Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 19 mars 2021, N° Dossier : 2020/03527

19/03/2021

Renvoi

COUR D’APPEL DE PARIS

6, boulevard du Palais

75055 PARIS Cedex 01

N° Dossier : 2020/03527

N° BO : P19141000525

Chambre 4 - Pôle 7

ARRÊT DE TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

N° de minute : 3

Le 19 mars 2021,

La Cour, composée lors des débats, du délibéré et du prononcé de l'arrêt de :

Mme TRAORE, Conseillère faisant fonction de Présidente, désigné par ordonnance du premier président en date du 3 février 2021 pour faire fonction de Présidente à la chambre de l’instruction de la Cour d'appel de Paris

Mme LACHEZE, Conseillère

M. ALBERT, Magistrat honoraire juridictionnel

tous trois désignés en application des dispositions de l'article 191 du code de procédure pénale

GREFFIER : Mme VANRIEST, Greffier, lors des débats et du prononcé de l'arrêt

MINISTÈRE PUBLIC : Mme MEYNARD, Avocat Général, lors des débats et lors du prononcé de l'arrêt

Vu les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel :

Vu les articles R. 49-25 et suivants du Code de Procédure Pénale :

Vu la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct et motivé le 03 avril 2020 par Madame [A B-C épouse E] représentée par Maitre Nicolas DOMENECH ;

Vu l'avis du ministère public en date du 17 juillet 2020 ;

Madame [A B-C épouse E] représentée par son conseil Maître Nicolas DOMENECH demande la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité ainsi formulée :

"Les dispositions de l'article 54 XIII de la loi 2019-222 du 23 mars 2019 «de programmation 2018- 2022 et de réforme pour la justice» et donc de l'article 51-1 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881 «sur la liberté de la presse», en ce qu'elles prévoient que les dispositions des III à VIII de l'article 175 du code de procédure pénale définissant le droit commun en matière de demande d'acte d'instruction complémentaire, d'observations et d'incidents procéduraux contentieux en fin d'instruction. ne sont pas applicables aux procédures d'instruction concernant les injures et les diffamations prévues par les dispositions de la seconde de ces lois, sans pour autant instituer à la place un mécanisme alternatif de voies de droit permettant à la personne mise en examen de chef d'injure ou de diffamation de se défendre efficacement en sollicitant des investigations, en présentant des observations ou en soulevant des incidents contentieux procéduraux à là fin de la phase d'instruction ou postérieurement à celle-ci, sont-elles contraires ou non-conformes aux principes généraux de valeur constitutionnelle des droits de la défense en matière pénale {articles 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789), du droit à une procédure pénale juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties (articles 7, 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789), du droit d'accès effectif au juge judiciaire (article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789) et du droit à un recours effectif devant un juge indépendant dans le respect des droits de la défense (article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789)"

Le conseil fait valoir en premier lieu que les dispositions de l’article 54 XIII de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 et de l’article 51-1 de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, sont manifestement applicables au présent litige et n'ont pas, préalablement et expressément. fait l’objet d'une déclaration de conformité à la Constitution. De plus, aucune décision de la Cour de cassation n'a tranché cette question prioritaire de constitutionnalité qui intéresse le présent litige et apparaît donc nouvelle.

Le conseil considère ensuite que l’article 51-1 al. 6 de la Loi du 29 juillet 1881 “sur la liberté de la presse”, créé par l’article 54 de la Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, porte une atteinte extraordinaire aux principes des droits de la défense, du droit à un procès équitable et du droit au juge, atteinte dont le mobile légistique, en dernière analyse, n’est que comptable et budgétaire.

Qu'il est absolument constant que ces principes de droit susvisés ont une valeur constitutionnelle :

1°) le principe général des droits de la défense en matière pénale est reconnu et consacré par les articles 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, ainsi que par les principes fondamentaux reconnus par les droits de la République :

2°) le principe général du droit à une procédure pénale juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties est reconnu et consacre par les articles 7, 8.9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. ainsi que par les principes fondamentaux reconnus par les droits de la République :

3°) le principe général du droit d'accès effectif au juge judiciaire reconnu et consacré par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, ainsi que par les principes fondamentaux reconnus par les droits de la République :

4°)le principe général du droit à un recours effectif devant un juge indépendant dans le respect des droits de la défense reconnu et consacré par l’article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. ainsi que par les principes fondamentaux reconnus par les droits de la République.

Enfin. pour le conseil, cette question est sérieuse en ce que :

- tout le mécanisme de droit commun de demandes d'actes, dépôt d'observations écrites et présentation d'incidents contentieux procéduraux, dont la procédure est réglée par les I à VIII nouveau de l’article 175 du CPP, est écarté pour les instructions concernant les injures et les diffamations :

- alors que les procédures d'instruction concernant les injures et les diffamations prévues notamment par les dispositions de la Loi du 29 juillet 1881 “sur la liberté de la presse”, même si elles ne portent pas sur le fond du droit, peuvent susciter de nombreuses difficultés et exiger de vrais actes d’instruction/enquête, des observations et des incidents contentieux procéduraux impliquant d'ouvrir des droits au profit des parties qui doivent pouvoir les faire trancher par une procédure adéquate, le système de droit commun est expressément déclaré inapplicable, sans pour autant que la Loi ait prévu un quelconque mécanisme alternatif :

- lorsque ces nouvelles dispositions sont appliquées immédiatement à une procédure d'instruction ayant débuté avant le 16 juin 2019, le nouveau dispositif revient à supprimer des droits-action pour la défense en cours d’information.

Par mémoire complémentaire en date du 5 octobre 2020, faisant suite aux observations de Madame la Procureure générale favorable à la transmission de cette question, le conseil de Madame [A E] sollicite à nouveau de la chambre de l'instruction de dire et juger recevable la requête, de constater que cette question prioritaire de constitutionnalité concerne le présent litige et est sérieuse, les dispositions querellées n'ayant pas préalablement fait l’objet d’une déclaration de conformité à la constitution.

***

En réponse, la partie civile RT FRANCE représentée par Maître Jérémie ASSOUS soutient en premier lieu que la question prioritaire de constitutionnalité est irrecevable.

H fait valoir qu'il est de jurisprudence constante que la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité suit le sort réservé à la demande judiciaire principale.

Qu'en l’espèce la requête en nullité est irrecevable car déposée le 20 mars 2020, soit postérieurement à l’avis de l’article 175 notifié le 2 mars 2020, conformément à l’article 51-1 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881, applicable depuis le 1er juin 2019.

A titre subsidiaire le conseil de la partie civile soutient l'absence de caractère sérieux de la question au regard du caractère spécial de la loi de 1881, le juge d’instruction ayant interdiction d’instruire les faits susceptibles de justifier ou d’excuser l’auteur des propos incriminés. Il évoque le caractère limité des effets de l’article 51-1 alinéa 6 de la loi précitée, cette suppression des droits étant limitée à l'avis de fin d’information.

***

La procureure générale, dans ses observations en date du 17 juillet 2020. est d'avis que la chambre de l’instruction dise qu'il y a lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la cour de Cassation.

Elle soutient que :

1} La question prioritaire de constitutionnalité est recevable, formulée au moyen d’un écrit distinct et motivé, déposé au greffe.

2) La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure. ou constitue le fondement des poursuites.

3) La disposition contestée revêt un caractère sérieux, en ce que le mécanisme de droit commun de demandes d'actes, dépôt d'observations écrites et présentation d'incidents contentieux procéduraux est écarté pour les instructions concernant les injures et diffamations.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1) Sur la recevabilité de la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité :

L'article 61-1 de la Constitution dispose : “lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé”.

Aux termes de l’article 23-1 de l'Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, “Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux. droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé”.

Selon l’article R 49-22 du code de procédure pénale, “Au cours de l'instruction pénale, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est présenté, à l'appui de la demande. dans un écrit distinct et motivé déposé au greffe de la chambre de l'instruction et qui est visé par le greffier avec l'indication du jour du dépôt (..)".

En l’espèce Mme [B-C A] épouse [E], mise en examen par application des dispositions nouvelles de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881. le 28 janvier 2020 des chefs de diffamation publique envers un particulier et d’injures publiques envers un particulier, a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion de l’examen de sa requête en annulation de diverses pièces du dossier d’instruction.

Cette question prioritaire de constitutionnalité est régulièrement formulée par un écrit distinct et motivé déposé au greffe de la chambre de l'instruction conformément aux dispositions de l’article 25-1 de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

La demande est donc recevable en la forme.

S'agissant de l'irrecevabilité soulevée par le conseil de la partie civile : le régime de la question prioritaire de constitutionnalité suivant celui applicable à la prétention au soutien de laquelle elle vient. la requête en nullité étant irrecevable, la question prioritaire de constitutionnalité le serait également.

Il convient de souligner :

- que, tant la requête initiale. que la question prioritaire de constitutionnalité visent un droit à un recours juridictionnel effectif.

- que ce principe du droit d'accès effectif à une juridiction relève de l’article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, a été retenu par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 et par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en application de l’article 6 de la convention qui consacre un “droit d'accès effectif à la justice”.

- qu'en conséquence il ne saurait être porté atteinte à ce principe général.

Il convient donc de déclarer recevable la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité.

2) Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

- La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure.

Comme cela a été développé : Mme [B-C A] épouse [E], a été mise en examen par application des dispositions nouvelles de l’article S1-1 de la loi du 29 juillet 1881, des chefs de diffamation publique envers un particulier et d’injures publiques envers un particulier. Elle a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion de l'examen de sa requête en annulation de diverses pièces du dossier d'instruction.

Les dispositions légales contestées sont applicables à la procédure.

- La disposition contestée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du conseil constitutionnel.

La question posée n’a pas déjà été examinée par le Conseil Constitutionnel.

- La disposition contestée n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

L'article 54 de la loi du 23 mars 2019 a inséré dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un article 51-1 simplifiant le déroulement et le règlement de l'instruction en matière de délits de diffamation et d’injures, dans la mesure où le juge ne peut, dans cette matière, examiner le fond de la plainte, conformément à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation.

Cet article est ainsi rédigé :

“Par dérogation aux articles 80-1 et 116 du code de procédure pénale, le juge d'instruction qui envisage de mettre en examen une personne pour le délit de diffamation ou d'injure procède conformément aux dispositions du présent article.

Il informe la personne de son intention de la mettre en examen par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en précisant chacun des faits qui lui sont reprochés ainsi que leur qualification juridique et en l'avisant de son droit de faire connaître des observations écrites dans un délai d'un mois. Sous réserve des dispositions du troisième alinéa, il peut aussi, par le même avis, interroger la personne par écrit afin de solliciter, dans le même délai, sa réponse à différentes questions écrites. En ce cas, la personne est informée qu'elle peut choisir de répondre auxdites questions directement en demandant à être entendue par le juge d'instruction.

Le juge d'instruction ne peut instruire sur les preuves éventuelles de la vérité des faits diffamatoires, ni sur celles de la bonne foi en matière de diffamation, ni non plus instruire sur l'éventuelle excuse de provocation en matière d'injure.

Lors de l'envoi de l'avis prévu au deuxième alinéa du présent article, la personne est informée de son droit de désigner un avocat. En ce cas. la procédure est mise à la disposition de l'avocat désigné durant les jours ouvrables, sous réserve des exigences du bon fonctionnement du cabinet d'instruction. Les avocats peuvent également se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier dans les conditions mentionnées à l'article 114 du code de procédure pénale.

À l'issue d'un délai d'un mois à compter de la réception de l'avis mentionné au deuxième alinéa du présent article, le juge d'instruction peut procéder à la mise en examen en adressant à la personne et à son avocat une lettre recommandée avec demande d'avis de réception selon les modalités prévues aux deuxième et troisième alinéas de l'article 113-8 du code de procédure pénale. Il informe à cette occasion la personne que, si elle demande à être entendue par le juge d'instruction, celui-ci est tenu de procéder à son interrogatoire.

Les III à VIII de l'article 175 du même code ne sont pas applicables. S'il n'a pas reçu les réquisitions du procureur de la République dans un délai de deux mois après la communication du dossier prévu au I du même article 175. le juge d'instruction rend l'ordonnance de règlement.”

L'article 175 du code de procédure pénale dispose :

“I-Aussitôt que l'information lui paraît terminée, le juge d'instruction communique le dossier au procureur de la République et en avise en même temps les avocats des parties ou, si elles ne sont pas assistées par un avocat, les parties. L'avis est notifié soit verbalement avec émargement au dossier, soit par lettre recommandée. Lorsque la personne est détenue, il peut également être notifié par les soins du chef de l'établissement pénitentiaire, qui adresse sans délai au juge d'instruction l'original ou la copie du récépissé signé par l'intéressé.

II. -Le procureur de la République dispose alors d'un délai d'un mois si une personne mise en examen est détenue ou de trois mois dans les autres cas pour adresser ses réquisitions motivées au juge d'instruction. Copie de ces réquisitions est adressée dans le même temps par lettre recommandée aux avocats des parties ou, si elles ne sont pas assistées par un avocat, aux parties.

III.-Dans un délai de quinze jours à compter soit de chaque interrogatoire ou audition réalisé au cours de l'information, soit de l'envoi de l'avis prévu au I du présent article, les parties peuvent faire connaître au juge d'instruction, selon les modalités prévues à l'avant-dernier alinéa de l'article 81, qu'elles souhaitent exercer l'un ou plusieurs des droits prévus aux IV et VI du présent article.

IV.-Si elles ont indiqué souhaiter exercer ces droits dans les conditions prévues au IL les parties disposent, selon les cas mentionnés au II, d'un même délai d'un mois ou de trois mois à compter de l'envoi de l'avis prévu au I pour :

1° Adresser des observations écrites au juge d'instruction, selon les mêmes modalités ; copie de ces observations est alors adressée en même temps au procureur de la République ;

2° Formuler des demandes ou présenter des requêtes, selon les mêmes modalités, sur le fondement du neuvième alinéa de l'article 81. des articles 82-I et 82-3, du premier alinéa de l'article 156 et du troisième alinéa de l'article 173, sous réserve qu'elles ne soient pas irrecevables en application des articles 82-3 et 173-1.

À l'expiration du délai mentionné au I du présent article, les parties ne sont plus recevables à adresser de telles observations ou à formuler ou présenter de telles demandes ou requêtes.

V.-Si les parties ont adressé des observations en application du 1° du IV, le procureur de la République dispose d'un délai de dix jours si une personne mise en examen est détenue ou d'un mois dans les autres cas pour adresser au juge d'instruction des réquisitions complémentaires à compter de la date à laquelle ces observations lui ont été communiquées.

VI. -Si les parties ont indiqué qu'elles souhaitaient exercer ce droit conformément au IL elles disposent d'un délai de dix jours si une personne mise en examen est détenue ou d'un mois dans les autres cas pour adresser au juge d'instruction des observations complémentaires à compter de la date à laquelle les réquisitions leur ont été communiquées.

VII. -A l'issue, selon les cas, du délai d'un mois ou de trois mois prévu aux II et IV, ou du délai de dix jours ou d'un mois prévu aux V et VI le juge d'instruction peut rendre son ordonnance de règlement, y compris s'il n'a pas reçu de réquisitions ou d'observations dans ces délais.

VIII -Le III le 1° du IV, le VI et, s'agissant des requêtes en nullité, le 2° du IV sont également applicables au témoin assisté. ”

L'article 173 du code de procédure pénale mentionne dans son alinéa 3 :

* Si l'une des parties ou le témoin assisté estime qu'une nullité a été commise. elle saisit la chambre de l'instruction par requête motivée, dont elle adresse copie au juge d'instruction qui transmet le dossier au président de la chambre de l'instruction..."

Enfin l'article 113-8 de ce même code, concernant la mise en examen par lettre recommandée d’un témoin assisté, précise dans son alinea 2 :

“il peut également procéder à cette mise en examen en adressant à la personne une lettre recommandée précisant chacun des faits qui lui sont reprochés, ainsi que leur qualification juridique, et l'informant de son droit de formuler des demandes d'actes ou des requêtes en annulation, ainsi que du délai prévisible d'achèvement de la procédure, conformément aux dispositions des huitième et neuvième alinéas de l'article 116.”

La lecture combinée des articles précités du code de procédure pénale fait apparaître que le régime des nullités déposées au visa de l'article 173 ou de l article 113-8 n'est pas affecté par ce nouvel article 5 1- l de la loi de 1881, alors qu’il n'est plus possible de déposer de telles requêtes dans le délai imparti par l'article 175. Il en est de même pour les demandes d’actes et les observations.

En matière d'infraction de presse les pouvoirs du juge d’instruction sont certes particulièrement limités. toutefois les procédures d'instruction concernant les injures et les diffamations prévues notamment par les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 « sur la liberté de la presse », même si elles ne portent pas sur le fond du droit, peuvent susciter de nombreuses difficultés et exiger de vrais actes d’instruction et d'enquête, des observations et des incidents contentieux procéduraux impliquant d'ouvrir des droits au profit des parties qui doivent pouvoir les faire trancher par une procédure adéquate. Ainsi il convient de souligner que des commissions rogatoires sont souvent sollicitées lorsque les faits susceptibles d’être diffamatoires ou injurieux sont hébergés sur des sites étrangers et qu'il y a lieu de rechercher les auteurs et leurs adresses. Cependant le système de droit commun est expressément déclaré inapplicable, sans pour autant que la loi ait prévu un quelconque mécanisme alternatif.

Comme le soulignent le ministère public et le conseil de la mise en examen cette exclusion porte en effet atteinte au principe général des droits de [a défense en matière pénale. au principe général du droit à une procédure pénale juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties et enfin au principe général du droit d'accès effectif au juge judiciaire.

Aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 :

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ».

Dans une décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996, le Conseil Constitutionnel a extrait de cet article un droit au recours juridictionnel effectif. Il juge en effet qu' « il résulte de cette disposition qu'en principe il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction »

La condition d''effectivité" du recours au juge consacré par le Conseil Constitutionnel rejoint la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme selon laquelle l'article 6 de la Convention consacre un “droit d'accès effectif à la justice" afin que soit assurée "une protection réelle et efficace" du justiciable.

Il convient de constater que dans le système nouvellement instauré. 1l n’existe pas de substitut procédural à cette privation de droits.

La doctrine ne manque pas de souligner les contradictions soulevées par l'application de ce texte mais également de se poser la question de la constitutionnalité du dernier alinéa de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881.

Ainsi dans “ la nouvelle physionomie de l'instruction en matière d’injure et de diffamation * légipresse N° 372 - juin 2019 - [F G]. il est indiqué :

“Au-delà de ces contradictions, il existe des interrogations majeures quant aux droits dont dispose la personne mise en examen pour diffamation ou injure à la suite de l'avis de clôture de l'instruction. Le fait que tout le dispositif régissant les droits applicables dans cette phase de la procédure ait été formellement écarté laisse penser que les parties sont exclues du bénéfice de ces droits, pourtant essentiels aux droits de la défense, aussi bien pour les parties civiles que pour les mis en examen. Comment pourrait-on exclure la possibilité de faire parvenir des observations écrites au juge, de déposer une requête aux fins de nullité ou une demande d'actes, quand bien même l'instruction est réduite à sa plus simple expression ? Cette exclusion paraît peu compatible avec l'exigence du procès équitable. En outre, l'article 113-8 du code de procédure pénale, applicable au moment de la conversion de l'intention du juge en mise en examen effective, ouvre expressément le droit de demander des actes et de déposer des requêtes en annulation dans un délai de trois mois - qu'il va donc aussi falloir concilier avec le nouveau délai de deux mois prévu au dernier alinéa de l'article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881.

On peut raisonnablement se demander si ce dispositif complexe ne pourrait pas faire l'objet d'une OPC fondée sur droits de la défense reconnus par la DDHC. L'article 54 XIII de la loi du 23 mars 2019 n'a pas été soumis au Conseil constitutionnel, qui n'a donc pas tranché sur sa conformité à la Constitution dans le cadre de sa décision du 21 mars 2019. Ainsi, la question de la constitutionnalité du dernier alinéa du nouvel article 51-1 de la loi du 29 juillet I88I reste entière ”.

La question prioritaire de constitutionnalité revêt en conséquence un caractère sérieux, en ce que le mécanisme de droit commun de demandes d'actes, dépôt d'observations écrites et présentation d'incidents contentieux procéduraux. dont la procédure est réglée par les III à VIII nouveaux de l’article 175 du CPP. est écarté pour les instructions concernant les injures et les diffamations.

Les conditions de l’article 23-2 de l’ordonnance citée précédemment étant réunies, il y a donc lieu de transmettre à la cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

“ Les dispositions de l article 54 XIII de la loi 2019-222 du 23 mars 2019 « de programmation 2018- 2022 et de réforme pour la justice » et donc de l article 51-1 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881 « sur la liberté de la presse », en ce qu'elles prévoient que les dispositions des III à VIII de l'article 175 du code de procédure pénale définissant le droit commun en matière de demande d'acte d instruction complémentaire, d'observations et d'incidents procéduraux contentieux en fin d'instruction, ne sont pas applicables aux procédures d'instruction concernant les injures et les diffamations prévues par les dispositions de la seconde de ces lois, sans pour autant instituer à la place un mécanisme alternatif de voies de droit permettant à la personne mise en examen de chef d'injure ou de diffamation de se défendre efficacement en sollicitant des investigations, en présentant des observations ou en soulevant des incidents contentieux procéduraux à la fin de la phase d’instruction ou postérieurement à celle-ci, sont-elles contraires ou non-conformes aux principes généraux de valeur constitutionnelle des droits de la défense en matière pénale (articles 8. 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789). du droit à une procédure pénale juste et équitable garantissant 1'équilibre des droits des parties (articles 7, 8, 9 et l6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789), du droit d'accès effectif du juge judiciaire (article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789) et du droit à un recours effectif devant un juge indépendant dans le respect des droits le la défense (article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789) ”,

3) Sur les autres demandes :

La personne mise en examen Madame [A B-C épouse E] a déposé auprès de la chambre de l'instruction une requête en annulation de diverses pièces de la procédure.

Conformément aux dispositions de l’article 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 précitée il convient de surseoir à statuer sur la demande au fond de la personne mise en examen.

PAR CES MOTIFS

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante :

“ Les dispositions de l'article 54 XIII de la loi 2019-222 du 23 mars 2019 «de programmation 2018- 2022 et de réforme pour la justice» et donc de I'article 51-1 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881 «sur la liberté de la presse», en ce qu'elles prévoient que les dispositions des III à VIII de l'article 175 du code de-procédure pénale définissant le droit commun en matière de demande d'acte d'instruction complémentaire, d'observations et d'incidents procéduraux contentieux en fin d'instruction, ne sont pas applicables aux procédures d'instruction concernant les injures et les diffamations prévues par les dispositions de la seconde, de ces lois, sans pour autant instituer à la place un mécanisme alternatif de voies de droit permettant à la personne mise en examen de chef d'injure ou de diffamation de se défendre efficacement en sollicitant des investigations, en présentant des observations ou en soulevant des incidents contentieux procéduraux à la fin de la phase d instruction ou postérieurement à celle-ci. sont-elles contraires ou non-conformes aux principes généraux de valeur constitutionnelle des droits de la défense en matière pénale (articles 8, 9 et 16 de la Déclaration des droits de 1 homme et du citoyen du 26 août 1789), du droit à une procédure pénale juste et équitable garantissant / 'équilibre des droits des parties (articles 7, 8. 9 et 16 de la Déclaration des droits de l homme et du citoyen du 26 août I789), du droit d'accès effectif au juge judiciaire (article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789) et du droit à un recours effectif devant un juge indépendant dans le respect des droits de la défense (article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789)

Dit que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les observations du ministère public, de la personne mise en examen et celles de la partie civile relatives à la question prioritaire de constitutionnalité ;

Sursoit à statuer sur les demandes au fond de la personne mise en examen ;

Dit que l'affaire sera rappelée à l'audience ultérieurement, lorsque la Cour de Cassation ou le Conseil Constitutionnel auront informé la Chambre de l'instruction de leur décision ;

Dit que les parties comparantes et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

Dit que les parties non comparantes seront avisées par lettre recommandée avec accusé de réception.

LE GREFFIER

LE MAGISTRAT HONORAIRE JURIDICTIONNEL