Cour d'Appel de Rennes

Arrêt du 4 octobre 2019 n°328, N° RG 19/05467

04/10/2019

Renvoi

8ème Ch Prud’homale

ARRÊT N° 328

R.G : N° RG 19/05467 -

N° Portalis

DBVL-V-B7D-QA4R

M. [F N]

C/

-Me [S T]

(liquidation judiciaire SEE4SYS TECNOLOGIE)

-Association UNEDIC DELEGATION CGEA Ile De France OUEST

QPC : fait droit à la demande de transmission à la Cour de Cassation

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 04 OCTOBRE 2019

TRANSMISSION D’UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET_DU DELIBERE :

Monsieur Rémy LE DONGE L’'HENORET, Président de chambre,

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Conseillère,

Monsieur Emmanuel ROCHARD, Conseiller,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée : avis du 24 septembre 2019

DÉBATS :

À l’audience publique du 26 Septembre 2619

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 04 Octobre 2019 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

DEMANDEUR à la question prioritaire de constitutionnalité :

Monsieur [F N]

né le [DateNaissance 1] 1976 à [LOCALITE 2] ([...])

demeurant [adresse 3]

[LOCALITE 4]

représenté par M. [K-L M], Défenseur syndical CGT de CARQUEFOU

DEFENDEURS à la question prioritaire de constitutionnalité :

Maître [S T], Mandataire Judiciaire, ès qualités de mandataire liquidateur de la Société SEE4SYS TECHNOLOGIE

SCP BTSG

[adresse 5]

[LOCALITE 6]

non constitué (malgré la signification 902-91 1 CPC régulièrement effectuée le 20 mars2019)

L'Association UNEDIC - Délégation AGS - CGEA ILE-DE-FRANCE OUEST prise en la personne de son représentant légal

[adresse 7]

[LOCALITE 8]

représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU de la SELARL AVOLITIS, Avocat au Barreau de RENNES

En application de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

En l'espèce, M. [F N] représenté par un défenseur syndical a interjeté appel devant la cour d’appel de Rennes du jugement rendu le 13 décembre 2018 par lequel le conseil de prud'hommes de Nantes a déclaré sa demande irrecevable.

Au terme de conclusions d'incident du 7 juin 2019, le CGEA [LOCALITE 9] a soulevé l'irrecevabilité de l'appel pour défaut de capacité du défenseur syndical à représenter M. [H N] devant la Cour d'appel de Rennes, comme ne figurant que sur la liste des défenseurs syndicaux établie par arrêt du Préfet de la Région des pays de Loire.

Par conclusions reçues le 1er août 2019, M. [F N] représenté par un défenseur syndical a demandé la transmission à la Cour de cassation de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'alinéa 3 de l'article L.1453-4 du code du travail.

M. [F N] prétend que le troisième alinéa de l'article L.1453-4 du code du travail selon lequel "le défenseur syndical intervient sur le périmètre d'une région administrative " porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et plus précisément aux principes d'égalité et de liberté syndicale garantis aux sixième et seizième articles de la déclaration de droits de l'homme et du citoyen, à l'article 1° de la constitution du 4 octobre 1958 et au sixième alinéa du préambule de la constitution de 1946, en ce qu'il restreint la compétence géographique des défenseurs syndicaux aux périmètres des régions administratives.

En réplique, l'UNEDIC Délégation AGS CGEA ILE-DE-FRANCE OUEST soutient qu'il n’y a pas d’atteinte au libre choix du défenseur, dans la mesure où en application des dispositions critiquées, le défenseur syndical qui souhaite assister ou représenter un justiciable devant une Cour d’Appel située en dehors de sa région administrative, comme l'avocat plaidant devant la Cour en dehors du ressort de son barreau, tenu de solliciter un de ses confrères pour la postulation, peut recourir aux services d’un autre défenseur syndical qui sera chargé uniquement de la procédure, à l’instar de l’avocat postulant, que le défenseur syndical intervenant à titre gratuit, 1] n'y a pas d'atteinte au principe d'égalité, qu'il n’existe pas de lien entre la délimitation du périmètre d’intervention du défenseur syndical et la liberté du justiciable quant au choix de son représentant, les organisations syndicales étant libres d’établir la liste des défenseurs syndicaux dans le périmètre de la région eu égard à leurs modalités de fonctionnement.

La présente affaire a été communiquée au ministère public le 20 août 2019, qui a fait connaître son avis le 24 septembre 2019.

Le ministère public est d'avis qu'il y a lieu de déclarer la question prioritaire de constitutionnalité soulevée recevable et de conclure à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, les conditions de forme et de fond étant remplies.

Ainsi, le Ministère public considère que la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, est recevable dans la mesure où elle a été soulevée par écrit distinct et motivé en application des dispositions 126-2 du code de procédure civile et qu'elle critique une disposition législative applicable au litige ou à la procédure en cours.

Sur le fond, le Ministère public estime que la question relative à la constitutionnalité du troisième alinéa de l'article L.1453-4 du code du travail doit être transmise à la Cour de cassation en raison de sa nouveauté et de son caractère sérieux.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le moyen tiré de l’atteinte portée aux droits et libertés garantis par la Constitution :

Le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté à l’audience dans un écrit distinct des autres observations de M. [F N], et motivé. Il est donc recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

L'article 23-2 de l’ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable à la procédure ;

2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;

3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu'elle est relative à la capacité du défenseur syndical ayant assisté M. [F N] en première instance devant le Conseil des prud'hommes de NANTES à l'assister devant la Cour d'appel de RENNES dans le cadre de l'appel qu'il a formé contre le jugement du Conseil de prud'hommes de NANTES ayant déclaré son action irrecevable.

Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

En outre, elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce qu'elle a trait à la rupture d'égalité résultant de la limitation géographique à une région administrative imposée au défenseur syndical que le salarié a choisi, à l'inverse du périmètre d'intervention de l'avocat dont la postulation est libre, lui imposant de désigner un autre défenseur syndical pour le représenter en appel et en ce que le conseil d'Etat, dans une décision du 17 novembre 2017 a déjà censuré les restrictions à la compétence territoriale des défenseurs syndicaux en rappelant notamment que la postulation n'est pas applicable en matière prud'homale.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

Le troisième alinéa de l'article L.1453-4 du code du travail selon lequel "le défenseur syndical intervient sur le périmètre d'une région administrative " porte t-il atteinte aux droits et libertés garantis aux sixième et seizième articles de la déclaration de droits de l'homme et du citoyen, à l'article 1er de la constitution du 4 octobre 1958 et au sixième alinéa du préambule de la constitution de 1946 ?

Sur les autres demandes des parties et les dépens :

En application des dispositions de l’article 23-3 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, lorsqu’une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

En l’espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

Il sera donc sursis à statuer sur l’ensemble des demandes des parties, et les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, insusceptible de recours indépendamment de l'arrêt sur le fond,

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question suivante : le troisième alinéa de l'article L.1453-4 du code du travail selon lequel "le défenseur syndical intervient sur le périmètre d'une région administrative "porte t-il atteinte aux droits et libertés garantis aux sixième et seizième articles de la déclaration de droits de l'homme et du citoyen, à l'article 1er de la constitution du 4 octobre 1958 et au sixième alinéa du préambule de la constitution de 1946 ?

DIT que le présent arrêt sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité remis à l’audience du 26 septembre 2019 ;

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

SURSOIT à statuer sur les demandes des parties ;

DIT que l’affaire sera rappelée à l’audience de mise en état du mardi 19 mai 2020 si la question prioritaire de constitutionnalité est transmise au Conseil constitutionnel, ou à l’audience de mise en état du mardi 21 janvier 2020 dans le cas contraire ;

RESERVE les dépens ;