Cour des comptes

Arrêt du 14 novembre 2019 n° S 2019-2568

14/11/2019

Renvoi

Cour des comptes

 

 

 

 

QUATRIÈME CHAMBRE

 

Première section Arrêt n° S 2019-2568

Audience publique du 17 octobre 2019

 

Prononcé du 14 novembre 2019

 

 

T

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

OFFICE DU TOURISME DE L'ALPE DHUEZ

(ISÈRE)

 

 

Questions prioritaires de constitutionnalité

 

 

Rapports n° R2019-0791 et R-2019-0991-1

 

 

 

 

République Française Au nom du peuple français,

 

 

La Cour,

 

Vu la requête enregistrée au greffe de la chambre régionale des comptes Auvergne, Rhône-Alpes le 6 février 2018, par laquelle M. Jean-Guy A…, représenté par Maître Denis GARREAU, a interjeté appel des dispositions définitives du jugement de ladite chambre régionale des comptes, rendu à son encontre le 6 décembre 2017, le constituant débiteur de la somme de 416 484 € et confirmant le prononcé d'une amende de 80 000 € ;

 

Vu la requête d'appel enregistrée au greffe de la chambre régionale des comptes Auvergne, Rhône-Alpes le 31 janvier 2018, par laquelle M. Alphonse B…, représenté par Maître Stefan SERROR, a interjeté appel des dispositions définitives du jugement de ladite chambre régionale des comptes, rendu à son encontre le 6 décembre 2017, le constituant débiteur de la somme de 416 484 €, et confirmant le prononcé d'une amende de 50 000 € ;

 

Vu le mémoire, enregistré le 6 février 2018 au greffe de la chambre régionale des comptes Auvergne, Rhône-Alpes, par lequel Maître GARREAU, avocat de M. A…, a soulevé, dans le cadre de l'instance en cours, une question prioritaire de constitutionnalité, relative à la conformité des dispositions de l'article L131-11 du code des juridictions financières aux droits et libertés que la Constitution garantit ;

 

Vu le mémoire, enregistré le 11 juillet 2019 au greffe de la Cour des comptes, par lequel Maître SERROR, avocat de M. B…, a, à son tour, soulevé, une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des dispositions de l'article L 131-11 précité aux droits et libertés protégés par la Constitution ;

 

Vu la Constitution, notamment son article 61-1 ;

 

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1, 23-2 et 23-3 ;

 

Vu le code des juridictions financières et notamment son article LO 142-2 ;

 

Vu les rapports de Mme Marie-Aimée GASPARI, conseillère référendaire, chargée de l'instruction de ces deux questions prioritaires de constitutionnalité ;

 

13 rue Camèoo11 - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - w 1 w.cco rnp tes. fr

 

 

 

Vu les conclusions de la Procureure générale n° 624 et n° 625 du 14 octobre 2019 ; Vu les autres pièces du dossier;

Entendu lors de l'audience publique du 17 octobre 2019, Mme Marie-Aimée GASPARI en ses rapports, Mme Loguivy ROCHE, avocate générale, en les conclusions du ministère public, MM. Jean-Guy A… et Alphonse B… assistés de leurs conseils, présents à 1·audience, et ayant eu la parole en dernier;

 

Après avoir entendu en délibéré, M. Patrick SITBON, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;

 

 

 

1. Attendu que la Cour des comptes, en qualité de juge du fond, est compétente pour statuer sur la question prioritaire de constitutionalité formulée pour M. B… devant la chambre régionale des comptes Auvergne, Rhône-Alpes dans le cadre de la présente instance d'appel ; qu'il y a lieu de joindre cette demande à celle formulée devant la Cour des comptes pour M. A…, afin qu'il y soit statué par une seule et même décision ;

 

Sur la recevabilité

 

2. Attendu que l'article 61-1 de la Constitution dispose : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État [..] qui se prononce clans un délai déterminé. » ;

 

3. Attendu qu'aux termes de l'article LO 142-2 du code des juridictions financières : « /.- La transmission au Conseil d’État, par une juridiction régie par le présent code, d'une question prioritaire de constitutionnalité obéit aux régies définies par les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. » ;

 

4. Attendu qu'aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée, « [...] le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé [...] » ; que MM. A… et B… ont chacun produit un mémoire distinct et motivé ;

 

5. Attendu, dès lors, que les demandes formulées, respectivement pour MM. A… et B…, sont recevables ;

 

Sur la transmission au Conseil d'Etat

 

6. Attendu qu'en application de l'article 23-2 de l'ordonnance de 1958 précitée, la transmission au Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité est soumise à trois conditions cumulatives : la disposition législative contestée doit être « [... ] applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites [... ] », elle ne doit pas avoir « [... ] été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances » et « [..,] n'est pas dépourvue de caractère sérieux. » ;

 

7. Attendu que les questions prioritaires de constitutionnalité respectivement soulevées par Maître GARREAU pour M. A…, et par Maître SERROR pour M. B…, se rapportent aux dispositions de l'article L. 131-11 du code des juridictions financières en ses rédactions successives, notamment celle issue de la loi n° 94-1040 du 2 décembre 1994 relative à la partie législative des livres Ier et Il du code des juridictions financières ; que ces dispositions prévoient, de façon constante, que les comptables de fait peuvent, dans le cas où ils n'ont pas fait l'objet de poursuites prévues à l'article 433-12 du code pénal, être condamnés à I’amende par la Cour des comptes en raison de leur immixtion dans les fonctions de comptable public ;

 

 

8. Attendu que, selon les requérants, lesdites dispositions de l'article L. 131-11 du code des juridictions financières méconnaissent le principe de nécessité des délits el des peines, défini par l‘article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen,

 

9 Attendu que la disposition législative dont la constitutionnalité est contestée est applicable

à l'instance dont est saisie la Cour des comptes ;

 

10. Attendu, par ailleurs, que les dispositions de l'article L. 131-11 du code des juridictions financières n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel ;

 

11. Attendu enfin que les demandeurs soutiennent que leur moyen n'est pas dépourvu de caractère sérieux ; que les sanctions pénales prononcées en répression des délits d'abus de confiance, de détournements de fonds publics, de concussion, de corruption ou encore d'abus de biens sociaux ne sauraient se cumuler avec le prononcé d'une amende au titre de la gestion de fait, dès lors que les faits incriminés sont les mêmes, que les sanctions, du fait de la sévérité de I’amende encourue en matière de gestion de fait, sont de même nature, et que les intérêts protégés, en l'espèce l'utilisation irrégulière de deniers publics, sont identiques ;

 

12. Attendu qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul

ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ;

 

13. Attendu ainsi que les moyens tirés de ce que l'article L. 131-11 du code des juridictions financières porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe de nécessité des délits et des peines résultant de I’article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne sont pas dépourvus de caractère sérieux ;

 

14. Attendu que M B… soutient au surplus que les dispositions de l'article L 131-11, dès lors qu'elles permettent un cumul de poursuites devant les juridictions financières et pénales, sont contraires au principe de présomption d'innocence défini à I’article 9 de la même Déclaration ; qu'à l'appui de sa demande, il fait valoir que l'article 9 implique qu'aucune sanction ayant le caractère de punition ne puisse être prononcée sans que la personne mise en cause n'ait été à même de présenter ses observations sur les faits qui lui sont reprochés;

 

15. Attendu qu'aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de !arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » ;

 

16. Attendu toutefois que, si les dispositions de l'article L. 131-11 du code des juridictions financières rendent possible un cumul de sanctions, elles n'instituent aucune présomption de culpabilité en matière répressive qui violerait les droits de la défense et contreviendrait à I’article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'en conséquence, cette branche de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B…. doit être regardée comme étant dépourvue de caractère sérieux ;

 

17. Attendu qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de transmettre au Conseil d'État les questions prioritaires de constitutionnalité formulées par MM. A… et B… en ce qu'elles contestent la conformité de l'article L. 131-11 du code des juridictions financières aux dispositions constitutionnelles protégeant les droits et les libertés ;

 

18. Attendu que l’article 23-3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 dispose que « Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d'État […] ou, sil a été saisi, du Conseil constitutionnel […] » ;

 

Par ces motifs.

 

 

DÉCIDE:

 

Article 1. - Les questions prioritaires de constitutionnalité respectivement soulevées par M. Jean-Guy A…et par M. Alphonse B… sont transmises au Conseil d État.

 

Article 2. - Il est sursis à statuer sur le fond de l'appel interjeté par chacun des requérants.

 

Fait et Jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section. Présents : M. Jean-Yves BERTUCCI, président de section. président de séance, Mmes Catherine DÉMIER, Dominique DUJOLS, Isabelle LATOURNARIE-WILLEMS. conseillères maîtres et M. Patrick SITBON conseiller maître.

 

En présence de M. Aurélien LEFEBVRE, greffier de séance

 

 

Aurélien LEFEBVRE

 

 

Jean-Yves BERTUCCI

 

 

 

 

 

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