Cour d'Appel de Grenoble

Ordonnance du 9 janvier 2019

09/01/2019

Renvoi

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

JURIDICTION DU PREMIER PRESIDENT

ORDONNANCE DE TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE HEC EDURES

Demandeur à la question prioritaire :

Madame [A B]

Domicile élu chez Me VOLPATO, avocat

[LOCALITE 1], [adresse 2]

non comparante

Représentée par Me Frédéric VOLPATO de la SCP SCHREIBER- FABBIAN - VOLPATO, avocat au barreau de HAUTES-ALPES

Défendeur :

ASSISTANCE AUX ANIMAUX

prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

23 avenue de la République

75011 PARIS

non comparante, non représenté

SPA SUD ALPINE

prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[adresse 3]

[LOCALITE 4]

Non comparante, non représentée

DEBATS :

A l'audience publique du 10 octobre 2018 tenue par Jean-François BEYNEL, premier président , assisté de Denise GIRARD, greffier

ORDONNANCE :

réputée contradictoire

prononcée le 09 janvier 2019 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

signée par Jean-François BEYNEL, premier président et par Denise GIRARD), greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu l’article 23-1 et suivants de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

Vu les articles 126-1 et suivants du Code de Procédure Civile ;

Vu la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité, adressée par lettre recommandée avec accusé de réception postée le 21 août 2018, de Me VOLPATO, conseil de Madame [A B].

Vu l'avis du ministère public en date du 11 septembre 2018 ;

Vu les observations formulées à l’audience du 10 octobre 2018 par Me VOLPATO.

Faits. moyens et prétentions :

1 — Le commissariat de police de [LOCALITE 5] ([...]) a établi des constations et un procès-verbal d'infraction lors d’une enquête, diligentée à l’encontre de Mme [B A], relativement à des faits imputés de mauvais traitement envers des animaux (n° du parquet de [LOCALITE 6] : [...]).

2 — À l’occasion de cette enquête le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Gap a ordonné, par une décision du 9 juillet 2018 le placement d'animaux appartenant à Mme [B] et les à confiés auprès de deux associations d'assistance aux animaux.

3 — Cette décision a été prise sur le fondement des dispositions de l’alinéa 1 de l’article 99-1 du code de procédure pénale.

4 — Par déclaration au greffe de la cour d’appel, reçue le 19 juillet 2018, Mme [B] a formé appel de cette décision prise par le ministère public, devant le premier président de la cour d’appel.

5 — Par mémoire, reçu au greffe le 22 août 2018, Mme [B] sollicite du premier président qu'il transmette à la cour de cassation la question préalable de constitutionnalité sur la conformité aux droits et libertés garantis par la constitution des dispositions des alinéas 1 et 3 de l’article 99-1 du CPP en ce qu’elles ne prévoient pas de recours juridictionnel à l’encontre de la décision de placement d'animaux vivants prise par le ministère public.

6 — Mme [B] fait valoir :

- que les conditions, relatives à la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité, fixées par les dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58- 1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, sont remplies,

- que la combinaison des alinéas 1*et 3°" de l’article 99-1 du CPP les rend contraires aux droits et libertés garantie par la Constitution, notamment au droit d’exercer un recours juridictionnel effectif, au droit à un procès équitable, ainsi qu’au principe du contradictoire en portant ainsi une atteinte disproportionnée au droit de propriété du fait que l’alinéa 1°, du texte critiqué, ne prévoit aucun recours à l’encontre des mesures conservatoires qu’il permet.

7 — Le ministère public conclut à l’irrecevabilité et à la non transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

Motifs :

Sur les conditions fixées par les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel :

La présente juridiction est saisie d’un recours formé contre une décision rendue par le procureur de la République sur le fondement des dispositions de l’article 99 — 1 du CPP.

Il résulte des dispositions de cet article que lorsque, au cours d'une procédure judiciaire ou des contrôles mentionnés à l'article L. 214-23 du code rural et de la pêche maritime, il a été procédé à la saisie ou au retrait, à quelque titre que ce soit, d'un ou plusieurs animaux vivants, le procureur de La République près le tribunal de grande instance du lieu de l'infraction peut placer l'animal dans un lieu de dépôt prévu à cet effet ou le confier à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d'utilité publique ou déclarée.

La décision vaut jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'infraction.

Par ailleurs, lorsque les conditions du placement sont susceptibles de rendre l'animal dangereux ou de mettre sa santé en péril, le président du tribunal de grande instance où un magistrat du siège délégué par lui peut, par ordonnance motivée prise sur les réquisitions du procureur de la République et après avis d'un vétérinaire, ordonner qu'il sera cédé à titre onéreux ou confié à un tiers ou qu'il sera procédé à son euthanasie.

Cette ordonnance est notifiée au propriétaire qui peut la déférer soit au premier président de la cour d'appel du ressort ou à un magistrat de cette cour désigné par lui.

Il résulte de la lecture de ce texte qu’il prévoit expressément deux situations distinctes :

- la possibilité (1er alinéa de l'article 99-1 du CPP) pour le procureur de la République de placer, quand les conditions prévues sont remplies) l'animal jusqu’à ce qu'il ait été statué sur l'infraction pénale à la base de la procédure par une juridiction,

- la possibilité pour le juge, lorsque les conditions du placement sont susceptibles de rendre l’animal dangereux ou de mettre sa santé en péril, d’ordonner que l’animal sera cédé à titre onéreux, confié à un tiers ou qu’il sera procédé à son euthanasie.

Le législateur a entendu créer deux régimes distincts :

- un régime conservatoire dévolu au ministère public permettant à ce dernier, non pas de détruire animal ou de d’opérer un transfert de sa propriété, mais seulement d'assurer, dans le cadre d’une procédure pénale engagée, la sauvegarde de l’animal en cause,

- un régime attentatoire au droit de propriété, dévolu au juge, permettant le transfert de propriété sur l’animal ou sa destruction, quand des conditions précises sont remplies, énumérées par la loi.

Il est manifeste, de la lecture du texte en cause, que seule la décision du juge, visée au troisième alinéa de l’article 99-1 est susceptible de recours devant le premier président de la cour d'appel.

La procédure conservatoire prévue, à l’usage du ministère public, ne prévoit pas cette voie de recours et le premier président est incompétent pour connaître de la décision frappée d'appel, dès lors qu’il tient ses pouvoirs des énonciations strictes de la loi.

La question de l’existence d’un recours effectif se pose en la matière, contre une décision qui ne met pas fin au titre de propriété mais qui génère un grief certain et qui limite ce droit de manière sensible, tel que défini à l’article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et ce alors que l'accès au juge, compétent pour statuer sur la restitution dépend de la seule volonté du ministère public de saisir la juridiction pénale répressive, seule compétente.

En l'espèce, il sera rappelé que Mme [B] soulève, dans les conditions légales et in limine litis, la question de la constitutionnalité du texte ayant permis au procureur de République, de porter atteinte à son droit de propriété.

Si la question de la recevabilité de l'appel, formé contre l'ordonnance prise par le parquet, se pose, elle ne peut être débattue qu'après qu’ai été posé la question de la constitutionnalité du texte permettant la saisie, texte de procédure opposée à Mme [B].

Il est manifeste que le débat sur la recevabilité de l’appel est cantonné par l’examen des dispositions de l’article 99-1 du CPP, opposable à l’appelante, et qu’ainsi cette disposition est bien applicable à la procédure en cours.

La consultation des décisions rendues par le Conseil Constitutionnel conduit à constater que les dispositions légales en cause n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution.

Les dispositions contestées, de l’article 99-1 du CPP, ni aucune autre disposition n'imposent au parquet de statuer dans un délai déterminé sur le sort d’un animal, bien saisi De plus, l’examen de ces dispositions permet de constater que le propriétaire de l’animal saisi ne dispose d’aucune voie de recours contre la décision du parquet, qui reste seul maître de la possibilité d’une contestation de sa propre décision en saisissant le juge pénal, décision qui lui appartient en opportunité. La potentialité de l'examen de la validité et de l’opportunité de la saisie n’appartient qu’à la seule initiative de la partie poursuivante.

S'agissant d’une demande de restitution d’un bien placé sous main de justice, l'impossibilité d'exercer une voie de recours devant une juridiction en l’absence de tout délai déterminé, conduit à estimer qu’il existe une probabilité sérieuse que la procédure applicable méconnaisse les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et prive de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété.

Ainsi, la disposition législative contestée est applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, elle présente, par ailleurs un caractère sérieux, au regard des principes constitutionnels du droit à la propriété et du droit au recours effectif en ce que l'article 99-1 ne prévoit aucun recours pour statuer sur la validité et l'opportunité de la décision ne saisie d’un animal prise par le ministère public.

D'où il suit qu'il y a lieu de la renvoyer la question préalable de constitutionnalité posée à la Cour de Cassation et de sursoir à statuer sur l'examen de l’appel au fond, d’une part sur sa recevabilité et sa validité.

Par ces motifs :

- Ordonnons le renvoi à la Cour de Cassation la question prioritaire de constitutionnalité, posée par Mme [B] (RG 18/03691) sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 99-1 du CPP en ce qu’elles concernent les décisions du procureur de la République prises sur le fondement des dispositions de l’alinéa 1° de ce texte,

- Ordonnons qu’il soit sursis à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel, sur le recours formé par [C B] (RG 18/03289),

Le Greffier

Le Premier Président