Tribunal judiciaire de Paris

Jugement du 2 septembre 2021, N° parquet 191770000326

02/09/2021

Renvoi

Cour d'Appel de Paris

Tribunal judiciaire de Paris

32e chambre correctionnelle

Jugement prononcé le : 02/09/2021

N° minute : 1

N° parquet 191770000326

JUGEMENT CORRECTIONNEL

SUR QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

À l'audience publique du Tribunal Correctionnel de Paris le DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,

Composé de :

Président : Benjamin BLANCHE, vice-président,

Assesseurs : Brigitte BOURDON, vice- présidente

Pauline FOSSAT, juge

Assisté de Madame Fatira OMRANI, greffière et en présence de Monsieur Hédy DJILALI, vice-procureur de la République financier,

TRIBUNAL SAISI PAR :

Requête formée le 12 octobre 2020 par Monsieur le PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE FINANCIER, près ce tribunal, en autorisation d’ exécution d'une décision de confiscation prononcée par les autorités judiciaires russes.

PERSONNES CONCERNÉES :

Nom : [A B G D E F]

Née le [DateNaissance 1] 1967 à [LOCALITE 2]

Nationalité : américaine

Demeurant : [adresse 3] [LOCALITE 4]

non comparante, représentée muni d'un pouvoir par Maitre Hervé TEMIME, avocat au barreau de PARIS,(C1537) substitué par Maître Vincent DESRY. avocat au barreau de PARIS ,(C1537)

Nom : LA SCI BERALTO

Adresse : [adresse 5] [LOCALITE 6] ([LOCALITE 7])

Représentant légal : Monsieur [K R], agissant comme gérant domicilié audit siège

non comparant, représenté muni d'un pouvoir par Maître Hervé TEMIME, avocat au barreau de PARIS ,(C153 7) substitué par Maitre Vincent DESRY avocat au barreau de PARIS, (CI537)

Nom : LA SARL CRYSTAL

Adresse : [adresse 8] [LOCALITE 9] ([LOCALITE 10])

Représentant légal : [K R], agissant comme gérant domicilié audit siège

non comparant, représenté muni d'un pouvoir par Maitre Hervé TEMIME avocat au barreau de PARIS ,(C1537) substitué par Maître Vincent DESRY, avocat au barreau de PARIS ,(C1537)

Nom : LA SARL PRALONG

Adresse : [adresse 11] [adresse 12]

Représentant légal : [K R], agissant comme gérant, domicilié audit siège

non comparant, représenté muni d'un pouvoir par Maître Hervé TEMIME avocat au barreau de PARIS (C1 537) substitué par Maître Vincent DESRY, avocat au barreau de PARIS ,(C1537)

Nom : LA JAZE IRREVOCABLE TRUST

Représentant légal : [K R], agissant comme Advisor Trustee, domicilié audit siège

Adresse : sis [adresse 13], [LOCALITE 14]

non comparant, représenté muni d'un pouvoir par Maître Hervé TEMIME avocat au barreau de PARIS ,(C1537) substitué par Maitre Vincent DESRY avocat au barreau de PARIS ,(C1537)

Nom : LA SA LEIKO

Adresse : [adresse 15] [LOCALITE 16] ([LOCALITE 17])

non comparant, représenté par son liquidateur judiciaire : Maître Sandra MAROTEL

PROCÉDURE

Par requête en date du 12 octobre 2020, le Procureur de la République Financier a saisi le Tribunal d'une décision de confiscation prononcée par les autorités russes à fin de voir autorisée l’exécution.de ladite confiscation ordonnée le 24 juillet 2018 par la Chambre des affaires pénales du Tribunal Municipal de Moscou.

[E F] a été avisée le 28 septembre de l'audience du 4 mars 2021 par courrier avec accusé de réception à ses différents domiciles. L'affaire avait été renvoyée contradictoirement à l'audience de ce jour. Elle n'a pas comparu à l’audience mais était représentée par son conseil muni d’un mandat. Il y à donc lieu de statuer contradictoirement à son égard.

La SCI BERALTO a été avisée le 28 septembre de l'audience du 4 mars 2021 par courrier avec: accusé de réception à son domicile. L'affaire avait été renvoyée contradictoirement à l'audience de ce jour. Elle n'a pas comparu à l’audience mais était représentée par son conseil muni d’un mandat. Il y a donc lieu de statuer contradictoirement à son égard.

La SARL CRYSTAL 2 été avisée le 28 septembre de l'audience du 4 mars 2021 par courrier avec accusé de réception à son domicile. L'affaire avait été renvoyée contradictoirement à l'audience de ce jour. Elle n'a pas comparu à l’audience mais était représentée par son conseil muni d’un mandat. Il y a donc lieu de statuer contradictoirement à son égard.

La SARL PRALONG à été avisée Le 28 septembre de l'audience du 4 mars 2021 par courrier avec accusé de réception à son domicile. L'affaire avait été renvoyée contradictoirement à l'audience de ce jour. Elle n'a pas comparu à l’audience mais était représentée par son conseil muni d’un mandat. Il y a donc lieu de statuer contradictoirement à son égard.

La JAZE Irrevocable Trust a été avisée le 28 septembre de l'audience du 4 mars 2021 par courrier avec accusé de réception à son domicile. L'affaire avait été renvoyée contradictoirement à l'audience de ce Jour. Elle n'a pas comparu à l’audience mais était représentée par son conseil muni d’un mandat. Il y a donc lieu de statuer contradictoirement à son égard.

La SA LEIKO a été avisée le 28 septembre de l'audience du 4 mars 2021 par courrier avec accusé de réception à son domicile. L'affaire avait été renvoyée contradictoirement à l'audience de ce jour. Elle n'a pas comparu à l’audience mais était représentée par son conseil muni d’un mandat. Il y a donc lieu de statuer contradictoirement à son égard.

DÉBATS

À l'appel de la cause, le président a constaté l'absence et l'identité des personnes concernées par la requête et donné connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal.

Maître Vincent DESRY, conseil de [E F], des sociétés BERALTO, CRYSTAL, PRALONG et de JAZE IRREVOCABLE TRUST, a été entendu en sa plaidoirie au soutien de son mémoire de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visé à l'audience de ce jour.

Maître Sandra MAROTEL, liquidateur judiciaire de la SA LEIKO s'est associée à la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soutenue par Maître Vincent DESRY.

Le ministère public a été entendu en ses réquisitions.

Les demanderesses ont eu la parole en dernier.

Le greffier a tenu note du déroulement des débats.

Le tribunal a délibéré et statué conformément à la loi en ces termes :

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1 - Le 24 juillet 2008, la Chambre des affaires pénales du Tribunal municipal de Moscou déclarait Mme [E F] coupable de la commission de 21 infractions pouvant être regroupées en deux catégories distinctes reposant sur les dispositions de l’article 159 alinéa 4 du code pénal de la fédération de Russie lesquelles incriminent. le délit d’escroquerie’ et celles de l’article 174-1 alinéa 3 du même code réprimant l'infraction de légalisation de fonds ou de biens. L’intéressée était condamnée à une peine de 11 ans d'emprisonnement devant être purgée dans un pénitencier du régime général d'emprisonnement. Mme [F] était également condamnée à verser la somme de 9 779 173 440 roubles (131 635 833 euros au 12 mars 2019) à titre des dommages-intérêts. La juridiction reconnaissait par ailleurs le droit à indemnisation de 12 personnes morales et renvoyait à une audience ultérieure la question de la détermination du montant des dommages-intérêts.

2 - La Chambre des affaires pénales du Tribunal municipal de Moscou prononçait en outre la confiscation de plusieurs biens saisis principalement pour les besoins de l’action civile et, de manière résiduelle, en faveur de l’État. Il s’agissait :

• de l’hôtel CRYSTAL

• de l’hôtel PRALONG

• d’un appartement situé [adresse 18] à [LOCALITE 19]

• d’une villa dénommée « [...] » sise sur le territoire de la commune de [LOCALITE 20] ([...])

• d’objets d’art et de mobiliers

• de deux appartements situés à [LOCALITE 21] ([LOCALITE 22])

• de 10 voitures dont des véhicules de marque ROLLS ROYCE et MERCEDES BENZ

• d’un yacht immatriculé aux [LOCALITE 23]

3 - Le 12 mars 2019, les autorités judiciaires russes adressaient à leurs homologues françaises une première demande d'entraide pénale internationale afin d’obtenir l’exécution de la confiscation des biens précités de Mme [F] et le maintien de la saisie des biens appartenant à Mme [B G A].

4 - Le 27. Mb 201 9. les autorités judiciaires russes adressaient à leurs homologues françaises une nouvelle demande d’entraide pénale complémentaire faisant référence à la. demande des autorités judiciaires françaises « en date du 4 juin 2019 et relative à la production des informations complémentaires à la commission rogatoire émanant du parquet général de la la Fédération de Russie en date du 12 mars 2019 visant à l'exécution du jugement prononcé contre [A V. W] ». Il ressortait de cette demande du 4 juin 2019 que la justice française avait en effet souhaité savoir si Mme [A] avait été représentée lors. du jugement d’appel de la Chambre des affaires pénales du Tribunal municipal de Moscou en date du 24 juillet 2018, si des voies de recours avaient été légalement offertes et si ladite décision revêtait un caractère exécutoire. Elle demandait par ailleurs que les infractions concernées soient détaillées et les biens confisqués énumérés.

5 - Le 21 février 2020, le parquet général près la Cour d’appel de Paris transmettait au parquet national financier les pièces originales de la demande d’entraide pénale considérée en date du 27 septembre 2019.

6 - Par requête en date du 12 octobre 2020, le procureur de la République financier sollicitait du Tribunal que celui-ci autorise l'exécution de la mesure de confiscation ordonnée le 24 juillet 2018 par la Chambre des affaires pénales du Tribunal municipal de Moscou.

7 - Le 12 novembre 2020, le Tribunal renvoyait l’examen de cette requête à l’audience du 4 mars 2021. Au cours de cette dernière, il était constaté que le présent dossier pénal n’était pas en état d’être jugé, des communications de pièces complémentaires devant être opérées. Un nouveau renvoi à l’audience de jour était par suite ordonné.

* * *

8 - Dans le cadre de cette instance, Mme [F], la société BERALTO), la société CRYSTAL, la société PRALONG et le JAZE IRREVOCABLE TRUST demandent au tribunal, par mémoire distinct et motivé, de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité suivante à la chambre criminelle de la Cour de cassation :

• «Les articles 713-36 à 713-41 du code de procédure pénale, en ce qu'ils ne précisent pas la nature des pièces devant être mises à la disposition des parties à une procédure d'exécution d'une décision de confiscation prononcée par une autorité judiciaire étrangère, méconnaissent-ils les principes constitutionnels des droits de la défense, du droit à un recours juridictionnel effectif ainsi que de clarté de la loi, d'égalité devant la loi et du droit de propriété et ne portent-ils ainsi pas atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 1er et 34 de la Constitution ainsi que les articles 4, 5, 6, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » ;

MOTIFS DE LA DÉCISION

9 - L'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose : “Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé”.

10 - L'article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dans sa rédaction issue de l’article 1er de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution dispose : "Devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office. Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis”

11 - L'article 23-2 de la même ordonnance énonce : “ La juridiction statue sans délai par une. décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ai Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de-caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'État ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige”.

12 - L'article R 49-21 du code de procédure pénale ainsi qu'il est issu de l'article 4 du décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n° 2009- 1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution dispose : « Conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58- 1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, la partie qui soutient, à l'appui d'une demande déposée en.application des règles du présent code devant une juridiction d'instruction, de jugement, d'application des peines ou de la rétention de sureté, qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit, à peine d'irrecevabilité, présenter ce moyen dans un écrit distinct et motivé ».

I - SUR LA RECEVABILITÉ DU MOYEN TIRÉ DE L'ATTEINTE AUX DROITS ET LIBERTÉS GARANTIS PAR LA CONSTITUTION

13 - Au cas présent, le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 2 septembre 2021 dans un écrit distinct des conclusions à fin de rejet de la requête en autorisation d’exécution susévoquée et motivé. Il est donc recevable.

II —- SUR LA TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ A LA COUR DE CASSATION

14 : Mme [F], la société BERALTO, la société CRYSTAL, la société PRALONG et le JAZE IRREVOCABLE TRUST soutiennent que les articles 713-36 à 713-41 du code de procédure pénale ne précisent pas la nature des pièces auxquelles ont accès les différentes parties et que cette carence ne permet donc pas de contester utilement la demande d’exécution entreprise et porte de plus atteinte aux droits de la défense en exposant tout justiciable à un risque d’arbitraire et en instituant un déséquilibre manifeste entre la partie et le Ministère public.

15 - Ils en déduisent que les dispositions. législatives dont s’agit méconnaissent le principe à valeur constitutionnel de respect des droits de la défense, le droit - lui-aussi constitutionnellement garanti - à un recours juridictionnel effectif, le principe de clarté de la loi, l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi ainsi que le principe d’égalité des citoyens devant la loi dès lors que la détermination de la nature des pièces utiles devant être versées au dossier est laissée à la seule discrétion de l’autorité judiciaire. Les demandeurs estiment de plus que la procédure d’ exécution d’une confiscation ordonnée par une juridiction étrangère constitue nécessairement une privation du droit de propriété ne pouvant être justifiée que par la constatation légalement prévenue de la nécessité publique. Il est enfin allégué que le législateur a méconnu la compétence obligatoire qu’il tient de l’article 34 de la Constitution en omettant de préciser la nature des pièces auxquelles les parties à une procédure d’exécution de décisions de confiscation prononcée par les autorités judiciaires étrangères devaient avoir accès.

16 - Par avis en date du 3 mars 2021, le procureur de là République financier, après avoir constaté que les dispositions de l’article 713-36 à 713-41 du code de procédure pénale sont applicables au présent litige. et qu’elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, argue du fait que l' ensemble de la procédure a été mise à la disposition des parties, celle-ci s’entendant de la demande d'entraide aux fins d'exécution de la décision de confiscation du 12 mars 2019 complétée par celle du 27 mars 2019, de la requête du Ministère public et de ses annexes. Il ajoute que s’il est vain de rechercher, au sein des.articles 713-36 à 713-41 du code de procédure pénale, des dispositions prévoyant formellement une liste de pièces à communiquer, il doit cependant être relevé que, d’une part, le contrôle devant être opéré par le tribunal correctionnel en application des articles 694-4 et 713-37 dudit code et, d’autre part, les attributions dont 6e dernier dispose conformément à l’article 713-39, conduisent nécessairement à ce que les informations indispensables à l'exercice de son office soient mises à sa disposition ab initio ou de manière complémentaire. Le procureur de la République financier estime de plus que la nature des pièces devant être mises à la disposition du tribunal correctionnel résulte en effet des modalités du contrôle auquel celui-ci doit se livrer pour apprécier l’éventuelle existence de cas de refus d'exécution de la confiscation sollicitée et qu’à défaut de disposer de l’ensemble des éléments d’information utiles à la mise en œuvre de son contrôle, la juridiction correctionnelle peut être amenée à ordonner une commission rogatoire en application de l’article 713- 39 du code de procédure pénale voire à constater l’existence d’un cas de refus d'exécution. Il observe ainsi que l’esprit des dispositions tierces à la procédure, conventionnelles ou applicables au sein de l’Union européenne, a été respecté, les circonstances propres à l’espèce ayant conduit le Ministère public à joindre un certain nombre d’annexes à sa requête afin de s’ assurer que le tribunal correctionnel dispose des informations indispensables à l'exercice de son office. Le procureur de la République financier conclut en observant que les parties peuvent également porter à la connaissance de la juridiction des éléments d’information dont elles peuvent êtres seules en possession.

* * *

17 - En premier lieu, il est constant que les dispositions législatives contestées sont applicables à la procédure et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le-dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

18 - En deuxième lieu, il ressort des dispositions des articles 713-36 à 713-41 du code de procédure pénale relatifs à l'exécution des décisions de confiscation prononcées par les autorités judiciaires étrangères que le législateur n’a, il est vrai, pas précisément énuméré les pièces devant être annexées à la requête du procureur de la République déposée conformément à l’article 713-38 alinéa ler dudit code. De plus, l’article 713- 39 du code de procédure pénale se borne à disposer que « s'il l'estime utile, le tribunal correctionnel entend, le cas échéant par commission rogatoire, le propriétaire du bien saisi, la personne condamnée ainsi que toute personne ayant des droits sur les biens qui ont fait l'objet de la décision étrangère de confiscation. Les personnes mentionnées à l'alinéa précédent peuvent se faire représenter par un avocat. Le tribunal correctionnel est lié par les constatations de fait de la décision étrangère. Si ces constatations sont insuffisantes. il peut demander par. commission rogatoire à l'autorité étrangère ayant rendu la décision, la fourniture, dans un délai qu'il fixe, des informations complémentaires nécessaires » sans même évoquer un quelconque avis d’audience délivré à la partie intéressée.

19 - En troisième et dernier lieu, le Tribunal juge que l’imprécision manifeste caractérisant le régime procédural applicable aux requêtes présentées par le procureur de la République sur le fondement des dispositions des articles 713-36 à 713-41 du code de procédure pénale et spécialement celle entourant la nature des documents devant impérativement assortir une telle requête est effectivement susceptible de caractériser une inconstitutionnalité dès lors que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution l'obligation de fixer lui-même les règles concernant la procédure pénale (décision n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015), cette exigence s'imposant pour exclure l'arbitraire dans le prononcé et l'exécution des peines. En ‘outre, cette imprécision, qui a pour effet de laisser au seul Ministère public l'appréciation des pièces devant être annexées à sa requête - laquelle saisit la juridiction correctionnelle - et, par suite, la détermination des limites du litige, est également de nature à porter atteinte aux principes à valeur constitutionnelle de respect des droits de la défense, d'égalité des citoyens devant la loi, de droit à un recours juridictionnel effectif (décision n° 2016-38 QPC du 29 septembre 2010) et, en l’espèce, de droit de propriété et ce indépendamment du respect du principe de la contradiction devant la formation de jugement.

20 - Dès lors, la question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles 713-36 à 713-41 du code de procédure pénale ne saurait être regardée comme étant dépourvue de caractère sérieux au sens des dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58- 1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dans sa rédaction issue de l’article 1° de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution.

21 - Par suite, il résulte de tout ce qui précède qu'il y a donc lieu de transmettre à la chambre criminelle de la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« Les articles 713-36 à 713-41 du code de procédure pénale, en ce qu'ils ne précisent pas la nature des pièces devant être mises à la disposition des parties à une procédure d'exécution d'une décision de confiscation prononcée par une autorité judiciaire étrangère, méconnaissent-ils les principes constitutionnels des droits de la défense, du droit à un recours juridictionnel effectif ainsi que de clarté de la loi, d'égalité devant la loi et du droit de propriété et ne portent-ils ainsi pas atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 1° et 34 de la Constitution ainsi que les articles 4, 5, 6, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? » ;

22 .- Il sera donc sursis à statuer sur la présente requête de M. le procureur de la République financier dans. l'attente de l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation ef, en cas de renvoi, de celle de la décision du Conseil constitutionnel.

23 - En conséquence, l'affaire est renvoyée à l'audience de procédure du lundi 10 janvier 2022 à 13h30.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et contradictoirement à l’égard de [E F]; la SA BERALTO, la SA CRYSTAL, la SA PRALONG, la JAZE IRREVOCABLE TRUST et la SA LEIKO,

DÉCLARE recevable la question prioritaire de constitutionnalité telle que présentée par le conseil de [E F], la SA BERALTO, la SA CRYSTAL, la SA PRALONG et de JAZE IRREVOCABLE TRUST ;

ORDONNE la transmission à la chambre criminelle de la Cour de cassation, aux fins d'une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel, de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« Les articles 713-36 à 713-41 du code de procédure pénale, en ce qu'ils ne précisent pas la nature des pièces devant être mises à la disposition des parties à une procédure d'exécution d'une décision de: confiscation prononcée par une autorité judiciaire étrangère, méconnaissent-ils les principes constitutionnels des droits de la défense, du droit à un recours juridictionnel effectif ainsi que de clarté de la loi, d'égalité devant la loi et du droit dé propriété et ne portent-ils ainsi pas atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 1er et 34 de la Constitution ainsi que les articles 4, 5, 6, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

SURSOIT À STATUER sur la présente requête jusqu'à la décision de la Cour de cassation, le cas échéant du Conseil constitutionnel ;

RENVOIE l'examen du dossier à l'audience de procédure du lundi 10 janvier 2022 à 13h30 devant la 32ème chambre correctionnelle.

DIT que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les observations des parties relatives à la question prioritaire de constitutionnalité.

DIT que les parties comparantes et le ministère public ont été avisés par tout moyen de la présente décision ;

RAPPELLE que, conformément aux dispositions de l'article R. 49-28, alinéa 2, du code de procédure pénale, la présente décision n'est susceptible d'aucun recours ;

RAPPELLE que les parties qui entendent présenter des observations devant la Cour de cassation doivent se conformer aux dispositions de l'article R. 49-30, ainsi qu'au premier alinéa de l'article R. 49-32, l'article R. 49-30 du code de procédure pénale étant ainsi rédigé : “Les parties disposent d'un délai d'un mois à compter. de la décision de transmission de la question de constitutionnalité à la Cour de cassation pour faire connaître leurs éventuelles observations devant la Cour. Elles sont signées par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conformément aux règles prévues par l'article 585, sauf lorsqu'elles émanent de la personne condamnée, de la partie civile ‘en matière d'infraction à la loi sur la presse ou du demandeur en cassation lorsque la chambre criminelle est saisie d'un pourvoi en application des articles 567-2, 574-] et 574-2”.

et le présent jugement ayant été signé par le président et la greffière.