Cour d'Appel d'Aix-en-Provence

Arrêt du 31 août 2020 n°2020/362, RG n° 20/025985 et 20/02664

31/08/2020

Renvoi

RG n° 20/025985 et 20/02664

ARRÊT AU FOND

ARRÊT N° 2020/362

Chambre 5-5

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre correctionnelle 5-5

Prononcé publiquement le 31 août 2020, par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel d'Aix-en-Provence,

Sur appel d'un jugement du Tribunal Correctionnel de Marseille du 25 juin 2020 statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité, (N° parquet : 201338000025, N°2020/3161).

SUR QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE DEPOSEE LE DANS L’AFFAIRE CONCERNANT :

[C G]

Né le [DateNaissance 1] 1993 à [LOCALITE 2] ([LOCALITE 3])

Fils de [C D] et de [H I]

De nationalité algérienne

Célibataire

Agent d'entretien

Déjà condamné

Détenu (Mandat de dépôt du 17/05/2020, Maintiens en détention provisoire du 18/05/20 et du 25/06/2020), détenu au centre pénitentiaire de [LOCALITE 4], écrou n° [...]

Comparant, assisté de Maître NEILLER Romain, avocat au barreau de MARSEILLE, ayant déposé des conclusions

Prévenu, appelant

MINISTÈRE PUBLIC

Appelant

[T U]

Demeurant [LOCALITE 5] - [LOCALITE 6]

Non comparante, représentée par Maître WERNERT Sandrine, avocat au barreau de MARSEILLE, ayant déposé des conclusions

Partie civile, intimée

RAPPEL DE LA PROCEDURE :

LA PRÉVENTION :

[G C] a comparu devant le tribunal correctionnel de Marseille sous la prévention d’avoir à [LOCALITE 7], dans la nuit du 9 au 10 mai 2020, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert pat la prescription, volontairement commis des violences habituelles ayant entraîné une incapacité totale de travail n’excédant pas 8 jours, en l’espèce 5 jours, sur la personne de [J K], alors qu’il était l'actuel conjoint, concubin de la victime ou partenaire liée à celle-ci par un pacte civil de solidarité ;

faits prévus par les articles 222-14 al 5 et 6; 132-80 du Code pénal et réprimés par les articles 222-14 4°,222-44,222-45,222-47 al 1,222-48,222-48-1 al 2,222-48-2, 131-26-2 du code pénal et les articles 378, 379-1 du code civil.

[G C] a déposé devant la juridiction, par mémoire écrit distinct, une question prioritaire de constitutionnalité.

Les deux procédures ont été traitées séparément et ont donné lieu à deux jugements distincts.

Par jugement rendu le 25 juin 2020 sous le numéro de minute 20/3161, le tribunal a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité

Par jugement rendu le 25 juin 2020 sous le numéro de minute 20/3162, le tribunal a statué sur Je fond du dossier et condamné [G C] sur l’action publique et l’action civile.

LE JUGEMENT :

Par jugement contradictoire du 25 juin 2020 (minute numéro 20/3161), le tribunal correctionnel de Marseille a :

*déclaré recevable la requête aux fins de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité,

et

*dit n’y avoir lieu à transmission à la cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité qui lui était soumise.

LES APPELS :

Par déclaration du 26 juin 2020, le conseil du prévenu a interjeté appel principal de ce jugement. C’est l’objet de la présente procédure enrôlée devant la cour sous le numéro 20/2595.

Le même jour, le conseil du prévenu a interjeté appel du jugement sur le fond. L’appel de ce jugement a été enrôlé devant la cour sous le numéro 20/2433.

DÉROULEMENT DES DÉBATS :

L'affaire a été appelée à l'audience publique du lundi 31 août 2020,

La présidente Madame HERMEREL à constaté la présence et vérifié l'identité du prévenu [G C] assisté de son conseil, puis l'a informé de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire et a présenté le rapport procédural de l'affaire,

Maître Romain NEILLER, a été entendu en sa plaidoirie,

Maître Sandrine WERNERT, conseil de la partie civile [J K], s’en est rapportée à la sagesse de la Cour,

Le ministère public a pris ses réquisitions,

Maître NEILLER et le prévenu ont eu la parole en dernier,

La Présidente a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé à l'audience de ce jour.

DÉCISION :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Sur la forme

Conformément aux dispositions de l’article R. 49-28, dernier alinéa, le refus de transmission ne peut être contesté qu’à l’occasion d’un recours formé contre la décision ayant statué sur la demande au cours de la procédure .

Tel est bien le cas en l’espèce puisque l’appelant a formé à la fois un recours à l'encontre du jugement de refus de transmission et un recours à l’encontre du jugement de condamnation sur le fond .

Sur la jonction

Le conseil du prévenu a adressé au greffe de la cour des conclusions sur la question prioritaire de constitutionnalité, reçues le 4 août 2020, qui ont donné lieu à un enregistrement sous la référence 20/2644.

Il relève d’une bonne administration de la justice de joindre cette procédure, composée de cet unique jeu de conclusions, à la procédure d'appel à l'encontre du jugement de refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité enrôlée sous la référence 20/2595

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

[G C] est partie en qualité de prévenu à la procédure diligentée contre lui du chef de violences habituelles ayant entraîné une incapacité totale de travail n’excédant pas 8 jours, en l’espèce 5 jours, sur la personne de [J K], alors qu’il était l’actuel conjoint, concubin de la victime ou partenaire liée à celle-ci par un pacte civil de solidarité.

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance numéro 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le conseil constitutionnel, [G C] a saisi le tribunal correctionnel sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, d’un moyen soulevant l’inconstitutionnalité de l’article 396 du code de procédure pénale.

À l’audience, le conseil du prévenu a soutenu oralement les conclusions écrites qu’il avait déjà fait parvenir à la cour et qui ont été visées à l’audience par Le Président.

[G C] soutient, par la voix de son conseil à l’audience, que les dispositions dudit article, en ce qu’elles ne prévoient pas que devant le juge des libertés et de la détention statuant sur le placement en détention d’une personne, que cette dernière doit être informée de son droit, au cours des débats, de se taire, alors que c’est l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention qui saisit le tribunal et qu’elle figure au dossier, méconnaît les droits et libertés constitutionnellement garantis, et plus particulièrement les articles 6,9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, alors,

d’une part, que l’article 396 du code de procédure pénale n’impose pas de notifier au prévenu le droit de se taire, alors qu’il prévoit que les déclarations du prévenu sont recueillies dans un procès verbal lequel fonde l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention qui saisit le tribunal, alors que ce magistrat dispose d’un pouvoir de contrainte important puisqu'il peut priver de liberté le prévenu jusqu'à sa comparution devant la juridiction de jugement,

d’autre part, que l’article 396 du code de procédure pénale institue une distinction procédurale injustifiée, puisque lorsque le tribunal est saisi suivant la procédure de l’article 393 du code de procédure pénale par le procureur de la République, celui-ci dresse un procès verbal rappelant au prévenu le droit de se taire, alors que lorsque le tribunal est saisi par ordonnance du juge des libertés et de la détention suivant la procédure de l’article 396 du code de procédure pénale, il n’est pas notifié au prévenu le droit de se taire ;

La partie civile, représentée par son conseil, s’en est rapportée à la sagesse de la cour .

Dans son avis exprimé par écrit le 25 juin 2020 en première instance comme dans son avis exprimé par écrit le 7 août 2020 devant la cour d’appel, le ministère public a conclu qu’il plaise à la juridiction de refuser de transmettre à la cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité.

Le Procureur Général a requis à l’audience conformément à son avis écrit.

Il observe que la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité est soulevée dans un écrit distinct et motivé ; que la question est fondée sur un moyen tiré de ce qu’une disposition législative ou réglementaire porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ; que la demande est donc recevable en la forme.

Sur l'opportunité de la transmission, le Procureur Général expose :

- que la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure,

- qu’elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel, pour sa version postérieure à la décision n°2018-696 du 30 mars 2018 par laquelle ledit Conseil consacre la valeur constitutionnelle du droit de se taire de sorte que la question est inédite.

Il considère en revanche que la question est dépourvue de caractère sérieux dès lors que l’audition du prévenu par le juge des libertés et de la détention a pour objet, non pas d’apprécier la nature des indices pensant sur lui et/ou l’opportunité des poursuites en comparution immédiate, ces appréciations ayant déjà eu lieu à l’occasion du défèrement devant le parquet après que ce dernier l’ait expressément informé de son droit à garder le silence, mais d'examiner la nécessité ou non d’un placement en détention provisoire au visa de l’article 144 du code de procédure pénale, sans lien avec l’appréciation des éléments à charge.

Le Procureur Général soutient au surplus que le recueil des “observations éventuelles”? par le juge des libertés, tel que le mentionne l’article 396 du code de procédure pénale, contient nécessairement la possibilité donnée au prévenu de se taire.

Le Procureur Général requiert en conséquence à l’audience la confirmation du jugement déféré.

Le conseil du prévenu a eu la parole. Enfin, [G C] a eu la parole en dernier.

SUR CE

Sur le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de la disposition législative applicable au litige ou à la procédure

Sur la recevabilité du moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution

En l’espèce, le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté à l’audience du tribunal correctionnel dans un écrit distinct et les conclusions du conseil du prévenu sont motivées. C’est donc à bon droit que le tribunal l’a déclaré recevable. Devant la cour, le conseil du prévenu a procédé de même.

Sur Ia transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation :

La disposition contestée est l’article 396 du code de procédure pénale en ce que ce texte ne prévoit pas la notification au prévenu, par le juge des libertés et de la détention, de son droit de garder le silence.

L’article 396 alinéa 1 du code de procédure pénale dispose :

“Dans le cas prévu à l'article précédent, si la réunion du tribunal est impossible le jour même et si les éléments de l'espèce lui paraissent exiger une mesure de détention provisoire, le procureur de la République peut traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention statuant en chambre du conseil avec l'assistance d'un greffier” L'article 396 alinéa 2 du code de procédure pénale dispose que :

“le juge, après avoir fait procéder, sauf si elles ont déjà été effectuées, aux vérifications prévues par le huitième alinéa de l'article 41, statue sur les réquisitions du ministère public aux fins de détention provisoire, après avoir recueilli les observations éventuelles du prévenu ou de son avocat ; l'ordonnance rendue n'est pas susceptible d'appel”. L'article 396 alinéa 3 dispose qu’ “ÿ/ peut placer le prévenu en détention provisoire jusqu'à sa comparution devant le tribunal. L'ordonnance prescrivant la détention est rendue suivant les modalités prévues par l'article 137-3, premier alinéa, et doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision par référence aux dispositions des 1°à 6° de l'article 144. Cette décision énonce les faits retenus et saisit le tribunal ; .../..”.

La disposition contestée est bien applicable au litige en ce qu’elle encadre les modalités d’audition du prévenu par le juge des libertés et de la détention et est en lien avec la demande du conseil du prévenu qui tend notamment à l’annulation de l’ordonnance rendue par le juge des libertés en application dudit article, ordonnance qui a saisi le tribunal correctionnel.

Cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel. La question de droit posée est donc nouvelle et inédite.

Aux termes de l’article 23-2,3° de la loi organique du 10 décembre 2009, le juge est tenu de vérifier si la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

Le tribunal correctionnel, dans le jugement déféré, a estimé que la question n’était pas sérieuse et, sur ce motif, en a refusé la transmission.

Au soutien de sa demande, le conseil du prévenu invoque successivement l’atteinte aux

droits et libertés garantis par les articles 9 et 16, puis, par les articles 6 etl6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

La question posée n’est en l’espèce ni dilatoire ni fantaisiste.

La cour considère qu’en observant que le droit de se taire est notifié à toutes les étapes de la procédure, depuis la garde à vue jusqu’à la comparution devant la juridiction de jugement, sauf lors de l’étape de la traduction du prévenu devant le juge des libertés et de la détention, et en comparant la situation du justiciable devant la loi, à propos de la notification du droit de garder le silence, entre les garanties dont il bénéficie selon que lui est appliquée la procédure prévue par l’article 396 du code de procédure pénale ou selon que lui est appliquée la procédure prévue par l’article 393 du code de procédure pénale, le conseil du prévenu soulève un moyen opérant, dont il n’appartient pas à la cour d’appel d’apprécier la pertinence.

La question n’étant pas dépourvue de caractère sérieux, il y a lieu d’infirmer le jugement déféré et de transmettre à la Cour de Cassation la question suivante, telle qu’elle est posée par le conseil du prévenu dans ses conclusions :

“Les dispositions du l’article 396 du code de procédure pénale, en ce qu’elles ne prévoient pas que devant le juge des libertés et de la détention statuant sur le placement en détention d’une personne, que cette dernière doit être informée de son droit, au cours des débats, de se taire, alors que c’est l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention qui saisit le tribunal et qu’elle figure au dossier, méconnaît-il les droits et libertés constitutionnellement garantis, et plus particulièrement les articles 6, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 17897”,

Sur l’action publique et l’action civile

Aux termes de l’article 23-3 de la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009, “lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de Cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil Constitutionnel. Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. Toutefois, il n’est sursis à statuer ni lorsqu’une personne est privée de liberté à raison de l'instance, ni lorsque l’instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté.

En l’espèce, [G C] est actuellement détenu, privé de liberté à raison de l'instance, Il n’y a donc pas lieu de surseoir à statuer sur l’appel interjeté par le prévenu à l’encontre des dispositions du jugement rendu le 25 juin 2020 à son encontre.

Îl sera statué sur cet appel par arrêt distinct.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, non susceptible de recours, En la forme,

Ordonne la jonction de la procédure 20/2644 à la présente procédure 20/2595,

Reçoit l’appel interjeté à l’encontre du jugement (minute 20-3161) qui a rejeté la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité,

Au fond,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Ordonne la transmission à la cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

“Les dispositions du l’article 396 du code de procédure pénale, en ce qu’elles ne prévoient pas que devant le juge des libertés et de la détention statuant sur le placement en détention d’une personne, que cette dernière doit être informée de son droit, au cours des débats, de se taire, alors que c'est ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention qui saisit le tribunal et qu'elle figure au dossier, méconnaît-il les droits et libertés constitutionnellement garantis, et plus particulièrement les articles 6, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789?”,

Dit que la présente décision sera adressée par le greffe à la Cour de Cassation dans les huit jours de son prononcé avec les conclusions des parties relatives à la question prioritaire de constitutionnalité,

Sur l’action publique,

Dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer sur l’appel interjeté par [G C], détenu, à l'encontre des dispositions pénales et civiles du jugement rendu le 25 juin 2020 par le tribunal correctionnel de Marseille (minute 20/3162),

Dit que ce recours est traité dans le cadre d’une procédure distincte enrôlée sous le numéro 20/2433,

Le tout conformément aux articles visés au jugement, au présent arrêt, et aux articles 512 et suivants du Code de Procédure Pénale.

COMPOSITION DE LA COUR :

PRÉSIDENTE :

Madame HERMEREL Corinne

CONSEILLERS :

Madame [A B]

Madame [E F], désignée par ordonnance du Premier Président de la Cour d’ Appel d’Aix en Provence en date du 27 août 2020

MINISTÈRE PUBLIC :

Monsieur BOCOVIZ Serge, Substitut Général

GREFFIER :

Madame LEBOULLEUX CATHERINE

La Présidente et les assesseurs ont participé à l'intégralité des débats et au délibéré.

L'arrêt a été lu par la Présidente conformément à l'article 485 dernier alinéa du Code Procédure Pénale en présence du Ministère Public et du Greffier.

LE GREFFIER