Cour d'Appel d'Aix-en-Provence

Arrêt du 30 juin 2021 n° 21/35

30/06/2021

Renvoi

ARRET N° 21/35

Ch.5-5

COUR D'APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

ARRET AU FOND

Prononcé publiquement le MERCREDI 30 JUIN 2021, par la 5-5ème chambre des appels correctionnels,

SUR QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONALITE DEPOSEE LE 18 MAI 2021 DANS L’AFFAIRE CONCERNANT :

[A B F D]

né le [DateNaissance 1] 1964 à [LOCALITE 2] ([LOCALITE 3])

de nationalité PORTUGAISE

[LOCALITE 4]

demeurant : [adresse 5]

Requérant aux fins de contestation de la décision du procureur de la République de DRAGUIGNAN en date du 3 mai 2021

non comparant

représenté par Maître Camille FRIEDRICH avocat au barreau d’Aix en Provence et par Maître de GUBERNATIS avocat au barreau d' Aix en Provence, comparant à l’audience

LE MINISTÈRE PUBLIC,

DECISION :

RAPPEL DE LA PROCEDURE

[F D A B] a été définitivement condamné par décision rendue le 10 mai 2017 par le tribunal collectif de Almada ayant acquis force de chose jugée le 15 janvier 2021, à une peine de 6 ans et 6 mois d'emprisonnement, pour des faits de violences familiales sur conjoint et de violences familiales envers un mineur, commis entre septembre 2013 et le 18 janvier 2016 à [LOCALITE 6] et [LOCALITE 7] ( [LOCALITE 8]).

Aux termes d'un mandat d'arrêt européen émis le 23 mars 2021. l'autorité judiciaire portugaise a sollicité la remise de [F D A B] pour l'exécution de cette peine

Par arrêt en date du 21 avril 2021 la chambre d’instruction de la cour d’appel d’Aix en Provence 6-5 a invité le parquet à faire connaître sa position sur la demande de reconnaissance et l'exécution en France de la condamnation à la peine de 6 ans et 6 mois de prison pour l’exécution de laquelle le mandat d'arrêt européen a été émis.

Par décision du 3 mai 2021, notifiée le 9 mai 2021 à [F D A B] , le procureur de la République près le tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN a refusé la reconnaissance et l'exécution en France de la condamnation sus-visée.

Au visa de l'article 728-48 du code de procédure pénale, l'avocat de [F D A B] a , au nom de ce dernier, déposé une requête en contestation de la décision de refus de reconnaissance et d'exécution d'un jugement étranger sur le territoire français. Il sollicite de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel d'Aix-en- Provence qu'elle déclare la requête recevable et qu'elle reconnaisse comme exécutoire en France le jugement rendu le 10 mai 2017.

Dans le cadre de ce recours, [F D A B] a déposé devant la juridiction, par mémoire écrit distinct, une question prioritaire|de constitutionnalité.

Les deux procédures sont traitées séparément.

[F D A B] a été régulièrement cité à sa personne. Il n'a pas comparu à l'audience mais a été représenté par son conseil. L' arrêt sera contradictoire.

L'affaire a été appelée à l'audience publique du MERCREDI 30 JUIN 2021, La présidente a constaté l’absence de [F D A B],

régulièrement représenté par son conseil,

La présidente a présenté le rapport de l'affaire,

Maître de GUBERNATIS, avocat au barreau d° Aix en Provence , conseil de [F D A B] a été entendu en sa plaidoirie aux fins de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

Le Ministère Public à pris ses réquisitions,en faveur de la transmission de la question, conformément à son avis écrit dte du 02 juin 2021.

L'avocat du requérant a eu la parole en dernier,

Enfin, le Président a indiqué que l'arrêt serait prononcé à l'audience de ce jour.

DECISION

Sur le fondement des articles 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 et 23-2 de la loi organique n°2009-1532 du 10 décembre 2009, [F D A B] a saisi la cour d'appel d’un moyen soulevant l’inconstitutionnalité des articles 728-48 alinéa 2 et 728-52 alinéa 2 du code de procédure pénale.

À l’audience, le conseil de [F D A B] à soutenu oralement son mémoire et ses conclusions écrites à l'appui de sa demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Il soutient que les dispositions desdits articles, en ce qu’elles ne prévoient pas un recours juridictionnel effectif à l'encontre des décisions prises par le Ministère Public de refus de reconnaissance et d'exécution de jugement étranger sur le territoire français dans le cas visé par l'article 728-11 3° du même code, porteraient atteinte à l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

Il rappelle que le droit au juge constitue une garantie essentielle des droits de la défense qui à vocation à assurer le plein exercice des libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République et à être effectif; que l'absence de tout recours est préjudiciable au justiciable: qu'en cas de recours (et si la demande de reconnaissance entre dans les prévisions du troisièmement de l'article 728-11 du code de procédure pénale, la chambre des appels correctionnels ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation dans le cas où le procureur général déclare ne pas consentir à l'exécution en France du jugement prononcé à l'étranger( 728-52 alinéa 2).

Par conclusions ultérieures datées du 15 juin 2021 au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité il fait valoir, pour souligner le caractère sérieux de la question.

- que le conseil constitutionnel s’est déjà prononcé par décision du 7 mai 2021 sur la constitutionnalité des dispositions relatives à l'exécution, sur le territoire des autres Etats membres de l'Union européenne, des condamnations prononcées par les juridictions françaises et plus particulièrement les articles 728-15 et 728-22 du code de procédure pénale.

- que les dispositions précitées portent également atteinte au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 dès lors qu'il ressort de l'article 728-11 que seules les personnes de nationalité étrangère se trouvent privées de voies de recours, puisque les ressortissants français entrent toujours dans les|prévisions du 1° et du 2° dudit article.

- que les dispositions portent atteinte au droit de mener une vie familiale normale (alinéa 10 du préambule de 1946 : article 2 de la Déclaration des Droits de l'homme et du Citoyen de 1789)

Il demande à la Cour, dans ses conclusions, de prendre acte de ce que la question prioritaire de constitutionnalité est posée dans des termes différents.

Dans son avis exprimé par écrit le 2 juin 2021 suite au mémoire déposé le 18 mai 2021 par le conseil de [F D A], le ministère public a conclu qu'il plaise la juridiction de transmettre à la cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité .

Le Procureur Général a requis à l’audience conformément à son avis écrit.

Il observe que la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité est soulevée dans un écrit distinct et motivé; que la question est fondée sur un moyen tiré de ce qu'une disposition législative ou réglementaire porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution; que les dispositions législatives dont la constitutionnalité est contestée sont applicables à la procédure et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel et ne font pas non plus déjà l'objet d'un examen; qu'au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, la question soulevée n'est pas dépourvu de sérieux.

SUR CE

Sur le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de la disposition législative applicable au litige ou à la procédure

►Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution

En l’espèce, le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté à l’audience de la chambre des appels correctionnels dans un mémoire distinct et motivé.

Le moyen est donc recevable en la forme.

►Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation :

Les dispositions contestées sont les articles 728-48 alinéa 2 et 728-52 alinéa 2 du code de procédure pénale.

L’article 728-48 alinéa 2 du code de procédure pénale dispose que :

“Toutefois, la personne condamnée n'est pas recevable à saisir la chambre des appels correctionnels en cas de refus d'exécution opposé dans le cas prévu au 3° de l'article 728-11."

L'article 728 52 alinéa 2 du même code dispose que :

 

Si la demande de reconnaissance et d'exécution présentée par l'autorité compétente de l'Etat de condamnation entre dans les prévisions du 3° de l'article 728-111 et si le procureur général déclare ne pas consentir à l'exécution, la chambre des appels correctionnels lui en donne acte et constate que la peine ou la mesure de sûreté privative de liberté ne peut être mise à exécution en France.

En l'espèce, les dispositions contestées sont bien applicables au litige en ce que [F D A B] a exercé un recours à l'encontre de la décision du 3 mai 2021 dé refus, par le procureur de la République, de reconnaissance et d'exécution d'un Jugement étranger en France .

Les dispositions législatives contestées n’ont pas déjà été déclarées conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel. La question de droit posée est donc nouvelle et inédite.

Aux termes de l’article 23-2,3° de la loi organique du 10 décembre 2009, le juge est tenu de vérifier si la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

Au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen “ toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminés, n'a point de Constitution" et de la jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel selon laquelle “il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction ”, la question soulevée n’est pas dénuée de caractère sérieux.

La cour considère que [F D A B]. parla voix de son conseil, soulève un moyen opérant, dont il n’appartient pas à la cour d’appel d’apprécier la pertinence.

Il y a lieu de transmettre à la Cour de Cassation la question suivante, telle qu’elle est posée par le conseil du prévenu dans ses ultimes écritures:

“Les articles 728-48 alinéa 2 et 728-52 alinéa 2 du Code de procédure pénale dans leur rédaction actuellement en vigueur, portent-ils atteinte aux articles 2,6 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et à l'alinéa 10 du préambule de 1946 en ce qu'ils ne prévoient pas un recours juridictionnel effectif à l'encontre des décisions prises par le Ministère public de refus de reconnaissance et d'exécution de jugement étranger sur le territoire français dans le cas visé par l'article 728-11 3° du même code ?

Selon l'article 23-3 de la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009, “lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision du conseil d'État ou de la Cour de Cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil Constitutionnel. Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.Toutefois, il n’est sursis à statuer ni lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance, ni lorsque l’instance à pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté”.

En l'espèce, [F D A B] est actuellement libre. Il y a donc lieu de surseoir à statuer sur la requête déposée par [F D A B] à l'encontre de la décision prononcée le 3 mai 2021 par le Ministère Public.

Il sera statué sur ce recours par arrêt distinct.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de [F D A B], par décision non susceptible de recours

En la forme,

Déclaré le moyen recevable

Ordonne la transmission à la Cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

“Les articles 728-48 alinéa 2 et 728-52 alinéa 2 du Code de procédure pénale dans leur rédaction actuellement en vigueur, portent-ils atteinte aux articles 2,6 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et à l'alinéa 10 du préambule de 1946 en ce qui ne prévoient pas un recours juridictionnel effectif à l'encontre des décisions prises par Le Ministère public de refus de reconnaissance et d'exécution de jugements étrangers sur le territoire français dans le cas visé par l'article 728-11 3° du même code ?

Dit que la présente décision sera adressée par le greffe à la Cour de Cassation dans les huit jours de son prononcé avec les conclusions des parties relatives à la question prioritaire de constitutionnalité.

Dit qu'il y aura lieu, par arrêt distinct en date de ce jour, de surseoir à statuer sur la requête en contestation d'une décision de refus de reconnaissance et d'exécution d'un jugement étranger sur le territoire français.

COMPOSITION DE LA COUR:

PRÉSIDENT:

Madame HERMEREL Conseiller

ASSESSEURS :

Madame Béatrice BRUE, Conseillère

Madame Jeanne PELLEFIGUES, Conseillère

MINISTÈRE PUBLIC :

Monsieur Joaquim FERNANDEZ, Substitut Général

GREFFIER :

Madame Catherine LEBOULLEUX,

Le Président et les assesseurs ont participé à l'intégralité des débats sur le fond et au délibéré.

L'arrêt a été lu par le Président conformément à l'article 485 dernier alinéa du Code de Procédure Pénale en présence du Ministère Public et du Greffier.

LE PRESIDENT