Conseil d'Etat

Décision du 21 octobre 2021 n° 449115

21/10/2021

Non renvoi

Conseil d'État

N° 449115
ECLI:FR:CECHS:2021:449115.20211021
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
Mme Agnès Pic, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public


Lecture du jeudi 21 octobre 2021

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 26 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération Diversité et Proximité Mutualiste demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1438 du 24 novembre 2020 relatif au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code des assurances ;

- le code de la mutualité ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu des articles L. 113-15-2 du code des assurances, L. 932-12-1 et L. 932-21-2 du code de la sécurité sociale et L. 221-10-2 du code de la mutualité, dans leur rédaction issue de la loi du 14 juillet 2019 relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaires santé, pour les contrats et règlements d'assurance couvrant les personnes physiques en dehors de leurs activités professionnelles et relevant des branches ou des catégories de contrats définies par décret en Conseil d'Etat ou, s'agissant des mutuelles ou unions, pour les règlements ou contrats relevant des branches ou des catégories de contrats définies par décret en Conseil d'Etat, la faculté pour l'assuré, adhérent, participant ou souscripteur de résilier la convention ou dénoncer son adhésion ou son affiliation lui est désormais ouverte à tout moment après l'expiration d'un délai d'un an à compter de la première souscription, sans frais ni pénalités, la dénonciation ou la résiliation prenant effet un mois après réception de sa notification.

2. Pour l'application de ces différentes dispositions législatives issues de la loi du 14 juillet 2019, le décret du 24 novembre 2020 relatif au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé définit les branches et catégories de contrats conclus avec les sociétés d'assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles auxquelles s'applique le droit de résiliation ainsi désormais facilité. La Fédération Diversité Proximité Mutualiste demande au Conseil d'Etat d'annuler ce décret pour excès de pouvoir. A l'appui de sa requête, elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité, mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 113-15-2 du code des assurances, L. 932-12-1 et L. 932-21-2 du code de la sécurité sociale et L. 221-10-2 du code de la mutualité, dans leur rédaction issue de la loi du 14 juillet 2019.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. En premier lieu, en vertu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ". En élargissant la faculté de dénonciation ou de résiliation de certains contrats et règlements d'assurance couvrant les personnes physiques en dehors de leurs activités professionnelles ou certains règlements ou contrats du mutuelles ou d'union, pour permettre qu'elle soit exercée, non plus à leur seule date d'échéance, mais à tout moment après expiration d'un délai d'un an à compter de la première souscription, le législateur a entendu étendre à ces contrats et règlements, dans un but de protection du consommateur, les dispositions déjà appliquées, en vertu de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, à d'autres contrats d'assurance tacitement reconductibles, en assouplissant les règles permettant d'y mettre fin . Les dispositions attaquées sont, par elles-mêmes, sans incidence sur la teneur ou le coût des prestations susceptibles d'être proposées par les sociétés d'assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles aux contrats et règlements desquelles elles s'appliquent. Elles n'impliquent pas davantage, contrairement à ce qui est soutenu, que la teneur ou le coût de ces prestations seront affectées de façon défavorable pour leurs bénéficiaires. Le grief tiré de ce qu'elles porteraient, pour ce motif, atteinte au droit à la protection de la santé ne peut dès lors être regardé comme sérieux.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Le principe d'égalité n'oblige pas à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Il résulte de ce qui a été dit au point 1 que les dispositions attaquées se bornent à assouplir les règles de résiliation des contrats ou règlements définis par décret, sans distinguer entre les bénéficiaires de ces contrats ou entre les organismes assureurs. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ne présente pas de caractère sérieux.

6. En troisième lieu, en prévoyant que les assurés, adhérents, participants ou souscripteurs qui bénéficiaient jusqu'alors d'une faculté de s'opposer à la tacite reconduction de leur contrat à son échéance, peuvent désormais résilier leur contrat à tout moment de son exécution, après expiration d'un délai d'un an à compter de la première souscription, les dispositions en litige ne restreignent aucunement, contrairement à ce qui est soutenu, la force obligatoire du contrat. Dans ces conditions, le grief tiré de ce qu'elles méconnaîtraient, pour ce motif, la liberté contractuelle garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne présente pas de caractère sérieux.

7. En quatrième lieu, en se bornant à invoquer le principe de solidarité sur lequel le seul législateur a entendu, à l'article L. 110-1 du code de la mutualité, fonder l'exercice de leur activité par les mutuelles, la fédération requérante ne se prévaut d'aucun droit ou liberté que la Constitution garantirait.

8. En cinquième lieu, la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Dès lors, sans qu'il besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les articles L. 113-15-2 du code des assurances, L. 932-12-1 et L. 932-21-2 du code de la sécurité sociale et L. 221-10-2 du code de la mutualité, dans leur rédaction issue de la loi du 14 juillet 2019, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur les autres moyens :

10. En premier lieu, comme il a été dit au point 1, le législateur a, aux articles L. 113-15-2 du code des assurances, L. 932-12-1 et L. 932-21-2 du code de la sécurité sociale et L. 221-10-2 du code de la mutualité, dans leur rédaction issue de la loi du 14 juillet 2019, posé le principe selon lequel, pour certains contrats et règlements d'assurance couvrant les personnes physiques en dehors de leurs activités professionnelles ou contrats et règlements de mutuelles ou d'unions, la faculté pour l'assuré, adhérent, participant ou souscripteur de résilier la convention ou dénoncer son adhésion ou son affiliation devait désormais lui être ouverte à tout moment après l'expiration d'un délai d'un an à compter de la première souscription, tout en renvoyant au pouvoir réglementaire la définition des branches et catégories de contrats conclus avec les sociétés d'assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles auxquelles s'applique le droit de résiliation ainsi désormais facilité. Le législateur a, en outre, aux mêmes articles, assorti ce droit de résiliation de garanties particulières, destinées à éviter toute interruption de la couverture de l'assuré, dans le cas où le contrat résilié est conclu pour le remboursement et l'indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident.

11. Pour l'application de ces dispositions, le décret attaqué prévoit que relèvent du droit de résiliation institué par le législateur les contrats ou règlement " comportant des garanties pour le remboursement et l'indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident et ne comportant aucune autre garantie, à l'exception, le cas échéant, des garanties couvrant les risques décès, incapacité de travail ou invalidité, ainsi que des garanties d'assistance, de protection juridique, de responsabilité civile, de nuptialité-natalité ou d'indemnités en cas d'hospitalisation ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que le champ qu'il a ainsi défini ne correspondrait pas à celui des contrats ou règlements proposés par les sociétés d'assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles qui comportent le remboursement et l'indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident, dont il résulte des dispositions mentionnées au point précédent que le législateur entendait qu'ils entrent dans le champ de ce droit de résiliation. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que le décret attaqué serait entaché d'illégalité en ce qu'il ne prévoirait pas l'application de ce droit de résiliation à tous les contrats comportant le remboursement et l'indemnisation des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident.

12. En deuxième lieu, les dispositions des articles R. 113-12 du code des assurances, R. 931-1-6-2 du code de la sécurité sociale et R. 221-5 du code de la mutualité, dans leur rédaction issue du décret attaqué, prévoient que lorsqu'elles sont remplies, les conditions de dénonciation ou de résiliation prévues, selon le cas, aux articles L. 113-15-2 du code des assurances, L. 932-12-1 et L. 932-21-2 du code de la sécurité sociale et L. 221-10-2 du code de la mutualité, s'appliquent notamment dans le cas où l'assuré, le membre participant, l'employeur, la personne morale souscriptrice ou l'adhérent ne précise pas le fondement de sa demande de résiliation ou de dénonciation. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que, faute pour le décret attaqué d'imposer à l'auteur de la résiliation ou de la dénonciation de préciser le fondement de sa demande, il porterait atteinte à l'objectif de clarté et d'intelligibilité de la norme.

13. En troisième lieu, l'article 6 de la loi du 14 juillet 2019 prévoit que le droit de résiliation ou de dénonciation qu'elle institue, résultant des articles 1er et 3 de cette loi, entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'Etat et au plus tard le 1er décembre 2020 et est applicable aux adhésions et contrats existants à cette date. L'article 4 du décret attaqué fixe la date d'entrée en vigueur des articles 1er et 3 de la loi du 14 juillet 2019, ainsi que celle du décret lui-même, au 1er décembre 2020 et précise que leurs dispositions s'appliquent aux contrats et adhésions en cours à cette date.

14. S'il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, l'application d'une réglementation nouvelle à des situations contractuelles en cours, il résulte des dispositions mentionnées au point précédent que la loi du 14 juillet 2019, publiée le surlendemain, est entrée en vigueur près de dix-huit mois après son adoption et sa publication et le décret du 24 novembre 2020, publié le lendemain, plus d'un mois après son édiction et sa publication. En outre, l'application aux contrats en cours du droit de résiliation ou de dénonciation, selon ses modalités résultant de cette loi et de ce décret, n'appelait pas de mesure transitoire. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique ne peut qu'être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du décret qu'elle attaque.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Fédération Diversité Proximité Mutualiste.

Article 2 : La requête de la Fédération Diversité Proximité Mutualiste est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération Diversité Proximité Mutualiste et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 octobre 2021 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Damien Botteghi, conseiller d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 21 octobre 2021.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

La rapporteure :

Signé : Mme Agnès Pic

La secrétaire :

Signé : Mme A B449115- 4 -