Tribunal judiciaire de Bobigny

Jugement du 10 août 2021, N° de minute : 1259 bis /21

10/08/2021

Renvoi

Tribunal judiciaire de Bobigny

N° Parquet : 21130000268

Chambre : 17ème chambre correctionnelle

JUGEMENT DE TRANSMISSION DE DEUX QUESTIONS PRIORITAIRES DE CONSTITUTIONNALITE

N° de minute : 1259 bis /21

A l'audience publique du Tribunal correctionnel de Bobigny le DIX AOÛT DEUX MILLE VINGT ET UN.

Composé de :

Président : Madame VAILLANT Alexandra, vice-présidente,

Assesseurs : Madame CAPILLON Coralie, vice-présidente,

Monsieur SCHALCHLI Ulrich, vice-président,

Assistés de Madame CHRAIBI Amina, greffière,

en présence de Monsieur GAUTIER Bertrand-Sébastien. substitut,

a été appelée l’affaire

ENTRE :

Monsieur le PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE, près ce tribunal, demandeur et poursuivant

ET

Prévenu

Nom : [A-B C]

né le [DateNaissance 1] 1991 à [LOCALITE 2]

Nationalité : Française

Situation familiale : marié

Situation professionnelle : employé

Antécédents judiciaires : déjà condamné

Demeurant : [adresse 3]

Situation pénale : détenu provisoirement à la Maison d'arrêt de [LOCALITE 4]

Mandat de dépôt en date du 11/06/2021

Maintien en détention provisoire en date du 21/07/2021

Maintien en détention par la juridiction de jugement en date du 27/07/2021

comparant assisté de. Maître BOUCHENTOUF Cathy , avocat au barreau de PARIS substitué par Maître LE HIR Morgane , avocat au barreau de PARIS,

Prévenu des chefs de :

TRANSPORT NON AUTORISE DE STUPEFIANTS EN RECIDIVE faits commis du 17 mars 2021 au 8 juin 2021 à [LOCALITE 5] , [LOCALITE 6], [LOCALITE 7] et en [LOCALITE 8]

DETENTION NON AUTORISEE DE STUPEFIANTS EN RECIDIVE faits commis du 17 mars 2021 au 8 juin 2021 à [LOCALITE 9],, [LOCALITE 10], [LOCALITE 11] et en [LOCALITE 12]

OFFRE OU CESSION NON AUTORISEE DE STUPEFIANTS EN RECIDIVE faits commis du 17 mars 2021 au 8 juin 2021 à [LOCALITE 13] , [LOCALITE 14], [LOCALITE 15] et en [LOCALITE 16]

ACQUISITION NON AUTORISEE DE STUPEFIANTS EN RECIDIVE faits commis du 17 mars 2021 au 8 juin 2021 à [LOCALITE 17], [LOCALITE 18], [LOCALITE 19] et en [LOCALITE 20]

EMPLOI NON AUTORISE DE STUPEFIANTS EN RECIDIVE faits commis du 17 mars 2021 au 8 juin" 2021 à [LOCALITE 21] , [LOCALITE 22], [LOCALITE 23] et en [LOCALITE 24]

DETENTION NON AUTORISEE DE MATERIEL, ARME, MUNITION OÙ ELEMENT DE CATEGORIE À PAR UNE PERSONNE DEJA CONDAMNEE A AU MOINS UN AN D'EMPRISONNEMENT FERME POUR UNE INFRACTION DES ARTICLES 706-73 OU 706-73-1 DU CPP faits commis le 8 juin 2021 à [LOCALITE 25]

DETENTION NON AUTORISEE D'ARME, MUNITION OÙ DE LEURS ELEMENTS DE CATEGORIE B PAR PERSONNE DEJA CONDAMNEE A AU MOINS UN AN D'EMPRISONNEMENT FERME POUR UNE INFRACTION VISEE A L'ARTICLE 706- 73 OU 706-73-1 DU CPP faits commis le 8 juin 2021 à [LOCALITE 26]

Nom : [D E]

né le [DateNaissance 27] 1994 à [LOCALITE 28] ([LOCALITE 29])

Nationalité : française

Situation familiale : célibataire

Situation professionnelle : employé municipal

Antécédents judiciaires : déjà condamné

Demeurant : [adresse 30]

Situation pénale : détenu provisoirement au Quartier Maison d'arrêt du Centre Pénitentiaire de [LOCALITE 31]

Mandat de dépôt en date du 11/06/2021

Maintien en détention provisoire en date du 21/07/2021

Maintien en détention par la juridiction de jugement en date du 27/07/2021

comparant assisté de Maître MORAND-LAHOUAZI Karim , avocat au barreau de PARIS,

Prévenu des chefs de :

TRANSPORT NON AUTORISE DE STUPEFIANTS faits commis du 17 mars 2021 au 8 juin 2021 à [LOCALITE 32] , [LOCALITE 33], [LOCALITE 34] et en [LOCALITE 35]

DETENTION NON AUTORISEE DE STUPEFIANTS faits commis du 17 mars 2021 au 8 juin 2021 à [LOCALITE 36] , [LOCALITE 37], [LOCALITE 38] et en [LOCALITE 39]

OFFRE OU CESSION NON AUTORISEE DE STUPEFIANTS faits commis du 17 mars 2021 au 8 juin 2021 à [LOCALITE 40] , [LOCALITE 41], [LOCALITE 42] et en [LOCALITE 43]

ACQUISITION NON AUTORISEE DE STUPEFTANTS faits commis du 17 mars 2021 au 8 juin 2021 à [LOCALITE 44], [LOCALITE 45] et en [LOCALITE 46]

IMPORTATION NON AUTORISEE DE STUPEFIANTS - TRAFIC faits commis du 17 mars 2021 au 8 juin : 2021 à [LOCALITE 47], [LOCALITE 48], [LOCALITE 49] et en [LOCALITE 50]

Vu les articles R49-21 et suivants du code de procédure pénale ;

Vu la demande d’examen de deux questions prioritaires de constitutionnalité déposées par un écrit distinct et motivé le 10 août 2021, par Maitre Karim MORAND-LAHOUAZI, en qualité de conseil de [E D], à la procédure diligentée notamment contre [E D] ;

Vu les observations formulées le 10 août 2021 par les parties au procès, et notamment par [E D] représenté par Maitre Karim MORAND-LAHOUAZTI, avocat ;

Vu les observations formulées par les autres parties lors de l'audience ;

Vu les réquisitions du Ministère Public ;

MOTIFS DE LA DECISION

I. Sur la question prioritaire de constitutionnalité visant les dispositions de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, et l'atteinte disproportionnée à l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte.

Dans des conclusions séparées et motivées, le conseil de M [D] soulève la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« En édictant les dispositions de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale — lequel autorise, dans le cadre d’une enquête préliminaire, le Ministère public ou sur autorisation de celui-ci l’officier de police judiciaire ou l’agent de police judiciaire de requérir l’accès à un ensemble de données relatives au trafic ou de données de localisation, susceptibles de fournir des informations Sur les communications effectuées pär un utilisateur d’un moyen de communication électronique ou sur la localisation des équipements terminaux qu’il utilise et de permettre de tirer des conclusions précises sur sa vie privée, à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d’infractions pénales, le législateur a-t-il, porté une atteinte disproportionnée à l’article 15, paragraphe I, de la directive 2002/58, lu à la lumière des articles 7, 8 et II ainsi que de l’article 52, paragraphe I, de la Charte ? ».

I1 fait valoir que cet article est bien en lien avec le litige et avec les poursuites ; qu'il existe un changement de circonstances eu égard à la décision de la CJUE rendue par la grande chambre le 02 mars 2021 (H.K./Prokuratuur. C-746/18) ; et que dès lors la question soulevée présente un caractère sérieux.

Il en déduit qu'au regard du droit de l'Union européenne, un magistrat de l'autorité de poursuite, tel que le procureur de la République, ne peut, conformément aux exigences du droit européen, autoriser l'accès aux données relatives au trafic ‘et aux données de localisation d'une ligne téléphonique.

Le procureur de la République a exposé lors de l'audience que cette question ne présentait pas un caractère sérieux et que l'arrêt de la CJUE ne constituait pas un changement de circonstance.

Il requiert que sa transmission à la Cour de cassation soit jugée irrecevable.

Sur ce, le tribunal,

L'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, prévu par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 6-1 de la Constitution instaurant le principe de la question prioritaire de constitutionnalité, prévoit qu'il est procédé à la transmission de la question à la Cour de cassation si les trois conditions suivantes sont remplies :

— 1/ la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

— 2/ la disposition contestée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ét le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

— 3/ et la question posée n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l'espèce, sur le fondement des dispositions de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, le procureur de la République a autorisé un officier de police judiciaire à requérir un opérateur de téléphonie en vue de la transmission de données visant M [D].

La disposition litigieuse est ainsi applicable à la procédure.

Par ailleurs, eu égard aux conclusions de la CJUE dans l'arrêt susvisé, il apparaît qu'il existe un changement de circonstances, dont il se déduit que la question posée n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En conséquence, il convient de transmettre la question posée à la Cour de cassation.

II Sur la question prioritaire de constitutionnalité visant les dispositions de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, et l'atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée ainsi qu'aux droits de la défense et à un recours effectif.

Dans des conclusions séparées et motivées, le conseil de M [D] soulève la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« En édictant les dispositions de l’article 77-I-I du code de procédure pénale — lequel autorise, dans le cadre d’une enquête préliminaire, le Ministère public ou sur autorisation de celui-ci l'officier de police judiciaire ou l’agent de police judiciaire de requérir l’accès à un ensemble de données relatives au trafic ou de données de localisation, susceptibles de fournir des informations sur les communications effectuées par un utilisateur d’un moyen de communication électronique ou sur la localisation des équipements terminaux qu’il utilise et de permettre de tirer des conclusions précises sur sa vie privée, à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d’infractions pénales, le législateur a-t-il, porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée ainsi qu’aux droits de la défense et à un recours effectif et, d’autre part, méconnu sa propre compétence en affectant ces mêmes droits et libertés que la Constitution garantit ?».

Il fait valoir que cet article est bien en lien avec le litige et avec les poursuites ; qu'il existe un changement de circonstances eu égard à la décision de la CJUE rendue par la grande chambre le 02 mars 2021 (H.K./Prokuratuur. C-746/18) et eu égard à un précédent arrêt de transmission rendu par la Cour de cassation le 09 juin 2021, portant sur la même problématique et visant les articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale ; et que dès lors la question soulevée présente un caractère sérieux.

Le procureur de la République ne s'est pas opposé à la transmission de cette question lors des l'audience, se basant sur l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 09 juin 2021.

Sur ce, le tribunal,

L'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, prévu par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 6-1 de la Constitution instaurant le principe de la question prioritaire de constitutionnalité, prévoit qu'il est procédé à la transmission de la question à la Cour de cassation si les trois conditions suivantes sont remplies :

— 1/ la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

— 2/ 1a disposition contestée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

— 3/ et la question posée n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l'espèce, sur le fondement des dispositions de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, le procureur de la République a autorisé un officier de police judiciaire à requérir un opérateur de téléphonie en vue de la transmission de données visant M [D].

La disposition litigieuse est ainsi applicable à la procédure.

Par ailleurs, prenant en compte l'arrêt de transmission rendu par le Cour de cassation le 09 juin 2021, visant les articles 230-32 et 230- 33 du code de procédure pénale, ayant considéré en ces termes que « la question posée présente un caractère sérieux, dans la mesure où les articles 203-32 et 230-33 du code de procédure pénale, qui autorisent une autorité chargée de diriger l'enquête et d'engager les poursuites à décider une mesure de géolocalisation sans le contrôle préalable d'une autorité extérieure; sont susceptibles de porter une atteinte excessive aux droits et aux libertés protégés par les articles 2 et 1 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen », il convient de considérer qu'il existe un changement de circonstances et que la question posée, portant sur les réquisitions aux opérateurs téléphoniques sous le seul contrôle du ministère public, n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En conséquence, il convient de transmettre la question posée à la Cour de cassation.

III. Sur la question du sursis à statuer.

L'article 23-3 de l'ordonnance de 1958 modifiée dispose :

« [...] Toutefois, il n'est sursis à statuer ni lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance, ni lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté.

La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence ».

En l'espèce, [E D] et [C A B] comparaissent devant le tribunal correctionnel en application des dispositions des articles 395 et 397-1 du code de procédure pénale.

Ils sont détenus provisoirement depuis le 11 juin 2021.

Ainsi, et conformément à l'article 23-3 susvisé, il ne sera pas sursis à statuer.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de [E D] et [C A B], prévenus, le ministère public avisé, par décision non susceptible de recours,

DECLARE recevable en la forme les deux questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par le conseil de [E D] ;

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation des questions suivantes :

— «En édictant les dispositions de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale - lequel autorise, dans le cadre d’une enquête préliminaire, le Ministère public ou sur autorisation de celui-ci l'officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire de requérir l'accès à un ensemble de données relatives au trafic ou de données de localisation, susceptibles de fournir des informations sur les communications effectuées par un utilisateur d'un moyen de communication électronique ou sur la localisation des équipements terminaux qu'il utilise et de permettre de tirer des conclusions précises sur sa vie privée, à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d ‘infractions pénales, le législateur a-t-il, porté une atteinte disproportionnée à l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe I, de la Charte ? » ;

— «En édictant les dispositions de l’article 77-1-1 du code de procédure pénale — lequel autorise, dans le cadre d'une enquête préliminaire, le Ministère public ou sur ‘autorisation de celui-ci 1 officier de police judiciaire ou l'agent de police judiciaire de requérir l'accès à un ensemble de données relatives au trafic ou de données de localisation, susceptibles de fournir des informations sur les communications effectuées par un utilisateur d'un moyen de communication électronique ou sur la localisation des équipements terminaux qu'il utilise et de permettre de tirer des conclusions précises sur sa vie privée, à des fins de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d'infractions pénales, le législateur a-t-il, porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée ainsi qu'aux droits de la défense et à un recours effectif et, d'autre part, méconnu sa propre compétence en affectant ces mêmes droits et libertés que la Constitution garantit ? ».

DIT que le présent jugement sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité.

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision.

DIT qu'il ne sera pas sursis à statuer au fond jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation, et, jusqu'à celle du Conseil constitutionnel, si ce dernier venait à être saisi.

Et le présent jugement a été signé par la présidente et la greffière.

La greffière