Tribunal administratif de Marseille

Ordonnance du 10 mars 2020 N° 1910631 QPC

10/03/2020

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE MARSEILLE

 

 

N° 1910631-QPC

___________

 

SCI BERAHA

___________

 

Ordonnance du 10 mars 2020

___________

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

La Présidente de la 6ème Chambre,

 

 

 

Vu la procédure suivante :

 

Par des mémoires enregistrés le 16 décembre 2019 et la 4 février 2020, la SCI Beraha, représentée par Me Roustouil, demande au tribunal, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l’appui de sa requête tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l’année 2015, de transmettre au Conseil d’Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’article 210 F du code général des impôts dans sa version en vigueur au 30 juin 2015.

 

Elle soutient que :

- les impositions supplémentaires qu’elle conteste résulte d’un refus d’éligibilité au dispositif prévu à l’article 210 F du code général des impôts ;

- ces dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;

- elles méconnaissent le principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que le principe d’égalité devant la loi fiscale prévu à l’article 6 du même texte. En effet, l’article 210 F du code général des impôts créé une incitation fiscale visant à favoriser les cessions d’immeubles à usage professionnel en vue de leur transformation en immeubles à usage d’habitation réservé aux acquéreurs assujettis à l’impôt sur les sociétés. Cette différenciation n’est pas fondée sur un critère objectif et rationnel répondant aux objectifs poursuivis. Le bénéfice du dispositif a d’ailleurs été étendu par la loi de finances du 30 décembre 2017 aux sociétés bénéficiant du régime fiscal de l’article 239 ter du code général des impôts.

 

 

Par un mémoire en défense enregistré le 7 janvier 2020, l’administratrice générale des finances publiques, directrice de la direction de contrôle fiscal Sud-Est fait valoir que la condition tenant au caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité soulevé, posée par l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 n’est pas remplie.

 

 

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

 

 

Vu :

- la Constitution,

- la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789,

- l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

- le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution,

- le code général des impôts,

- le code de justice administrative.

 

 

Considérant ce qui suit :

 

 

1. Aux termes de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ».

 

2. Aux termes de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 : « Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (…), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ». L’article 23-2 de la même ordonnance ajoute que : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ».

 

 

3. Aux termes de l’article 210 F du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au titre de l’année 2015 : « I.- Les plus-values nettes dégagées lors de la cession d'un local à usage de bureau ou à usage commercial par une personne morale soumise à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun sont soumises à l'impôt sur les sociétés au taux mentionné au IV de l'article 219 (…) ». La SCI Beraha soutient qu’en subordonnant le bénéfice du taux mentionné au IV de l’article 219 à la condition que l’acquéreur des locaux professionnels destinés à être transformés en locaux à usage d’habitation soit soumis à l’impôt sur les sociétés, ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité devant la loi fiscale et le principe d’égalité devant les charges publiques garantis, d’une part, par les articles 1er et 6, et, d’autre part, par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

 

4. Les dispositions précitées de l’article 210 F du code général des impôts sont applicables au litige et n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au principe d’égalité devant la loi et au principe d’égalité devant les charges publiques pose une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité présentée par la SCI Beraha.

 

 

 

 

ORDONNE :

 

 

Article 1er : La question de la constitutionnalité de l’article 210 F du code général des impôts dans sa version en vigueur au titre de l’année 2015 est transmise au Conseil d’Etat.

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête n° 1910631 de la SCI Beraha jusqu’à la réception de la décision du Conseil d’Etat ou, s’il a été saisi, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SCI Beraha et à la directrice de la direction de contrôle fiscal Sud-Est.

 

 

Fait à Marseille, le 10 mars 2020.

 

 

 

La Présidente de la 6ème chambre,

 

 

Signé

 

 

H. Rouland-Boyer

 

 

 

La République mande et ordonne au ministre de l’action et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

 

P/ Le greffier en chef,

Le greffier,

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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N°1910631