Tribunal judiciaire de Toulouse

Jugement du 7 mai 2021 n° 1712/21

07/05/2021

Renvoi

Cour d’Appel de Toulouse

Tribunal judiciaire de Toulouse

Jugement prononcé le : 07/05/2021

Chambre Correctionnelle Collégiale

N° minute : 1712/21

N° parquet 19213000360

Affaire jointe n° 19214000088

Plaidé le 13/04/2021

Délibéré le 07/05/2021

JUGEMENT CORRECTIONNEL

A l'audience publique du Tribunal Correctionnel de Toulouse le TREIZE AVRIL DEUX MILLE VINGT ET UN,

Composé de :

Président : Monsieur BONHOMME, juge,

Assesseurs : Madame BRION, vice-président,

Monsieur MAGOGA, magistrat à titre temporaire,

Assistés de Madame LAFFARGUE, greffière,

en présence de Madame TREBUCHET, vice-procureure placée,

a été appelée l’affaire

ENTRE:

Monsieur le PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE, près ce tribunal, demandeur et poursuivant

Madame [D E], élisant domicile chez Me BRANDELY Cécile [adresse 1], partie civile, comparante et assistée de Maître BRANDELY Cécile, avocat au barreau de TOULOUSE, et Maître GRAVÉ Michel, avocat au barreau de PARIS,

Monsieur [F G], élisant domicile chez Me BRANDELY Cécile [adresse 2], partie civile, comparante et assistée de Maître BRANDELY Cécile, avocat au barreau de TOULOUSE, et Maître GRAVÉ Michel, avocat au barreau de PARIS,

ET

Prévenu

Nom : [C B]

né le [DateNaissance 3] 1970 à [LOCALITE 4] ([LOCALITE 5])

Nationalité : française

Situation professionnelle : directeur de recherches

Antécédent judiciaire : jamais condamné

Demeurant : [adresse 6]

Situation pénale : libre

comparant et assisté de Maître ÉGÉA-AUSSEIL Pierre et Maître HÉRIN-AMABILE Thomas, avocats au barreau de TOULOUSE,

Prévenu des chefs de :

DIFFAMATION ENVERS UN FONCTIONNAIRE, UN DEPOSITAIRE DE L'AUTORITE PUBLIQUE OU UN CITOYEN CHARGE D'UN SERVICE PUBLIC PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OU MOYEN DE COMMUNICATION AU PUBLIC PAR VOIE ELECTRONIQUE

DEBATS

A l’appel de la cause, le président a constaté la présence et l’identité de [C B] et a donné connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal.

Le président a fait un rappel de la procédure.

Maître ÊGÉA-AUSSEIL et Maître HÉRIN-AMABILE ont déposé, par un mémoire écrit et distinct, une question prioritaire de constitutionnalité et ont été entendus.

Le ministère public a déposé des observations écrites et a été entendu sur la question prioritaire de constitutionnalité.

Maître GRAVÉ et Maître BRANDELY pour les parties civiles a déposé un mémoire écrit et ont été entendus.

Les parties en présence ont été entendues.

Le greffier a tenu note du déroulement des débats.

Puis à l'issue des débats tenus à l'audience du TREIZE AVRIL DEUX MILLE VINGT ET UN, le tribunal a informé les parties présentes ou régulièrement représentées que le jugement serait prononcé le 7 mai 2021 à 14 heures.

A cette date, vidant son délibéré conformément à la loi, le tribunal, composé de :

Président : Monsieur BONHOMME Romain, juge,

Assesseurs : Madame PIBAROT Sarah, juge,

Madame CHEVALIER Armelle, magistrat à titre temporaire,

Assisté de Madame REYNOLDS Emmanuelle, greffière, et en présence du ministère public, a donné lecture de la décision, en vertu de l'article 485 du code de procédure pénale.

Le tribunal a délibéré et statué conformément à la loi en ces termes :

Dossier n° 19214000088 :

[C B] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel par ordonnance de Madame BLANS Éthel, juge d'instruction, rendue le 24 décembre 2019.

[C B] a été cité à l'audience du 23 juin 2020 selon acte d’huissier de justice.

A cette date, l'affaire a été renvoyée contradictoirement à l'audience du 8 septembre 2020, puis à l'audience du 24 novembre 2020, date à laquelle l'affaire a été renvoyée contradictoirement à l'audience du 2 février 2021, date à laquelle l'affaire a été renvoyée contradictoirement à l'audience du 13 avril 2021.

Il est prévenu :

- pour avoir à [LOCALITE 7] et en tout cas sur le territoire national, publiquement diffusé le mail envoyé à Monsieur [F] le 19 avril 2019 lors du Conseil de Laboratoire du 19 avril 2019 dans lequel étaient formulés ces propos : « un mode managérial fermé et basé sur la peur, qui donne lieu à une .forte pression psychologique et un risque psychosocial élevé, source de souffrance au travail », « ces dérives managériales sont systématiques », « éviter tout lien de dépendance et de peur vis-à-vis des responsables d'équipe », « le laboratoire mettre en oeuvre une veille pour s'assurer que la pression de travail reste dans des limites tolérables, car certains moyens de pression ne sont définitivement plus acceptables (dévalorisation, crainte pour sa carrière, etc.) ».

- pour avoir à [LOCALITE 8] et en tout cas sur le territoire national, publié le 26 avril 2019 le compte rendu du laboratoire du 19 avril 2019 sur l'adresse structurelle du laboratoire dans lequel étaient formulés ces propos : « un mode managérialfermé et basé sur la peur qui donne lieu à une forte pression psychologique et un risque psychosocial élevé, source de souffrance au travail », « ces dérives managériales sont systématiques », « éviter tout lien de dépendance et de peur vis-à-vis des responsables d'équipe », «. le laboratoire mettre en oeuvre une veille pour s'assurer que la pression de travail reste dans des limites tolérables, car certains moyens de pression ne sont définitivement plus acceptables (dévalorisation, crainte pour sa carrière, etc.) ».

- pour avoir à [LOCALITE 9] et en tout cas sur le territoire national, publié le 26 avril 2019 un mail à multiple destinataire dans lequel étaient formulés ces propos : « certains modes de communication et de fonctionnement des leaders de l'équipe SYSCOS » « mettent en exergue un risque psychosocial élevé au sein de SYSCOS», « dénigrement répété des personnes », « gouvernance par la peur et la pression ; contrôle permanent, obligation de conformité à la majorité », « mépris et culpabilisation », «communication abusive et dénigrante envers les populations dépendantes (COD, doctorants)»., faits prévus par ART.31 AL.l, ART.23 AL.l, ART.29 AL.l, ART.42 LOI DU 29/07/1881. ART.93-3 LOI 82-652 DU29/07/1982. et réprimés par ART.31 AL.l, ART. 30 LOI DU 29/07/1881.

Dossier n° 19213000360 :

[C B] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel par ordonnance de Madame BLANS Éthel, juge d'instruction, rendue le 24 décembre 2019.

[C B] a été cité à l'audience du 23 juin 2020 selon acte d’huissier de justice.

A cette date, l'affaire a été renvoyée contradictoirement à l'audience du 8 septembre 2020, puis à l'audience du 24 novembre 2020, date à laquelle l'affaire a été renvoyée contradictoirement à l'audience du 2 février 2021, date à laquelle l'affaire a été renvoyée contradictoirement à l'audience du 13 avril 2021.

Il est prévenu :

- pour avoir, à [LOCALITE 10] et en tout cas sur le territoire national, publiquement diffusé le mail envoyé à Madame [D] le 19 avril 2019 lors du Conseil de Laboratoire du 19 avril 2019 dans lequel étaient formulés ces propos : « un mode managérial fermé et basé sur la peur, qui donne lieu à une forte pression psychologique et un risque psychosocial élevé, source de souffrance au travail », « ces dérives managériales sont systématiques », « éviter tout lien de dépendance et de peur vis-à-vis des responsables d’équipe », « le laboratoire mettre en ?uvre une veille pour s'assurer que la pression de travail reste dans des limites tolérables, car certains moyens de pression ne sont définitivement plus acceptables (dévalorisation, crainte pour sa carrière, etc.) ».

- pour avoir, à [LOCALITE 11] et en tout cas sur le territoire national, publié le 26 avril 2019 le compte rendu du laboratoire du 19 avril 2019 sur l'adresse structurelle du laboratoire dans lequel étaient formulés ces propos : « un mode managérial fermé et basé sur la peur, qui donne lieù à une forte pression psychologique et un r isque psychosocial élevé, source de souffrance au travail », « ces dérives managériales sont systématiques », « éviter tout lien de dépendance et de peur vis-à-vis des responsables d'équipe », « le laboratoire mettre en ?uvre une veille pour s'assurer que la pression de travail reste dans des limites tolérables, car certains moyens de pression ne sont définitivement plus acceptables (dévalorisation, crainte pour sa carrière, etc.) ».

- pour avoir, à [LOCALITE 12] et en tout cas sur le territoire national, publié le 26 avril 2019 un mail à multiple destinataire dans lequel étaient formulés ces propos : « certains modes de communication et de fonctionnement des le'aders de l'équipe SYSCOS » « mettent en exergue un risque psychosocial élevé au sein de SYSCOS», « dénigrement répété des personnes », « gouvernance par la peur et la pression ; contrôle permanent, obligation de conformité à la majorité», «mépris et culpabilisation», «communication abusive et dénigrante envers les populations dépendantes (COD, doctorants)».

faits prévus par ART.31 AL.l, ART.23 AL.l, ART.29 AL.l, ART.42 LOI DU 29/07/1881. ART.93-3 LOI 82-652 DU 29/07/1982. et réprimés par ART.31 AL.l, ART.30 LOI DU 29/07/1881.

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[C B] a comparu assisté de ses conseils; il y a lieu de statuer contradictoirement à son égard.

I - RAPPEL DES FAITS :

Le 17 juillet 2019, [G F] et [E D] chercheurs titulaires à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), établissement public dépendant du Laboratoire d'Études en Géophysique et Océanographie Spatiales (LEGOS) déposaient chacun une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Toulouse, contre [B C], directeur du LEGOS du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, délit prévu et réprimé par les articles 23, 29 alinéa 1er, 30 et 31 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, lui reprochant, en substance, d'avoir diffusé différents messages évoquant leurs techniques managériales fondées sur la pression.

Le 24 septembre 2019, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Toulouse requérait l'ouverture de deux informations judiciaires pour chacune des parties civiles du chef de diffamation envers un fonctionnaire, un dépositaire de l'autorité publique ou un citoyen chargé d'un service public par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique.

Le 30 septembre 2019, le magistrat instructeur délivrait une commission rogatoire au commissaire principal de [LOCALITE 13] aux fins d'identifier les auteurs et les entendre.

Le 23 octobre 2019, les policiers procédaient à l'audition de M. [C].

Le 13 novembre 2019, le juge d'instruction lui adressait une convocation pour un interrogatoire de première comparution fixé à la date du 3 décembre 2019. À l'issue de cet interrogatoire, le juge d'instruction mettait M. [C] en examen pour chacun des deux dossiers du chef de diffamation envers un fonctionnaire, un dépositaire de l'autorité publique ou un citoyen chargé d'un service public par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique.

Le même jour, le magistrat instructeur avisait les parties, en application de l'article 175-1 du Code de procédure pénale, qu'il considérait l'instruction terminée et transmettait le dossier au procureur de la République pour règlement.

Les 9 et 16 décembre 2019, le conseil des parties civiles déposait auprès du juge d'instruction des demandes d'actes visant à l'identification et à la mise en examen d'éventuels co-auteurs ou complices des faits reprochés à M. [C].

Dans chacun des deux dossiers, le procureur de la République requérait, le 17 décembre 2019, le renvoi [A' B C] devant le tribunal correctionnel de [LOCALITE 14].

Le 23 décembre 2019, le juge d'instruction rejetait les demandes d'acte présentées par les parties civiles et ordonnait le renvoi de M. [C] devant le tribunal correctionnel de [LOCALITE 15].

Le 10 mars 2020, M. [C] déposait, sur le fondement de l'article 173-1 du code de procédure pénale, une requête aux fins de voir prononcer la nullité de la convocation pour l'interrogatoire de première comparution, de T interrogatoire ainsi que celle de tous actes ultérieurs dont la convocation et l'interrogatoire sont le support nécessaire, et de voir constater la prescription de l'action publique.

Au soutien de cette requête en annulation, M. [C] faisait valoir que la convocation et l'interrogatoire de première comparution avaient été effectués en ’ violation des dispositions de l'article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 qui impose notamment au juge d'instruction d'attendre un délai d’un mois entre la convocation et l'interrogatoire de première comparution pour permettre à la personne concernée de faire ses observations. Il expliquait avoir reçu la lettre du juge d'instruction le 13 novembre 2019 et rappelait avoir été mis en examen le 3 décembre 2019.

Le procureur général requérait à la recevabilité de la requête de M. [C] et l’annulation de la convocation et de l'interrogatoire de première comparution, ainsi que de la procédure ultérieure, dont l'ordonnance de renvoi devant le tribunal.

Par arrêt du 17 décembre 2020 la chambre de l'instruction de la cour d’appel de Toulouse déclarait irrecevable la requête en nullité déposée le 10 mars 2020 considérant que les dispositions des articles 173 et 173-1 du code de procédure pénale figurent à la section X du titre relatif aux juridictions d'instruction (« des nullités de l'information ») mais ne figurent pas à la section XI (« dés ordonnances de règlement »), les parties ne pouvant dès lors utiliser ces dispositions alors que le dossier est au stade du règlement.

II - SUR LA JONCTION DES PROCEDURES

L’article 387 du code de procédure pénale dispose que lorsque le tribunal est saisi de plusieurs procédures visant des faits connexes, il peut en ordonner la jonction soit d'office, soit sur réquisition du ministère public, ou à la requête d'une des parties.

Les parties et le procureur de la République, interrogés à l’audience sur l’opportunité d’une jonction des dossiers où Mme [D] et M. [F] sont parties civiles contre M. [C], ne s’opposent pas au principe d’une jonction des dossiers n° 2019213000360 ([D]) et n°2019214000088 ([F]).

Il sera ordonné la jonction de ces deux procédures portant sur un même prévenu et des faits connexes.

III - SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ SOULEVÉE AVANT-DIRE DROIT PAR LES CONSEILS DE M. [C]:

Le conseil de M. [C] a déposé, avant que l’affaire ne soit abordée, un mémoire intitulé « question prioritaire de constitutionnalité », visé par le greffe et transmis au ministère public, par lequel il demande au tribunal, sur le fondement de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de la Constitution et de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel de :

- transmettre sans délai la présente question à la Cour de cassation ainsi formulée :

« La mise en œuvre combinée de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, dans sa rédaction issue de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 (article 54XIII de la loi), en ce qu’il rend inapplicables les dispositions des III à VIII de l’article 175 du code de procédure pénale qui régissent la clôture et le règlement de l'instruction, et de l'article 385 alinéa 3 du code de procédure pénale en ce qu’il prévoit que le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu 'il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l instruction porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier aux droits de la défense, au droit à un procès équitable et au droit à exercer un recours effectif devant une juridiction lesquels résultent de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ? »

- surseoir à statuer dans l’attente d’une décision sur la présente question prioritaire de constitutionnalité.

Au sein de ses réquisitions écrites, développées oralement à l’audience, le ministère public soutient que la disposition contestée était applicable au litige, qu’elle n’avait pas fait l’objet d’une déclaration de conformité antérieure et qu’elle n’était pas dépourvue de caractère sérieux. Il demande au tribunal de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.

*

L’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

L’article 23-2 dispose quant à lui que la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation, et qu’il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1. La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites,

2. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances,

3. La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

Il est indiqué dans ce texte que la décision de transmettre la question est adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties et qu’elle n'est susceptible d'aucun recours. Il est par ailleurs dit que le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.

L’article 23-3 de l’ordonnance précise quant à lui que lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel, que le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.

A) Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité :

Le tribunal constate que, conformément aux dispositions de l’article 23-1 et de l’article R49-21 du Code de procédure pénale les reprenant, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [C] a fait l’objet d’un mémoire écrit, distinct et motivé, lequel a été visé par le greffe avant l’audience et transmis au ministère public.

La question prioritaire de constitutionnalité soulevée doit dès lors être déclarée recevable.

B) Sur les conditions de fond présidant à la transmission de la question à la Cour de cassation

i. La disposition doit être de nature législative ou constitue une interprétation jurisprudentielle constante :

Il apparaît en premier lieu que les dispositions critiquées, à savoir celles du dernier alinéa de l'article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, sont de nature législatives, comme issues de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

ii. La disposition contestée ne doit pas avoir été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel :

Il apparaît que la disposition contestée n’a pas été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Si la loi du 23 mars 2019 a été soumise avant sa promulgation au Conseil constitutionnel, celui-ci a pris soin de préciser dans sa décision n° 2019-778 DC en date du 21 mars 2019 qu’il « n'a soulevé d'office aucune autre question de conformité à la Constitution et ne s'est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision » (point 395), parmi lesquelles ne figure pas l’article 54-XIII d’où est issu le dernier alinéa de l’article 51-1 nouveau de la loi du 29 juillet 1881.

Il apparaît par ailleurs, en l’état des recherches effectuées ce jour sur le site internet de la Cour de cassation, que la question ainsi posée n’a pas déjà été transmise à cette juridiction.

iii. La disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites :

Il convient de rappeler que, en matière d’information judiciaire, le législateur a conçu un système dit de purge des nullités consistant à prévoir un délai imparti aux parties pour déposer, tout au long de l’instruction, une requête en annulation des actes de procédure, comprenant notamment l’enquête de police, l’interrogatoire de première comparution et les différents interrogatoires au fond. En droit commun, à la clôture de l’information judiciaire, les parties gardent la faculté, sur le fondement de l’article 175 du code de procédure pénale, de déposer une requête pour les actes non couverts par les forclusions précédentes après l’envoi par le magistrat instructeur de l’avis de clôture de son information.

En contrepartie des possibilités offertes aux parties de soulever des nullités pendant la procédure d’instruction préalable, le législateur a prévu à l’article 385 alinéa premier du code de procédure pénale que, lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction, le tribunal correctionnel n’a pas qualité pour statuer sur les éventuelles nullités de la procédure qui lui est transmise. Ce principe étant conforté par les dispositions de l’article 179 dernier alinéa du code de procédure pénale qui prévoient que l’ordonnance de renvoi de l’affaire devant le tribunal correctionnel couvre, s’il en existe, les vices de la procédure.

L’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 contesté par M. [C] prévoit que les articles III à VIII de l'article 175 du code de procédure pénale sont inapplicables en matière d'infractions de presse et font ainsi obstacle à la possibilité pour les parties de formuler des demandes d'actes ou des requêtes après l'avis de fin d'information. En revanche, l’article 385 du code de procédure pénale, en ce qu’il interdit de soulever devant la juridiction de jugement des éventuelles nullités de la procédure antérieure, demeure quant à lui applicable.

Dans ces conditions, le tribunal, tenant compte du fait que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur l’application combinée des articles 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 et de l’article 385 du code de procédure pénale, considère que la disposition contestée est applicable au litige.

iv. La question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux :

Il est demandé au juge du fond de vérifier que la question posée ne présente pas de caractère visiblement fantaisiste ou dilatoire, si elle est suffisamment précise quant aux dispositions législatives critiquées et aux textes et principes constitutionnels présentés comme non respectés et si le moyen soulevé semble opérant.

M. [C] fait valoir que l'article 51-1 du la loi du 29 juillet 1881 viole les droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, les parties se trouvant dans l’impossibilité, postérieurement à l'avis de fin d'information de présenter des demandes d'actes et autres requêtes en nullité. Il indique que l’atteinte aux droits de la défense et au droit à un recours juridictionnel effectif est d'autant plus caractérisée qu'en matière de presse l’instruction se résume le plus souvent à une mise en examen, dans la foulée de laquelle le juge d'instruction délivre l'avis de fin d'information comme cela fut le cas en l’espèce.

La question posée par M. [C] pose la question d’une atteinte aux droits de la défense tels que protégés par l’article 16 de la Déclaràtion des droits de l'homme et du citoyen de 1789, au droit à un recours juridictionnel effectif, résultant lui aussi de l'article 16 précité ; elle fait référence également aussi au principe d'égalité. Il ne fait nul doute que la violation de ces droits peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Les termes de la question soulevée sont précis et les moyens soulevés, à les supposer établis, sont de nature à porter objectivement atteinte aux principes fondamentaux et par conséquent la question ne peut être considérée comme fantaisiste ou dilatoire.

Les conditions posées par l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 étant réunies, il y a lieu de transmettre à la Cour de cassation là question prioritaire de constitutionnalité suivante : «La mise en œuvre combinée de l'article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, dans sa rédaction issue de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 (article 54XIIIde la loi), en ce qu’il rend inapplicables les dispositions des III à VIII de l'article 175 du code de procédure pénale qui régissent la clôture et le règlement de l'instruction, et de l'article 385 alinéa 3 du code de procédure pénale en ce qu 'il prévoit que le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu 'il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la'chambre de l’instruction porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier aux droits de la défense, au droit à un procès équitable et au droit à exercer un recours effectif devant une juridiction lesquels résultent de l'article 16 de là Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ? ».

IV SUR L'ACTION PUBLIQUE ;

11 convient de surseoir à statuer sur l’action publique dans l’attente de la décision de la Cour de cassation ou le cas échéant du Conseil constitutionnel.

Il appartiendra au ministère public de citer M. [C] à la première audience utile afin qu’il soit statué sur l’action publique, une fois rendue la décision de la Cour de cassation, voire celle du Conseil constitutionnel.

Il sera rappelé qu’en matière d’infraction à la loi sur la presse, il appartient également à la partie civile de veiller aux délais de procédure s’agissant notamment de l’acquisition de l’action publique.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant en audience publique, par jugement contradictoire à l’égard de [B C], [E D] et [G F] et insusceptible de recours.

Ordonne la jonction du dossier n°19214000088 avec le dossier n°19213000360

AVANT-DIRE DROIT

Déclare recevable la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [C] par le biais d’un mémoire déposé par ses conseils,

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :.« La mise en œuvre combinée de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, dans sa rédaction issue de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 (article 54 XIII de la loi), en ce qu’il rend inapplicables les dispositions des III à VIII de l'article 175 du code de procédure pénale qui régissent la clôture et le règlement de l'instruction, et de l'article 385 alinéa 3 du code de procédure pénale en ce qu 'il prévoit que le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu 'il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier aux droits de la défense, au droit à un procès équitable et au droit à exercer un recours effectif devant une juridiction lesquels résultent de l'article 16 delà Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ? »

Dit que la présente décision sera adressée par le greffe du tribunal correctionnel à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité.

SUR L’ACTION PUBLIQUE

Sursoit à statuer sur les poursuites engagées à l’encontre de M. [C] jusqu’à ce qu’il soit statué sur la question ainsi transmise par la Cour de cassation et le cas échéant par le Conseil constitutionnel,

Dit qu’il appartiendra au ministère public, une fois ces décisions rendues, de citer M. [C] à la première audience utile afin qu’il soit statué sur les poursuites engagées à son encontre.

et le présent jugement ayant été signé par le président et la greffière.

LA GREFFIÈRE

LF PRÉSIDENT