Conseil d'Etat

Décision du 29 septembre 2021 n° 451491

29/09/2021

Non renvoi

CONSEIL D'ETAT

statuant

au contentieux

 

 

 

 

N° 451491

 

__________

 

SA QUATREM

__________

 

M. Charles-Emmanuel Airy

Rapporteur

__________

 

Mme Karin Ciavaldini

Rapporteure publique

__________

 

Séance du 17 septembre 2021

Décision du 29 septembre 2021

__________

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

 

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème chambres réunies)

 

 

Sur le rapport de la 8ème chambre

de la section du contentieux

 

 

 

 

 

 

Vu la procédure suivante :

 

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 avril et 21 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société anonyme Quatrem demande au Conseil d’Etat :

 

1°) d’annuler pour excès de pouvoir les énonciations relatives à la « contribution exceptionnelle des organismes complémentaire santé à la prise en charge des dépenses liées à la gestion de l'épidémie de covid-19 » figurant à la page 20 de l’édition 2021 du « guide pratique » relatif à la taxe de solidarité additionnelle publié par l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) d’Ile-de-France, ainsi que la décision implicite par laquelle le directeur général de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale a rejeté sa demande tendant à l’abrogation de ces énonciations ;

 

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

 

…………………………………………………………………………

 

 

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment son article 14 ;

- le premier protocole additionnel à cette même convention, notamment son article 1er ;

- le code de la sécurité sociale, notamment son article L. 862-4 ;

- la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, notamment ses articles 3 et 13 ;

- le code de justice administrative ;

 

 

Après avoir entendu en séance publique :

 

- le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,

 

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

 

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale ;

 

 

Considérant ce qui suit :

 

1. Les articles 3 et 13 de la loi du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 ont, au titre respectivement des années 2020 et 2021, institué une « contribution exceptionnelle à la prise en charge des dépenses liées à la gestion de l'épidémie de covid-19 » dont le produit est affecté à la Caisse nationale de l'assurance maladie, à la charge des mutuelles, institutions de prévoyance, entreprises régies par le code des assurances et organismes d'assurance maladie complémentaire étrangers non établis en France mais admis à y opérer en libre prestation de service, en activité aux 31 décembre 2020 et 2021. Le taux de cette contribution est fixé, au titre de l’année 2020, à 2,6 % et, au titre de l’année 2021, à 1,3 % de l’assiette déterminée ci-dessous aux points 2 et 3. La contribution est recouvrée par l'organisme désigné pour le recouvrement de la taxe de solidarité additionnelle aux cotisations d'assurance maladie complémentaire, à savoir l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) d’Ile-de-France, concomitamment au recouvrement de cette même taxe. Elle est déclarée et liquidée au plus tard le 31 janvier de l’année suivant celle au titre de laquelle elle est due.

 

2. Aux termes du quatrième alinéa de l’article 3 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, dont les dispositions sont reprises en substance au quatrième alinéa de l’article 13 de cette même loi s’agissant de la contribution due au titre de l’année 2021 : « la contribution est assise sur l'ensemble des sommes versées en 2020, au titre des cotisations d'assurance maladie complémentaire, au profit de ces organismes selon les modalités définies au I et au dernier alinéa du II bis du même article L. 862-4, à l'exception des garanties mentionnées au 4° du même II bis ». L’article L. 862-4 du code de la sécurité sociale dispose que : « I. – (…) La taxe (de solidarité additionnelle aux cotisations d'assurance maladie complémentaire) est assise sur le montant des sommes stipulées au profit d'une mutuelle (…), d'une institution de prévoyance (…), d'une entreprise régie par le code des assurances ou un organisme d'assurance maladie complémentaire étranger non établi en France mais admis à y opérer en libre prestation de service. Les sommes stipulées au profit de ces organismes s'entendent également de tous accessoires dont ceux-ci bénéficient, directement ou indirectement, du fait de l'assuré. La participation financière de l'assuré mentionnée au 2° de l'article L. 861-1 n'est pas assujettie à la taxe. / (…) La taxe est liquidée sur le montant des cotisations émises ou, à défaut d'émission, recouvrées, au cours de chaque trimestre, nettes d'annulations ou de remboursements. Elle est versée au plus tard le dernier jour du premier mois qui suit le trimestre considéré. / (…) II. bis – (…) le taux de la taxe est fixé : (…) 4° A 7 % pour les garanties assurant le versement d'indemnités complémentaires aux indemnités journalières mentionnées à l'article L. 321-1, sous réserve que l'organisme ne recueille pas, au titre de ce contrat, d'informations médicales auprès de l'assuré ou des personnes souhaitant bénéficier de cette couverture et que les cotisations ou primes ne soient pas fixées en fonction de l'état de santé de l'assuré, et à cette seule condition dans le cadre des contrats mentionnés au troisième alinéa du II du présent article, et à 14 % si ces conditions ne sont pas respectées. / Les garanties assurant le versement d'indemnités complémentaires aux indemnités journalières mentionnées au 5° du même article L. 321-1 figurant dans les contrats mentionnés aux 1° et 2° du présent II bis sont exonérées ». En vertu du 2° de l'article L. 861-1 du même code, toute personne travaillant ou, lorsqu'elle n'exerce pas d'activité professionnelle, résidant en France de manière stable et régulière a droit à une protection complémentaire en matière de santé sous réserve d'acquitter une participation financière lorsque ses ressources, ainsi que celles des autres personnes membres du même foyer sont comprises entre un plafond déterminé par décret et ce même plafond majoré de 35 %. L’article L. 321-1 du même code dispose que : « L'assurance maladie assure le versement d'indemnités journalières à l'assuré qui se trouve dans l'incapacité physique constatée par le médecin traitant, selon les règles définies par l'article L. 162-4-1, de continuer ou de reprendre le travail (…) ».

 

3. Il résulte de ces dispositions que la contribution exceptionnelle à la prise en charge des dépenses liées à la gestion de l'épidémie de covid-19 due par les mutuelles, institutions de prévoyance, entreprises régies par le code des assurances et organismes d'assurance maladie complémentaire étrangers admis à opérer en France au titre de la libre prestation de service est assise sur le montant des cotisations d'assurance maladie complémentaire versées à ces mêmes organismes au cours de l’année au titre de laquelle la contribution est due. Les cotisations ainsi prises en compte comprennent l’ensemble des sommes stipulées au bénéfice de ces organismes ainsi que les accessoires à ces sommes, à l’exclusion, d’une part, des participations financières mentionnées au 2° de l’article L. 861-1 du code de la sécurité sociale versées par les personnes dont les ressources et celles des autres personnes de leur foyer sont comprises entre un plafond déterminé par décret et ce même plafond majoré de 35 % et, d’autre part, des cotisations versées au titre des indemnités journalières complémentaires.

 

4. La société Quatrem demande l’annulation pour excès de pouvoir des énonciations relatives à cette contribution figurant à la page 20 de l’édition 2020 du « guide pratique » relatif à la taxe de solidarité additionnelle publié par l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) d’Ile-de-France, ainsi que la décision implicite par laquelle le directeur général de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale a rejeté sa demande tendant à l’abrogation de ces énonciations. Elle soutient que ces énonciations réitèrent des dispositions elles-mêmes contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution ainsi qu’à l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à l’article 1er du premier protocole additionnel à cette même convention.

 

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

 

5. Aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (…) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

 

6. En premier lieu, la société Quatrem soutient que les articles 3 et 13 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 institueraient une différence de traitement contraire au principe d’égalité devant la loi fiscale et au principe d’égalité devant les charges publiques entre, d’une part, les mutuelles, institutions de prévoyance, entreprises régies par le code des assurances et organismes d'assurance maladie complémentaire étrangers admis à opérer en France au titre de la libre prestation de service et, d’autre part, les autres contribuables.

 

7. A l’appui de ce grief, la société soutient d’abord que l’ensemble des contribuables étant, au regard de l’objet des articles 3 et 13 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, qui est d’assurer le financement des dépenses de l’Assurance maladie liées à la gestion de l’épidémie de Covid-19, placés dans une situation comparable, les dispositions en cause, en mettant la contribution litigieuse à la charge des seuls organismes complémentaires d’assurance maladie et non de l’ensemble des contribuables, seraient à l’origine d’une différence de traitement sans rapport avec leur objet.

 

8. Il est toutefois loisible au législateur, lorsqu’il institue une imposition, de la faire reposer sur une catégorie seulement de contribuables et non sur l'ensemble d’entre eux, sous réserve de ne pas créer, ce faisant, de différence de traitement injustifiée. En l’espèce, le législateur, en instituant cette contribution, a entendu augmenter la participation des seuls organismes complémentaires d’assurance maladie aux dépenses exposées par l’Assurance maladie pour lutter contre l’épidémie de covid 19. Eu égard notamment à leur domaine d’intervention et aux conditions d’exercice de leur activité, les mutuelles, les institutions de prévoyance, les entreprises régies par le code des assurances et les organismes d'assurance maladie complémentaire étrangers admis à opérer en France au titre de la libre prestation de service doivent être regardés comme présentant des caractéristiques communes propres, qui les distinguent des autres contribuables. Ainsi, les articles 3 et 13 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 ont donné à la contribution litigieuse un champ d’application reposant sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec leur objet qui est, ainsi qu’il a été dit, de contribuer au financement par l’impôt des dépenses de l’assurance maladie.

 

9. Est à cet égard sans incidence la circonstance, alléguée par la société Quatrem à l’appui de ce grief, que le législateur aurait estimé à tort, en se fondant sur des données relatives à la seule période comprise entre les 20 janvier et 30 mai 2020, que les organismes complémentaires d’assurance maladie auraient bénéficié d’un effet d’aubaine résultant de la diminution de leurs dépenses durant la crise sanitaire, alors notamment que la baisse du montant des prestations versées en matière de santé par ces mêmes organismes à leurs assurés au cours de l’année 2020 aurait été compensée par la hausse du montant de ces mêmes prestations au cours de l’année 2021.

 

10. Enfin, si la société Quatrem soutient que la contribution litigieuse méconnaîtrait les facultés contributives des organismes complémentaires d’assurance maladie au motif qu’elle serait assise sur l'ensemble des cotisations émises par eux, indépendamment de la perception effective de ces sommes, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que l’assiette de cette contribution est constituée par les cotisations versées à ces mêmes organismes par leurs assurés durant l’année au titre de laquelle la contribution est due, dont le montant est calculé conformément aux règles énoncées à ce même point 3. Le grief soulevé manque ainsi en fait.

 

11. En second lieu, aux termes de l'article 16 de la Déclaration du 26 août 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux‑ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises, ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire de textes antérieurs.

 

12. En prévoyant que le prélèvement est dû, à raison des cotisations d’assurance maladie complémentaire qui leur ont été versées au cours de l’année 2020, par les seuls organismes redevables « en activité au 31 décembre 2020 », le législateur a fixé le fait générateur de la contribution litigieuse à cette même date. Ne peut ainsi qu’être écarté le moyen soulevé par la société requérante tiré de ce que l’article 3 de la loi du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 aurait fixé le fait générateur de la contribution litigieuse à la date de prise d’effet des garanties des contrats d’assurance maladie complémentaire souscrits au cours de l’année 2020 et ce faisant porté atteinte à des situations légalement acquises sans qu’un motif d'intérêt général suffisant ne le justifie.

 

13. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

 

Sur la requête :

 

14. L’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ». Aux termes de l’article 14 de cette convention : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ». Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

 

15. En premier lieu, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, les organismes complémentaires d’assurance maladie présentent, eu égard notamment à leur domaine d’intervention et aux conditions d’exercice de leur activité, des caractéristiques communes propres, qui les distinguent des autres contribuables. La requérante n’est par suite pas fondée à soutenir qu’en faisant peser l’imposition en litige sur cette seule catégorie de contribuables, qui ne sont pas placés dans une situation comparable à celle des autres contribuables, les articles 3 et 13 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 auraient institué une différence de traitement incompatible avec les stipulations combinées de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er de son premier protocole additionnel.

 

16. En second lieu, en instituant un prélèvement assis sur la somme des cotisations perçues au cours des années 2020 et 2021 par les organismes d’assurance maladie complémentaire dont le montant est déterminé dans les conditions définies ci-dessus au point 3, prélèvement dont, ainsi qu’il a été dit au point 12, le fait générateur intervient au 31 décembre de l’année au titre de laquelle il est dû et qui est ainsi dépourvu de tout caractère rétroactif, le législateur n’a pas porté une atteinte excessive au droit de ces organismes au respect de leurs biens.

 

17. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société Quatrem tendant à l’annulation partielle du « guide » litigieux doivent être rejetées. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu’être rejetées.

 

 

D E C I D E :

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Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Quatrem.

 

Article 2 : La requête de la société Quatrem est rejetée.

 

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Quatrem, au ministre des solidarités et de la santé ainsi qu’à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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