Conseil d'Etat

Décision du 15 octobre 2021 n° 454706

15/10/2021

Non renvoi

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 31 mai 2021, Mme N G a, en application des dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 avril 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande de carte de séjour temporaire et l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, demandé au tribunal administratif de Montreuil de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, et des dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du même code, telles qu'interprétées par le Conseil d'Etat.

Par une ordonnance n° 2107011 du 15 juillet 2021, enregistrée le 16 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 8ème chambre du tribunal administratif de Montreuil a décidé, par application de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre cette question au Conseil d'Etat.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Sur le fondement de ces dispositions, Mme G demande, à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 avril 2021 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande de carte de séjour temporaire et l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 et du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat.

3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige et aujourd'hui codifié aux articles L. 423-7 et L. 423-8 du même code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : () 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article

371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée () ". Ces dispositions sont interprétées, en vertu d'une jurisprudence constante, en ce sens que si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. L'article L 511-4 du même code dispose que : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : () 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ".

5. La requérante soutient que les dispositions mentionnées aux points 3 et 4, prises ensemble, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, seraient contraires à la liberté individuelle, à la liberté d'aller et venir et au droit de mener une vie familiale normale. Ces mêmes dispositions seraient contraires à l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, au principe d'indépendance de l'autorité judiciaire et au principe d'égalité dans la mesure où elles ne font pas obstacle à l'éloignement du parent étranger qui exerce seul l'autorité et la garde de son enfant mineur ayant obtenu la nationalité française à raison d'une reconnaissance de paternité frauduleuse et ce, alors même que l'enfant serait toujours légalement détenteur de cette nationalité en l'absence de décision judiciaire définitive la lui retirant, et serait donc appelé, sauf à être abandonné, à suivre son parent étranger, revenant ainsi à éloigner du territoire un ressortissant français.

6. Aucun des principes constitutionnels invoqués ne fait obstacle, par principe, à ce que l'autorité administrative, même en l'absence de texte l'y autorisant expressément, puisse rejeter une demande entachée de fraude à la loi ou refuser, pour l'application de dispositions de droit public, de tirer les conséquences d'un acte de droit privé opposable aux tiers entaché de fraude à la loi. La question prioritaire de constitutionnalité invoquée est ainsi dépourvue de caractère sérieux. Au demeurant, l'éventuelle mise en cause des principes invoqués, dans le cas du refus de séjour suivi d'une obligation de quitter le territoire français concernant le parent étranger d'un enfant français dont il est établi, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que le lien de filiation avec un ressortissant français est entaché de fraude, procèderait en tout état de cause de la mise en œuvre de la loi et n'affecterait pas la constitutionnalité de la loi elle-même.

7. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme G.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme N G et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au tribunal administratif de Montreuil.

Délibéré à l'issue de la séance du 8 octobre 2021 où siégeaient :

M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. H J, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. D M ; Mme A K, M. C F, M. E L, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 15 octobre 2021.

Le Président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Stéphanie Vera

La secrétaire :

Signé : Mme I B454706- 3 -