Tribunal administratif de Melun

Ordonnance du 3 mars 2022 N° 2201150

03/03/2022

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE MELUN

 

 

N° 2201150

___________

 

PRÉFÈTE DU VAL-DE-MARNE

___________

 

M. C... A...

Juge des référés

___________

 

Ordonnance du 3 mars 2022

___________

 

 

 

 

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

Le juge des référés

 

 

 

 

 

Vu la procédure suivante :

 

Par une requête, enregistrée le 3 février 2022, la préfète du Val-de-Marne demande au juge des référés :

 

1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 554-1 du code de justice administrative, la suspension de la décision par laquelle le maire de Bonneuil-sur-Marne a refusé de soumettre au conseil municipal une délibération relative au temps de travail des agents de la commune, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ;

 

2°) d’enjoindre au maire de Bonneuil-sur-Marne de respecter les dispositions de l’article 47 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 et de lui transmettre la délibération correspondante dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’ordonnance, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard.

 

Elle soutient que :

- la circonstance qu’au 1er janvier 2022 la commune de Bonneuil-sur-Marne ne lui a pas transmis de délibération adoptant un régime du temps de travail conforme à la loi du 6 août 2019, malgré une circulaire du 21 décembre 2020 et un courrier du 4 octobre 2021, révèle l’existence d’une décision du maire de Bonneuil-sur-Marne de ne pas soumettre au conseil municipal une telle délibération et ainsi de refuser d’appliquer cette loi ;

- le maintien au-delà du 1er janvier 2022 d’un régime de travail mis en place antérieurement à la publication de la loi du 3 janvier 2001 méconnaît les dispositions de l’article 47 de la loi du 6 août 2019.

 

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2022, la commune de

Bonneuil-sur-Marne conclut au rejet de la requête et à ce qu’il soit mis à la charge de l’État la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

 

 

Elle soutient que :

 

- le déféré est irrecevable, dès lors qu’au terme du délai d’un an prescrit par l’article 47 de la loi du 6 août 2019, soit en l’espèce le 15 mars 2021, l’absence de délibération du conseil municipal a révélé le refus d’appliquer cette loi et, par suite, la préfète du Val-de-Marne ne pouvait déférer cette décision que dans un délai de deux mois expirant le 16 mai 2021 ;

- les dispositions de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 devront être écartées dès lors qu’elles auront été déclarées inconstitutionnelles ;

- les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte doivent être rejetées au regard de la situation financière de la commune et de l’impossibilité d’adopter un régime du temps de travail dans un délai d’un mois.

 

Par un mémoire, enregistré le 23 février 2022, la commune de Bonneuil-sur-Marne demande au juge des référés, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du

7 novembre 1958, et en défense de la requête de la préfète du Val-de-Marne, de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’article 47 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019.

 

Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel et méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales et le principe de liberté contractuelle.

 

 

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la requête enregistrée sous le numéro 2201176 par laquelle la préfète du Val-de-Marne demande l’annulation de la décision attaquée.

 

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;

- le code de justice administrative.

 

Le président du tribunal a désigné M. A... pour statuer sur les demandes de référé.

 

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

 

Au cours de l’audience publique tenue en présence de Mme Aubret, greffière d’audience, M. A... a lu son rapport et entendu les observations de :

- M. B..., maire de Bonneuil-sur-Marne, qui a fait valoir que la loi du 6 août 2019 méconnaissait le principe de libre administration des collectivités territoriales, qu’au regard notamment de la baisse des ressources des communes, l’organisation du travail était le seul levier pour recruter et fidéliser les agents et les récompenser de leur mobilisation ;

- Me Cadoux, représentant la commune de Bonneuil-sur-Marne, qui a maintenu les termes du mémoire en défense, notamment en ce qui concerne le délai de l’injonction.

 

La préfète du Val-de-Marne n’était ni présente, ni représentée.

 

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

 

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 554-1 du code de justice administrative :

 

1. Aux termes de l’article L. 554-1 du code de justice administrative : « Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l'Etat dirigées contre les actes des communes sont régies par le 3e alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ci-après reproduit : " Art. L. 2131-6, alinéa 3.-Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Il est statué dans un délai d'un mois. " (…) ».

 

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité :

 

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le second alinéa de l’article 23-2 de la même ordonnance précise que : « En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’Etat (…) ».

 

3. L’article 47 de la loi du 6 août 2019 est applicable au présent litige. Cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu’elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe de libre administration des collectivités territoriales, pose une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

 

4. Par dérogation aux dispositions du 1er alinéa de l’article 23-3 de l’ordonnance du

7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, la juridiction peut, en application du 3ème alinéa du même article, statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité « si la loi ou le règlement prévoit qu’elle statue dans un délai déterminé ou en urgence ». En application de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, la juridiction doit statuer sur le litige dont elle est saisie dans un délai déterminé d’un mois. Il y a donc lieu de statuer sur les conclusions de la requête sans attendre qu’il soit statué sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée en défense.

 

En ce qui concerne la demande de suspension :

 

5. Aux termes de l’article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales : « Toute convocation est faite par le maire. Elle indique les questions portées à l'ordre du jour. (…) ». Aux termes de l’article L. 2121-29 du même code : « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. (…) ». Aux termes de l’article L. 2131-1 du même code : « Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'État dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement. (…) ». Aux termes de l’article L. 2131-2 du même code : « Sont soumis aux dispositions de l'article L. 2131-1 les actes suivants: (…) 3° Les actes à caractère réglementaire pris par les autorités communales dans tous les autres domaines qui relèvent de leur compétence en application de la loi (…) ». Aux termes de L. 2131-6 du même code : « Le représentant de l'État dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article

L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. (…) ». Aux termes de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique :

« I.- Les collectivités territoriales et les établissements publics mentionnés au premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ayant maintenu un régime de travail mis en place antérieurement à la publication de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale disposent d'un délai d'un an à compter du renouvellement de leurs assemblées délibérantes pour définir, dans les conditions fixées à l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, les règles relatives au temps de travail de leurs agents. Ces règles entrent en application au plus tard le 1er janvier suivant leur définition. (…) ». Aux termes de l’article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale dans sa version issue des dispositions de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 : « Les règles relatives à la définition, à la durée et à l'aménagement du temps de travail des agents des collectivités territoriales et des établissements publics mentionnés au premier alinéa de l'article 2 sont fixées par la collectivité ou l'établissement, dans les limites applicables aux agents de l'Etat, en tenant compte de la spécificité des missions exercées par ces collectivités ou établissements./Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du premier alinéa. Ce décret prévoit les conditions dans lesquelles la collectivité ou l'établissement peut, par délibération, proposer une compensation financière à ses agents, d'un montant identique à celle dont peuvent bénéficier les agents de l'Etat, en contrepartie des jours inscrits à leur compte épargne-temps. ».

 

6. Il résulte de l’instruction que, par un courrier du 4 octobre 2021, la préfète du

Val-de-Marne a indiqué au maire de Bonneuil-sur-Marne qu’il s’avérait primordial que la commune engage rapidement les mesures nécessaires à la bonne application de ses obligations légales avant la date butoir du 1er janvier 2022, que « sans décision expresse de l’organe délibérant à l’expiration de la période transitoire, [elle se] verrai contrainte de déférer à la censure du juge toute délibération contraire à la loi » et a demandé au maire de Bonneuil-sur-Marne de la tenir informée de l’avancée des travaux de la commune. Il est constant, tel que cela est d’ailleurs réaffirmé dans le mémoire en défense, que le maire de Bonneuil-sur-Marne a refusé d’appliquer les dispositions de la loi du 6 août 2019.

 

7. Le refus du maire de Bonneuil-sur-Marne d’appliquer les dispositions légales en matière de temps de travail des agents, entrant dans le champ du 3° de l’article L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, quelle que soit la date à laquelle cette décision a été prise, n’a pas été transmis au représentant de l’État dans le département, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, et, par suite, le délai de deux mois dans lequel la préfète du Val-de-Marne pouvait déférer au tribunal cette décision n’a pas commencé à courir. Il en résulte que le moyen soulevé en défense, tiré de ce que le déféré serait irrecevable, doit être écarté.

 

8. Le moyen tiré de ce que le refus du maire de Bonneuil-sur-Marne d’appliquer les dispositions légales en matière de temps de travail des agents et de mettre à l’ordre du jour du conseil municipal les règles relatives au temps de travail des agents méconnaîtrait les dispositions de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 est propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette décision. Par suite cette décision doit être suspendue.

 

Sur les conclusions au fin d’injonction :

 

9. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ». Aux termes de l’article L. 911-3 du même code : « La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. ».

 

10. La présente décision implique nécessairement qu’il soit procédé à l’adoption de mesures provisoires, dans l’attente du jugement au fond, relatives au temps de travail des agents de la commune en application de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 et à leur transmission à la préfète du Val-de-Marne pour l’exercice du contrôle de légalité. Par suite il doit être enjoint au maire de Bonneuil-sur-Marne de veiller à l’adoption de ces actes et de leur transmission au titre du contrôle de légalité. Si le retard de la commune de Bonneuil-sur-Marne lui est principalement imputable, dès lors qu’elle connaissait les obligations mises à sa charge par la loi du 6 août 2019 depuis la publication de celle-ci le 7 août suivant, il n’en reste pas moins que l’adoption d’une nouvelle réglementation du travail au sein de la collectivité ne peut se faire raisonnablement dans le délai d’un mois comme le demande la préfète du Val-de-Marne. Dans les circonstances de l’espèce il y a donc lieu d’assortir l’injonction ci-dessus d’un délai de quatre mois, sans qu’il y ait lieu d’ordonner une astreinte.

 

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

 

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions de la commune de Bonneuil-sur-Marne dirigées contre l’État qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

 

 

 

O R D O N N E :

 

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l’article 47 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 est transmise au Conseil d’Etat.

 

Article 2 : La décision par laquelle le maire de Bonneuil-sur-Marne a refusé d’appliquer les dispositions légales en matière de temps de travail des agents et de mettre à l’ordre du jour du conseil municipal les règles relatives au temps de travail des agents est suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué au fond.

 

Article 3 : Il est enjoint au maire de Bonneuil-sur-Marne de mettre à même le conseil municipal d’adopter les délibérations relatives au temps de travail des agents de la commune en application de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 et de les transmettre à la préfète du Val-de-Marne pour l’exercice du contrôle de légalité, ce dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente ordonnance, dans l’attente du jugement au fond.

 

Article 4 : Les conclusions de la commune de Bonneuil-sur-Marne présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

 

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la préfète du Val-de-Marne et à la commune de Bonneuil-sur-Marne.

 

Le juge des référés,

 

 

 

Signé : P-Y. A...

 

 

La République mande et ordonne à la préfète du Val-de-Marne en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

 

Pour expédition conforme,

La greffière,

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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N° 2201150