Tribunal judiciaire de Poitiers

Jugement du 6 avril 2020

06/04/2020

Cour d'Appel de Poitiers

Tribunal judiciaire de Poitiers

Jugement prononcé le : 06/04/2020

[LOCALITE 1]

N° minute : 339/20

N° parquet 20096006001

JUGEMENT CORRECTIONNEL

À l'audience non publique ( en raison de la crise sanitaire liée à la propagation du covid-19 ) du Tribunal Correctionnel de Poitiers le SIX AVRIL DEUX MILLE VINGT,

Composé de :

Madame ROUSSEAU Valérie, Première Vice-Présidente faisant fonction de Présidente

Assesseurs : Madame ETIENNE Anne, vice-présidente,

Monsieur WINTER Stéphane, vice-président

Assisté(s) de Madame LABROUSSE Lydie, greffière,

en présence de Madame VIRLOGEUX Clélia, substitut,

a été appelée l’affaire

ENTRE :

Monsieur le PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE, près ce tribunal, demandeur et poursuivant

ET

Prévenu

Nom : [A C]

né le [DateNaissance 2] 2001 à [LOCALITE 3])

de [A C] et de [F G]

Nationalité : française

Situation familiale : célibataire

Situation professionnelle : sans profession

Demeurant : [adresse 4]

Situation pénale : détenu provisoirement au [LOCALITE 5]

Mandat de dépôt en date du 05/04/2020

comparant assisté de Maître BOURDIER Aurélien avocat au barreau de POTFTERS et Maître HERVE Lucas avocat au barreau de POITIERS,

[A C] actuellement détenu au Centre de détention de [LOCALITE 6] a comparu à l'audience de ce jour, au cours de laquelle 1l a été entendu depuis son lieu de détention grâce à l'utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle, conformément aux articles 706-71 et 712 du Code de Procédure Pénale .

Prévenu du chef de :

REITERATION À PLUS DE TROIS REPRISES DANS UN DELAI DE 30 JOURS DE VIOLATION DES INTERDICTIONS OÙ OBLIGATIONS EDICTEES DANS UNE CIRCONSCRIPTION TERRITORIALE OÙ L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE EST DECLARE faits commis du 27 mars 2020 au 4 avril 2020 à [LOCALITE 7]

faits prévus par ART.,322-13 AL 2, AL.I C.PENAL et réprimés par ART .322-13 AL 2, ART 3272-15 1°2°3° C.PENAL

DEBATS

À l’appel de la cause, la présidente a constaté la présence et l'identité de [A C] et a donné connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal.

Averti par la présidente qu’il ne pouvait être jugé le jour même qu’avec son accord, [A C] a déclaré, en présence de ses avocats, vouloir être jugé séance tenante.

Avant toute défense au fond, les conseils de [A C] ont soulevé la nullité de la procédure et ont déposé des conclusions aux fins de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité et des conclusions aux fins d'inconventionnalité :

Les parties ayant été entendues et le munistère public ayant pris ses réquisitions, le tribunal à joint les moidents au fond, après en avoir délibéré.

La présidente informe le prévenu de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.

La présidente a instruit l’affaire, mterrogé le prévenu présent sur les faits et reçu ses déclarations.

Le ministère public a été entendu en ses réquisitions.

Maître BOURDIER Aurélien et Maître HERVE Lucas, conseils de [A C] ont été entendus en leur plaidoirie. Maître HERVE a sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire .

Le prévenu a eu la parole en dernier.

La greffière a tenu note du déroulement des débats.

[A C] a été déféré le 5 avril 2020 devant le procureur de la République dans le cadre d’une procédure de comparution préalable en application des dispositions des articles 393 à 396 du code de procédure pénale;

Par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 5 avril 2020, 1l a été placé en détention provisoire.

ll a comparu à l'audience du 6 avril 2020.

[A C] a comparu à l'audience assisté de ses deux conseils, Maitre Hervé et Maître Bourdier ; 1l y a lieu de statuer contradictoirement à son égard.

Il est prévenu d'avoir réitéré à plus de trois reprises et dans un délai de 30 jours, une violation des interdictions ou obligations édictées dans une circonscription territoriale où l'état d'urgence sanitaire est déclaré faits commis du 27 mars 2020 au 4 avnii 2020 à [LOCALITE 8] ;

faits prévus par ART.,322-13 AL2, AL.1 C.PENAL et réprimés par ART .322-13 AL 2, ART 322-15 1°,293° CPENAL

In limine litis, les conseils du prévenu déposent trois jeux de conclusions :

- des conclusions aux fins de nullité, tendant à voir annuler le procès- verbal de comparution immédiate devant le Tribunal aux motifs que le délit reproché au prévenu est prévu par le code de la santé publique et que la procédure issue de l'article L.3136-1 du code de la santé publique est une procédure spéciale, éléments qui interdisent le recours à la procédure de comparution immédiate.

- un mémoire tendant à solliciter la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation ainsi formulée : « les dispositions du 4e alinéa de l'article L.3136-1 du code de la santé publique, créé par la oi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, portent-elles atteinte aux droits et lhbertés que la Constitution garantit, et notamment au principe de légalité des délits et à l'exigence pour le législateur d'épuiser sa propre compétence, ainsi qu'au principe de la présomption d'innocence? ».

Les conseils du prévenu font valoir que le Conseil constitutionnel n'a pas eu à se prononcer sur la conformité de l'article 2 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 et que la présente question prioritaire de constitutionnalité présente un caractère sérieux pour deux motifs :

+ les dispositions du 4e alinéa de l'article L.3136-1 du code de la santé publique sont contraires au principe de légalité des délits et à l'exigence pour le législateur d'épuiser sa propre compétence ;

+ les dispositions du 4e alinéa de l'article L.3136-1 du code de la santé publiques ont contraires au principe de la présomption d'innocence ;

- des conclusions aux fins d'inconventionnalité aux articles 6 et 7 de Îa Convention de sauvegarde de droits de l'Homme pour deux motifs :

• les dispositions du 4e alinéa de l'article L.3136-I du code de la santé publique ne respectent pas le principe constitutionnel de légalité et l'exigence pour le législateur d'épuiser sa propre compétence dès lors que cette infraction n'est pas définie en termes suffisamment clairs et précis permettant aux citoyens d'adapter leur comportement au regard d'une règle de droit pouvant être assimilée par tout un chacun et le texte renvoie au pouvoir réglementaire à l'administration et aux forces de l'ordre la détermination des éléments constitutifs de ce délit ;

• ce texte viole le principe de la présomption d'innocence en ce que la personne déférée en comparution immédiate du chef du nouveau délit de violation réitérée du confinement n'a pas épuisé les voies de recours qui s'ouvrent à elle pour contester les trois contraventions qui ont été dressées à son encontre.

Le Ministère public requiert le rejet de l'exception de nullité soulevée aux motifs que le délit prévu par l'article L.3136-1 du code de la santé publique ne relève pas d'une loi n1 d'une procédure spéciale et que les dispositions de l'article 397-6 du code de procédure pénale ne sont pas applicables en l'espèce. Il s'oppose à la demande de communication à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité formée par les Conseils de [C A] et dépose des observations écrites selon lesquelles le texte de loi est suffisamment clair et précis et que le renvoi par un texte de loi aux précisions réglementaires est courante en matière délictuelle. Il précise que le texte du code de la santé publique définit clairement l'infraction et la sanction et qu'il n'y à pas violation aux dispositions de l'article 8 de la la Convention de sauvegarde de droits de l'Homme.

Il considère que l'argumentaire qui repose sur une atteinte à la présomption d'innocence doit être écarté dans la mesure où le texte de répression n'exige pas qu'il soit démontré l'existence préalable de plus de trois contraventions définitives mais exige plus de trois verbalisations.

Le tribunal, après en avoir délibéré à joint l'incident de nullité au fond.

Le prévenu, qui avait préalablement consenti à être immédiatement jugé, a été interrogé puis le ministère public a requis qu'il soit déclaré coupable et qu'une peine d'emprisonnement ferme soit prononcée à son encontre, outre Îa révocation des sursis, ainsi que son maintien en détention.

Me Hervé puis Me Bourdier ont plaidé la relaxe.

Le tribunal, après en avoir délibéré, a statué en ces termes :

1/ Sur l'exception de nullité du procès-verbal de comparution immédiate devant Je tribunal du $ avril 2020,

L'article 397-6 du code de procédure pénale est ainsi libellé : « Les dispositions des articles 393 à 397-5 ne sont applicables ni aux mineurs, ni en matière de délits de presse, de délits politiques ou d'infractions dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale. »

Il est de droit que le recours à la procédure de comparution immédiate ne se heurte pas aux dispositions mentionnées supra lorsqu'une loi spéciale détermine une incrimination, mais ne soumet pas la procédure à une procédure spéciale.

En l'espèce, l'article L.3136-1 du code de la santé publique n'est pas soumis à une procédure de poursuite prévue par une loi spéciale mais relève du droit commun ; dès lors, la procédure mise en œuvre par le procureur de la République est régulière.

Il n'y a pas lieu de prononcer la nullité du procès verbal de comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de [LOCALITE 9] du 5 avril 2020.

2/ Sur la question prioritaire de constitutionnalité

L'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du (Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances :

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et hbertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnahté au Conseil d' Etat ou à ia Cour de cassation.

La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d' Etat ou à la Cour de cassation dans les buit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.

En l'espèce, il n'est pas argué que la disposition contestée constitue le fondement des poursuites et qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution. Les deux premières conditions sont remplies.

Il convient d'examiner si la question posée n’est pas dépourvue de caractère sérieux, à savoir si elle ne présente pas de caractère visiblement fantaisiste ou dilatoire, si elle est suffisamment précise quant aux dispositions législatives critiquées et aux textes et principes constitutionnels présentés comme non respectés et si le moyen soulevé semble opérant, ce qui est contesté par le Ministère public.

Cependant le mémoire de la Défense, déposé le 6 avril 2026, fait état du non respect par les dispositions du 4éme alinéa de l'article 3136-1 du code de la santé publique des articles 8 et 9 de la la Convention de sauvegarde de droits de l'Homme et de l'article 34 de la Constitution.

Le mémoire relève notamment la possible interprétation des termes de violation et de contravention ; 1l est soulevé également le non respect de la présomption d'innocence dans la mesure où Île prévenu devrait avoir comnus trois contraventions pour laquelle la procédure de l'amende forfaitaire est prévue, dans un délai de 30 jours, alors que le délai accordé au contrevenant pour solliciter une exonération et contester le principe même de la contravention est de 45 jours, conformément à l'article 529-2 du code de procédure pénale.

Au vu de ces éléments précis, soutenus par une argumentation juridique détaillée au regard des textes constitutionnels et supra-constitutionnels, la question prioritaire de constitutionnalité formulée par les avocats du prévenu ne peut être considérée comme fantaisiste.

Le caractère éventuellement dilatoire doit être totalement écarté puisque le tribunal ne saurait en tout état de cause surseoir à statuer sur le fond alors que [C A] est privé de liberté en raison de l'mstance.

La question n'étant pas dépourvue de caractère sérieux, il convient en conséquence de la transmettre à la Cour de cassation.

3/ Sur conventionnalité du 4ème alinéa de l'article L.3136-1 du code de la santé publique

Le prévenu soutient que le tribunal doit juger le 4ème alinéa de l'article L.3136-] du code de la santé publique mconventionnel comme non conforme aux articles 6 et 7 de la la Convention de sauvegarde de droits de l'Homme. Il développe des moyens identiques à ceux développés au soutien de sa demande de transmission d' une question prioritaire de constitutionnalité.

Il est de droit que le juge judiciaire peut contrôler la conventionnalité de la loi pénale, nonobstant la procédure particulière de la transmission d'une question prioritaire de consttutionnalité.

S'agissant de la clarté du texte, le texte d'incrimination prévu par l'article L.3136-I du code de la santé publique fixe la définition du comportement interdit et la sanction encourue de manière précise.

C'est la loi n°2026-290 du 23 mars 2020 qui définit le délit et sa répression.

Le fait pour le législateur de ne pas énumérer tous les détails de l'interdit, est une prabque courante. Le recours au décret réglementaire du Premier Ministre pris sur le rapport du mamistre de la santé est juridiquement fondé.

La prévention telle que hHbellée par l'article L.3136-1 du code de la santé publique s'entend par l'existence d'un cumul de constatations par procès-verbal de violations des imterdictions ou obligations édictées par les articles L3131-1 et L3131-15 à 3131-17 du code de la santé publique.

Le deuxième moven tiré du prétendu caractère flou des termes de la lot est ainsi écarté.

Enfin, s'agissant du prétendu non - respect de la présomption d'innocence, H convient de constater que le texte critiqué ne lie pas le tribunal dans son appréciation des faits reprochés au prévenu. En effet, la juridiction saisie ne doit pas se contenter de constater l'existence d'au moins trois contraventions de 4e ou de 5e classe définitives ou non défirutives, mais doit apprécier souverainement chacun des éléments constitutifs de !' infraction, le prévenu étant présumé innocent desdites contraventions.

Dès lors, le 4ème alinéa de l'article L.3136-1 du code de la santé publique n'est pas contraire aux articles 6 et 7 de la la Convention de sauvegarde de droits de l'Homme.

4/ Sur le fond

Il est reproché au prévenu d'avoir « réitéré à plus de trois reprises et dans un délai de 30 jours, une violation des interdictions ou obligations édictées dans une circonscription territoriale ou l'état d'urgence sanitaire est déclaré faits commis du 27 mars 2020 au 4 avril 2020 à [LOCALITE 10] ».

Le prévenu reconnaît être sorti prendre l'air sans autorisation au moment de son mterpellation, contrairement aux règles de confinement imposé, mais ne sc souvient pas de la contravention du 27 mars 2020 et affirme avoir produit une attestation dérogatoire lui permettant de sortir faire des courses d'alimentation le 4 avril 2026.

Il résulte du dossier que les policiers ont verbalisé le prévenu le 27 mars 2020 à 17h26, le 2 avril 2020 à 18h12, le 4 avri 2020 à 16h20 et à 17h30 et l'ont interpellé sur la voie publique le 4 avril à 18h55.

Ont été joints au dossier le procès verbal du 2 avril 2020 ct celui du 4 avril 2020 msi qu'un document faisant état d'une infraction, document qui paraît probablement issu du système de traitement automatisé des infractions et apparemment en lien avec la verbalisation du 27 mars 2020.

Ni la lecture de ce dernier document ni celle du procès-verbal du 4 avril 2020 à 16h29 , ni celle du procès-verbal du 4 avril 2020 à 17h30, ne permet de connaître les circonstances entourant le contrôle du prévenu, contrairement à ia lecture du procès- verbal du 2 avril 2020 qui détaille que le prévenu n'a présenté aucune attestation dérogatoire de sortie de domicile et qu'il y avait un rassemblement de jeunes sans motif légitime.

Il est relevé par le brigadier de police dans son procès-verbal d'interpellation que le nommé [A C] a présenté aux forces de l'ordre, le même jour du 4 avril 2020 la même attestation mal renseignée. Or, sur le procès-verbal de contravention de 5e classe, il est mentionné que le contrevenant n'est pas en mesure de présenter un document justifiant d'un déplacement autorisé, Cette contradiction dans les constatations des policiers fait naître un doute qui ne peut que profiter au prévenu.

Les éléments de l'enquête ne permettent pas au tribunal d'apprécier la réahté de la violation des interdictions reprochées à [C A] les 27 mars 2020 et 4 avril 2020.

En conséquence, la réitération à plus de trois reprises de violation des interdictions ou obligations édictées dans une circonscription où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, n'est pas suffisamment caractérisée.

Il convient de prononcer la relaxe du prévenu.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et contradictoirement à l’égard de [A C],

Accorde à [A C] le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire .

Joint les exceptions au fond.

Rejette l'exception de nullité soulevée par [A C].

Ordonne la transmission sans délai au Conseil Constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité posée par [A C].

Rejette les moyens tendant à l'mconventionnalité de 4ème alinéa de l'article L.3136 -1 du Code de la santé publique.

Sur le fond, relaxe [A C] au bénéfice du doute, les violations des 27 mars 2020 et 04 avnil 2020 n'étant pas suffisamment caractérisées.

et le présent jugement ayant été signé par la présidente et la greffière,

LA GREFFIERE