Conseil d'Etat

Décision du 15 juillet 2021 n° 453371

15/07/2021

Non renvoi

CONSEIL D'ETAT

statuant

au contentieux

MM

 

 

 

N° 453371

 

__________

 

M. et Mme B...

__________

 

Mme Ophélie Champeaux

Rapporteure

__________

 

Mme Karin Ciavaldini

Rapporteure publique

__________

 

Séance du 7 juillet 2021

Décision du 15 juillet 2021

__________

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

 

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème chambres réunies)

 

 

Sur le rapport de la 8ème chambre

de la section du contentieux

 

 

 

 

 

 

Vu la procédure suivante :

 

A l’appui de leur demande tendant à ce que le tribunal administratif de Nantes prononce la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, de prélèvements sociaux, de contributions sociales et des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2014 et 2015, M. et Mme A... B... ont produit un mémoire distinct, enregistré le 4 avril 2021 au greffe de ce tribunal, par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.

 

Par une ordonnance n° 2001440 du 7 juin 2021, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Nantes, avant qu’il soit statué sur la demande de M. et Mme B..., a décidé, par application des dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de transmettre au Conseil d’État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions, d’une part, du 3 du I de l’article 150-0 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable jusqu’au 31 décembre 2013, et d’autre part, du 3° du B du 1 quater de l’article 150-0 D du même code, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2014.

 

 

…………………………………………………………………………

 

 

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts, notamment ses articles 150-0 A et 150-0 D ;

- le code de justice administrative ;

 

 

 

 

Après avoir entendu en séance publique :

 

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,

 

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

 

 

 

 

Considérant ce qui suit :

 

1. Il résulte des dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’Etat a transmis à ce dernier, en application de l’article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d’une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

 

2. Aux termes du 1 du I de l’article 150-0 A du code général des impôts : « I.-1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu. / (…) ». Aux termes du 3 du même I, applicable aux plus-values réalisées antérieurement au 31 décembre 2013 : « Lorsque les droits détenus directement ou indirectement par le cédant avec son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants ainsi que leurs frères et sœurs dans les bénéfices sociaux d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent et ayant son siège dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ont dépassé ensemble 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années, la plus-value réalisée lors de la cession de ces droits, pendant la durée de la société, à l'une des personnes mentionnées au présent alinéa, est exonérée si tout ou partie de ces droits sociaux n'est pas revendu à un tiers dans un délai de cinq ans. A défaut, la plus-value est imposée au nom du premier cédant au titre de l'année de la revente des droits au tiers. / (…).» Aux termes de l’article 150-0 D du même code : « 1. (…) / Les gains nets de cession à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés, de droits portant sur ces actions ou parts ou de titres représentatifs de ces mêmes actions, parts ou droits, mentionnés au I de l'article 150-0 A, ainsi que les distributions mentionnées aux 7,7 bis et aux deux derniers alinéas du 8 du II du même article, à l'article 150-0 F et au 1 du II de l'article 163 quinquies C sont réduits d'un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article. / (…) / 1 quater. A.- Par dérogation au 1 ter, lorsque les conditions prévues au B du présent 1 quater sont remplies, les gains nets sont réduits d'un abattement égal à :/ 1° 50 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins un an et moins de quatre ans à la date de la cession ; / 2° 65 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins quatre ans et moins de huit ans à la date de la cession ; / 3° 85 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession. (…) ». Aux termes du B du 1 quater du même article, dans sa version applicable aux plus-values réalisées entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2017 : « l’abattement prévu au A s’applique : 3° Lorsque le gain résulte de la cession de droits, détenus directement ou indirectement par le cédant avec son conjoint, leurs ascendants et descendants ainsi que leurs frères et sœurs, dans les bénéfices sociaux d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent et ayant son siège dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales qui ont dépassé ensemble 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années, pendant la durée de la société, à l'une des personnes mentionnées au présent 3°, si tout ou partie de ces droits sociaux n'est pas revendu à un tiers dans un délai de cinq ans. A défaut, la plus-value, réduite, le cas échéant, de l'abattement mentionné au 1 ter, est imposée au nom du premier cédant au titre de l'année de la revente des droits au tiers. »

 

3. D’une part, aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. D’autre part, aux termes de l’article 16 de la Déclaration : : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises, ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire de textes antérieurs.

 

4. En premier lieu, M. et Mme B... soutiennent que les dispositions, citées au point 2, du 3 de l’article 150-0 A et du 3° du B du 1 quater de l’article 150-0 D du code général des impôts, applicables aux plus-values de cessions de titres à l’intérieur du groupe familial réalisées, respectivement, avant et après le 1er janvier 2014, méconnaitraient le principe d’égalité devant les charges publiques protégé par l’article 13 de la Déclaration du 26 août 1789, dès lors qu’elles ne prévoient aucun abattement d’assiette afin de tenir compte de la durée de détention des titres, ni aucun mécanisme de prise en compte de l’érosion monétaire, en cas de remise en cause de l’avantage fiscal du fait du non-respect par le cessionnaire de la condition de conservation des titres pendant cinq ans et de taxation de la plus-value selon les règles de droit commun au titre de l’année de leur revente.

 

5. Toutefois, les dispositions contestées se bornent à fixer les conditions dans lesquelles les plus-values de cession de titres au sein du groupe familial peuvent bénéficier, pour celles réalisées antérieurement au 31 décembre 2013, d’une exonération et, pour celles réalisées à compter du 1er janvier 2014, de l’abattement d’assiette renforcé prévu au A du 1 quater de l’article 150-0 D du code général des impôts et à prévoir qu’en cas de revente des titres à un tiers dans le délai de cinq ans, la plus-value est imposée au nom du premier cédant au titre de l’année de cette revente selon les règles d’assiette de droit commun applicables à la date de sa réalisation. Ces règles d’assiette sont fixées non par les dispositions contestées par la présente question prioritaire de constitutionnalité, mais par celles du 1 et du 1 ter de l’article 150-0 D, dont les conditions d’entrée en vigueur ont été fixées par les dispositions du III de l’article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 et compte tenu de la réserve d’interprétation dont le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2016-538 QPC du 2 avril 2016, assorti leur conformité à la Constitution. La contestation soulevée par les époux B... sur ce point ne saurait, par suite, être regardée comme revêtant un caractère sérieux.

 

6. En deuxième lieu, les requérants soutiennent qu’en prévoyant que, dans le cas où l’avantage fiscal initialement octroyé est remis en cause, l’impôt est établi suivant les règles de liquidation en vigueur à la date de la revente à un tiers, qui ne sont pas nécessairement identiques aux règles en vigueur à la date de la réalisation de la plus-value, les dispositions contestées porteraient atteinte à une situation légalement acquise par le contribuable. Toutefois, lorsque le législateur permet à un contribuable, à sa demande, de bénéficier sous certaines conditions d'une exonération ou d’un régime dérogatoire d'imposition des plus-values qu’il réalise, ce contribuable doit être regardé comme ayant accepté les conséquences de la remise en cause de ce régime en cas de non-respect des conditions auxquelles il était subordonné. Il en résulte que l'imposition de la plus-value selon les règles de liquidation en vigueur l'année de la revente des titres à un tiers ne porte atteinte à aucune situation légalement acquise et ne remet pas en cause les effets qui pourraient légitimement être attendus d'une telle situation.

 

7. En troisième et dernier lieu, M. et Mme B... soutiennent que les dispositions contestées méconnaitraient l’égalité devant les charges publiques en ce qu’elles subordonnent le maintien du régime de faveur octroyé au cédant à une condition dont le respect dépend du comportement du seul cessionnaire. Toutefois, en prévoyant que les plus-values résultant de la cession de titres au sein d’une entreprise dont l’actionnariat est familial ne peuvent bénéficier d’un régime fiscal dérogatoire que dans la mesure où la continuité de cette détention familiale est assurée pendant une durée d’au moins cinq ans, le législateur a entendu favoriser la pérennité de l’actionnariat familial en renforçant l’attractivité économique des cessions de titres à des membres de la famille par rapport aux cessions consenties à des tiers, extérieurs au groupe familial. Il a, pour atteindre cet objectif, retenu un critère rationnel et cohérent avec l’effet incitatif recherché. Par ailleurs, l’assiette de l’impôt étant constituée par la plus-value de cession réalisée par le premier cédant lui-même, les dispositions contestées ne sauraient méconnaître le respect des facultés contributives de ce dernier.

 

8. Il résulte de tout ce qui précède que la question posée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n’y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

 

 

D E C I D E :

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Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Nantes.

 

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A... B....

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au tribunal administratif de Nantes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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