Tribunal administratif de Paris

Ordonnance du 1er octobre 2021 N° 2108979/2-1

01/10/2021

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PARIS

 

 

N°2108979/2-1

___________

 

SOCIÉTÉ EURELEC TRADING

___________

 

Ordonnance du 1er octobre 2021

___________

 

 

 

 

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

La présidente de la 2ème section,

 

 

 

 

Vu la procédure suivante :

 

Par une requête, enregistrée le 26 avril 2021, la société Eurelec trading, représentée par Me Laude, Me Boularbah et Me Derenne , demande au tribunal :

 

1°) d’annuler la décision du 28 août 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France lui a infligé une sanction administrative d’un montant de 6 340 000 euros, ensemble la décision du ministre de l’économie, des finances et de la relance du 28 décembre 2020 rejetant son recours du 27 octobre 2020 ; subsidiairement, réduire le montant de cette sanction ;

 

2°) d’ordonner le retrait immédiat à compter du jugement à intervenir du communiqué publié sur le site de la DGCCRF ;

 

3°) de mettre à la charge de l’État une somme de 15 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

 

Par un mémoire distinct, enregistré le 3 mai 2021, et un mémoire complémentaire enregistré le 12 juillet 2021, la société Eurelec trading, représentée par Me Laude, Me Boularbah et Me Derenne , demande au tribunal :

 

1°) de transmettre au Conseil d’Etat, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du paragraphe VII de l’article L.470-2 du code de commerce.

 

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

 

Elle soutient que ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et le principe de nécessité des délits et des peines garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en ce qu’elles ne permettent pas de déterminer précisément les situations pouvant donner lieu à un cumul de sanctions administratives notamment en ce que n’est pas définie la notion de « manquement en concours » et en ce qu’elles permettent le prononcé de sanctions disproportionnées par rapport à la gravité des faits.

 

 

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2021, le ministre de l’économie, des finances et de la relance conclut au refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

 

Il soutient que :

-la disposition a déjà été déclarée conforme à la Constitution et aucun changement de circonstances de droit ou de fait ne justifie un renvoi au Conseil d’Etat ;

-la question est dépourvue de caractère sérieux.

 

 

Vu les autres pièces du dossier.

 

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958, et notamment son article 61-1,

- la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789,

- la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation,

- la décision n°2014-690 DC du 13 mars 2014 du Conseil constitutionnel,

- le code du commerce,

- le code de justice administrative.

 

 

Considérant ce qui suit :

 

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

 

 

2. Aux termes de l’article R. 771-7 du code de justice administrative : « (…) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (…) peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité ».

3. Aux termes du VII de l’article L.470-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige : « – Lorsque, à l'occasion d'une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l'encontre d'un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s'exécutent cumulativement ».

 

 

 

4. Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

 

5. Si le ministre de l’économie, des finances et de la relance fait valoir que le Conseil constitutionnel s’étant déjà prononcé par sa décision n°2014-690 DC du 13 mars 2014 en confirmant la constitutionnalité de l’article L.465-2 VII du code de commerce issu de l’article 121 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, devenu l’article L.470-2 de ce code, il est constant que les dispositions ainsi examinées par le Conseil constitutionnel étaient différentes prévoyant que « ces sanctions s'exécutent cumulativement, dans la limite du maximum légal le plus élevé ». Dès lors, en raison de ce changement des circonstances de droit, le ministre n’est pas fondé à soutenir que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Eurelec trading n’est pas nouvelle.

 

6. En soutenant que les dispositions du VII de l’article L.470-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et le principe de nécessité des délits et des peines garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en ce qu’elles ne permettent pas de déterminer précisément les situations pouvant donner lieu à un cumul de sanctions administratives notamment en ce que n’est pas définie la notion de « manquement en concours » et en ce qu’elles permettent le prononcé de sanctions disproportionnées par rapport à la gravité des faits, la société Eurelec trading soulève une question prioritaire de constitutionnalité qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

7. Dès lors, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Eurelec trading étant applicable au litige, n’ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans sa rédaction applicable au litige et n’étant pas dépourvue de caractère sérieux, il y a lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

 

 

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

 

8. La présente décision se borne à statuer sur le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat pour transmission au Conseil constitutionnel. En conséquence, les conclusions présentées au titre des frais de procédure ne peuvent être portées que devant le juge saisi du litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée. Par suite, les conclusions présentées par la société Eurelec trading au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont irrecevables.

 

 

O R D O N N E :

 

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du VII de l’article L.470-2 du code de commerce est transmise au Conseil d’Etat.

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la société Eurelec trading jusqu’à ce que le Conseil d’Etat, ou le Conseil constitutionnel s’il en est saisi, se prononce sur la question visée à l’article 1er.

 

Article 3 : Le surplus des conclusions est rejeté.

 

 

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Eurelec trading, au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France, et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

 

 

Fait à Paris, le 1er octobre 2021.

 

 

La présidente de la 2ème section,

 

 

 

 

J. EVGENAS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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N° 2108979