Conseil d'Etat

Ordonnance du 5 janvier 2022 n° 459788

05/01/2022

Autre

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 23 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop), la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), la fédération Les producteurs de légumes de France, la Coordination rurale Union nationale, l'association Gouvernance économique des fruits et légumes (GEFeL), l'Association nationale des expéditeurs et exportateurs de fruits et légumes (ANEEFEL) et la Chambre syndicale des importateurs français de fruits et légumes frais (CSIF) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que le décret ne prévoit pas de mesures transitoires suffisantes et place de nombreux de producteurs, importateurs et exportateurs de fruits et légumes dans l'impossibilité de pouvoir commercialiser leurs produits à partir du 1er janvier 2022, alors qu'aucune nécessité ne s'attache à ce qu'il entre en vigueur dans l'immédiat ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;

- par voie d'exception, l'article 77 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie pour l'application de laquelle le décret contesté a été pris méconnaît, en premier lieu, l'alinéa 1er de l'article 5.1 de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 dès lors que ces dispositions n'ont pas été notifiées à la Commission européenne, en deuxième lieu, l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dès lors qu'il instaure une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative et, en dernier lieu, l'article 18 de la directive 94/62/CE du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d'emballages dès lors que le conditionnement constitue un emballage au sens de cette directive ;

- le décret contesté est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'il détermine des mesures transitoires alors que le pouvoir réglementaire était uniquement habilité par la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 à fixer la liste de produits fragiles pour lesquels l'interdiction des emballages plastiques ne s'applique pas ;

- ce décret méconnaît le principe de sécurité juridique dès lors qu'il n'a pas prévu un délai suffisant pour permettre aux opérateurs concernés de s'organiser ;

- il méconnaît le principe d'intelligibilité de la loi " en ce qu'il ne définit pas précisément son champ d'application " ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il inclut les dispositifs d'attache en plastique des fruits et légumes dans le champ de l'interdiction.

Par un mémoire distinct, enregistré le 23 décembre 2021, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, la Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop), la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), la fédération Les producteurs de légumes de France, la Coordination rurale Union nationale, l'association Gouvernance économique des fruits et légumes (GEFeL), l'Association nationale des expéditeurs et exportateurs de fruits et légumes (ANEEFEL) et la Chambre syndicale des importateurs français de fruits et légumes frais (CSIF) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'article 77, I, 2° d) de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. Elles soutiennent que ces dispositions sont applicables au litige, qu'elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution et qu'elles posent une question nouvelle et sérieuse.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

3. Aux termes du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'article 77 de la loi du 20 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire : " Il est mis fin à la mise à disposition des produits en plastique à usage unique suivants : / () A compter du 1er janvier 2022, tout commerce de détail exposant à la vente des fruits et légumes frais non transformés est tenu de les exposer sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Cette obligation n'est pas applicable aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi qu'aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret () ". Le décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique a été pris pour l'application de ces dispositions. Il comporte la définition de divers termes, dont celui de conditionnement, il fixe la liste des fruits et légumes frais non soumis à l'interdiction du conditionnement en plastique en raison du risque de détérioration lors de la vente en vrac et il détermine le calendrier de mise en œuvre du dispositif.

4. La Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole et six autres requérantes ont demandé l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret. Sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, elles en demandent la suspension de l'exécution.

5. Pour justifier de la condition d'urgence, les requérantes se prévalent des difficultés techniques que pose l'élimination du plastique dans les conditionnements des fruits et légumes frais et, au demeurant, pour un certain nombre d'entre eux, l'absence d'alternative, ainsi que des contraintes liées à l'adaptation des chaînes de conditionnement et des filières d'approvisionnement en emballages. Elles invoquent aussi le caractère tardif de la publication du décret contesté qui fait que nombre de producteurs ne pourront se conformer à la nouvelle législation au 1er janvier 2022, notamment en ce qu'ils n'ont pu anticiper l'interdiction des dispositifs d'attaches en plastique. Toutefois, les requérantes n'apportent aucun élément permettant d'apprécier l'impact pour les entreprises qu'elles représentent de l'application du décret contesté, au-delà de ce qui résulte directement du principe d'interdiction du conditionnement en plastique qui a été posé par la loi elle-même. Par ailleurs, la date d'entrée en vigueur de cette interdiction au 1er janvier 2022 a aussi été déterminée par la loi. Si le décret contesté a été publié le 12 octobre 2021, il se borne à énumérer les fruits et légumes bénéficiant d'une exemption temporaire de cette interdiction ainsi qu'à prévoir des dispositions transitoires sur plusieurs mois pour permettre l'écoulement des stocks d'emballage. Dans ces conditions, et alors même que le décret a inclus dans la notion de conditionnement les dispositifs d'attache des fruits et légumes, les éléments avancés par les requérantes ne permettent pas de caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts des entreprises qu'elles représentent.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ainsi que de se prononcer sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, que la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie. Il y a lieu, par suite, de rejeter la requête de la Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole et autres, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop), la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), la fédération Les producteurs de légumes de France, la Coordination rurale Union nationale, l'association Gouvernance économique des fruits et légumes (GEFeL), l'Association nationale des expéditeurs et exportateurs de fruits et légumes (ANEEFEL) et la Chambre syndicale des importateurs français de fruits et légumes frais (CSIF) est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop), première dénommée pour l'ensemble des requérantes. Copie en sera adressée au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique.

Fait à Paris, le 5 janvier 202Signé : Nathalie Escaut4597884

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