Tribunal judiciaire de Bordeaux

Jugement du 13 juillet 2020, N° minute : 2020/329

13/07/2020

Renvoi

Tribunal de Police de Bordeaux

30 rue des Frères Bonie

CS 11403

33077 BORDEAUX

N°de l'OMP: 18/00102362

N° MINOS : 00960326193450001

N° minute : 2020/329

JUGEMENT DE SURSIS A STATUER EN ATTENTE DE DECISION SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

EXTRAIT DES MINUTES DU TRIBUNAL DE POLICE DE BORDEAUX

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A l‘audience du TREIZE JUILLET DEUX MIL VINGT à DOUZE HEURES, la juridiction composée comme suit :

Président : Mme Anne-Marie POUCH

Greffier : Mme Marie-Hélène DAUBIGNY

Ministère Public : M. [I J]

Le tribunal vidant son délibéré après débats ayant eu lieu le SÉPT JUILLET DEUX MIL VINGT alors qu'il était composé de :

Président . Mme Anne-Marie POUCH

Greffier : Mme Hélène BRUNET

Ministère Public : M. [D E]

Dans l'affaire :

ENTRE

Le MINISTERE PUBLIC,

ET

PARTIE CIVILE

Raison sociale : USRTS FO-UNCP AMBULANCES SUD OUEST

Adresse du siège social : [adresse 1] - [LOCALITE 2] - [LOCALITE 3]

Représenté par : Monsieur [A B C]

Mode de comparution : comparant

ET

PREVENUE

Raison sociale : SAS AMBULANCES SECOURS RAPIDES DU BASSIN

Adresse du siège social : [LOCALITE 4] - [LOCALITE 5]

N° SIREN : [N° SIREN 6]

Représenté(e) par : Madame [F G]

Mode de comparution : non-comparante, représentée avec mandat par Maître BABIN Laurent, avocat au Barreau de Bordeaux

Prévenu(e) de :

1) 6 x EMPLOI DE SALARIE AU DELA DE LA DUREE QUOTIDIENNE MAXIMALE DE TRAVAIL EFFECTIF - ENTREPRISE DE TRANSPORT ROUTIER (Code Natinf : 11292)

2) 26 x EMPLOI DE PERSONNEL ROULANT AU DELA DE LA DUREE MAXIMALE DE L'AMPLITUDE DE LA JOURNEE DE TRAVAIL - ENTREPRISE DE TRANSPORT ROUTIER DE PERSONNES (Code Natinf : 11296)

3) 15 x DEPASSEMENT DE LA DUREE MAXIMALE HEBDOMADAIRE ABSOLUE DU TRAVAIL (Code Natinf : 32224)

Vu l'article 23-1 de l'ordonnance n° 8-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel ;

Vu les articles R. 49-21 et suivants du Code de Procédure Pénale et notamment R.49-27 alinéa 2R. 49-21 et suivants du Code de Procédure Pénale et notamment R.49-26 et R.49-27 alinéa 2 ;

La société AMBULANCES SECOURS RAPIDES DU BASSIN prise en la personne de son représentant légal Madame [F G] a été citée devant le tribunal de police de [LOCALITE 7] pour y répondre, dans le cadre de son activité d'entreprise de transport routier, de faits :

- d'emploi de salarié au delà de la durée quotidienne maximale de travail effectif,

- d'emploi de personnel roulant au delà de la durée maximale de l'amplitude de la journée de travail,

- dépassement de la durée légale hebdomadaire du travail effectif.

L'affaire initialement fixée à l'audience du 21 janvier 2020 a été renvoyée à celle du 14 avril 2020 et a fait l'objet d'une nouvelle citation à l'audience du 7 juillet 2020.

Dès la première audience du mois de janvier 2020, la société AMBULANCES SECOURS RAPIDES DU BASSIN avait déposé un mémoire à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 61-1 du code de procédure pénale et, in limine litis, des conclusions de nullité d'actes de procédure.

À l'audience du 7 juillet 2020, la société a renouvelé cette demande et chaque partie a pu présenter sa position en présence de la partie civile et de la DIRECCTE.

C’ est ainsi,que sur la base de l'article 61-1 de la constitution du 4 octobre 1958, elle soutient que la cour de cassation doit être saisie de la question suivante :

« les dispositions de l’article 61-1 du code de procédure pénale,en ce qu'elles ne prévoient l'assistance d'un avocat lors d’une audition libre qu'en matière criminelle ou délictuelle et l’excluent en matière contraventionnelle, sont-elles conformes aux droits et libertés que la Constitution garantie et spécialement aux droits de la défense protégés par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ».

À cet effet, elle rappelle, en premier lieu, que l'audition libre des représentants ou préposés des sociétés mises en cause a été réalisée sans que la proposition de l'assistance d'un avocat leur ait été faite.

Elle affirme, également, que les dispositions de l'article 61-1 du code de procédure pénale, bien applicables à la présente affaire, n'ont pas été déclarées conformes à la constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel ; que la question posée n'est pas dépourvue de caractère sérieux ; que les droits de la défense ont été reconnus par le Conseil Constitutionnel, sur la base de l'article 16 de la déclaration de 1789.

Elle précise que seules la protection des personnes, la recherche des preuves et des auteurs d’infractions ainsi que la prévention des atteintes à l'ordre public sont susceptibles de justifier dans certains circonstances particulières que la personne mise en cause puisse être interrogée sans la présence d'un avocat.

Les dispositions de l'article susvisé n'imposant pas l'assistance de l'avocat en matière contraventionnelle seraient, dès lors, susceptibles d'encourir un fort risque d'inconstitutionnalité.

La société AMBULANCES SECOURS RAPIDES DU BASSIN considère que la disposition législative en cause doit être soumise au conseil constitutionnel et que les conditions édictées à cette fin sont parfaitement remplies ; que la question posée n'est pas dépourvue de caractère sérieux comme portant sur l'assistance d'un avocat sans aucune restriction attachée à la nature de la peine encourue, elle même découlant des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et et du citoyen de 1789.

L'officier du ministère public estime, quant à lui, que le conseil constitutionnel a déjà contrôlé la constitutionnalité des dispositions de l'article 61-1 du code de procédure pénale par une décision du 8 février 2019 aux termes de laquelle une inconstitutionnalité partielle aurait été prononcée s'agissant du droit à l'avocat, inconstitutionnalité que le législateur aurait corrigée à l’article 55 de la loi de programmation pour la réforme de la justice du 23 mars 2019.

Cette disposition reposant sur le droit positif serait, donc, selon lui conforme à la constitution et, en l'absence de changement dans les circonstances de fait et de droit survenu depuis février 2019, ne pourrait pas faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité.

MOTIFS

Aux termes de la loi organique 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'article 61-1 de la constitution, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé et la transmission à la Cour de cassation ne peut intervenir que si les conditions suivantes sont réunies :

- la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites,

- elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel sauf changement des circonstances,

- la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et garantis par la Constitution :

Le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution et par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 a été présenté dans un écrit distinct des conclusions de la société AMBULANCES SECOURS RAPIDES DU BASSIN, écrit motivé.

Il est, donc, recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation :

En l'espèce, les dispositions de l’article 61-1 du code de procédure pénale dans leur rédaction issus de la loi du 27 mars 2014, ont été soumises au Conseil constitutionnel sur la base d'une requête tendant à ce que soit constatée que celles-ci seraient, s'agissant d'un mineur entendu librement au cours d'une enquête pénale sans disposer des mêmes droits que dans le cadre d'une garde à vue et de l'assistance obligatoire d’un avocat, contraires au principe d'égalité devant la procédure pénale érigé à l'article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 8 février 2019, a considéré que l'article 61-1 du code de procédure pénale était contraire à la constitution et ce, sans aucune restriction, en faisant référence, par ailleurs, à la directive 2012/12/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales.

Il s'agit, donc,d'une inconstitutionnalité totale et non partielle de l'article en cause .

La directive visée par le conseil constitutionnel dans cette décision avait pour objet la définition de règles concernant le droit des suspects ou des personnes poursuivies.d'être informé de leurs droits dans le cadre des procédures pénales et de l'accusation portée contre eux et le droit à l'assistance d'un avocat y est formellement reconnu .

Le Conseil constitutionnel a,ainsi, clairement affirmé que les dispositions attaquées ne prévoyaient pas « de procédures appropriées de nature à garantir l'effectivité de l'exercice de ses droits par le mineur dans le cadre d'une enquête pénale » et qu'il avait été,ainsi, contrevenu au « principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ».

L'article en cause a été modifié par la loi n° 2019- 222 du 23 mars 2019 ,et ce, par rapport exclusivement aux droits du mineur, loi qui a adjoint à l'article 61- 1 du code de procédure pénale la mention « sans préjudice des garanties spécifiques applicables aux mineurs ».

Le Conseil constitutionnel a, par ailleurs, reconnu au travers de plusieurs décisions, l'importance des droits de la défense et du rôle de l'avocat en se référant, notamment, à l'article 16 de la Déclaration des droits et du citoyen de 1789.

L'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties a été affirmée par lui et c'est ainsi qu'il a été amené , le 30 juillet 2010, a déclaré inconstitutionnel le régime de la garde à vue alors en vigueur en ce qu'il ne prévoyait pas l'assistance d’un avocat.

Il n'a,cependant, pas été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'assistance de l'avocat lors d'une audition libre en matière contraventionnelle, matière spécifique n'excluant pas « pour autant » l'organisation des droits de la défense.

Le caractère nouveau de la question est incontestable et le sérieux de celle-ci s'impose s'agissant par ailleurs de faits de nature certes contraventionnelle mais susceptibles d'exposer ceux auxquels ils sont reprochés à de fortes sanctions pécuniaires .

Ces circonstances de droit et de fait justifient le réexamen des dispositions de l’article 61-1 du code de procédure pénale.

La question suivante doit.en conséquence, être transmise à la Cour de cassation : «les dispositions de l’article 61-1 du code de procédure pénale, en ce qu'elles ne prévoient l'assistance d'un avocat lors d'une audition libre qu'en matière criminelle ou délictuelle et l'excluent en matière contraventionnelle, sont-elles conformes aux droits et libertés que la Constitution garantie et spécialement aux droits de la défense protégés par l’article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? ».

Sur l'action publique et l'action civile :

En l'espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points de litige soient immédiatement tranchés.

Il sera donc sursis à statuer sur l'action publique et l'action civile, l'examen de l'affaire étant renvoyé à l'audience du 15 décembre 2020.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement et par jugement contradictoire à l'égard de la SAS AMBULANCES SECOURS RAPIDES DU BASSIN représentée par Madame [F G] et de l'USRTS FO-UNCP AMBULANCES SUD OUEST représenté par Monsieur [A B C],

AVANT DIRE DROIT

Vu les dispositions de l'article 61-1 de la Constitution,

Ordonne la transmission à la Cour de Cassation de la question suivante :

« les dispositions de l’article 61-1 du code de procédure pénale, en ce qu'elles ne prévoient l'assistance d'un avocat lors d'une audition libre qu'en matière criminelle ou délictuelle et l'excluent en matière contraventionnelle, sont-elles conformes aux droits et libertés que la Constitution garantie et spécialement aux droits de la défense protégés par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? » ;

Dit que la présente décision sera adressée par le greffe à la Cour de Cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

SUR L'ACTION PUBLIQUE

Sursoit à statuer sur les poursuites engagées à l'encontre de la SAS AMBULANCES SECOURS RAPIDES DU BASSIN représentée par Madame [F G] ;

SUR L'ACTION CIVILE

Sursoit à statuer sur l'action civile :

RENVOIE l'examen de la présente affaire à l'audience du 15 décembre 2020 à 8h30 ;

Et le présent jugement a été signé par le Président et le Greffier.

Le greffier, Le Président,