur chiffre d'affaires peut être consolidé avec celui des entreprises dont elles détiennent le capital. Dès lors, ces sociétés ne sont pas exclues du dispositif contesté du I bis de l'article 1586 quater précité. S'il est vrai qu'en l'absence de capital des sociétés en participation, leur chiffre d'affaires ne peut pas être consolidé avec celui des associés qui la constituent dans les conditions posées au I de l'article 223 A du code général des impôts, cette seule circonstance ne saurait remettre en cause la pertinence des critères retenus par le législateur et dont le caractère objectif et rationnel a été relevé au point 11 ci-dessus. Par suite, il ne résulte pas des éléments avancés par le contribuable au point 12 ci-dessus que l'application du dispositif entraînerait de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques garantie par l'article 13 de la Déclaration de 1789.

14. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle avait soulevée devant lui.

Sur les conclusions à fin de réduction des impositions litigieuses :

15. Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " () Les présidents des cours administratives d'appel, les premiers vice-présidents des cours et les présidents des formations de jugement des cours peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter () après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d'appel manifestement dépourvues de fondement. () ".

16. D'une part, en vertu du I de l'article 1586 quater du code général des impôts, les entreprises redevables de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises bénéficient d'un dégrèvement dont le montant est égal à une fraction de cette cotisation. Cette fraction décroît en fonction de leur chiffre d'affaires, de sorte que, symétriquement, le taux effectif d'imposition à cette cotisation croît en fonction du chiffre d'affaires. Aux termes du I bis de cet article dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 : " Lorsqu'une entreprise, quels que soient son régime d'imposition des bénéfices, le lieu d'établissement, la composition du capital et le régime d'imposition des bénéfices des entreprises qui la détiennent, remplit les conditions de détention fixées au I de l'article 223 A pour être membre d'un groupe, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du I du présent article s'entend de la somme de son chiffre d'affaires et des chiffres d'affaires des entreprises qui remplissent les mêmes conditions pour être membres du même groupe. / Le premier alinéa du présent I bis s'applique, y compris lorsque les entreprises mentionnées à ce même premier alinéa ne sont pas membres d'un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis. / Ledit premier alinéa n'est pas applicable lorsque la somme des chiffres d'affaires mentionnée au même premier alinéa est inférieure à 7 630 000 € ". Il résulte de ces dispositions que le taux effectif d'imposition à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est calculé en fonction du taux théorique d'imposition fixé au 2 du II de l'article 1586 ter du code général des impôts et du dégrèvement pris en charge par l'Etat prévu par le I bis de l'article 1586 de ce code, lui-même déterminé en fonction de son chiffre d'affaires augmenté du chiffre d'affaires des entreprises, quel que soit le régime d'imposition de leurs bénéfices, qui remplissent les conditions de détention pour constituer un groupe fiscalement intégré.

17. D'autre part, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. " Aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

18. Comme il a été dit plus haut, le I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts institue une différence de traitement, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, entre les sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts pour être membres d'un groupe fiscalement intégré et les sociétés qui ne remplissent pas ces conditions.

19. En premier lieu, il résulte des dispositions citées aux point 16, et des travaux préparatoires à la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 dont elles sont issues, qu'en prévoyant des règles de calcul du dégrèvement spécifiques aux sociétés appartenant à un groupe en ce qu'elles remplissent les conditions de détention prévues par le I de l'article 223 A du code général des impôts, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d'opérations de restructuration destinées à réduire le montant de la CVAE dû par l'ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d'affaires en son sein. Le législateur a ainsi entendu tenir compte de la situation particulière des groupes de sociétés, indépendamment de la date de leur constitution, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour leur appliquer les règles de droit commun pour la détermination, en fonction de leur chiffre d'affaires, du taux effectif d'imposition correspondant à leurs facultés contributives. Par suite, le moyen tiré de ce que le législateur aurait exclusivement poursuivi un objectif de rendement budgétaire, ne pouvant être regardé comme un objectif d'utilité publique, ne peut qu'être écarté.

20. En deuxième lieu, la différence de traitement instituée par ces dispositions repose sur des critères en rapport tant avec l'objet du dégrèvement de CVAE qu'avec le but poursuivi par le législateur, dès lors que les règles spécifiques de calcul du dégrèvement s'appliquent à toutes les sociétés remplissant les conditions de détention en cause et qui appartiennent, par suite, à un groupe susceptible d'être structuré en vue de réduire le montant total de la cotisation due par les sociétés qui le composent. Par conséquent, les sociétés concernées par ces règles spécifiques de calcul du dégrèvement se trouvent placées dans la même situation, quels que soient leur mode de détention, leur forme juridique ou les modalités de leurs opérations intragroupes. En se fondant, pour définir le champ d'application des règles en litige, sur le seuil de détention prévu par le I de l'article 223 A du code général des impôts, le législateur a ainsi retenu des critères objectifs et rationnels en rapport avec le but poursuivi.

21. Enfin, les dispositions critiquées, relatives à la détermination du taux effectif d'imposition, n'ont, en tout état de cause, pas pour objet ni pour effet d'assujettir à la CVAE des sociétés n'entrant pas dans son champ d'application défini par l'article 1586 ter du code général des impôts.

22. Il résulte de ce qui précède que doit être écarté le moyen tiré de l'incompatibilité des dispositions du I bis de l'article 1586 quater du code général des impôts avec les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

23. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Design assurances n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes. Sa requête étant manifestement dépourvue de fondement, il y a lieu de la rejeter, par application de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er : La requête présentée par l'EURL Design assurances est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'EURL Design assurances et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Fait à Nancy, le 5 avril 2022.

Le premier vice-président de la cour,

président de la 2ème chambre

Signé : J. Martinez

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. SCHRAMM