Cour d'Appel d'Aix-en-Provence

Arrêt du 25 juillet 2019, RG n° 19/03182

25/07/2019

Renvoi

RG n° 19/03182 (QPC)

Affaire au fond : 19/2099

ARRÊT SUR QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

ARRÊT N° 2019/

Chambre 5-3 anciennement 7B

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre correctionnelle 5-3

Prononcé publiquement le 25 juillet 2019, par la chambre 5-3 des appels correctionnels de la cour d'appel d'Aix-en-Provence,

Sur appel d'un jugement du Tribunal correctionnel de Grasse du 16 avril 2019, (N° parquet : 18282000036).

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ :

[R Q]

Né le [DateNaissance 1] 1965 à [LOCALITE 2], [LOCALITE 3] ([...])

Fils de [R S T] et de [D E F]

De nationalité française

Sans profession

Déjà condamné

Détenu pour une autre cause à la maison d'arrêt de [LOCALITE 4], écrou n° [...]

Et demeurant [adresse 5] - [LOCALITE 6]

Non comparant,

représenté par Maître LENDOM Rosanna, avocat au barreau de Grasse

Prévenu, appelant

MINISTÈRE PUBLIC

Appelant

UDAF

15 rue alberti - bat C - [LOCALITE 7] - [LOCALITE 8]

Non représenté

Partie intervenante, intimé

[J O I]

Demeurant [adresse 9] - [LOCALITE 10]

Non comparant ni représenté

Partie civile, intimé

LA PROCÉDURE :

[Q R] a été poursuivi devant le Tribunal correctionnel de Grasse sur convocation par un agent ou officier de police judiciaire en date du 25 septembre 2018, à l’audience du 11 décembre 2018, agissant sur instructions du procureur de la République, en application des dispositions de l'article 390-1 du Code de procédure pénale.

LA PRÉVENTION :

[Q R] est prévenu d’avoir :

- à [LOCALITE 11], ([LOCALITE 12]), le 5 juillet 2018, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, frauduleusement soustrait un téléphone portable et ses accessoires REDNOTE 5 de couleur noir de 64 GO avec carte SD de 32 GO au préjudice de Monsieur [J O I], avec cette circonstance qu'il se trouvait en état de récidive légale pour avoir été condamné par décision définitive rendue par le Tribunal correctionnel de Grasse, le 14 décembre 201 >, pour des faits identiques ou de même nature,

Faits prévus par les articles 311-1, 311-3 du Code pénal et réprimés par les articles 311-3. 311-14 1°,29, 3°, 4°, 6° du Code pénal, et vu les articles 132-8 à 132-11 du Code pénal.

LE JUGEMENT :

Par jugement contradictoire à l’encontre de [Q R], en date du 11 décembre 2018, le Tribunal correctionnel de Grasse, a :

- rejeté l’exception de nullité soulevée par le prévenu.

- Ordonné une expertise psychiatrique concernant [Q R], et commis à cet effet le docteur [A B C].

- dit que les honoraires de l'expert seront avancés par le Trésor public,

- ordonné le renvoi de l'affaire à l’audience du 16 avril 2019.

****

Par jugement contradictoire à l'encontre de [Q R]. et à l’égard de [I J O], en date du du 16 avril 201 9, e Tribunal correctionnel de Grasse, a :

Sur l’action publique,

- déclaré [Q R] coupable des faits qui lui sont reprochés,

Pour les faits de vol en récidive, commis le 5 juillet 2018, à [LOCALITE 13].

- Condamné [Q R] à un emprisonnement délictuel de 4 mois. Sur l’action civile,

- déclaré recevable la constitution de partie civile de [I J. O],

- déclaré [Q R] responsable du préjudice subi par [I J K O], partie civile,

- condamné [Q R] à payer à [I J O], partie civile, la somme de 213,09 euros en réparation du préjudice matériel pour tous les faits commis à Son encontre.

LES APPELS :

Appel a été interjeté par :

Maître BOUKOBZA GAGLIO substituant Maître LENDOM Rosanna. avocat au barreau de Grasse, conseil de [Q R], par déclaration au greffe du Tribunal de Grande Instance de Grasse, en date du 25 avril 2019, sur le dispositif civil et pénal.

Monsieur le procureur de la République, le 25 avril 2019, sur le dispositif pénal.

[Q R], détenu pour une autre cause, a été convoqué par le biais du chef d'établissement pénitentiaire, le 16 mai 2019, il n’a pu être extrait pour l’audience du 5 juillet 2019, en raison d’une impossibilité pour l’ ARPEJ de procéder à cette extraction.

Ont été cités par acte d’huissier de justice, devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, à l'audience du 5 juillet 2019 :

- [I J O], le 3 juin 2019, à sa personne.

- L'UDAPF, le 14 juin 2019, à une personne habilitée à recevoir l’acte.

DÉROULEMENT DES DÉBATS :

L'affaire a été appelée à l'audience publique du vendredi 5 juillet 2019.

Le président, Monsieur BERTRAND a procédé à l’appel des causes pour ce dossier en juge unique,

Maître LENDOM à sollicité le renvoi du dossier en collégialité.

Le président a renvoyé le dossier en collégialité à l’audience de ce jour.

Le dossier a été pris en collégialité.

La conseillère, Madame PELLEFIGUES a constaté l’absence du prévenu et a rappelé la prévention.

Maître LENDOM 2 soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, a déposé un mémoire et des conclusions.

Le Ministère Public a pris ses réquisitions concernant la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé à l'audience du 25 juillet 2019 dans une procédure distincte de l’affaire au fond.

DÉCISION :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

La Cour a été informée par télécopie de l'ARPEJ de l'impossibilité de réserver une suite favorable aux réquisitions d'extraction d'[Q R] actuellement détenu pour autre cause à la maison d'arrêt de [LOCALITE 14].

Le conseil du prévenu a déposé un mémoire à l'appui d'une QPC en faisant valoir que les dispositions de l'article 706-113 du Code de procédure pénale méconnaissent les droits de la défense en ce qu'elles n'imposent pas à l'officier de police Judiciaire en cas d'audition libre d'un majeur protégé d'aviser le curateur ou le tuteur ainsi que le juge des tutelles ; la personne protégée ne disposant pas toujours du discernement nécessaire à l'exercice de ses droits, l'absence de cette garantie ne saurait être suppléée, lors de son audition, par la seule notification de son droit de faire prévenir son curateur ou son tuteur. ce qui au demeurant même n'a pas été fait en l'espèce ;

Le conseil du prévenu considère ainsi que :

- la disposition critiquée est susceptible de porter atteinte aux droits de la défense garantie par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, atteinte non proportionnée au but de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions poursuivi par le législateur.

La loi du S juin 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs, confère de droit au mandataire désigné la mission de veiller, non seulement aux intérêts patrimoniaux de la personne protégée, mais également à la protection de sa personne, à laquelle doit être rattachée la défense contre les accusations de nature pénale ; la vérification par le tuteur ou Curateur de ce que l'assistance du majeur protégé par un avocat sera assurée durant son audition, ou que le refus, par ce majeur, d'une telle assistance est dépourvu d'équivoque, entre, à l'évidence, s'il est informé de la mesure d'audition, dans sa mission.

- la disposition législative contestée est applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

La question posée présente un caractère sérieux.

D'où 1l suit qu'il y a lieu de renvoyer au conseil constitutionnel la question suivante :

Vu les articles 6,7 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et les articles 34 et 66 de la Constitution

Vu l'article 706-113 du Code de procédure pénale ;

Vu la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de Cassation ;

« l'article 706-113 du Code de procédure pénale, en ce qu'il limite l'obligation faite au procureur de la république ou au juge d'instruction d'aviser le tuteur ou le curateur ainsi que le juge des tutelles à la seule hypothèse de l'engagement des poursuites à l'encontre de la personne protégée, sans étendre cette obligation à l'audition libre d'une personne protégée, méconnaît- il les droits et libertés constitutionnellement garantis, et plus particulièrement l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? » ;

SUR CE

L'article 23-2 de ja loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 entrée en vigueur le ler mars 2010 soumet la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la réunion de 3 conditions cumulatives : [a disposition dont l'inconstitutionnalité est soulevée doit être applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites : la disposition contestée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

Sur la recevabilité de la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité:

En l'espèce, le moyen tiré de l'atteinte aux droits et liberté garantie par la constitution a été présentée dans un écrit distinct et motivé sous forme de mémoire.

La demande est donc recevable en la forme.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

Conformément à l'article 23-2 précité en l'espèce la disposition dont l'inconstitutionnalité est soulevée est bien applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la constitution par le conseil constitutionnel.

Il convient d'examiner le caractère sérieux de cette question.

[Q R] fait l'objet d'une décision de placement sous curatelle renforcée prise par le juge des tutelles renouvelée le 12 mai 2015 pour une durée de 60 mois.

Il a été entendu dans le cadre d'une procédure ouverte pour vol d'un téléphone commis le 5 juillet 2018 ; l'audition a eu lieu le 25 septembre 2018 en visio-conférence en raison de l'incarcération du prévenu à la maison d'arrêt de [LOCALITE 15] dans le cadre d'une autre affaire.

Cette audition libre a eu lieu sans que le curateur du prévenu ait été avisé de l'enquête en cours et de l'audition réalisée dans le cadre de cette enquête ; le prévenu a pris acte des droits prévus aux articles 61-1 2ëmement, 61-1 4èmement et 61-1 5èmement du Code de procédure pénale qui lui ont été notifiés ; il a ainsi été informé de ce qu'il ne comparaissait pas sous le régime de la garde à vue, qu'il avait le droit de bénéficier de conseils juridiques au préalable dans une structure d'accès au droit d'être assisté d'un avocat, et de son droit à consulter certaines pièces du dossier ainsi que de se taire, de faire des déclarations, de répondre aux questions ; il a déclaré vouloir s'expliquer sur les faits sans avocat.

La Loi du 5 juin 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs confère de droit au mandataire désigné la mission de veiller non seulement aux intérêts patrimoniaux de la personne protégée mais également à la protection de sa personne à laquelle doit être rattaché la défense contre l'accusation de nature pénale ; la vérification par le tuteur ou curateur de ce que l'assistance du majeur protégé par un avocat sera assurée durant la phase d'enquête et l'audition ou que le refus par ce majeur d'une telle assistance est dépourvu d'équivoque entre dans la mission du mandataire Judiciaire s'il est informé de l'enquête et de l'audition.

Il peut en résulter, si la personne entendue s'abstient de demander la présence de son tuteur. de son curateur ou que celui-ci soit informé de la mesure, que l'intéressé opère des choix notamment au regard de ses droits de défense contraire à ses intérêts ; en l'espèce la question peut se poser de savoir si la personne protégée a mesuré la portée de la notification de ses droits puisque le prévenu n'avait pas sollicité l'assistance d'un avocat.

L'article 706-113 du Code de procédure pénale prévoit que le procureur de la République ou le juge d'instruction avise le curateur ou le tuteur ainsi que le juge des tutelles des poursuites dont la personne majeure protégée fait l'objet ; cet article ne prévoit pas que l'officier de police judiciaire ou l'autorité Judiciaire sous le contrôle de laquelle se déroule permettre d'être assistée dans l'exercice de ses droits. La question se pose légitimement pour l'audition libre.

Ainsi la disposition critiquée est-elle susceptible de porter, aux droits de la défense garantis par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, une atteinte non proportionnée au but de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions poursuivies par le législateur.

D'où il suit qu'il y a lieu de déclarer recevable en la forme la question prioritaire de constitutionnalité et de transmettre ladite question à la Cour de Cassation.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'encontre de [Q R], et de défaut à l’égard de [I J K O]. et de l'UDAF., en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la Loi,

Vu les articles 23-1 à 23-12 de l'ordonnance 58-1067 du 7 novembre 1958 telle que modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 :

Vu les articles R 49-21, R 49-25, R 49-26. R 49-27, R 49-28 hier 49-29 du Code de procédure pénale ;

En la forme,

DÉCLARE recevable la question prioritaire de constitutionnalité :

Au fond,

DIT y avoir lieu à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité suivante à la Cour de Cassation :

"L'article 706-113 du Code de procédure pénale en ce qu'il limite l'obligation faite au procureur de la République, au juge d'instruction, d'aviser le tuteur ou curateur ainsi que le juge des tutelles à la seule hypothèse de l'engagement de poursuites à l'encontre de la personne protégée, sans étendre cette obligation à l'audition libre d'une personne protégée, méconnaît-il les droits et libertés constitutionnellement garantis et plus particulièrement l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ?”

Le tout conformément aux articles visés au Jugement, au présent arrêt, et aux articles 512 et suivants du Code de Procédure Pénale.

COMPOSITION DE LA COUR :

PRÉSIDENT : Monsieur BERTRAND Bruno

CONSEILLERS : Madame PELLEFIGUES Jeanne

Monsieur POINAS Emmanuel

MINISTÈRE PUBLIC : Monsieur VERMEIL. Philippe, substitut général,

GREFFIER : Madame PICOT Claire

Le Président et les assesseurs ont participé à l'intégralité des débats et au délibéré.

L'arrêt a été lu par le Président conformément à l'article 485 dernier alinéa du Code de Procédure Pénale en présence du Ministère Public et du Greffier.

LE GREFFIER

LE PRÉSIDENT