Tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse

Jugement du 17 juin 2021, RG N° 11-20-000001

17/06/2021

Renvoi

TRIBUNAL JUDICIAIRE

32 avenue Alsace Lorraine

01000 BOURG EN BRESSE

REFERENCES A RAPPELER

RG N° 11-20-000001

N° :

copies délivrées le :

à :

FEDERATION CGT des personnels du commerce

Représentée par Me CONDEMINE Damien

CSF SAS

Représentée par Me WATRELOT Jérôme

SYNDICAT NATIONAL DE L'ENCADREMENT CARREFOUR

Représenté par Me MAUGER Emmanuel

FEDERATION DES SERVICES CFDT

FEDERTION DES SYNDICATS DU COMMERCE DES SERVICES

FEDERATION FGTA FO

SYNDICAT COMMERCE INDEPENDANT DEMOCRATIQUE

FEDERATION SUD COMMERCES ET SERVICES

UNION DES SYNDICATS ANTI PRECARITE

SYNDICAT NATIONAL CARREFOUR MARKET UNSA

Monsieur [E F]

Madame [A B]

Monsieur [G H]

Madame [C D]

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

contentieux électoral professionnel

JUGEMENT en date du 17 juin 2021

-------------------------------------

DEMANDEUR(S) :

FEDERATION CGT des personnels du commerce de la distribution et des services case 425

263 rue de Paris

93514 MONTREUIL

représentée par Me CONDEMINE Damien, avocat du barreau de LYON

DEFENDEUR(S) :

SAS CSF CARREFOUR SUPERMARCHE FRANCE

zone industrielle route de Paris

[LOCALITE 1]

représentée par Me WATRELOT Jérôme, avocat du barreau de PARIS, substitué par Me DALENCON Aymeric

SYNDICAT NATIONAL DE L'ENCADREMENT CARREFOUR CE-CGC - SNEC CFE-CGC

[adresse 2]

[LOCALITE 3]

représenté par Me MAUGER Emmanuel, avocat du barreau de PARIS, substitué par Me MESBAHI Dahbia

FEDERATION DES SERVICES CFDT

tour Essor

[adresse 4]

93508 PANTIN

non comparant

FEDERATION DES SYNDICATS DU COMMERCE DES SERVICES ET FORCE DE VENTE CSVF CFTC

34 rue de la LOIRE

75019 PARIS

non comparant

FEDERATION FGTA FO

7 passage Tenaille

75680 PARIS CEDEX 14

non comparant

SYNDICAT COMMERCE INDEPENDANT DEMOCRATIQUE SCID

Immeuble Actualis

21 boulevard Haussmann

[LOCALITE 5]

non comparant

FEDERATION SUD COMMERCES ET SERVICES

[adresse 6]

[LOCALITE 7]

non comparant

UNION DES SYNDICATS ANTI PREÉCARITE

26 rue de la Marne

[LOCALITE 8] non comparant

SYNDICAT NATIONAL CARREFOUR MARKET UNSA

21 rue Jules Ferry

93177 BAGNOLET

non comparant

Monsieur [E F]

[adresse 9]

[LOCALITE 10]

non comparant

Madame [A B]

chez Mme [I J]

[adresse 11]

[LOCALITE 12]

non comparante

Monsieur [G H]

[adresse 13]

[LOCALITE 14]

non comparant

Madame [C D]

[LOCALITE 15]

[LOCALITE 16]

non comparante

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : CHAUDIER Sara

Greffier : CRUS Laurence

EXPOSE DU LITIGE

En 2019, la société CARREFOUR SUPERMARCHE FRANCE (ci-après dénommée la société CSF) a organisé la mise en place d’un comité social et économique (ci-après dénommé CSE) au sein de huit établissements, outre un CSE central.

À l’occasion de ces élections, sept tribunaux d’instance (BOURGES, SAINT OMER, BELLEVY, RENNES, EVRY, SALON DE PROVENCE, TOULOUSE) ont été saisis en contestation des listes électorales, plus particulièrement concernant l’inscription sur ces lites des directeurs de magasins.

Pour l'établissement [LOCALITE 17], le premier tour des élections a néanmoins eu lieu du 26 au 29 novembre 2019 à [LOCALITE 18] ([...]).

Par requête reçue au greffe le 9 décembre 2019, la Fédération CGT des personnels de commerce de la distribution et des services a saisi le tribunal d’instance de BELLEY aux fins d’annulation des élections professionnelles pour le 3e collège, titulaires et suppléants, au sein de cet établissement aux motifs que les directeurs de magasin avaient, à tort, été inscrits en qualité d’électeurs.

Les parties ont été convoquées à l’audience du 16 décembre 2019, à laquelle l’affaire a été renvoyée devant le tribunal judiciaire de BOURG-EN-BRESSE, par application de l’article 95 de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et de l'article 40 du décret n°2019-912 du 30 août 2019 modifiant le Code de l'organisation judiciaire et pris en application de ladite loi, les tribunaux de grande instance et tribunaux d'instance étant remplacés par les tribunaux judiciaires, à compter du 1er janvier 2020, et ceux-ci ayant compétence en la matière.

Les parties ont été reconvoquées à l’audience du 15 janvier 2020, à laquelle l'affaire a été de nouveau renvoyée à l’audience du 27 février 2020.

Par Jugement en date du 27 février 2020, le tribunal judiciaire de BOURG-EN-BRESSE a, conformément à la demande des parties, prononcé un retrait du rôle dans l’attente de la décision de la Cour de cassation saisie d’un pourvoi à l’encontre de la décision rendue par le tribunal d’instance de SAINT OMER le 25 novembre 2019.

Par courrier reçu au greffe le 19 avril 2021, la Fédération CGT des personnels de commerce de la distribution et des services a sollicité la réinscription de l’affaire au rôle, la Cour de cassation ayant rendu son arrêt le 31 mars 2021.

Les parties ont été convoquées à l’audience du 20 mai 2021. Par courriel en date du 18 mai 2021, le Syndicat National de l’Encadrement du groupe Carrefour CFE-CGC (ci-après dénommé SNEC CFE-CGC) a communiqué au tribunal un mémoire aux fins de transmission à la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Le Ministère public, avisé de la question prioritaire de constitutionnalité posée, s’en est rapporté à la décision du tribunal, par écrit en date du 19 mai 2021.

L'affaire a fait l’objet d’un dernier renvoi à l’audience du 3 juin 2021.

À l'audience, la Fédération CGT des personnels de commerce de la distribution et des services, représentée par son avocat, conclut, par mémoire écrit, distinct des conclusions sur le fond, au rejet de la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité présentée au motif qu'elle serait dépourvue de caractère sérieux.

Elle observe tout d’abord que la question intervient tardivement dans la procédure.

Elle considère en outre que le droit de participer par l’intermédiaire des délégués, prévu à l’alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946, ne peut être confondu avec la faculté de participer au choix desdits délégués.

Elle souligne que les salariés exclus de l’électorat bénéficient, en leur qualité de salarié, des accords collectifs d'entreprises ou de branche relatifs aux conditions de travail, ainsi que des accords relatifs à l’intéressement et à la participation qui sont liés à la gestion de l’entreprise. Elle ajoute qu’ils peuvent également saisir les délégués pour faire valoir une difficulté personnelle ou donner un avis sur la gestion de l’entreprise.

Elle rappelle que la Cour de cassation a toujours encadré de manière claire et non équivoque les conditions de l'exclusion de l’électorat et de l’éligibilité, retenant les critères alternatifs suivants :

- soit le fait pour le salarié concerné de disposer d’une délégation écrite particulière d’autorité permettant d’être assimilé au chef d’entreprise,

- soit le fait de représenter l'employeur devant les instances représentatives du personnel.

Elle ajoute qu’il s’agit d’une position de bon sens, un salarié représentant l’employeur devant les instances représentatives du personnel ne devant naturellement pas disposer de la faculté de choisir ses interlocuteurs élus par les salariés.

Elle sollicite, dans l’hypothèse de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation, que le tribunal statue sur le fond, au regard du contentieux professionnel concerné, par nature urgent.

Sur le fond, reprenant ses conclusions écrites, elle sollicite, l’annulation des élections professionnelles, pour le 3e collège titulaires et suppléants, intervenues au sein de l’établissement [LOCALITE 19] de la société CSF ainsi que la condamnation de la société CSF à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de sa demande, elle prétend que la direction de la société CSF a, à tort, inscrit sur les listes électorales, en qualité d’électeurs, les directeurs de magasins, ce au mépris de la jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière et du jugement du tribunal de SAINT OMER du 25 novembre 2019, applicable à l’ensemble de l’entreprise et depuis confirmé par l’arrêt de la Cour de cassation du 31 mars 2021 ayant rejeté le pourvoi formé à son encontre.

Elle fait valoir que la participation au vote des directeurs de magasins, lesquels représentant 31 % de l’électorat du 3e collège, a nécessairement eu un impact sur les résultats et la représentativité. Elle ajoute que la participation au vote de salariés dépourvus de la qualité d’électeurs est contraire aux principes généraux du droit électoral.

Le SNEC CFE-CGC, représenté par son avocat, sollicite, aux termes d’un mémoire écrit, motivé et distinct de ses conclusions sur le fond, la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

“La disposition de l'article L.2314-8 du Code du travail telle qu'interprétée par la jurisprudence de la Cour de cassation, en privant certains travailleurs de la qualité d'électeur aux élections professionnelles, et en n encadrant pas mieux les conditions de cette exclusion et en ne les distinguant pas des conditions pour n'être pas éligibles,

ne méconnaît-elle pas le principe de participation des travailleurs par l'intermédiaire de leurs délégués à la détermination des conditions de travail à la gestion des entreprises défini au point 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ?”.

Elle fait valoir que les conditions de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité posée sont réunies.

Elle précise que la question porte sur une disposition légale (article L.23 14-18 du Code du travail) applicable au litige et n’a jamais été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Elle soutient également que cette question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. Ainsi, elle souligne que le principe de participation prévu au point 8 du préambule de la Constitution de 1946 est :

- un droit reconnu à chaque travailleur,

- un droit actif et effectif,

- un droit qui s’exerce par l’intermédiaire de la délégation du personnel, c’est à dire les élus mis en place par les élections professionnelles dans le cadre des institutions représentatives du personnel telles qu’elles sont prévues par les lois,

- un droit qui s’exerce collectivement : les délégués, pris collectivement, comme instances représentatives du personnel exerçant ce droit à participation,

- un droit qui porte tout d’abord sur la détermination des conditions de travail, afin d’en définir les principes, les contours et les mises en oeuvre effectives et concrètes dans les organisations du travail,

- un droit qui porte ensuite sur la gestion des entreprises c’est à dire la définition du modèle économique sur lequel l’entreprise se développe.

Or, elle prétend que les dispositions générales et imprécises de l’article L.2314-18 du Code du travail ne garantissent pas l’effectivité et la mise en oeuvre du droit constitutionnel visé. Elle ajoute que l’interprétation de la Cour de cassation est extensive et porte une atteinte disproportionnée au principe constitutionnel garanti. À cet égard, elle observe que la Cour de cassation a exclu les directeurs de magasin de la qualité d’électeurs alors même qu’elle a constaté qu’ils ne disposaient pas d’une pleine liberté dans l’embauche, la discipline et le licenciement des salariés de son magasin et que la notion de “représentation” de l'employeur devant les instances représentatives du personnel n’est pas précisée.

Elle considère que le principe de participation invoqué implique naturellement la participation aux élections professionnelles et ne saurait se limiter au “simple” bénéfice des accords collectifs ou de branche.

Elle rappelle que l’exclusion des directeurs de magasin de l’électorat de la région [LOCALITE 20] aboutit à écarter 31% de l’effectif du collège, ce qui conduit à une privation massive du droit de vote de toute une catégorie de salariés.

Sur le fond, reprenant ses conclusions écrites, il demande au tribunal de rejeter les demandes de la Fédération CGT des personnels de commerce de la distribution et des services et de la condamner à lui payer la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Il soutient que les directeurs de magasin ne disposent pas d’une délégation particulière d’autorité établie par écrit permettant de les assimiler à l’employeur au sens de la jurisprudence, une telle délégation ne devant pas être confondue avec une délégation de pouvoirs limités. Il relève que l’existence d’une telle délégation n’a d’ailleurs pas été retenue par les tribunaux d’instance et la cour de cassation saisis lors des élections de 2016. Il rappelle que les directeurs de magasin ne sont pas des cadres dirigeants et que les établissements distincts se situent au niveau des Directions opérationnelles et non des magasins. Ainsi, il constate que le directeur de magasin n’a pas d’autonomie de gestion, notamment de gestion du personnel. Il précise qu’en matière d’embauche, d’exercice du pouvoir disciplinaire et de rupture du contrat de travail, il exerce sa mission sous le contrôle de son supérieur hiérarchique.

Il rappelle que la jurisprudence a énoncé l’incompatibilité entre l’existence des droits électoraux et la représentation de employeur devant les instances représentatives du personnel, à l’époque la présidence du Comité d’entreprise, des Délégués du personnel et du Comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail. Il considère que cette jurisprudence doit être transposée dans le nouveau cadre législatif, soit la présidence du CSE, institution unique étant venue se substituer aux précédentes instances représentatives du personnel. En revanche, il considère que cette jurisprudence ne saurait s’appliquer à l’égard des représentants de proximité, dispositif non obligatoire, lesquels ne sont pas élus mais désignés. Il ajoute que vis à vis des représentants de proximité, le directeur de magasin, interlocuteur privilégié, a un rôle d’animation et non de représentation de l'employeur. Il rappelle que les représentants de proximité peuvent transmettre leurs réclamations au CSE d'établissement.

Enfin, il fait valoir que la qualité d’électeur est l’exercice concret du droit à la participation des travailleurs dont les directeurs de magasin ne sauraient être privés, à défaut de quoi ils se trouveraient dépourvus de toute représentation. Sur l’établissement [LOCALITE 21], il rappelle que les directeurs de magasin représentent 31% de l’effectif du collège, de sorte que leur exclusion porte une atteinte manifestement disproportionnée au principe de participation des travailleurs, injustifiée par leur rôle à l’égard des représentants de proximité.

Le société CSF, représentée par son avocat, sollicite, aux termes d’un mémoire écrit et distinct de ses conclusions sur le fond, la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité posée par le SNEC CFE-CGC.

Elle retient que la disposition légale de l’article L.2314-18 du Code du travail, telle qu’interprétée par la Cour de cassation, objet de la question prioritaire de constitutionnalité, est applicable au litige et n’a jamais été soumise au Conseil constitutionnel.

Elle estime en outre que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

Elle fait valoir que l’interprétation identique faite par la Cour de cassation dans son arrêt du 31 mars 2021, des conditions d'éligibilité et d’électorat, pourtant traités par deux articles distincts du Code du travail (L.23 14-18 et L.23 14-19) porte une atteinte disproportionnée au principe constitutionnel de participation des travailleurs invoqué. Elle considère en revanche que l’interdiction de représenter à la fois l’employeur, devant les autres salariés ou les institutions représentatives du personnel, et les salariés par l’exercice d’un mandat de représentant du personnel, ne s’oppose pas au principe de participation.

Elle considère que la conception extensive de la notion de salarié titulaire d’une délégation écrite particulière d’autorité faite par la Cour de cassation dans ce même arrêt, constitue également une atteinte disproportionnée au principe de participation en ce qu’elle conduit à priver du droit de vote des salariés qui n’exercent pas pleinement les pouvoirs du chef d’entreprise.

Elle souligne que l’exclusion retenue, qui concerne 31 % de l’électorat du collège concerné, constitue une privation massive du droit de vote de toute une catégorie de salariés, portant une atteinte disproportionnée au principe constitutionnel de participation des travailleurs.

Sur le fond, reprenant ses conclusions écrites, elle demande au tribunal de débouter la Fédération CGT des personnels de commerce de la distribution et des services de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que, pour exclure des salariés de l’électorat, il appartient au tribunal de vérifier l'existence d'une délégation particulière d’autorité, laquelle ne peut se déduire de la seule existence d’une délégation de pouvoirs. Or, elle observe, qu’au sein de la société CSF, les directeurs de magasin ne sont pas les seuls à disposer d’une délégation de pouvoirs, les Responsables des Relations Sociales en bénéficiant en matière de réglementation du travail et pour tout le personnel des magasins qui leur sont rattachés. Elle souligne que le rôle des directeurs de magasin est limité en matière d'embauche, en matière disciplinaire ainsi qu’en matière de rupture du contrat de travail.

Concernant le rôle du directeur de magasin à l’égard des représentants de proximité, elle rappelle que la décision de la Cour de cassation du 29 novembre 2017 ne concerne que la question de l’éligibilité des directeurs de magasin, exercice d’un mandat de représentation étant jugé incompatible avec la représentation de l’employeur devant les instances représentatives du personnel. [M] estime toutefois que cette solution ne saurait être étendue à la question de l’électorat des directeurs de magasin. Elle ajoute que le dispositif des représentants de proximité n’est pas obligatoire et que le rôle du directeur de magasin est limité à être l’interlocuteur privilégié, les Responsables des Relations Sociales disposant quant à eux de “fous pouvoirs pour assurer le bon fonctionnement et l'animation des institutions représentatives du personnel de la société, sur le périmètre dont il est en charge”. Elle précise que les représentants de proximité conservent également la faculté de transmettre leurs réclamations au CSE d’établissement présidé par le DRH de la direction opérationnelle, les magasins au sein desquels les directeurs exercent ne constituant pas des établissements distincts au sens du CSE.

Enfin, elle rappelle que l’exclusion des directeurs de magasin de l’électorat de la région [LOCALITE 22] aboutit à écarter 31% de l’effectif du collège, ce qui conduit à une privation massive du droit de vote de toute une catégorie de salariés et caractérise une atteinte manifestement disproportionnée et injustifiée au principe constitutionnel de participation des travailleurs.

La Fédération des services CFDT, régulièrement convoquée, n’est pas représentée.

La Fédération des syndicats du commerce des services et force de vente CSVF-CFTC, régulièrement convoquée, n’est pas représentée.

La Fédération FGTA FO, régulièrement convoquée, n’est pas représentée.

Le Syndicat Commerce Indépendant Démocratique, régulièrement convoqué, n’est pas représenté.

La Fédération Sud commerces et services-solidaires, représentée à l’audience du 20 mai 2021, et avisée de la date de renvoi, n’est pas représentée.

L'Union des Syndicats anti-précarité, régulièrement convoquée, n’est pas représentée.

Le Syndicat national Carrefour Market UNSA, régulièrement convoqué, n’est pas représenté.

Monsieur [F E] , régulièrement convoqué, n’est pas représenté.

Madame [B A], régulièrement convoquée, n’est pas représentée.

Monsieur [H G], régulièrement convoqué, n’est pas représenté.

Madame [D C], régulièrement convoquée, n’est pas représentée.

L'affaire a été mise en délibéré au 17 juin 2021.

MOTIFS

I- Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité

En application des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, créés par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 :

“ Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office.

Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis.

Si le moyen est soulevé au cours de l'instruction pénale, la juridiction d'instruction du second degré en est saisie.

Le moyen ne peut être soulevé devant la cour d'assises. En cas d'appel d'un arrêt rendu par la cour d'assises en premier ressort, il peut être soulevé dans un écrit accompagnant la déclaration d'appel. Cet écrit est immédiatement transmis à la Cour de cassation.”

“ La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites,

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de là question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation.

La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.”

En l'espèce, il est constant que la question prioritaire de constitutionnalité posée concerne une disposition légale, l'article L.2314-18 du Code du travail définissant les électeurs au CSE, telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour de cassation, applicable au litige relatif à la participation des directeurs de magasin de la société CSF aux élections du CSE.

Il n’est pas davantage discuté que cette disposition n’a pas fait l’objet d’une décision de conformité à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Les deux premières conditions pour la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation sont donc remplies.

Le débat porte sur le fait que la question soit ou non dépourvue de caractère sérieux.

A cet égard, 1l y a lieu de rappeler qu’une question de prioritaire de constitutionnalité peut être posée à tous les stades d’un procès.

Il convient en outre de rappeler que le point 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 énonce que “Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises”.

Si l'article L.2314-18 du Code du travail prévoit que “Sont électeurs les salariés des deux sexes, âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dons l'entreprise et n'ayant fait l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques”, la Cour de cassation considère dans sa jurisprudence constante, reprise dans son arrêt du 31 mars 2021 (n°pourvoi 19-25.233), qu’il résulte de ces dispositions, ainsi que de celles de l’article L.2314-19 du Code du travail (relatives à l’éligibilité au CSE), que “ne peuvent ni exercer un mandat de représentation du personnel ni être électeurs, les salariés qui, soit disposent d'une délégation écrite particulière d'autorité leur permettant d'être assimilés au chef d'entreprise, soit représentent effectivement l'employeur devant les institutions représentatives du personnel”.

Il convient toutefois d’observer que la jurisprudence publiée la plus importante concerne des litiges relatifs à l’éligibilité de salariés disposant d’une délégation écrite particulière d’autorité ou représentant l’employeur devant les instances représentatives du personnel. À cet égard, l’incompatibilité entre l’interdiction de représenter à la fois l'employeur, devant les autres salariés ou les institutions représentatives du personnel, et les salariés par l’exercice d’un mandat de représentant du personnel, n’est pas contestée au regard de la norme constitutionnelle.

Il apparaît néanmoins que la situation est différente s’agissant de l’électorat, la norme constitutionnelle invoquée garantissant la participation de “tout travailleur, par l'intermédiaire de ses délégués” à la détermination collective des conditions de travail et la gestion des entreprises.

Le principe d’une participation par l’intermédiaire de délégués choisis apparaître impliquer une participation au vote, et ne peut se limiter au fait, pour certains salariés, de bénéficier d'accords collectifs relatifs aux conditions de travail et à la gestion des entreprises.

En outre, les contours de la notion d’institutions représentatives du personnel, et la place, à cet égard, des représentants de proximité, est susceptible d’interrogations, au regard notamment des attributions qui peuvent leur être dévolues par les accords d’entreprise les constituant.

Or, l’interprétation par la jurisprudence de l’article L.23 14-18 du Code du travail conduit à exclure de l’électorat une catégorie entière de salariés, non négligeable puisque représentant 31 % de l’électorat du collège concerné, et ainsi à les priver du choix de délégués, par l’intermédiaire desquels, ces salariés pourraient participer à la détermination collective des conditions de travail et la gestion des entreprises.

Dans ces conditions, il apparaît que la question posée n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

Elle sera en conséquence transmise à la Cour de cassation, dans les termes retenus par le SNEC CFE-CGC, sauf à substituer à l’article L.2314-8 du Code du travail visé, l’article L.2314-18 du Code du travail, la mention erronée de l’article L.2314-8 du Code du travail apparaissant ressortir d’une simple erreur matérielle, les dispositions reprises dans le corps du mémoire et applicables au litige étant bien celles de l’article L.2314-18 du Code du travail.

II- Sur le fond

L'article L.23-3 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, créés par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 prévoit que :

“Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.

Toutefois, il n'est sursis à statuer ni lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance ni lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté.

La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Si la juridiction de première instance statue sans attendre et s'il est formé appel de sa décision, la juridiction d appel sursoit à statuer. Elle peut toutefois ne pas surseoir si elle est elle-même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence.

En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les Points qui doivent être immédiatement tranchés.

Si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, celle du Conseil constitutionnel, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu'il n'a pas été statué sur la question prioritaire de constitutionnalité. Il en va autrement quand l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.”

En l'espèce, si le contentieux des élections professionnelles est encadré par de brefs délais, le présent litige ne revêt plus de caractère d’urgence de sorte qu’il sera sursis à statuer dans l’attente de la décision de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant, après débats en audience publique, par jugement en dernier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

La disposition de l’article L.2314-18 du Code du travail telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour de cassation, en privant certains travailleurs de la qualité d’électeur aux élections Professionnelles, et en n’encadrant pas mieux les conditions de cette exclusion et en ne les distinguant pas des conditions pour n'être pas éligibles, ne méconnaît-elle pas le principe de participation des travailleurs par l'intermédiaire de leurs délégués à la détermination des conditions de travail à la gestion des entreprises défini au point 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ?

SURSOIT à statuer, dans l’attente de la décision de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel, sur l’ensemble des demandes.

DIT que seront transmis à la Cour de cassation :

- le mémoire aux fins de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité du Syndicat SNEC CFE-CGC,

- le mémoire en réponse à la question prioritaire de constitutionnalité de la société CSF SAS,

- le mémoire en défense sur la question prioritaire de constitutionnalité de la Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services,

- l’avis du Ministère public en date du 19 mai 2021,

DIT que le sursis à statuer suspend le cours de l'instance, laquelle sera poursuivie à la diligence de la juridiction, dès qu’elle sera informée de la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité.

Le greffier