Tribunal judiciaire de Nantes

Jugement du 9 septembre 2021

09/09/2021

Cour d'Appel de Rennes

Tribunal judiciaire de Nantes

Jugement prononcé le : 09/09/2021

6ème chambre section B

N° minute : 1604/21 HR

N° parquet : 20227000133

JUGEMENT CORRECTIONNEL

A l'audience publique du Tribunal Correctionnel de Nantes le NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,

Composé de :

Président : Madame SYLVESTRE Florence, vice-président,

Assesseurs : Madame BERHAULT Géraldine, premier vice-président,

Madame CALLOCH Cécile, juge,

Assistées de Madame RAPITEAU Hélène, greffière, et en présence de Madame PERRIN Chloé, greffière stagiaire,

en présence de Monsieur BONHOMME Olivier, procureur de la République adjoint,

a été appelée l’affaire

ENTRE :

Monsieur le PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE, près ce tribunal, demandeur et poursuivant

PARTIE CIVILE :

Madame [F G], demeurant : [adresse 1], partie civile,

ayant pour curateur l'ATIMP 44, dont le siège social est sis Antenne de Nozay Pôle de service du Pré Saint-Pierre 1 rue Marie Curie 44170 NOZAY , comparant

non comparante représentée avec mandat par Maître GARCIA Florence avocat au barreau de NANTES (CP 147),

ET

Prévenu

Nom : [A J]

né le [DateNaissance 2] 1990 à [LOCALITE 3] ([LOCALITE 4])

de [A B-C] et de [D E]

Nationalité : française

Situation familiale : concubin

Situation professionnelle : employé

Antécédents judiciaires : jamais condamné

Demeurant : [adresse 5]

Situation pénale : libre

ayant pour administrateur ad hoc : Madame [H I], UDAF 44 dont le siège social est sis [adresse 6] [LOCALITE 7], non comparant représenté avec mandat

comparant assisté de Maître BELONCLE Marie-Emmanuelle avocat au barreau de NANTES (CP 211) substituée par Maître BUSQUETS MAYOL Blandine avocat au barreau de NANTES,

Prévenu du chef de :

AGRESSION SEXUELLE faits commis le 25 mai 2019 à 14h00 à [LOCALITE 8]

L’affaire a été appelée à l'audience du 09/09/2021.

DEBATS

A l’appel de la cause, la présidente, a constaté la présence et l’identité de [A J] et a donné connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal.

Avant toute défense au fond, un mémoire aux fins de question prioritaire de constitutionnalité a été déposé et des conclusions de nullité ont été soulevées par le conseil de Monsieur [A J], Maître BELONCLE substituée par Maître BUSQUETS MAYOL.

Les parties, leurs Conseils et le ministère public ayant été entendus sur la question prioritaire de constitutionnalité, le tribunal a statué de suite, après délibéré.

Le greffier a tenu note du déroulement des débats.

Le tribunal, après en avoir délibéré, a statué en ces termes :

Une convocation à l’audience du 9 septembre 2021 a été notifiée à [A J] le 2 octobre 2020 par un agent ou un officier de police judiciaire sur instruction du procureur de la République et avis lui a été donné de son droit de se faire assister d’un avocat. Conformément à l’article 390-1 du Code de procédure pénale, cette convocation vaut citation à personne.

[A J] a comparu à l’audience assisté de son conseil ; il y a lieu de statuer contradictoirement à son égard.

II est prévenu :

d'avoir à [LOCALITE 9] ([...]), le 25 mai 2019, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription commis une atteinte sexuelle par contrainte sur la personne de [F G], en procédant sur elle des attouchements de nature sexuelle, en l'espèce en lui appliquant ses mains sur la poitrine puis en prenant la main de la victime pour l'apposer sur son propre sexe et enfin en caressant le sexe de la victime par dessus ses vêtements, faits prévus par ART222-27, ART.222-22 C.PENAL. et réprimés par ART.222-27, ART.222-44, ART.222-45, ART.222-47 AL.l, ART.222-48, ART.222-48-1 AL.l, ART.131-26-2 C.PENAL.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

Attendu que Maître BELONCLE Mare-Emmanuelle substituée par Maître BUSQUETS MAYOL Blandine, avocat au barreau de NANTES dépose un mémoire aux fins de transmission de deux questions prioritaires de constitutionnalité.

Attendu que Maître BUSQUETS MAYOL sollicite du tribunal correctionnel de Nantes de prendre acte de la première question prioritaire de constitutionnalité formulée comme suit :

«Les dispositions de l'article 706-112-2 du code de procédure pénale sont-elles contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment l'effectivité des droits de la défense garantie par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ; en ce qu'elles ne prévoient pas que le tuteur ou le curateur, lorsqu'il est informé que la majeur qu'il protège fait l'objet d'une audition libre, soit également informé de la possibilité qu'il a de désigner ou faire désigner par le Bâtonnier un avocat pour, assister le majeur protégé qui n'aurait pas lui-même souhaité faire usage de ce droit ? » ;

Attendu que Maître BUSQUETS MAYOL sollicite que soit constaté que la disposition concernée est applicable au litige et à la procédure dont est saisi le tribunal correctionnel de Nantes ;

Attendu que Maître BUSQUETS MAYOL entend que soit constaté que la question soulevée porte sur une disposition qui n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

Attendu que Maître BUSQUETS MAYOL entend faire constater que la question soulevée présente un caractère sérieux ;

Attendu que Maître BUSQUETS MAYOL sollicite que soit transmise sans délai à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, afin que celle-ci procède à l'examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel, pour qu'il déclare inconstitutionnelle les dispositions précitées ;

Attendu que Maître BUSQUETS MAYOL sollicite du tribunal correctionnel de Nantes de prendre acte de la seconde question prioritaire de constitutionnalité formulée en ces termes :

«Les dispositions de l'article 77-1 du code de procédure pénale sont-elles contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment le droit de se taire consacré en vertu de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles ne prévoient pas que lorsque les constatations ou les examens techniques ou scientifiques requises par le Procureur de la République sur le fondement de ce texte n'entraînent l'audition de la personne faisant l'objet de l'enquête, celle-ci doit se voir rappelé avant le début de tout entretien ou expertise son droit de se taire ? » ;

Attendu que Maître BUSQUETS MAYOL sollicite que soit constaté que la disposition concernée est applicable au litige et à la procédure dont est saisi le tribunal correctionnel de Nantes ;

Attendu que Maître BUSQUETS MAYOL entend que soit constaté que la question soulevée porte sur une disposition qui n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

Attendu que Maître BUSQUETS MAYOL entend faire constater que la question soulevée présente un caractère sérieux ;

Attendu que Maître BUSQUETS MAYOL sollicite que soit transmise sans délai à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, afin que celle-ci procède à l'examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel, pour qu'il déclare inconstitutionnelle les dispositions précitées ;

Attendu que Maître GARCIA Florence, est entendue en sa plaidoirie pour la partie civile ;

Attendu que le ministère public requiert du tribunal qu'il constate que la première question prioritaire de constitutionnalité est dépourvue de caractère sérieux en ce que le Conseil constitutionnel a pu examiner l'article 706-112-1 du code de procédure pénale, présentant les mêmes garanties aux majeurs protégés placées en garde à vue, de sorte que l'examen de l'article 706-112-2 du même code concernant l'audition libre est sans intérêt ;

Attendu que le ministère publique requiert du tribunal qu'il ordonne effectivement la transmission de la seconde question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 77-1 du code de procédure pénale ;

* * *

Attendu que les dispositions applicables en matière de question prioritaire de constitutionnalité sont prévues aux articles 23-1 et suivants de l’ordonnance 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, articles issus de la loi organique 2009-1523 du 10 décembre 2009 ;

Attendu que la demande de transmission des deux questions prioritaires de constitutionnalité a été présentée dans un écrit distinct et motivé ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article 706-112-2 du code de procédure pénale

Attendu que les dispositions de l'article 706-112-2 du code de procédure pénale est applicable au présent litige pendant devant le tribunal correctionnel de Nantes ;

Attendu qu'il n’a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; qu'en effet ce texte a été introduit dans le code de procédure pénale par l’article 48 IV de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ; que si le Conseil constitutionnel a eu à examiner l'article 48 de cette loi (décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019), seules les dispositions instaurant l’article 706-112-1 du code de procédure pénale, relatives aux droits des majeurs protégés placés en garde à vue, ont été soumises à son appréciation ; or l'article 706-112-2 du code de procédure pénale est libellé en termes distincts de l'article 706-112-1 en ce qui concerne l'avis au tuteur, curateur ou mandataire spécial ;

Attendu que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce que si ce texte reconnaît des droits au tuteur, curateur ou mandataire spécial de la personne majeure protégée faisant l'objet d'une audition libre, notamment celui de désigner ou faire désigner un avocat ou un médecin pour assister ou examiner le majeur, il n'existe aucun texte réglementant l'information du tuteur, curateur ou mandataire spécial, équivalent à l'article D47-14 du code de procédure pénale exclusivement applicable à la garde à vue, de sorte que l'effectivité de ces droits est susceptible de méconnaître les droits fondamentaux protégés par les textes constitutionnels ;

Que les conditions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 sont donc réunies sur cette première question ; que le tribunal doit ordonner la transmission de cette question à la Cour de cassation ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article 77-1 du code de procédure pénale

Attendu que l'article 77-1 du code de procédure pénale est applicable au présent litige pendant devant le tribunal correctionnel de Nantes ;

Attendu qu'il n’a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

Attendu que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce que le recueil des déclarations faites par une personne soupçonnée d'avoir commis un crime ou un délit auprès d'une personne requise pour effectuer des constatations ou examens techniques ou scientifiques en application de l'article 77-1 du code de procédure pénale, n'est pas précédé du rappel du droit au silence, de sorte que l'effectivité de ce droit est susceptible de méconnaître les droits fondamentaux protégés par les textes constitutionnels ;

Que les conditions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 sont donc réunies sur cette seconde question ; que le tribunal doit ordonner la transmission de cette question à la Cour de cassation ;

Sur le sursis à statuer :

Attendu que le tribunal considère qu'il y a lieu d’ordonner le renvoi de l'affaire avant dire droit et de surseoir à statuer sur l'action publique ;

Attendu en conséquence qu'il y a lieu d'ordonner le renvoi de l'affaire dans son ensemble à une audience ultérieure ;

Attendu que l'affaire est renvoyée contradictoirement à l'audience du 1er septembre 2022 à 14 heures ;

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et contradictoirement à l’égard de [A J] et [F G],

DÉCLARE recevable en la forme les questions prioritaires de constitutionnalité ;

ORDONNE la transmission à la Cour de Cassation des deux questions prioritaires de constitutionnalité suivantes :

1 - «Les dispositions de l'article 706-112-2 du code de procédure pénale sont-elles contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment l'effectivité des droits de la défense garantie par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ; en ce qu'elles ne prévoient pas que le tuteur ou le curateur, lorsqu'il est informé que la majeur qu'il protège fait l'objet d'une audition libre, soit également informé de la possibilité qu'il a de désigner ou faire désigner par le Bâtonnier un avocat pour assister le majeur protégé qui n'aurait pas lui-même souhaité faire usage de ce droit ? » ;

2 - «Les dispositions de l'article 77-1 du code de procédure pénale sont-elles contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment le droit de se taire consacré en vertu de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, en ce qu’elles ne prévoient pas que lorsque les constatations ou les examens techniques ou scientifiques requises par le Procureur de la République sur le fondement de ce texte n'entraînent l'audition de la personne faisant l'objet de l'enquête, celle-ci doit se voir rappelé avant le début de tout entretien ou expertise son droit de se taire ? »

DIT que la présente décision sera adressée à la Cour de Cassation dans les huit jours de son prononcé ;

ORDONNE le renvoi avant dire droit et sursis à statuer sur l'action publique de l'affaire à l’audience du 1er septembre 2022 à 14:00 devant la 6ème chambre section B du Tribunal Correctionnel de Nantes ; et le présent jugement ayant été signé par la présidente et la greffière.

LA GREFFIERE