Tribunal judiciaire de Paris

Jugement du 14 décembre 2020, N° minute : 20/A43

14/12/2020

Renvoi partiel

N° de l'OMP : 20/00089447

N° MINOS : 009604930200620609

N° minute : 20/A43

Tribunal de Police de Paris

1ère à 4ème classe

JUGEMENT DE SURSIS À STATUER EN ATTENTE DE DECISION SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

Audience de la chambre 1 du QUATORZE DECEMBRE DEUX MIL VINGT à NEUF HEURES , ainsi constituée :

Président : Mme Elisabeth CONDAT

Greffier : Mme Audrey VERDEL

Ministère Public : M. Philippe LEMAIRE

Dans l'affaire

ENTRE

LE MINISTERE PUBLIC

ET

PARTIE CIVILE

Nom : [I]

Prénoms : [H] Sexe: M

Date de naissance : [DateNaissance 1] 1974

Lieu de naissance : [LOCALITE 2] Dépt : [...]

Demeurant : [adresse 3] CHEZ MAÎTRE PASCAL PETREL

[LOCALITE 4]

Mode de Comparution : non comparant représenté avec mandat par Maître PETREL Pascal (Toque D16), substitué par Maître HONORIN Sophie, avocats au Barreau de Paris ;

PARTIE CIVILE

Nom : [K]

Prénoms : [J] Sexe : M

Date de naissance : [DateNaissance 5] 1979

Lieu de naissance : [LOCALITE 6] Dépt : [...]

Demeurant : [adresse 7] CHEZ MAÎTRE PASCAL PETREL [LOCALITE 8]

Mode de Comparution: comparant assisté de Maître PETREL Pascal (Toque D16) substitué par Maître HONORIN Sophie, avocats au Barreau de Paris ;

PARTIE CIVILE

Nom : [G]

Prénoms : [F] Sexe : M

Date de naissance : [DateNaissance 9] 1978

Lieu de naissance : [LOCALITE 10] Dépt : [...]

Demeurant : [adresse 11] CHEZ MAITRE PASCAL PETREL [LOCALITE 12]

Mode de Comparution : comparant assisté de Maître PETREL Pascal (Toque D16) substitué par Maître HONORIN Sophie, avocats au Barreau de Paris :

D'UNE PART ;

ET

PREVENUE

Nom : [C]

Prénoms : [A B] Sexe : F

Date de naissance : [DateNaissance 13] 1982

Lieu de naissance : [LOCALITE 14] Dépt: [...]

Demeurant : [LOCALITE 15]

Nationalité : française

Mode de comparution : comparante assistée de Maître REPOLT Bertrand et de Maître ELIAKIM Emma, avocats au Barreau de Paris (Toque R143), qui ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité visée par le greffier ;

D'AUTRE PART ;

PROCEDURE D'AUDIENCE

Faisant suite au jugement 20/A11 du 09/03/2020 ordonnant te versement de trois consignations d'un montant de 300 euros (3 x 300 euros) à verser avant le 14/04/2020 à peine d'irrecevabilité des parties civiles et renvoyant l'affaire à l'audience du 12/05/2020 à 13h30 devant la 2ème chambre ;

Les consignations ont été versées à la Régie d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Paris le 66/04/2020 :

À l'audience du 12/05/2020, le tribunal s'est trouvé dans l'impossibilité absolue de tenir cette audience, en raison des contraintes de confinement inhérentes au plan de continuité de l'activité du tribunal judiciaire de Paris fixé par l'ordonnance prise le 16 mars 2020 par son président, à la suite des arrêtés du ministère des solidarités et de la santé des 14 et 15 mars 2020 et à l'état d'urgence sanitaire déclaré par la loi n° 2020-2990 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, loi entrée en vigueur le 24 mars ;

Madame [A B C] a été citée à l'audience du 07/07/2020 par acte d'huissier de justice délivré à personne le 08/06/2020, à la requête des parties civiles pour y répondre des faits contraventionnels tels que précisés en cet acte ;

Dénonciation a été faite à l'Officier du Ministère Public le 09/06/2020 ;

Maître DUFRESNE-CASTETS Marie-Laure et Maître REPOLT Bertrand ont adressé deux mémoires distincts aux fins de transmission de deux questions prioritaires de constitutionnalité par courrier reçu au greffe le 03/07/2020 ;

À l'audience du 07/07/2020, à la demande de Maître PETREL Pascal, conseil des parties civiles, le tribunal a renvoyé contradictoirement l'affaire à l'audience du 14/09/2020 à 09h00 devant la 2ème chambre ;

À l'audience du 14/09/2020, le tribunal a renvoyé contradictoirement l'affaire à l'audience du 14/12/2020 à 09h00 devant la 1ère chambre ;

À cette date, l'instruction a eu lieu dans les formes prescrites par les articles 535 et suivants du code de procédure pénale ;

La présidente a constaté la présence et l'identité de Madame [A B C] et a donné connaissance de l'acte qui a saisi le tribunal ;

Les avocats de Madame [A B C] ont été entendus au soutien de leur question prioritaire de constitutionnalité, relative aux articles 541, 543 alinéa 1er et 800-2 du code de procédure pénale, après avoir déposé un mémoire visé par le greffier ;

Puis le ministère public ayant pris ses réquisitions, l'avocat des parties civiles ayant été entendu en sa réponse sur la question prioritaire de constitutionnalité après avoir déposé des conclusions et les avocats de la prévenue ayant eu la parole en dernier, le tribunal a statué de suite après en avoir délibéré ;

Le greffier a tenu note du déroulement des débats ;

Le tribunal, après en avoir délibéré, a statué en ces termes :

MOTIFS

Attendu que Madame [A B C] est poursuivie pour avoir à [LOCALITE 16], en tout cas sur le territoire national, le 31/10/2019, et depuis temps non prescrit, commis les infractions de :

- DIFFAMATION NON PUBLIQUE

En l'espèce d'avoir envoyé un mail le 31 octobre 2019 à 00h13, dont le titre est « Droit de réponse », contenant les propos suivants :

« Vous, membres du CODIR ayant rédigé cette communication, êtes vraiment des monstres. Des monstres de cynisme et de cruauté. Faire une communication aussi violente à l'intention de la seule et unique DP restante, connaissant mon état (car vous savez que si j'ai été arrêtée 2 mois l'année dernière, c'est bien parce que je ne frouvais plus le courage de venir encaisser votre brutalité), est une attitude qui montre bien votre absence de scrupules. Vous osez mettre les RPS sur le dos des DP quand c'est vous qui les générez ! Votre texte est odieux et dégouline de haine, malgré vos prétendus « propos mesurés ». »

Faits prévus et réprimés par ARTR621-1 C.PENAL. ART.29 AL.1 LOI DU 29/07/1881., ART.R.621-1 C.PENAL.

- DIFFAMATION NON PUBLIQUE

En l'espèce d'avoir envoyé un mail le 31 octobre 2019 à 00h13, dont le titre est « Droit de réponse », contenant les propos suivants :

« Vous avez bousillé ma carrière, m'avez rétrogradée, puis mise au placard pendant de longs mois (Souvenez-vous de mon planning vide de réunions et vide de tout jusqu'à cet été), j'ai été l'une des seules à ne pas être éligible aux primes de fin d'année et cela ne vous suffit pas encore, il faut aussi détruire mon image vis-à-vis de mes collègues ? Histoire de m'anéantir complètement. Pourquoi vous ne l'affichez pas, ça ? Pourquoi ne vous vantez-vous pas de votre politique antisyndicale ? C'est tellement plus facile de jouer les victimes, quand on est le bourreau... »

Faits prévus et réprimés par ARTR.621-1 CPENAL. ART29 AL1 LOI DU 29/07/1881. ART.R.621-1 C.PENAL.

Il est demandé au Tribunal de Police de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« Les articles 545 alinéa 1er et 800-2 du code de procédure pénale en ce qu'ils privent la personne poursuivie devant le Tribunal de Police ayant fait l'objet d'une relaxe du droit de demander le remboursement des frais non payés par l'État et exposés par elle pour les besoins de sa défense, portent-ils atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment le principe d'égalité devant la justice, l'exercice des droits de la défense et le droit à un procès équitable garantissant l'équilibre des droits entre les parties fondé sur les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »

Le moyen étant présenté dans un écrit distinct et motivé, la question prioritaire de constitutionnalité est recevable.

Pour que la question soulevée puisse être transmise encore faut-il que 3 conditions cumulatives soient réunies en application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 07 novembre 1958 :

- la disposition contestée est applicable au litige en cours ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

- elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution :

- la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;

* sur les dispositions applicables au litige en cours :

Madame [C] est poursuivie du chef de diffamation non publique devant le Tribunal de Police ; elle sollicite sa relaxe et souhaite demander la condamnation de la partie civile à une somme couvrant les frais qu'elle a dû exposer ;

qu'ainsi si elle est relaxée l'article 543 al 1 du code de procédure pénale va trouver à s'appliquer dans la mesure où cet article renvoie à l'article 475-1 du code de procédure pénale lequel permet à la seule partie civile de solliciter de la part du Tribunal une somme au titre des frais non payés par l'État et exposés par celle-ci ;

que par ailleurs la partie civile sollicite la condamnation de Mme [C] à une somme en remboursement des frais qu'elle a dû engager ;

qu'ainsi cet article est applicable au litige en cours.

* sur l'absence de déclaration antérieure de conformité à la Constitution par le Conseil Constitutionnel :

L'article 543-1 du code de procédure pénale n'a jamais été soumis au Conseil Constitutionnel ce qui n'est pas le cas de l'article 800-2 du code de procédure pénale lequel a déjà fait l'objet de deux déclarations d'inconstitutionnalité.

* sur le caractère sérieux de la question :

La partie civile peut devant le Tribunal de Police solliciter une indemnité pour les frais qu'elle a exposé en application de l'article 543 al 1 du code de procédure pénale lequel renvoie à l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

toutefois en ce qui concerne le prévenu relaxé et depuis l'abrogation en date du 31 mars 2020 suite à la décision du Conseil Constitutionnel, l'article 800-2 al 1 ne permet plus au prévenu relaxé de demander au Tribunal de Police une indemnité au titre des frais quelle a dû exposer ;

que cette différence de droits entre les parties pose une question non dépourvue de caractère sérieux sur l'atteinte au principe d'égalité notamment.

Il y a donc lieu dés lors de procéder à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation et en conséquence de surseoir à statuer sur l'action engagée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire à l'encontre de Madame [A B C], prévenue, contradictoire à l'égard de Monsieur [H I], contradictoire à l'égard de Monsieur [J K] et contradictoire à l'égard de Monsieur [F G], parties civiles ;

CONSTATE que la question posée par mémoire séparé et motivé, est applicable à l'espèce, n'a jamais été tranchée par les juridictions compétentes et présente un caractère sérieux ;

ORDONNE la transmission du dossier à la Cour de Cassation afin qu'elle statue sur l'éventuelle saisine du Conseil Constitutionnel aux fins d'apprécier la constitutionnalité des articles 543 alinéa 1er et 800-2 du code de procédure pénale et d'en tirer toutes conséquences utiles :

SURSEOIT à statuer sur l'action engagée en attendant la décision de la Cour de Cassation:

Ainsi jugé et prononcé en audience publique, les jour, mois et an susdits, par Madame Elisabeth CONDAT, président, assisté de Madäme Audrey VERDEL, greffier, présent à l'audience et lors du prononcé du jugement.

La présente décision a été signée par le président et le greffier.

Le Président,

Le greffier,