Conseil de Prud'hommes de Paris

Jugement du 26 février 2020, N°RG F 18/09722

26/02/2020

Renvoi

CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE PARIS

27, rue Louis Blanc

75484 PARIS CEDEX 10

Tél : 01.40.38.52.00

BH

SECTION Industrie chambre 1

RG N° N°RG F 18/09722 - N° Portalis 3521-X-B7C-JMJIKF

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

JUGEMENT DE TRANSMISSION D’UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

contradictoire et non susceptible de recours

Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 février 2020

En présence de Monsieur Henri BERGER, Greffier

Composition de la formation lors des débats :

M. TRABATTONI, Président Conseiller Salarié

Mme KALOGO, Conseiller Salarié

Mme BOUDARD DAUBRESSE, Conseiller Employeur

M. HAMELIN, Conseiller Employeur

Assesseurs

assistée de M. BERGER, Greffier

ENTRE

M. [A B] ayant droit de Monsieur [A B]

né le [DateNaissance 1] 1946

Lieu de naissance : [LOCALITE 2]

[adresse 3]

[LOCALITE 4]

Représenté par Me Joao VIEGAS E1778 (Avocat au barreau de PARIS)

PARTIE DEMANDERESSE

ET

AGENCE NATIONALE POUR LA GARANTIE DES DROITS DES MINEURS (ANGDM) venant aux droits de l’EPIC CHARBONNAGES DE FRANCE

[adresse 5]

[LOCALITE 6]

Représentée par Me Matisse BELUSA RO013 (Avocat au barreau de PARIS) substituant Me Pierre JUNG R013 (Avocat au barreau de PARIS)

PARTIE DEFENDERESSE

 

PROCÉDURE

- Saisine du Conseil : 17 décembre 2018

- Mode de saisine : par conclusions déposées au greffe soulevant une question prioritaire de constitutionnalité.

- Audience de mise en état du 26 mars 2019.

- Avis au Ministère Public adressé le 29 mars 2019 et visé par le Parquet le 12 avril 2019.

- Renvois successifs à l'audience de jugement du 27 juin 2019, puis du 03 octobre 2019 puis du 19 novembre 2019.

- Débats à l'audience de jugement du 19 novembre 2019 à l’issue de laquelle, les parties et le Ministère Public ont été avisées de la date et des modalités du prononcé de la décision, fixé au 26 février 2020, conformément aux dispositions de l’article 126-4 du code de procédure civile.

EXPOSÉ DU LITIGE

La partie demanderesse, représentée par Maître Joao VIEGAS conteste devant le Conseil de Prud’hommes le refus de l” Agence Nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM) de lui allouer les avantages prévus à l’article 100 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014, dans sa version résultant de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, au motif que cette disposition conditionne ces avantages au fait que les dossiers des demandeurs aient préalablement été instruits par l’établissement en application de l’article 107 de la loi n°20064- 1484 du 30 décembre 2004.

Dans ce litige, la partie demanderesse soutient que, si l’article 100 doit être interprété dans le sens retenu par l'ANGDM , alors il entraîne une différence de traitement parfaitement dépourvue de justification au regard de l’objet de la loi et, par conséquent, il est contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi, consacré par l’article 1er de la Constitution et par les articles 1er et 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Ce moyen posant une question de constitutionnalité d’une disposition législative, il relève de la compétence du Conseil constitutionnel et il y a lieu de le soulever dans un mémoire à part, en demandant au Conseil de Prud’hommes de surseoir à statuer sur le fond en attendant.

L'AGENCE NATIONALE POUR LA GARANTIE DES DROITS DES MINEURS, représentée par Maître Pierre JUNG, précise qu’en 1952, les mineurs des [LOCALITE 7] ont entamé un mouvement de grève à la suite de celui des mineurs des [LOCALITE 8] en 1948.

Les faits de grève ont été sanctionnés par des licenciements et/ou des peines pour atteinte à la liberté du travail, entrave au bon fonctionnement des [LOCALITE 9] ou voies de fait.

Par la suite, les sanctions ainsi prononcées ayant été remises en cause, des mineurs ont été réintégrés et des lois notamment d’amnistie ou portant des mesures sociales ont peu à peu rétabli les mineurs dans leurs droits.

Par ailleurs, l’article 107 de la loi de finance pour 2005 ( loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004) ( ci-après « LOFT 200$ » } a permis aux mineurs grévistes licenciés, qui n’avaient donc pas été réintégrés à l’issue des grèves, de bénéficier, à l’instar des mineurs qui ont fait toute leur carrière dans les mines, de prestations de chauffage et de logement servies sous forme de capital, calculées d’après les règles de calcul applicables aux agents ayant fait l’objet d’une mesure de conversion.

Cet article 107 a ensuite été appliqué aux agents qui avaient bénéficié d’une réintégration. Il leur a été ainsi permis de choisir entre le bénéfice d’un capital ou d’un versement trimestriel des indemnités de chauffage et/ou de logement.

La partie demanderesse, sollicite la condamnation de l’ANGDM à lui verser l’indemnité forfaitaire qui lui serait due en application de l’article 100 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014.

L’ANGDM lui a refusé le versement de cette indemnité au motif que ni son père ni sa mère à la suite du décès de ce dernier, n’ont sollicité l'instruction du dossier par l’ANGDM, conformément à l'article 107 de la LOFT 2005.

Estimant que cette condition est contraire à la Constitution, la partie demanderesse a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil de Prud’hommes de Paris.

DISCUSSION

Vu l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et suivants.

Vu les articles 126-1 et suivants du code de procédure civile, notamment l’article 126-2.

Vu la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par la partie demanderesse, par écrit, le 17 décembre 2018.

Vu les observations formulées par l’AGENCE NATIONALE POUR LA GARANTIE DES DROITS DES MINEURS venant aux droits de l’EPIC CHARBONNAGES DE FRANCE le 19 novembre 2019.

Vu l'avis du Ministère Public en date du 12 avril 2019.

En application de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’état ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de Cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

En l’espèce, la partie demanderesse prétend que l’article 100 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 porte atteinte au principe d'égalité devant la loi, consacré par l’article 1er de la Constitution et par les articles 1° et 6 de la Déclaration des Droits de l’ Homme et du Citoyen en ce qu’il est incontestablement le fondement légal invoqué par lANGDM pour lui refuser le bénéfice qu’elle réclame, son texte étant d’ailleurs expressément cité dans la réponse. Il est donc constant que cette disposition est applicable au litige soulevé par la saisine. Or cette disposition n’a jamais été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Les deux premières conditions posées par l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 (dans sa version résultant de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009) sont donc réunies.

Par ailleurs, la question de la constitutionnalité de la disposition en cause est sérieuse.

En effet, le refus de faire droit à la demande de la partie demanderesse est motivé par une lecture littérale de l’article 100 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014, qui postule que les bénéfices que cette disposition institue en faveur des mineurs licenciés abusivement pour faits de grève en 1948 et 1952 ( ou leurs ayants droit}, sont strictement conditionnés par l’existence préalable de dossiers les concernant, instruits par l’ANGDM en application de l’article 107 de la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004.

En réplique, l'AGENCE NATIONALE POUR LA GARANTIE DES DROITS DES MINEURS venant aux droits de l’EPIC CHARBONNAGES DE FRANCE, précise que pour transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, le juge du fond doit s’assurer de l’applicabilité de la disposition légale contestée au fond du litige qui lui est soumis.

En l’espèce, sans régler la question au fond, la partie demanderesse doit démontrer que l’article 100 de la LOFI 2015 dont elle conteste la constitutionnalité, s’applique à sa situation.

Il lui appartient de justifier être le fils ou la fille d’un mineur licencié pour fait de grève. Ce premier critère parait rempli en l’espèce, puisque qu’il est produit un acte de notoriété dont il ressort un lien de filiation, et qu’il a été prouvé que son père a été mineur gréviste et licencié pour cela.

Dès lors la disposition législatives est susceptible d’être appliquée en l’espèce quelle que soit l’issue de la question prioritaire de constitutionnalité,

Sur la seconde condition de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, 1l n’est pas contesté qu'elle est remplie, puisque l’article 100 de la LOFT 2015 n’a pas déjà été soumis à un contrôle de constitutionnalité.

En revanche, sur la troisième condition, 1l apparaît que la question est dépourvue de caractère sérieux.

En l'espèce, si la question posée n’a évidemment rien de dilatoire, elle est en revanche manifestement infondée.

En effet, la partie demanderesse soutient que les dispositions de l’article 100 de la LOFT 2015 traiteraient de façon différente les victimes des licenciements abusifs de 1948 et 1952, selon qu’elles ont ou non déposé, « avant l’entrée en vigueur de la loi », une demande d’octroi du capital défini à l’article 107 de la loi de finances pour 2005. Une telle différence de traitement serait incompréhensible dans la mesure ou la différence de situations ne serait pas justifiée par l’objet de la loi, qui est de réparer les préjudice causés aux mineurs grévistes. Cette affirmation n’est pourtant pas fondée dans la mesure ou l’article 107 de la loi de finances pour 2005 ne prévoit pas de délai de dépôt de la demande d'instruction du dossier.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité du moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution

Le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution a été présenté à l’audience dans un écrit distinct et motivé des autres observations. il est donc recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation

L'article 23-2 de l’ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu'elle est relative à la contestation de l’article 100 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014.

Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

En outre, elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce qu’elle pose la question de l'application d’un texte de loi et de ses conséquences au regard de l’article 1er de la Constitution et des articles 1er et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

« L'article 100 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 porte-t-il atteinte au principe d'égalité devant la loi, consacré par l'article 1er de la Constitution et par les articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ? ».

Sur les autres demandes des parties et les dépens

En application des dispositions de l’article 23-3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, lorsque qu’une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

La juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droit d’une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

En l'espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soit ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

Il sera donc sursis à statuer sur les autres demandes des parties et les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS:

Le Conseil, après en avoir délibéré, statuant par mise à disposition au greffe, par Jugement contradictoire non susceptible de recours, indépendamment du jugement sur le fond.

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question suivante :

« L'article 100 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 porte-t-il atteinte au principe d'égalité devant la loi, consacré par l’article 1er de la Constitution et par les articles 1er et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ? ».

DIT que le présent jugement sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité,

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision.

SURSOIT à statuer sur les autres demandes des parties.

DIT que l’affaire sera rappelée à l’audience du 25 juin 2020 à 13h00 salle [LOCALITE 10].

RÉSERVE les dépens.

LE GREFFIER,

en charge de la mise à disposition

LE PRÉSIDENT,