Conseil d'Etat

Ordonnance du 5 janvier 2022 n° 459809

05/01/2022

Autre

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 24 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (INTERFEL) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite en ce que, en premier lieu, le décret contesté préjudicie, d'une part, aux intérêts des opérateurs de la filière des fruits et légumes frais qu'elle représente et, d'autre part, à l'intérêt public qui s'attache au bon fonctionnement concurrentiel du marché ainsi qu'à la protection du droit de l'Union européenne et à son effectivité, en deuxième lieu, aucune mesure transitoire prévue par le décret n'est efficace pour prévenir les préjudices graves et immédiats que causera la mise en œuvre du dispositif, en troisième lieu, l'adoption et la publication tardives de ce décret n'ont pas permis à la filière représentée de bénéficier d'un délai suffisant afin de s'adapter et de s'organiser alors qu'il n'existe aucune alternative au conditionnement composé de plastique pour les fruits et légumes frais et, en dernier lieu, aucune nécessité ne s'attache à l'application immédiate de ce décret dès lors qu'il a une visée symbolique et emblématique ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- par voie d'exception, les dispositions du 16ème alinéa du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement sont contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit, notamment à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- à titre principal et par voie d'exception, les dispositions du 16ème alinéa du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement sont incompatibles avec le droit de l'Union européenne dès lors que, en premier lieu, l'article 77 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie méconnaît le principe de libre circulation des marchandises garanti par les articles 34 à 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en ce qu'il constitue une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives non justifiée par l'objectif de réduction des emballages plastiques et du gaspillage, en deuxième lieu, elles méconnaissent l'article 18 de la directive 94/62/CE du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d'emballages dès lors que le conditionnement constitue un emballage au sens de cette directive et, en dernier lieu, ces dispositions n'ont pas été notifiées à la Commission européenne alors que la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015 prévoit une obligation de notification ;

- à titre subsidiaire, le décret contesté constitue une restriction non justifiée au principe de libre circulation des marchandises, dès lors que, d'une part, il retient des définitions trop larges et générales pour préciser les conditions d'application de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 et, d'autre part, il limite dans le temps les exemptions qu'il prévoit ;

- ce décret méconnaît le principe de sécurité juridique dès lors que, en premier lieu, il ne précise pas suffisamment la portée et le champ d'application de l'article 77 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020, en deuxième lieu, il n'a pas prévu un délai suffisant avant l'entrée en vigueur de cette loi pour permettre aux opérateurs concernés d'adapter en temps utile leurs approvisionnements ainsi que leurs fonctionnements et, en dernier lieu, il prévoit des mesures transitoires insuffisantes pour satisfaire à l'exigence de prévisibilité.

Par un mémoire distinct, enregistré le 4 janvier 2022, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, l'Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais demande au juge des référés du Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 16ème alinéa du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement. Elle soutient que ces dispositions sont applicables au litige, qu'elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution et qu'elles posent une question sérieuse.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

3. Aux termes du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'article 77 de la loi du 20 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire : " Il est mis fin à la mise à disposition des produits en plastique à usage unique suivants : / () A compter du 1er janvier 2022, tout commerce de détail exposant à la vente des fruits et légumes frais non transformés est tenu de les exposer sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Cette obligation n'est pas applicable aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi qu'aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret () ". Le décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique a été pris pour l'application de ces dispositions. Il comporte la définition de divers termes, dont celui de conditionnement, il fixe la liste des fruits et légumes frais non soumis à l'interdiction du conditionnement en plastique en raison du risque de détérioration lors de la vente en vrac et il détermine le calendrier de mise en œuvre du dispositif.

4. L'Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret. Sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, elle en demande la suspension de l'exécution.

5. Pour justifier de la condition d'urgence, l'association requérante fait valoir, d'une part, le préjudice découlant de l'interdiction d'exposer à la vente, à compter du 1er janvier 2022, les fruits et légumes frais non transformés conditionnés sous emballages composés pour tout ou partie de matière plastique, en ce que les opérateurs de la filière des fruits et légumes frais qu'elle représente vont devoir supporter le coût de la mise en œuvre de cette interdiction ainsi que le risque de voir leurs produits déréférencés lorsqu'aucune alternative aux emballages plastiques ne sera disponible, et d'autre part, l'atteinte qui en résultera au bon fonctionnement concurrentiel du marché ainsi qu'au principe de libre circulation des marchandises consacré par le droit de l'Union européenne. Elle se prévaut aussi du caractère tardif de la publication du décret contesté, du caractère inefficace des mesures transitoires qu'il prévoit et de l'absence d'urgence de son entrée en vigueur. Toutefois, elle n'apporte aucun élément permettant d'apprécier l'impact pour les entreprises qu'elle représente de l'application du décret contesté, au-delà de ce qui résulte directement du principe d'interdiction du conditionnement en plastique qui a été posé par la loi elle-même. Par ailleurs, la date d'entrée en vigueur de cette interdiction au 1er janvier 2022 a aussi été déterminée par la loi. Si le décret contesté a été publié le 12 octobre 2021, il se borne à énumérer les fruits et légumes bénéficiant d'une exemption temporaire de cette interdiction ainsi qu'à prévoir des dispositions transitoires sur plusieurs mois pour permettre l'écoulement des stocks d'emballage. Dans ces conditions, les éléments avancés par l'association requérante ne permettent pas de caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts des entreprises qu'elle représente.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ni de se prononcer sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, que la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie. Il y a lieu, par suite, de rejeter la requête de l'Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de l'Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais.

Copie en sera adressée au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique.

Fait à Paris, le 5 janvier 202Signé : Nathalie Escaut459809

Code publication

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