Tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand

Jugement du 29 septembre 2020, N° minute : 1140/2020

29/09/2020

Renvoi

Cour d'Appel de Riom

Tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand

Jugement prononcé le : 29/09/2020

Chambre Correctionnelle 1

N° minute : 1140/2020

N° parquet 192130060024

JUGEMENT CORRECTIONNEL

À l'audience publique du Tribunal Correctionnel de Clermont-Ferrand le VINGT- NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT,

composé de Madame LORIOT-LHOTELLERIE Christine, vice-présidente, présidente du tribunal correctionnel désignée conformément aux dispositions de l’article 398 alinéa 3 du code de procédure pénale.

Assistée de Madame DUSSEL Pascale, faisant fonction de greffière,

en présence de Monsieur FAUH Bruno, procureur de la République adjoint, a été appelée l’affaire

ENTRE :

PARTIES CIVILES :

Monsieur [J K], demeurant : [adresse 1], partie civile poursuivante,

non comparant représenté par Maître BONICEL-BONNEFOI Sophie avocat au barreau de CLERMONT FERRAND, substitué par Maître LAMBERT Solène avocat au barreau de CLERMONT FERRAND,

ASSOCIATION DES MAIRES DU PUY DE DOME, dont le siège social est sis [adresse 2] , partie civile, pris en la personne de [E-F G], son représentant légal,

non comparante représentée par Maître BONICEL-BONNEFOIÏI Sophie avocat au barreau de CLERMONT FERRAND substitué par Maître LAMBERT Solène avocat au barreau de CLERMONT FERRAND

Monsieur le PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE, près ce tribunal, partie jointe

ET

Prévenu

Nom : [A B, C, D]

né le [DateNaissance 3] 1951 à [LOCALITE 4] ([LOCALITE 5])

Nationalité : française

Situation familiale :

Situation professionnelle :

Antécédents judiciaires : jamais condamné

Demeurant : [adresse 6]

Situation pénale : libre

comparant assisté de Maître DAUNAT Raphaëlle avocat au barreau de CLERMONT FERRAND, Copad le A9f40/2029 .

Prévenu du chef de :

OUTRAGE A UNE PERSONNE DEPOSITAIRE DE L'AUTORITE PUBLIQUE faits commis le 2 juin 2018 à [LOCALITE 7]

DEBATS

A l’appel de la cause, la présidente a constaté la présence et l’identité de [A B] et a donné connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal.

La présidente informe le prévenu de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.

La présidente a instruit l’affaire, interrogé le prévenu présent sur les faits et reçu ses déclarations.

L’avocat de [J K] a été entendu en sa plaidoirie.

L'avocat de l'ASSOCIATION DES MAIRES DU PUY DE DOME a été entendu en sa plaidoirie.

Le ministère public a été entendu en ses réquisitions.

Maître DAUNAT Raphaëlle, conseil de [A B] a été entendu en sa plaidoirie.

Le prévenu a eu la parole en dernier.

Le greffier a tenu note du déroulement des débats.

Le tribunal, après en avoir délibéré, a statué en ces termes :

Le prévenu a été cité par les parties civiles par acte d'huissier remis à étude le 4 juillet 2019.

Par jugement en date du 3 septembre 2019, le tribunal a fixé le montant de la consignation à verser par l'Association des Maires du Puy-de-Dôme à 1500 euros et renvoyé l'affaire au 4 février 2020.

L'affaire a été renvoyée contradictoirement à l'audience du 29 septembre 2020.

[A B] a comparu à l’audience assisté de son conseil ; il y a lieu de statuer contradictoirement à son égard.

Ïl est prévenu d'avoir à [LOCALITE 8], le 2 juin 2018, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, commis un outrage par paroles, gestes ou menaces, en l'espèce en tenant des propos offensants, de nature à porter atteinte à la dignité ou au respect dû à la fonction de Monsieur [J K], personne dépositaire de l'autorité publique, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en l'espèce Maire de la commune de [LOCALITE 9], faits prévus par ART.433-5 AL.2,AL.] C.PENAL. et réprimés par ART.433-5 AL.2, ART .433-22 C.PENAL.

Monsieur [B A] est partie en qualité de prévenu à la procédure diligentée contre lui, sur le fondement de l’article 433-$S du code pénal qui dispose en ses alinéas 1 et 2 que :

“Constituent un outrage puni de 7500 euros d'amende les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l’occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie.

Lorsqu'il est adressé à une personne dépositaire de l'autorité publique, l’outrage est puni d’un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende”.

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, Monsieur [B A] saisit la juridiction sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, d’un moyen soulevant l’inconstitutionnalité de la lecture combinée des articles 433-5 du code pénal et des articles 29, 30, 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, à la Constitution.

Dans son avis exprimé à l’audience du 29 septembre 2020, le ministère public soutient qu'il n'y a aucun caractère sérieux à transmettre la question au Conseil Constitutionnel

SUR CE :

SUR LE MOYEN TIRE DE L’INCONSTITUTIONNALITE DE LA DISPOSITION LEGISLATIVE FONDANT LES POURSUITES :

Sur la recevabilité du moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution:

En l’espèce, le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 29 septembre 2020 dans un écrit distinct et motivé de Monsieur [B A]. II est donc recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation:

Monsieur [B A] indique que l’outrage proféré envers un maire (article 433-5 du code pénal) revêt exactement les mêmes éléments constitutifs que l’injure proférée à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique et chargée d’un mandat public (articles 29, 30, 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881).

Il précise que si cette dernière infraction est punie de 12.000 euros d’amende (article 33 de la loi du 29 juillet 1881), l’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d'amende (article 433-5S du code pénal) et qu’ainsi, en présence du même propos litigieux, une personne peut être poursuivie sur le fondement de deux textes différents, pour deux infractions distinctes et punies différemment, dont les éléments constitutifs et les valeurs sociales protégées sont pourtant exactement les mêmes.

Monsieur [B A] soutient ainsi que la sécurité juridique comme l'égalité de tous devant la loi ne sont plus assurées dès lors qu’une même situation peut être constitutive de deux infractions distinctes, prévoyant les mêmes éléments constitutifs et protégeant les mêmes valeurs sociales, mais punies différemment.

Il convient de constater que Monsieur [B A] soutient qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

Ce moyen d’inconstitutionnalité n’est par ailleurs pas dépourvu de caractère sérieux.

Il y a donc lieu de transmettre la question suivante à la Cour de cassation :

La lecture combinée des articles 433-5 du code pénal et des articles 29, 30, 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est-elle contraire à la Constitution, au regard du principe d’égalité devant la loi consacré par les articles 1, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et au regard des droits de la défense consacrés comme principes fondamentaux reconnu par les lois de la République ?

SUR L'ACTION PUBLIQUE ET L'ACTION CIVILE :

En l’espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

Il sera donc sursis à statuer sur l’action publique et l’action civile, l’examen de l'affaire étant renvoyé à l’audience du 4 mai 2021 à 13 h 45.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire à l’égard de [A B], non susceptible de recours,

Avant dire droit

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante:

La lecture combinée des articles 433-5 du code pénal et des articles 29, 30, 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est-elle contraire à la Constitution, au regard du principe d’égalité devant la loi consacré par les articles 1, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et au regard des droits de la défense consacrés comme principes fondamentaux reconnu par les lois de la République ?

Dit que la présente décision sera adressée par le greffe à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité;

Sur l’action publique, sursoit à statuer sur les poursuites engagées à l'encontre de Monsieur [B A] ;

Sursoit à statuer sur l’action civile ;

Renvoie l’examen de la présente affaire à l’audience du 4 mai 2021 à 13 45 du Tribunal Correctionnel de Clermont-Ferrand;

Et le présent jugement a été signé par la présidente et la greffière.