Cour d'Appel de Toulouse

Arrêt du 15 janvier 2020 n° 19/04357

15/01/2020

Renvoi

15/01/2020

 

ARRÊT N°15

 

N° RG 19/04357 - N° Portalis DBVI-V-B7D-NHJB

 

PHD/CO

 

Décision déférée du 16 Juillet 2016 - Tribunal de Commerce de MONTAUBAN - 2019002887

 

[S] [U]

 

C/

 

[P] [N]

 

MP PG COMMERCIAL

 

FAIT DROIT A LA DEMANDE

 

Grosse délivrée

 

le

 

à

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

***

 

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

 

2ème chambre

 

***

 

ARRÊT DU QUINZE JANVIER DEUX MILLE VINGT

 

***

 

DEMANDEUR A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

 

Madame [S] [U]

 

[Adresse 2]

 

[Localité 4]

 

Représentée par Me Eric MARTY ETCHEVERRY, avocat au barreau de TOULOUSE

 

DEFENDEUR

 

Maître [P] [N]

 

En-qualité de Mandataire liquidateur de

 

Madame [S] [U] nommé à cette fonction par le Jugement du Tribunal de Commerce de MONTAUBAN du 16 juillet 2019,

 

[Adresse 1]

 

[Adresse 1]

 

[Localité 3]

 

Représenté par Me Franck MALET de la SCP MALET FRANCK ET ELISABETH, avocat au barreau de TOULOUSE

 

COMPOSITION DE LA COUR

 

Après audition du rapport , l'affaire a été débattue le 16 décembre en audience publique, devant la cour composée de  :

 

F. PENAVAYRE, président

 

P. DELMOTTE, conseiller

 

S. TRUCHE, conseiller

 

Greffier, lors des débats : J. BARBANCE- DURAND

 

MINISTERE PUBLIC

 

M.JARDIN, substitut général auquel l'affaire a été régulièrement communiqué qui a déposé des conclusions le 5 Décembre 2019 lesquelles ont été notifiées aux parties le 5 décembre 2019;

 

ARRET :

 

- CONTRADICTOIRE

 

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties de ce qu'elles devront, en cas de décision de transmission se conformer aux dispositions de l'article 126-9 relatif à la présentation des observations devant la cour de cassation

 

- signé par P.DELMOTTE, ayant participé au délibéré en remplacement du président empêché et par J.BARBANCE-DURAND , greffier de chambre.

 

Faits, Procédure, Moyens et prétentions des parties

 

Par arrêt du 13 juin 2018, rendu sur renvoi de cassation, la cour de céans a confirmé le jugement du tribunal de commerce de Montauban du 22 mai 2012 en ce qu'il a prononcé la résolution du plan de sauvegarde dont bénéficiait Mme [U] et, l'infirmant pour le surplus,

 

- a constaté l'état de cessation des paiements de Mme [U] en fixant la date de la cessation des paiements à la date de l'arrêt

 

- a désigné M. [N] (le mandataire) en qualité de mandataire judiciaire

 

- prononcé l'ouverture d'un redressement judiciaire et renvoyé la procédure devant le tribunal de commerce de Montauban en vue d'arrêter un plan de redressement destiné à l'apurement du passif.

 

L'affaire a été appelée à l'audience du tribunal du 11 décembre 2018, date à laquelle il a été décidé la poursuite de la période d'observation et la convocation de la débitrice à l'audience du 16 avril 2019.

 

L'affaire a fait l'objet de trois renvois successifs aux audiences des 14 mai, 11 et 25 juin 2019.

 

Par requête du 17 mai 2019, le mandataire a sollicité du tribunal la conversion du redressement en liquidation judiciaire.

 

Par courrier du 25 mai 2019, Mme [U] a invité le ministère public à saisir le tribunal d'une demande en prolongation exceptionnelle de la période d'observation ; le ministère public a émis le 18 juin 2019 un avis défavorable à la prolongation exceptionnelle de la période d'observation.

 

Mme [U] a alors saisi le tribunal d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la prolongation exceptionnelle de la période d'observation prévue par l'article L.621-3, alinéa 1er in fine, du code de commerce.

 

Par jugement du 16 juillet 2019, le tribunal de commerce de Montauban, qui a refusé d'ordonner la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation, a prononcé la liquidation judiciaire de Mme [U] et a désigné M. [N](le liquidateur) en qualité de liquidateur judiciaire.

 

Par déclaration du 26 juillet 2019, Mme [U] a relevé appel de cette décision(instance n° 19/3564).

 

Elle a signifié des conclusions au fond le 4 octobre 2019 ; le liquidateur a signifié des conclusions au fond le 29 octobre 2019.

 

Par un mémoire écrit du 4 octobre 2019, distinct de ses conclusions au fond, Mme [U] a saisi la cour d'une question prioritaire de constitutionnalité dans les termes suivants :

 

' l'article L.621-3 du code de commerce en ce qu'il réserve à M. Le Procureur de la République la demande de prolongation exceptionnelle de la période d'observation pour une durée maximale de six mois, ce à l'exclusion des autres organes de la procédure collective ou du débiteur, n'est-il pas contraire aux droits et libertés que la Constitution garantit et, notamment, au droit à un recours juridictionnel effectif, aux droits de la défense, au droit à un procès équitable, au droit à une procédure juste et équitable que garantissent l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ''

 

Mme [U] a demandé à la Cour d'ordonner la transmission de cette question à la Cour de cassation et de surseoir à statuer dans le cadre de l'instance au fond dans l'attente de la décision de la Cour de cassation ou du Conseil Constitutionnel si celui-ci est saisi.

 

Vu les conclusions du 6 décembre 2019 du liquidateur demandant à la cour

 

- au principal, de déclarer irrecevable la question présentée par Mme [U] sans la représentation de son liquidateur

 

- à titre subsidiaire, de déclarer la question non fondée en l'absence de caractère sérieux

 

- de condamner Mme [U] à lui payer la somme de 2500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

 

Vu les observations écrites du ministère public du 5 décembre 2019, transmises aux parties via le RPVA, demandant à la cour de dire n'y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité présentée par Mme [U] en l'absence de caractère sérieux.

 

Le conseiller délégué a renvoyé l'examen de la question prioritaire de constitutionnalité à la formation de jugement de la deuxième chambre, à l'audience du 16 décembre 2019, par application de l'article 126-3 du code de procédure civile .

 

Motifs

 

Attendu que l'article L.621-3, alinéa 1er, du code de commerce , applicable en redressement judiciaire, qui est seul critiqué, dispose : 'le jugement ouvre une période d'observation d'une durée maximale de six mois qui peut être renouvelée une fois pour une durée maximale de six mois par décision motivée à la demande de l'administrateur, du débiteur ou du ministère public. Elle peut en outre être exceptionnellement prolongée à la demande du procureur de la République par décision motivée du tribunal pour une durée maximale de six mois'.

 

Attendu que nonobstant la règle du dessaisissement résultant de l'article L.641-9 du code de commerce, le débiteur en liquidation judiciaire conserve le droit propre de soumettre à la juridiction une question prioritaire de constitutionnalité .

 

Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité est posée par écrit, cet écrit étant distinct des conclusions au fond de Mme [U] et est motivée;

 

Attendu que la question intéresse des dispositions législatives votées par le Parlement et promulguées par le Président de la République et se fonde sur une atteinte à des droits fondamentaux et des garanties essentielles, soit le droit à un procès équitable, les droits de la défense et le droit à un recours effectif au juge, protégés par la Constitution.

 

Attendu que les dispositions critiquées sont applicables à l'instance au fond dont est saisie la cour de céans ;

 

Attendu que la disposition critiquée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

Attendu, enfin, que la question posée n'a pas précédemment été soumise à la Cour de cassation et ne fait pas partie de celles actuellement soumises à cette Cour.

 

Attendu que la question est donc recevable en la forme.

 

Attendu, au fond, qu'il a été jugé que la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises et son décret d'application ne sanctionnent ni le dépassement des délais de la période d'observation, ni sa prolongation exceptionnelle en l'absence de demande du Procureur de la République(Cass com 10 juin 2008, pourvoi n° 0717043, Bill IV n° 115).

 

Attendu que statuant d'office sur la recevabilité d'un pourvoi formé par le ministère public, la Cour de cassation a aussi énoncé que ne commet pas d'excès de pouvoir le tribunal qui prolonge exceptionnellement, pour une durée n'excédant pas six mois, la période d'observation en l'absence de demande du ministère public ou en dépit de l'opposition de celui-ci (Cass com 13 décembre 2017, pourvoi n°16-50.051, Bull. 2017, IV, n° 166 )

 

Attendu qu'en l'absence de sanction du dépassement des délais légaux de la période d'observation ou de la décision du tribunal prolongeant d'office de façon exceptionnelle la période d'observation, la doctrine s'interroge sur le point de savoir si les décisions précitées n'ouvrent pas la voie à des initiatives spontanées telles qu'une requête du débiteur, du mandataire judiciaire ou de l'administrateur en prolongation exceptionnelle de la période d'observation (voir en ce sens (Vallens, RTD Com. 2008, p.871 ).

 

Attendu qu'il convient d'ailleurs d'observer qu'en l'espèce, le tribunal , qui n'était saisi d'aucune demande du Procureur de la République en prolongation exceptionnelle de la période d'observation, s'est toutefois interrogé sur l'opportunité d'une telle mesure dans les motifs de sa décision du 16 juillet 2019.

 

Attendu qu'au regard de ces évolutions jurisprudentielles, la question de savoir si la faculté réservée au seul Procureur de la République de demander la prolongation exceptionnelle de la période d'observation à l'exclusion des organes de la procédure collective comme du débiteur peut être regardée comme conforme à la constitution, n'apparaît pas dépourvue de caractère sérieux ; qu'en effet, le débiteur, même s'il peut, comme en l'espèce, faire transiter sa demande par le truchement du ministère public, s'expose à un avis défavorable du Procureur de la République et est privé en tout état de cause de la faculté de saisir effectivement le tribunal de la procédure collective d'une telle demande qui peut répondre à un intérêt légitime distinct de ceux du mandataire judiciaire représentant l'intérêt collectif des créanciers comme des objectifs du ministère public, agissant au nom de l'intérêt général ; qu'il apparaît donc légitime de s'interroger sur le point de savoir si le pouvoir exorbitant et exclusif réservé au Procureur de la République de demander la prolongation exceptionnelle de la période d'observation

 

est conforme ou non aux règles du procès équitable, au principe du recours effectif au juge qui en constitue un aspect, garantis par la Constitution.

 

Attendu qu'il y a donc lieu de transmettre la question à la Cour de cassation.

 

Attendu qu'il conviendra de surseoir à statuer sur l'appel du jugement du 16 juillet 2019 dans l'attente de la décision de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel s'il est saisi.

 

PAR CES MOTIFS

 

Déclare recevable la question prioritaire de constitutionnalité présentée par Mme [U] ;

 

Ordonne la transmission à la Cour de la cassation de la question prioritaire de constitutionnalité posée dans les termes suivants :

 

' l'article L.621-3 du code de commerce en ce qu'il réserve à M. Le Procureur de la République la demande de prolongation exceptionnelle de la période d'observation pour une durée maximale de six mois, ce à l'exclusion des autres organes de la procédure collective ou du débiteur, n'est-il pas contraire aux droits et libertés que la Constitution garantit et, notamment, au droit à un recours juridictionnel effectif, aux droits de la défense, au droit à un procès équitable, au droit à une procédure juste et équitable que garantissent l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ''

 

Dit que la présente décision sera transmise par le Greffe, dans les huit jours de son prononcé, à la Cour de cassation, accompagnée des conclusions des parties et des observations du ministère public ;

 

Sursoit à statuer sur l'appel du jugement du 16 juillet 2019(instance n° 19/3564) jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel s'il est saisi ;

 

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [N], ès qualités.

 

Le greffier, Le président,

 

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