Conseil d'Etat

Décision du 15 octobre 2021 n° 451785

15/10/2021

Non renvoi

Conseil d'État

N° 451785
ECLI:FR:CECHR:2021:451785.20211015
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Rozen Noguellou, rapporteur
M. Olivier Fuchs, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP OHL, VEXLIARD ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du vendredi 15 octobre 2021

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés le 16 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. B et la société Michel B et associés demandent au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête tendant à l'annulation de la décision du Haut conseil du commissariat aux comptes du 19 février 2021 prononçant la radiation de M. B J la liste des commissaires aux comptes et l'interdiction, pour la société Michel B et associés, d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant cinq ans assortie du sursis pour la totalité de cette durée, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 24 de la loi n° 2010-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises et de l'article L. 824-12 du code de commerce.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l'article 24 de la loi n°2010-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises ;

- l'article L. 824-12 du code de commerce ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M. B et autre, à la SCP Ohl, Vexliard, avocat du Haut conseil du commissariat aux comptes et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la sociéteé Pricewaterhousecoopers Audit SAS et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. M. B et la société Michel B et associés soulèvent, à l'appui des conclusions de leur requête tendant à l'annulation de la décision du Haut conseil du commissariat aux comptes du 19 février 2021 prononçant la radiation de M. B J la liste des commissaires aux comptes et l'interdiction, pour la société Michel B et associés, d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant cinq ans, assortie du sursis pour la totalité de cette durée, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 24 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, d'une part, de l'article L. 824-12 du code de commerce, d'autre part.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article 24 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises :

3. L'article 24 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises modifie l'alinéa 3 de l'article L. 824-8 du code de commerce en prévoyant que : " Le rapporteur général établit un rapport final qu'il adresse à la formation restreinte avec les observations de la personne intéressée ". Cette disposition se substitue à l'ancien alinéa 3 de l'article L. 824-8 du code de commerce, lequel prévoyait que : " le rapporteur général établit un rapport final qu'il adresse au Haut conseil avec les observations de la personne intéressée. Le Haut conseil, statuant hors la présence des membres de la formation restreinte, désigne la formation compétente pour statuer, conformément aux dispositions de l'article L. 824-10. Cette décision est notifiée à la personne poursuivie ". L'article L. 824-10, dans sa rédaction antérieure à la loi Pacte, précisait les règles de répartition des actions disciplinaires entre les commissions régionales de discipline et la formation restreinte du Haut conseil.

4. La nouvelle rédaction de l'article L. 824-8 du code de commerce issue de l'article 24 de la loi du 22 mai 2019 tire les conséquences de la suppression, par cette même loi, des commissions régionales de discipline en prévoyant la saisine directe de la formation restreinte du Haut conseil, qui est désormais la seule entité compétente pour connaître des actions disciplinaires, par le rapporteur général ayant établi un rapport final. Si, s'agissant d'une règle procédurale, celle-ci a vocation à s'appliquer dès l'entrée en vigueur de la loi, y compris à des procédures en cours, cette évolution n'a pas supprimé une possibilité de renoncer aux poursuites que ne prévoyait pas l'ancienne rédaction de l'article L. 824-8 du code de commerce, la seconde délibération du Haut conseil alors prévue par ce texte ayant pour seule finalité de choisir, au vu du rapport final du rapporteur général, la formation disciplinaire compétente et non pour objet de décider du maintien ou de l'abandon des griefs précédemment notifiés, et est par ailleurs sans incidence sur les droits, reconnus par l'article L. 824-8 du code de commerce aux personnes poursuivies, d'avoir accès au dossier, de présenter leurs observations et de se faire assister par un conseil de leur choix à toutes les étapes de la procédure. Elle ne porte dès lors, et en tout état de cause, aucune atteinte à des situations légalement acquises et ne saurait davantage être considérée comme remettant en cause des effets pouvant légitimement être attendus de situations nées sous l'empire de textes antérieurs.

5. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a, par suite, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L. 824-12 du code de commerce :

6. Aux termes de l'article L. 824-12 du code de commerce : " Les sanctions sont déterminées en tenant compte : 1° De la gravité et de la durée de la faute ou du manquement reprochés ; 2° De la qualité et du degré d'implication de la personne intéressée ; 3° De la situation et de la capacité financière de la personne intéressée, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ; 4° De l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne intéressée, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ; 5° Du degré de coopération dont a fait preuve la personne intéressée dans le cadre de l'enquête ; 6° Des manquements commis précédemment par la personne intéressée ; 7° Lorsque la sanction est prononcée en raison de manquement aux dispositions des sections 3 à 6 du chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier, elle est en outre déterminée en tenant compte, le cas échéant, de l'importance du préjudice subi par les tiers ".

7. Si le Haut conseil statuant en formation restreinte ne peut déterminer la sanction qu'il prononce qu'au regard des seuls critères que ce texte énumère, ceux-ci garantissent que cette sanction est fixée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce et, notamment, de la situation particulière et du comportement de la personne intéressée. Ces dispositions n'ont par suite pas méconnu le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

8. Il en résulte que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. B et la société Michel B et associés.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D B, à la société Michel B et associés, au Haut conseil du commissariat aux comptes, au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 8 octobre 2021 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la Section du contentieux, présidant ; M. A H, M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; Mme N J O, M. L E, Mme G K, M. F I, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 15 octobre 2021.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Rozen Noguellou

La secrétaire :

Signé : Mme M C451785- 4 -