Tribunal judiciaire de Bastia

Jugement du 3 septembre 2021, N° minute 549/2021

03/09/2021

Renvoi

Cour d'Appel de Bastia

Tribunal judiciaire de Bastia

Tribunal correctionnel

Jugement prononcé le : 03/09/2021

N° minute 549/2021

N° parquet 20037000044

JUGEMENT CORRECTIONNEL AVANT DIRE DROIT TRANSMISSION DE QPC, SURSIS A STATUER ET RENVOI A L'AUDIENCE DU 28 JANVIER 2022

À l'audience publique du Tribunal Correctionnel de Bastia le TROIS SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,

composé de Madame FISCHER Emilie, juge d'instruction, présidente du tribunal correctionnel désignée conformément aux dispositions de l’article 398 alinéa 3 du code de procédure pénale.

Assistée de Monsieur LEFEVRE Eric, greffier,

en présence de Monsieur VIORNERY Arnaud, procureur de la République, a été appelée l’affaire

ENTRE :

Monsieur le PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE, près ce tribunal, demandeur et poursuivant

PARTIES CIVILES :

l'OFFICE DE L'ENVIRONNEMENT DE [LOCALITE 1], dont le siège social est sis [adresse 2] [LOCALITE 3] , partie civile, pris en la personne de Monsieur [X Y], son président en exercice

comparant assisté de Maître MABILE Sébastien, avocat au barreau de PARIS

la FEDERATION REGIONALE CORSE POUR LA PECHE ET LA PROTECTION DU MILEU AQUATIQUE, dont le siège social est sis [adresse 4] [LOCALITE 5] , partie civile, prise en la personne de son président en exercice,

comparant assisté de Maître ROMANI Camille, avocat au barreau d'AJACCIO

ET

Prévenu

Nom : [A B C, D]

né le [DateNaissance 6] 1947 à [LOCALITE 7] ([LOCALITE 8])

de [A Q] et de [H F I]

Nationalité : française

Situation familiale : marié

Situation professionnelle : Retraité du bâtiment

Antécédents Judiciaires : déjà condamné

Demeurant : [adresse 9] [LOCALITE 10]

Situation pénale : libre

comparant assisté de Maître DE CASALTA Jean Sébastien avocat au barreau de BASTIA,

Prévenu des chefs de :

USAGE EN EAU DOUCE D'EXPLOSIF OU AUTRE PROCEDE EN VUE DE CAPTURER OÙ DE DETRUIRE LE POISSON faits commis le 9 juillet 2019 à [LOCALITE 11] .

PECHE DE POISSON D'EAU DOUCE N'AYANT PAS LA TAILLE RÉGLEMENTAIRE faits commis le 9 juillet 2019 à [LOCALITE 12]

PECHE D'UN NOMBRE DE SALMONIDES SUPERIEUR A CELUI AUTORISE

faits commis le 9 juillet 2019 à [LOCALITE 13]

Nom : [K L]

né le [DateNaissance 14] 1973 à [LOCALITE 15] ([LOCALITE 16])

de [K O] et de [O S]

Nationalité : française

Situation familiale : concubin

Situation professionnelle : Entrepreneur dans le bâtiment

Antécédents judiciaires : déjà condamné

Demeurant : [adresse 17] [LOCALITE 18]

Situation pénale : libre

comparant assisté de Maître ANTONETTI Anne- Marie avocat au barreau de BASTIA,

Prévenu des chefs de :

USAGE EN EAU DOUCE D'EXPLOSIF OU AUTRE PROCEDE EN VUE DE CAPTURER OÙ DE DETRUIRE LE POISSON faits commis le 9 Juillet 2019 à [LOCALITE 19]

PECHE DE POISSON D'EAU DOUCE N'AYANT PAS LA TAILLE REGLEMENTAIRE faits commis le 9 juillet 2019 à [LOCALITE 20]

PECHE D'UN NOMBRE DE SALMONIDES SUPERIEUR A CELUI AUTORISE

faits commis le 9 juillet 2019 à [LOCALITE 21]

Prévenu

Nom : [M P]

né le [DateNaissance 22] 1971 à [LOCALITE 23] ([LOCALITE 24])

de [M N] et de [E F G]

Nationalité : française

Situation familiale : concubin

Situation professionnelle : agent de mouvements des chemins de fer

Antécédents judiciaires : jamais condamné

Demeurant : [adresse 25] [LOCALITE 26]

Situation pénale : libre

comparant assisté de Maîtré COSTA-SIGRIST Cynthia avocat au barreau de BASTIA,

Prévenu des chefs de :

USAGE EN EAU DOUCE D'EXPLOSIF OU AUTRE PROCEDE EN VUE DE CAPTURER OÙ DE DETRUIRE LE POISSON faits commis le 9 juillet 2019 à [LOCALITE 27]

PECHE DE POISSON D'EAU DOUCE N'AYANT PAS LA TAILLE REGLEMENTAIRE faits commis le 9 juillet 2019 à [LOCALITE 28]

PECHE D'UN NOMBRE DE SALMONIDES SUPERIEUR A CELUI AUTORISE faits commis le 9 juillet 2019 à [LOCALITE 29]

L'affaire a été appelée à l' audience du 02/04/2021 et renvoyée à la demande des parties au 3 septembre 2021.

DEBATS

À l’appel de la cause, la présidente a constaté la présence et l’identité de [A B C], [K L] et [M P] et a donné connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal.

La présidente a invité le témoin à se retirer dans la pièce qui lui est destinée.

La présidente a donné lecture des constitutions de partie civile de l'OFFICE DE L'ENVIRONNEMENT DE [LOCALITE 30], effectuée par l’intermédiaire de Maître MABILE Sébastien par déclaration au greffe en date du 4 février 2021 et de la FEDERATION REGIONALE CORSE POUR LA PECHE ET LA PROTECTION DU MILEU AQUATIQUE effectuée par déclaration au greffe en date du 27 janvier 2021.

Après s'être assurée de ce que toutes les parties et le ministère public avaient pris connaissance des conclusions de nullités, et à leur soutien, de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Maître DE CASALTA Jean Sébastien, conseil de [A B C], la présidente a donné la parole à celui-ci aux fins de développer à l'oral ses moyens, in limine litis.

Entendu en sa plaidoirie, il soulève la question d'une potentielle atteinte aux principes du contradictoire et de l'égalité des armes par les dispositions de l'article L172-13 du code de l'environnement, lesquelles autorisent les fonctionnaires et agents mentionnés à l'article L172-4 du même code à procéder ou faire procéder à la destruction des végétaux et des animaux morts ou non viables. A cet égard, il relève qu'en l'absence de garantie prévoyant, comme en matière de stupéfiants, une pesée contradictoire du produit ou de l'objet de l'infraction, soit en présence de la personne suspectée, soit en présence de deux témoins avant toute destruction, la disposition législative critiquée priverait les parties de la possibilité de connaître, discuter et le cas échéant, contester les éléments de preuve produits au procès et ce, en contrariété avec le principe du contradictoire.

La question étant posée en ces termes :

Le premier alinéa de l'article L172-13 du code de l'environnement, dans ses dispositions querellées, est-il contraire à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 en ce qu'il porte atteinte, en n'imposant pas que le comptage des animaux saisis soit réalisé en présence de la personne mise en cause ou de deux témoins avant toute destruction, au principe du contradictoire ?

Maître ANTONETTI Anne-Marie, conseil de [K L] et Maître COSTA-SIGRIST Cynthia, conseil de [M P] ont présenté leurs observations sur la question prioritaire de constitutionnalité et s'associent aux moyens de Maitre DE CASALTA, conseil de [A B C].

L'OFFICE DE L'ENVIRONNEMENT DE [LOCALITE 31], partie civile prise en la personne de Monsieur [X Y] , son président en exercice, assisté de Maître MABILE Sébastien et la FEDERATION REGIONALE CORSE POUR LA PECHE ET LA PROTECTION DU MILEU AQUATIQUE, partie civile, prise en la personne de son président en exercice, assistée de Maître ROMANI Camille ont été entendues en leurs observations.

Les parties civiles soulèvent le caractère non sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité, la loi prévoyant que les opérations de constatation et destruction des animaux saisis soient confiées à des agents assermentés, ce qui constituerait une garantie suffisante au regard des principes constitutionnels susvisés ;

Le ministère public a été entendu en ses réquisitions. Celui-ci relève également le caractère non sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée en estimant d'une part, que la comparaison avec la procédure applicable en matière de stupéfiants, laquelle est dérogatoire, n'a pas lieu d'être et d'autre part, qu'il ne s'agit pas de critiquer les dispositions de l'article L172-13 du code de l'environnement mais au contraire, de critiquer ce qu'elles ne prévoient pas.

La défense a eu l'opportunité de présenter des observations en dernier. Le greffier a tenu note du déroulement des débats.

MOTIFS

Sur la recevabilité :

Maître DE CASALTA Jean Sébastien, conseil de [A B C], a posé la question prioritaire de constitutionnalité susvisée dans un écrit distinct et motivé et ce, à l'appui de conclusions de nullité.

Il a présenté ses moyens in limine litis, soit, suivant le même régime procédural que ses moyens de nullité.

La disposition contestée, à savoir l'article L172-13 du code de l'environnement est une disposition de nature législative dont l'examen n'a jamais été soumis au Conseil constitutionnel.

La disposition contestée est applicable à la procédure en ce qu'elle fonde les poursuites sur le terrain probatoire.

Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité ainsi posée sera déclarée recevable.

Sur le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité :

La question prioritaire de constitutionnalité soulevée interroge l'éventualité d'une atteinte au principe du contradictoire, lequel est consacré par la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel notamment, comme étant un principe général du droit à valeur constitutionnelle.

Ce principe garantit à chaque partie le droit de prendre connaissance des éléments de faits, de droit et de preuve à partir desquels elle sera jugée.

Or, les dispositions critiquées, en ce qu'elles ne prévoient pas de garanties permettant de discuter la preuve apportée contre les prévenus, font naître un doute quant à leur compatibilité avec le principe du contradictoire.

A cet égard, l'article L172-13 du code de l'environnement ne permet pas à la personne mise en cause d'être en mesure de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve qui fondent sa mise en cause.

Si une pesée contradictoire avant toute destruction est prévue en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants, vis-à-vis desquelles les investigations et poursuites obéissent à une procédure dérogatoire, par nature moins protectrice, l'absence d'une telle garantie en droit commun permet de s'interroger sur l'éventualité d'une contrariété à la Constitution et aux droits que celle-ci garantit, dans son texte et son interprétation.

En l'état du contrôle dévolu au juge du fond pour apprécier le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité, le tribunal juge la question posée comme en étant non dépourvue.

Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité, telle que posée par la défense, sera transmise à la Cour de cassation :

Le premier alinéa de l'article L172-13 du code de l'environnement, dans ses dispositions querellées, est-il contraire à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 en ce qu'il porte atteinte, en n'imposant pas que le comptage des animaux saisis soit réalisé en présence de la personne mise en cause ou de deux témoins avant toute destruction, au principe du contradictoire ?

La présente décision sera transmise dans le délai de huit jours, accompagnée du dossier de la procédure et avis en sera donné à toutes les parties, même présentes à l'audience.

Il sera sursis à statuer jusqu'à la décision de la Cour de cassation.

L'affaire sera renvoyée à l'audience du 28 janvier 2021 pour y être évoquée.

PAR CES MOTIFS

Vu les articles 61-1 de la Constitution et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958,

Le tribunal, statuant publiquement par jugement avant dire droit et contradictoirement à l’égard de [A B C], [K L], [M P], l'OFFICE DE L'ENVIRONNEMENT DE [LOCALITE 32] et la FEDERATION REGIONALE CORSE POUR LA PECHE ET LA PROTECTION DU MILIEU AQUATIQUE,

DECLARE recevable la question prioritaire de constitutionnalité :

DECIDE de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

Le premier alinéa de l'article L172-13 du code de l'environnement, dans ses dispositions querellées, est-il contraire à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 en ce qu'il porte atteinte, en n'imposant pas que le comptage des animaux saisis soit réalisé en présence de la personne mise en cause ou de deux témoins avant toute destruction, au principe du contradictoire ?

DIT que la présente décision accompagné du dossier de la procédure sera transmise sous huit jours à la Cour de cassation ;

DIT qu'un avis sera adressé par tout moyen aux parties, même présentes à l'audience ;

SURSEOIT A STATUER dans l'attente de la décision de la Cour de cassation :

RENVOIE l'affaire à l'audience du 28 janvier 2022, 8H30 ;

et le présent jugement ayant été signé par la présidente et le greffier.

LE GREFFIER