Tribunal judiciaire de Paris

Jugement du 17 septembre 2020, N° RG 20/00816

17/09/2020

Renvoi

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS

18° chambre

2ème section

N° RG 20/00816

N° Portalis 352J-W-B7E-CROQTB

N° MINUTE : 4

Assignation du : 08 Janvier 2020

 

JUGEMENT

rendu le 17 Septembre 2020

DEMANDERESSE

Société COMPAGNIE DU GRAND HOTEL DE MALTE (SARL), représentée par son gérant, Mme [A-B C]

[LOCALITE 1]

représentée par Me Carol AIDAN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D0021, Me Philippe AZOUAOU de la SELARL ROUX & AZOUAOU, avocat plaidant, vestiaire #P0295

DÉFENDERESSE

Société MALTE OPERA (SAS)

[adresse 2]

[LOCALITE 3]

représentée par Me Stéphane SAINTON, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A0949

EN PRESENCE DE

Monsieur le procureur de la République près le Tribunal Judiciaire de Paris

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Emmanuelle PROUST, 1° Vice-Présidente Adjointe

Laurence POISSENOT, Vice-Présidente

Tiffanie REISS, Juge

assistées de Henriette DURO, Greffier

DEBATS

À audience du 09 Juillet 2020 tenue en audience publique.

Après clôture des débats avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 17 Septembre 2020.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe

Contradictoire

Insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond

Sous la rédaction de Emmanuelle PROUST

FAITS ET PROCEDURE

Par acte du 19 octobre 1995, la société COMPAGNIE DU GRAND HOTEL DE MALTE a donné à bail commercial à la SOCIETE DE L'HOTEL BERGERE ET MAISON BLANCHE, aux droits de laquelle est venue la société HÔTEL MALTE OPERA désormais dénommée la société MALTE OPERA, un immeuble à usage d'hôtel meublé situé [adresse 4] à [LOCALITE 5] pour 9 ans à compter du 25 juillet 1995. Ce bail a été renouvelé pour 9 ans à compter du 1er septembre 2005, par l'effet d'un congé avec offre de renouvellement délivré par le bailleur, le prix étant judiciairement fixé à la somme de 213.695 euros hors taxes et hors charges par an.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 juin 2016, la société HOTEL MALTE OPERA a sollicité le renouvellement de son bail à compter du 1 janvier 2017, ce que la bailleresse a refusé par acte extrajudiciaire du 5 septembre 2016, offrant le paiement de l'indemnité d'éviction.

Par ordonnance du 17 janvier 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, saisi à cette fin par la société COMPAGNIE DU GRAND HOTEL DE MALTE, a ordonné une expertise confiée à Mme VERON avec mission de recueillir des éléments sur les indemnités d'éviction et d'occupation réciproquement dues par l'effet du refus de renouvellement.

L'expert a déposé son rapport le 28 décembre 2018, concluant à une perte du fonds de commerce du fait de l'éviction, à une indemnité d'éviction principale de 15.530.000 euros hors indemnités accessoires, et à une indemnité d'occupation d'un montant annuel de 327.600 euros en principal à compter du 1er janvier 2017.

Par acte du 21 janvier 2019, la société HOTEL MALTE OPERA 2 fait assigner la société COMPAGNIE DU GRAND HOTEL DE MALTE devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins principales de voir fixer à la somme de 21.188.898 euros l'indemnité d'éviction principale lui revenant, à celle de 2.805.184 euros les indemnités d'éviction accessoires, hors frais de déménagement, et à la somme de 249.185,17 euros l'indemnité d'occupation annuelle dont elle est redevable. Cette instance a été enregistrée sous le n° de RG 19/1190.

Par écrit distinct et motivé signifié par voie électronique le 8 janvier 2020, la société COMPAGNIE DU GRAND HOTEL DE MALTE a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L 145-14 du code de commerce.

Cette instance incidente a été enrôlée sous le n° de RG 20/816.

Le juge de la mise en état a avisé les parties de ce qu'il renverrait l'affaire devant la formation de jugement, pour qu'elle statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité sans clore l'instruction, en application de l'article 126-3 du code de procédure civile.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée au ministère public le 23 janvier 2020, lequel a indiqué le 11 février 2020 qu'il n'entendait pas conclure.

Le 31 mars 2020, la société COMPAGNIE DU GRAND HOTEL DE MALTE a signifié par voie électronique des conclusions récapitulatives et en réplique sur question prioritaire de constitutionnalité, dans lesquelles elle demande au tribunal, au visa de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, de la loi organique n°2009-1 523 du 10 décembre 2009, des articles 1er, 2, 4,6 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, de l'article L.145-14 du code de commerce, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la jurisprudence de la Cour de cassation, de :

- constater que l'article L.145-14 du code de commerce est applicable au litige,

- constater que l'article L.145-14 du code de commerce n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel,

- constater que la question prioritaire de constitutionnalité déposée, contestant les dispositions de l'article L.145-14 du code de commerce, n'est pas dépourvue de caractère sérieux,

En conséquence

- transmettre, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, la présente question prioritaire de constitutionnalité contestant l'article L.145-14 du code de commerce à la Cour de cassation afin qu'elle la renvoie au Conseil constitutionnel pour qu'il constate son inconstitutionnalité,

- surseoir à statuer dans la présente affaire, en application de l'article 23-3 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, aux termes duquel «lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel».

Elle rappelle l'historique de l'article L.145-14 du code de commerce, qui permet au propriétaire d'un immeuble à usage commercial de refuser de renouveler le bail commercial à son locataire, pose le principe du paiement par le propriétaire, en contrepartie de l'exercice de la faculté de non renouvellement, d'une indemnité au preneur évincé, et détermine, de manière non exhaustive, certains des éléments pris en compte pour estimer le préjudice subi par le preneur évincé, puis détaille le champ d'application de cet article et sa mise en oeuvre par les juridictions. Elle rappelle de même les critères de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation, soulignant qu'elle ne demande pas au tribunal saisi de trancher la question de la constitutionnalité de l'article L.145-14 du code de commerce, mais seulement de constater que sa question n'est pas dénuée de sérieux, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, seule à devoir être prise en considération.

Elle indique que l'objet de sa question prioritaire de constitutionnalité n'est pas de contester l'existence même d'une indemnité versée au preneur évincé, mais les modalités de détermination de cette indemnité. Elle soutient que les modalités de calcul sont telles que, dans certains cas de figure, le montant de l'indemnité aboutit à une véritable spoliation du bailleur, ce qui est le cas lorsque le loyer a été maintenu à un niveau faible par l'effet du plafonnement, le droit au bail, calculé par la méthode du différentiel de loyer, étant alors très élevé, et lorsque le preneur évincé exploite un hôtel, la méthode hôtelière appliquée aboutissant à une valeur de fonds de commerce supérieure à la valeur vénale des murs. Elle en déduit que l'article L.145-14 du code de commerce viole gravement le droit de propriété du bailleur.

Elle ajoute que l'article L.145-14 du code de commerce porte une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle du bailleur, la liberté qui lui est offerte de refuser le renouvellement du bail étant directement menacée par l'existence d'une indemnité d'éviction qui peut s'avérer supérieure à la valeur des murs ce qui le contraint, de fait, à accepter le renouvellement. Elle considère que si la loi répond à un intérêt général légitime, à savoir la pérennité des fonds de commerce, elle n'encadre pas suffisamment les conditions d'application de la loi pour prévenir une atteinte grave à la liberté contractuelle.

Elle soutient que l'article L.145-14 du code de commerce porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre du bailleur, puisque la perspective d'avoir à payer une indemnité d'éviction disproportionnée peut le dissuader de conclure un bail commercial, et méconnaît le principe d'égalité, le renvoi par le texte “aux usages de la profession" ayant pour conséquence de déterminer le montant de l'indemnité selon la nature de l'activité exercée, soit un critère tenant au seul preneur, ce qui fait que les propriétaires fonciers, qui sont tous dans la même situation, sont traités différemment sans motif légitime.

Enfin, elle estime que la source des inconstitutionnalités. qu'elle relève réside principalement dans le silence de la loi qui ne détermine pas avec suffisamment de précision les conditions de fixation d'une indemnité d'éviction et qu'elle est donc fondée à soulever un grief tiré de l'incompétence négative du législateur dans la protection des droits et libertés fondamentales du bailleur, ce dernier ne se voyant pas offrir des garanties suffisantes.

Aux termes de "sa réponse à question prioritaire de constitutionnalité n°2" signifiée par voie électronique le 17 avril 2020, la société HÔTEL MALTE OPERA demande au tribunal, au visa de l'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, et de l'article L.145-14 du code de commerce, de :

- dire et juger que la question prioritaire de constitutionnalité présentée par la société COMPAGNIE GRAND HOTEL DE MALTE est manifestement dépourvue de «caractère sérieux» et exclusivement dilatoire,

- débouter en conséquence la société COMPAGNIE GRAND HOTEL DE MALTE de l'intégralité de ses prétentions, fins et conclusions, savoir : la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation, pour renvoi au Conseil Constitutionnel, et la demande de sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive sur la constitutionnalité de l'article L.145S-14 du code de commerce,

- dire et juger qu'il serait manifestement inéquitable de lui faire supporter l'intégralité des frais exposés dans le cadre de cet instance,

- condamner en conséquence la société COMPAGNIE GRAND HOTEL DE MALTE au paiement de la somme de 20.000 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de la présente instance sur incident.

S'appuyant sur une consultation de M. [D], elle soutient que le statut des baux commerciaux a été majoritairement mis à l'abri des normes supra-législatives, en ce que la Cour de cassation a reconnu un objectif d'intérêt général à la protection du preneur érigée par ce statut ainsi qu'à la pérennité et à la sécurité juridique des fonds de commerce, et que les Cours suprêmes refusent le contrôle de constitutionnalité des méthodes employées par les juges du fonds pour évaluer une indemnité. Elle soutient que sous couvert d'attaquer une disposition législative, la société COMPAGNIE GRAND HOTEL DE MALTE, propriétaire, entend en réalité s'attaquer aux méthodes d'évaluation retenues par les experts et les juges du fond, alors que le texte contesté ne fait que prévoir l'indemnisation du preneur à hauteur du préjudice effectivement subi, soit l'impossibilité de céder amiablement son fonds du fait de la reprise du bien par le bailleur.

Elle estime qu'il appartient au tribunal de procéder à un "pré-filtre" de la constitutionnalité et qu'il ne pourra que relever que l'article L.145-14 du code de commerce est conforme aux exigences de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, puisqu'il ne prive pas le bailleur de son droit de propriété, qu'il est conforme à l'article 2 de cette même déclaration puisque le preneur a droit à la protection de sa propre propriété, étant titulaire d'une créance, que le statut des baux répond à des objectifs d'intérêt général validés par la jurisprudence et que le droit de propriété du bailleur n'est pas vidé de sa substance par l'obligation de payer une indemnité. Elle ajoute que l'article L.145-14 du code de commerce est conforme aux exigences de la liberté contractuelle puisque la liberté de refuser le renouvellement est garantie par la loi, sous la seule réserve de réparer le préjudice subi, et que la loi peut inciter à renouveler les baux commerciaux pour poursuivre un but d'intérêt général de maintien du commerce, que le texte ne porte atteinte à la liberté d'entreprendre puisque le bailleur, qui a décidé de ne pas renouveler le bail, peut se repentir ou relouer à un tiers après le paiement de l'indemnité d'éviction, et qu'il ne porte pas non plus atteinte au principe d'égalité, puisque le recours aux usages de la profession permet de traiter des situations différentes, soit celles des preneurs selon leur activité, critère qui est au demeurant aussi retenu par la loi pour fixer le montant des loyers déplafonnés sans critique du bailleur sur ce point.

Enfin, elle estime qu'il n'y a aucune incompétence négative du législateur qui a justement et précisément renvoyé aux usages de la profession pour déterminer le montant de l'indemnité d'éviction.

À l'audience de plaidoirie du 9 juillet 2620, le tribunal a demandé à la société COMPAGNIE GRAND HOTEL DE MALTE de préciser par écrit la question qu'elle souhaitait voir transmettre, dès lors qu'il ne fui paraissait pas possible de transmettre dans sa décision éventuelle de transmission les 47 pages de son écrit distinct et motivé. Avec l'accord de la société HOTEL MALTE OPERA, la société COMPAGNIE GRAND HOTEL DE MALTE, a, à l'audience, modifié le dispositif de son mémoire, qu'elle a signifié le même jour par voie électronique, demandant désormais au tribunal de :

- constater que l'article L.145-14 du code de commerce est applicable au litige,

- constater que l'article L. 145-14 du code de commerce n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel,

- constater que la question prioritaire de constitutionnalité déposée par la société COMPAGNIE GRAND HOTEL DE MALTE contestant les dispositions de l'article L.145-14 du code de commerce n'est pas dépourvue de caractère sérieux,

- transmettre en conséquence, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance n°58- 1067 du 7 novembre 1958, la présente question prioritaire de constitutionnalité contestant l'article L.145-14 du code de commerce à la Cour de cassation afin qu'elle la renvoie au Conseil constitutionnel pour qu'il constate son inconstitutionnalité, c'est-à-dire : "L'article L. 145-14 du Code de cominerce est-il conforme à à la Constitution et au bloc de constitutionnalité, précisément au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, à la liberté contractuelle garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, à la liberté d'entreprendre protégée par l'article 4 du Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, au principe d'égalité garanti par l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, et respecte-t-il la compétence réservée à la loi par la Constitution de 1958 ?",

- surseoir à statuer dans la présente affaire, en application de l'article 23-3 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, aux termes duquel «lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel».

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité

Selon l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

En l'espèce, la société COMPAGNIE GRAND HÔTEL DE MALTE, qui prétend que l'article L.145-14 du code de commerce porte atteinte à divers droits et libertés garantis par la Constitution, a établi un écrit distinct et motivé.

Le moyen est donc recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité

Selon l'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites :

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l'espèce, la société COMPAGNIE GRAND HÔTEL DE MALTE conteste la constitutionnalité de l'article L 145-14 du code de commerce qui dispose : “le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L.145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre”.

Cet article, qui pose le principe du paiement d'une indemnité d'éviction par le bailleur au preneur en cas de refus de renouvellement du bail, est applicable au litige, puisque celui-ci a été introduit par la société HOTEL MALTE OPERA pour se voir reconnaître le droit au paiement de cette indemnité et en voir fixer le montant.

L'article L.145-14 du code de commerce n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

La question posée n'apparaît pas dépourvue de caractère sérieux, en ce que la seule référence, dans l'article L.145-14 du code de commerce pour déterminer la valeur du fonds de commerce exploité dans les locaux loués, montant minimal de l'indemnité à allouer au preneur, aux usages de la profession, sans prévoir aucun plafond ou de renvoi à la valeur vénale de l'immeuble, peut paraître susceptible de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur lorsque la valeur du fonds de commerce, qui dépend majoritairement des efforts du preneur sans que le comportement du bailleur n'ait réellement d'incidence, excède la valeur vénale des murs qui, pour retrouver les pleins attributs de son droit de propriété, peut être amené à payer une indemnité excédant la valeur de son seul bien immobilier.

Ce seul constat conduit à transmettre à la Cour de cassation l'entière question posée par la société COMPAGNIE GRAND HÔTEL DE MALTE, étant rappelé que le juge ne peut modifier la question prioritaire de constitutionnalité qu'il lui est demandé de transmettre et doit donc saisir la Cour de cassation de la question telle qu'elle a été soulevée dans l'écrit distinct et motivé, sans avoir à caractériser l'absence manifeste de sérieux de tous les moyens d'inconstitutionnalité soulevés.

Sur les autres demandes

Conformément à l'article 23-3 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 précitée, lorsqu'une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel à moins que le sursis ne risque d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie, auquel cas la juridiction peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés et prendre des mesures provisoires.

En l'espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

Il sera donc sursis à statuer sur l'ensemble des demandes des parties, et les dépens ainsi la demande formée par la société HOTEL MALTE OPERA sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront réservés, devant suivre le sort de l'instance au fond.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante : “l'article L.145-14 du Code de commerce est-il conforme à la Constitution et au bloc de constitutionnalité, précisément au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, à la liberté contractuelle garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, à la liberté d'entreprendre protégée par l'article 4 du Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, au principe d'égalité garanti par l'article 1° de la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles I et 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, et respecte-t-il la compétence réservée à la loi par la Constitution de 1958 ?",

Dit que le présent jugement sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les conclusions des parties relatives à la question prioritaire de constitutionnalité,

Dit que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision,

Sursoit à statuer sur les demandes des parties,

Dit que l'affaire sera rappelée à l'audience de mise en état du mercredi 6 janvier 2021 à 11h00, pour connaître la décision de la Cour de cassation,

Réserve les dépens et la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 17 Septembre 2020

Le Président