Conseil d'Etat

Décision du 22 septembre 2021 n° 449602

22/09/2021

Non renvoi

CONSEIL D'ETAT

statuant

au contentieux

MM

 

 

 

N° 449602

 

__________

 

SOCIÉTÉ INSTITUT DE FORMATION A DISTANCE

__________

 

M. Eric Buge

Rapporteur

__________

 

M. Vincent Villette

Rapporteur public

__________

 

Séance du 15 septembre 2021

Décision du 22 septembre 2021

__________

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

 

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 4ème chambres réunies)

 

 

Sur le rapport de la 1ère chambre

de la Section du contentieux

 

 

 

 

 

 

Vu la procédure suivante :

 

La société par actions simplifiée Institut de formation à distance a demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler la décision du 13 juin 2016 du préfet de la région Hauts-de-France mettant à sa charge le versement au Trésor public d’une somme totale de 724 006,10 euros au titre d’actions de formations non justifiées pour les années 2013 et 2014, ainsi que la décision du 11 août 2016, notifiée le 16 août 2016, confirmant la décision initiale, sur le recours préalable obligatoire de la société. Par un jugement n° 1607842 du 26 avril 2019, le tribunal a rejeté cette demande.

 

Par un arrêt n° 19DA01725 du 10 décembre 2020, la cour administrative d’appel de Douai a rejeté l’appel formé par la société contre ce jugement.

 

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'État les 10 février, 10 mai et 25 juin 2021, la société Institut de formation à distance demande au Conseil d'État :

 

1°) d’annuler cet arrêt ;

 

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

 

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Par un mémoire distinct, enregistré le 25 juin 2021, la société Institut de formation à distance demande au Conseil d’Etat, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l’appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L. 6362-6 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009.

 

 

 

…………………………………………………………………………

 

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l’éducation ;

- le code du travail, notamment son article L. 6362-5 ;

- le code de justice administrative ;

 

 

 

Après avoir entendu en séance publique :

 

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

 

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

 

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la société Institut de formation à distance ;

 

 

 

Considérant ce qui suit :

 

1. Aux termes de l’article L. 822-1 du code de justice administrative : « Le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat fait l’objet d’une procédure préalable d’admission. L’admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n’est fondé sur aucun moyen sérieux ».

 

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

 

2. Aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (…) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

 

3. Aux termes de l’article L. 6362-6 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie : « Les organismes prestataires d'actions de formation entrant dans le champ de la formation professionnelle continue au sens de l'article L. 6313-1 présentent tous documents et pièces établissant la réalité de ces actions. / A défaut, celles-ci sont réputées ne pas avoir été exécutées et donnent lieu à remboursement au cocontractant des sommes perçues conformément à l'article L. 6354-1 ». L’article L. 6354-1 du même code prévoit que « en cas d'inexécution totale ou partielle d'une prestation de formation, l'organisme prestataire rembourse au cocontractant les sommes indûment perçues de ce fait ». Enfin, aux termes de l’article L. 6362-7-1 du même code, « en cas de contrôle, les remboursements mentionnés aux articles L. 6362-4 et L. 6362-6 interviennent dans le délai fixé à l'intéressé pour faire valoir ses observations. / A défaut, l'intéressé verse au Trésor public, par décision de l'autorité administrative, une somme équivalente aux remboursements non effectués ».

 

4. La société Institut de formation à distance fait valoir, au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité, que l’article L. 6362-6 du code du travail méconnaît la liberté contractuelle et le droit au maintien de l’économie des contrats légalement conclus, ainsi que le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, et que le législateur, en adoptant cette disposition, a méconnu l’étendue de sa compétence.

 

5. La disposition contestée exige des organismes entrant dans le champ de la formation professionnelle continue au sens de l'article L. 6313-1 du code du travail de présenter tous documents et pièces établissant la réalité de leurs actions dans le cadre du contrôle administratif et financier des dépenses de formation exposées par les employeurs, contrôle que l’Etat exerce, en application de l’article L. 6361-1 de ce même code, lorsque l'Etat, les collectivités territoriales, la Caisse des dépôts et consignations, Pôle emploi ou les opérateurs de compétences financent les formations concernées. Elle prévoit qu’à défaut de production des documents utiles au contrôle, les actions sont regardées comme non exécutées et doivent en conséquence donner lieu à remboursement, ainsi que le prévoit l’article L. 6354-1 du même code.

 

6. Une telle mesure se borne à tirer les conséquences d’une absence de justification de la réalité des actions de formation ne permettant pas d’établir leur exécution. Elle ne constitue pas une sanction ayant le caractère d’une punition, à la différence de la sanction prévue à l’article L. 6362-7-1 pour réprimer l’absence d’exécution dans le délai requis de cette obligation de remboursement.

 

7. En renvoyant à l’article L. 6354-1 du code du travail, qui prévoit en cas d'inexécution totale ou partielle d'une prestation de formation que l'organisme prestataire rembourse au cocontractant les sommes indûment perçues de ce fait, l’article L. 6362-6 ne fait que rappeler l’obligation que ces autres dispositions imposent dès lors qu’une inexécution est caractérisée. Il est ainsi, par lui-même, sans incidence sur les effets que l’acheteur d’actions de formation et l’organisme qui les dispense peuvent attacher à la convention qu’ils doivent conclure entre eux en vertu de l’article L. 6353-1 du code du travail.

 

8. Par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que la disposition contestée porterait atteinte au principe de nécessité et de proportionnalité des peines, non plus qu’au droit au maintien des conventions légalement conclues et à la liberté contractuelle, garanties par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

 

9. Dès lors que la disposition contestée n’affecte pas un droit ou une liberté garantis par la Constitution, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut utilement être invoquée à l’appui de la question prioritaire de constitutionnalité.

 

10. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Dès lors, sans qu’il soit besoin de la renvoyer au Conseil constitutionnel, le moyen tiré de ce que l’article L. 6362-6 du code du travail porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

 

Sur les autres moyens du pourvoi :

 

11. Pour demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque, la société Institut de formation à distance soutient en outre que :

- la cour administrative d’appel a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant qu’elle avait fait enregistrer son activité par le préfet de la région d’Ile-de-France, de sorte qu’elle détenait la qualité d’organisme de formation au sens de l’article L. 6351-1 du code du travail, et a commis une erreur de droit en jugeant que les formations en litige qu’elle dispensait étaient régies par les dispositions du code du travail et non par celles du code de l’éducation ;

- la cour a commis une erreur de droit et méconnu le principe de proportionnalité des peines en jugeant que la décision attaquée était bien fondée à lui imposer le reversement de sommes au titre d’actions de formation regardées comme non exécutées au terme d’une appréciation, pourtant exclue par l’article L. 6361-3 du code du travail lors d’un contrôle administratif et financier, des qualités pédagogiques de leur mise en œuvre.

 

12. Ces moyens ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi.

 

 

D E C I D E :

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Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Institut de formation à distance.

 

Article 2 : Le pourvoi de la société Institut de formation à distance n’est pas admis.

 

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Institut de formation à distance et à la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.

 

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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