Cour d'Appel de Versailles

Arrêt du 23 novembre 2018, N° RG 18/00002

23/11/2018

Renvoi

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

5 rue Carnot RP 1113

78011 VERSAILLES CEDEX

1ère chambre 1ère section

ARRÊT DU 23 novembre 2018,

après prorogation le 19 octobre 2018 les parties en ayant été avisées,

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

DOSSIER : N° RG 18/00002

N° Minute : 403

Demandeur à la question prioritaire :

Madame [E C] épouse [F]

C/O Madame [D C]

16 [LOCALITE 1]

[LOCALITE 2]

Représentant : Me Pierre LE ROUX substitué par Me André LOUP de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701

Défendeur :

Monsieur Le Directeur Départemental des Finances Publiques des HAUTS DE SEINE

167 à 177 avenue I. et F. Joliot-Curie

92013 NANTERRE CEDEX

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1554762

LE PROCUREUR GENERAL

COUR D'APPEL DE VERSAILLES

5 rue Carnot

78000 VERSAILLES

Comparant en la personne de Mme Sophie GULPHE-BERBAIN, avocat général

COMPOSITION :

Monsieur Alain PALAU, président,

Madame Anne LELIEVRE, conseiller,

Madame Nathalie LAUER, conseiller chargé du rapport,

assisté de Sabine MARÉVILLE, greffier

FAITS ET PROCÉDURE

Afin d'acquérir les parts d'une société, Mme [E C] a souscrit des emprunts de 283 320 $ US et 7 425 000 $ US auprès de ses parents, M. et Mme[B C].

Lors de l'établissement de ses déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour les années 2008, 2009 et 2011, elle a porté ces emprunts au passif.

Par deux propositions de rectification des 14 juin 2011 et 22 juin 2012, faisant suite au contrôle des Déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune souscrites par Mme [C] au titre des années 2008 à 2011, l'administration fiscale a refusé la déduction au passif des déclarations concernées de ces prêts familiaux.

Les droits correspondants ont été mis en recouvrement par deux avis de mise en recouvrement du 22 septembre 2011, pour des montants de 48 158 euros au titre de l'ISF des années 2008 et 2009, et de 39 839 euros au titre de l'ISF de 2010, et du 15 février 2013, pour un montant de 86 917 euros au titre de l'année 2011, soit 60 527 euros au principal et 26 390 euros au titre des pénalités.

La réclamation du 12 avril 2013 par laquelle Mme [C] a contesté ces impositions a fait l'objet d'une décision de rejet du 10 juillet 2013.

L'administration fiscale a considéré que, par application des dispositions de l'article 885 D du code général des impôts, les conditions de la déduction et les justificatifs à produire sont déterminés en référence à la réglementation concernant les mutations par décès, et que sont exclues de la faculté de déduction, dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves qu'en matière de succession, les dettes visées à l'article 773 2° du code général des impôts, consenties au profit des héritiers ou des personnes interposées, hormis le cas où la dette résulterait d'un acte authentique ou sous seing privé ayant acquis date certaine avant le ler janvier de l'année d'imposition. Elle en a déduit que les dettes litigieuses ne pouvaient faire l'objet de déductions faute d'enregistrement leur conférant date certaine.

Par acte du 12 août 2013, Mme [C] a fait assigner la Direction générale des finances publiques devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins, en principal, de voir déclarer nuls les avis de mise en recouvrement, de prononcer à son profit la décharge des impositions afférentes et le cas échéant la restitution de la somme de 174.914 euros assortie des intérêts moratoires calculés à compter de la date du paiement desdites impositions.

Par jugement du 7 mai 2015, le tribunal a :

- ordonné le dégrèvement de la majoration de 40 % appliquée par la direction des services fiscaux à Mme [C] au titre du rappel de l'ISF effectué pour l'année 2011, d'un montant de 26 390 euros,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires,

- condamné la direction des services fiscaux à payer à Mme [C] une indemnité de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 11 juin 2015, Mme [C] a interjeté appel (dossier RG n°15/04279).

Par mémoire distinct du 12 juillet 2016 (dossier RG n°17/00016), [A C] a demandé que soit renvoyée à la Cour de cassation le point de savoir s'il y avait lieu de saisir le Conseil Constitutionnel en application des dispositions de l'article 61 de la Constitution de la question suivante :

« Les dispositions de l'article 773 du code général des impôts portent-elles atteinte aux droits garantis par la Constitution du 4 octobre 1958 et, plus particulièrement, par les articles 6, 13 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme de Citoyen de 1789, en ce que :

- d'une part, elles assujettissent à un formalisme plus rigoureux un contribuable assujetti notamment à l'impôt de solidarité sur la fortune ayant emprunté des fonds auprès de ses héritiers ou de personnes interposées au sens de l'article 911 du code civil que celui exigé d'un contribuable ayant emprunté des fonds auprès d'un tiers,

- d'autre part, elles font obstacle, chez l'emprunteur, à la déduction de l'assiette de l'impôt, et notamment de solidarité sur la fortune, d'une dette dont la réalité et la sincérité résulte de l'assujettissement de la créance correspondante au même impôt et au titre de la même période d'imposition du chef du créancier ».

Par arrêt du 23 juin 2017, la cour a fait droit à la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme [C].

Par arrêt du 21 septembre 2017, la Cour de cassation a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil Constitutionnel.

Par décision n°2017-676 QPC, le Conseil Constitutionnel a déclaré le 2 de l’article 773 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant du décret n°81-866 du 15 septembre 1981 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code, à compter du ler juillet 1981, conformément à la Constitution.

Par un nouveau mémoire reçu au greffe de la cour d’appel le 24 janvier 2018 (RG n°18/00002) Mme [C] a demandé à la cour de :

- renvoyer à la Cour de Cassation le point de savoir s’il y a lieu de saisir le Conseil Constitutionnel en application des dispositions de l’article 61 de la Constitution de la question suivante :

« Les dispositions de l’article 885 D du code général des impôts portent-elles atteinte aux droits garantis par la Constitution du 4 octobre 1958 et, plus particulièrement, par les articles 6, 13 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme de Citoyen de 1789, en ce que notamment :

- d’une part, elles conduisent à soumettre à un formalisme plus rigoureux un contribuable assujetti à l’impôt de solidarité sur la fortune ayant emprunté des fonds auprès de ses héritiers ou de personnes interposées au sens de l’article 911 au code civil que celui exigé d’un contribuable ayant emprunté des fonds auprès d’un tiers,

- d’autre part, elles font obstacle, chez l’emprunteur, à la déduction de l’assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune, d’une dette dont la réalité et la sincérité résulte de l’assujettissement de la créance correspondante au même impôt et au titre de la même période d’imposition du chef du créancier ? ».

Mme [C] a également déposé des conclusions récapitulatives en ce sens le 28 février 2018.

Par conclusions notifiées le 21 février 2018, l'administration fiscale s’est opposée à cette demande.

Le 28 janvier 2018, le ministère public a émis un avis favorable à la transmission de la question. Il a estimé que la demande remplissait les conditions légales et que la question posée n’était pas dépourvue de moyens sérieux.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 juillet 2018.

SUR CE, LA COUR

Considérant qu’au soutien de sa demande, Mme [C] fait valoir que par sa décision du ler décembre 2017, le Conseil Constitutionnel a prononcé la conformité à la constitution des dispositions du 2 de l’article 773 du code général des impôts et a rejeté ses prétentions ; que néanmoins, il a pris soin de distinguer la situation des contribuables en matière de droits de succession et en matière d’ISF au regard de ces dispositions ; qu’il a en effet estimé que la différence de traitement invoquée ne résultait pas des dispositions du 2 de l’article 773 du CGI mais de l’article 885 D de ce même code qui a étendu les règles d’assiette des droits de succession à l’ISF ; que le commentaire publié sous cette décision précise que les conséquences de l’application de l’article 773 du CGI à l’'ISF ne pouvaient être appréciées qu’en examinant l’article 885 D, dans lequel est seulement susceptible de se trouver le « germe » de l’inconstitutionnalité alléguée ; que ce commentaire ajoute que, dès lors qu’il n’était saisi que de l’article 773, seul visé par la requérante dans sa QPC, le Conseil Constitutionnel ne s’est donc pas prononcé sur les arguments développés par la requérante qui portaient sur l’application des dispositions contestées à l’ISF ; qu’en définitive, et ainsi que le confirme très clairement le commentaire du Conseil Constitutionnel, le Conseil Constitutionnel n’a pas été en mesure d'examiner et de trancher la discrimination alléguée, le recours n’ayant, selon lui, pas été dirigé contre les dispositions pertinentes, en l’occurrence l’article 885 D du CGT ; que dès lors et pour permettre . au Conseil Constitutionnel de trancher la question de la constitutionnalité de la disposition fiscale à l’origine du rehaussement opéré, il y a lieu de transmettre une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité visant les dispositions de l’article 885 D du code général des impôts ; que le mémoire respecte les dispositions des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel ; qu’il est donc recevable ; que la disposition contestée est applicable au litige ; que la disposition contestée n’a pas été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel ; que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux ; que, sur le fond, l’article 885 D du CGT opère une transposition générale à l’ISF des règles d’assiette existant en matière de droits de succession : que ce dispositif a créé des situations discriminatoires en matière d’ISF qui ne l’étaient pas nécessairement en matière de droits de succession, notamment par la mise en œuvre de l’article 773-2 du CGT ; que ce dernier texte instaure en effet une présomption de fictivité des dettes consenties par le contribuable à l’égard de certains créanciers, à savoir les héritiers et les personnes interposées visées à l’article 911 du Code civil ; qu’hormis dans un acte authentique ou dans un acte sous-seing-privé ayant date certaine avant l’ouverture de la succession, la présomption de l’article 773-2 est irréfragable, le contribuable n'étant autorisé à établir la sincérité et la réalité de sa dette par aucun autre moyen ; que si cette disposition est inattaquable sur le plan de sa constitutionnalité en matière de droit des successions, depuis la décision précitée du Conseil Constitutionnel du 1er décembre 2017, son application à l’ISF par le jeu des dispositions de l’article 885 D du CGI crée une situation incompatible avec plusieurs principes de valeur constitutionnelle ; que le dispositif, en premier lieu, n’est pas conforme à l’article 6 de la Déclaration de 1789 et au principe d’égalité devant la loi ; qu’en transposant sans distinction les règles des droits de succession, et notamment celle de l’article 773-2 du CGT à l’ISF, par souci de simplification ,comme le rappelle d’ailleurs le Conseil Constitutionnel, il a créé pour ce dernier impôt une différence de traitement entre les contribuables qui ne se justifiait pourtant que dans le contexte particulier des droits de mutation pour décès ; que l’article 773 institue une présomption de simulation ou de fraude en l’absence d’acte authentique ou d’acte ayant date certaine avant l’ouverture de la succession ; que la transposition de cette présomption en matière d’impôt de solidarité sur la fortune n’est pas conforme à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; qu’en premier lieu, 1l va de soi que le législateur de 1901 n’a pas pu - et pour cause - avoir en vue, en instituant cette présomption anti abus en matière de droits de succession de lutter contre une fraude ou une évasion fiscale en matière d’impôt de solidarité sur la fortune puisqu’à cette époque cet impôt n’existait pas ; que l’article 773-2 du CGI dans sa rédaction résultant du décret n° 81-866 du 15 septembre 1981 répond à une logique propre à la matière des droits de succession ; qu’il ne fait référence d’ailleurs qu’ aux dettes consenties par le « défunt » au profit de «ses héritiers » ; qu’appliqué à l’impôt de solidarité sur la fortune, la personne qui est censée profiter de la fraude présumée n’est plus l’héritier prêteur, mais cette fois le contribuable emprunteur, qui inscrit en déduction de son actif soumis à l’ISF une dette présumée de pure complaisance ; que dès lors, la différence de traitement qu’instaure l’article 885 D du CGT entre le contribuable qui emprunte une somme d’ argent à ses héritiers ou à des personnes interposées, et celui qui emprunte auprès des tiers, est dépourvue de toute raison d’être ; qu’au demeurant, sur le point du bien-fondé de l’exigence d’une preuve renforcée à l’égard des dettes familiales, les dispositions de l’article 885 D ne sont fondées sur aucun critère objectif et rationnel en fonction des buts à atteindre, de sorte qu’elles apparaissent également contraires au principe d'égalité devant les charges publiques posé à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; qu’en tout état de cause, en admettant même, pour les seuls besoins de la discussion, que le législateur ait pu avoir pour objectif de lutter contre une fraude supposée en matière d’impôt de solidarité sur la fortune, le dispositif de l’article 773-2 du CGI appliqué en matière d’ISF par le jeu des dispositions de l’article 885 D demeurerait néanmoins contraire aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; que si la lutte contre la fraude fiscale est un objectif à valeur constitutionnelle, encore convient-il que la différence de traitement instituée par la loi soit en rapport avec celle- ci, et qu’il existe une cohérence entre le dispositif et le but poursuivi ; qu’en l’espèce, le risque de fraude est identique que le contribuable emprunte à l’un de ses héritiers (ou personnes interposées) ou une tierce personne (amis, connaissances) qui ne serait ni un de ses héritiers ou une personne interposée, ou encore à personne morale qu’il contrôle ; que dans tous les cas, le risque d’emprunt de complaisance existe, du fait des liens susceptibles d’unir le contribuable à son emprunteur ; que pourtant si le contribuable emprunte à ses « héritiers » ou personnes interposées, la déductibilité de l’emprunt est présumée fictive et nécessite un formalisme strict alors qu’elle ne l’est pas si le contribuable emprunte à une tierce personne ; qu’ainsi, la différence de traitement instituée entre les deux situations est sans rapport aucun avec l’objectif de lutte contre la fraude poursuivi par la loi ; qu’en effet, la différence de traitement entre le contribuable qui contracte une dette envers son héritier et celui qui contracte la même dette auprès d’une autre personne, n’a aucun rapport direct avec l’objectif, à le supposer d’ailleurs établi, de lutte contre la fraude que poursuivrait la loi en matière d’ISF ; que la différence de traitement est encore critiquable en ce que lorsque le contribuable soumis à l’ISF emprunte une somme à un tiers, lui-même personne physique soumise à cet impôt, l’emprunteur peut certes déduire sa dette de son actif mais, dans le même temps, le prêteur ne peut pas déduire le prêt de son patrimoine imposable à l’ ISF ; qu’il n’y a aucun risque de complaisance, le prêteur étant « sanctionné » par sa propre obligation de déclaration et d’assujettissement à l’ISF ; qu'or, en l’état actuel du droit positif, l'emprunt contracté auprès de l'héritier ou d’une personne interposée, soumise à l’ISF, n’est pas déductible et est présumé fictif (alors que celui contracté auprès d’une tierce personne, également soumise à l’ISF ne l’est pas) et ce, bien que la déclaration obligatoire par le préteur de sa créance soit de nature à valider de plus fort la réalité du prêt en cause ; qu’il existe donc de ce point de vue, une différence fondamentale entre les droits de succession qui ne frappent qu’un seul patrimoine, à savoir celui du défunt, et l’impôt de solidarité sur la fortune, qui concerne non seulement le patrimoine de l’emprunteur mais aussi, en principe celui du prêteur ; que, par ailleurs, le dispositif n’est pas conforme à l’article 13 de la Déclaration de 1789, au principe d'égalité devant les charges publiques, à l’article 17 de la même Déclaration et au respect aux biens ; qu’en effet, le critère : objectif qui fonde la différence de traitement repose exclusivement sur la qualité. d’héritier du contribuable ou de personne interposée ; que pourtant, comme déjà vu à propos de l’égalité devant la loi, ce critère n’est nullement objectif et rationnel au regard des buts poursuivis par la loi : qu’en effet, la fraude qui est ici poursuivie, et qui consisterait en des dettes de complaisance passées en vue de diminuer artificiellement et frauduleusement l’actif net passible de cet impôt ; que la disposition est inadéquate pour mener une lutte efficace en ce cas car elle repose sur la qualité d’héritiers ou de personne interposée au sens de l’article 911 du code civil ; que la même fraude pourrait être commise si le contrat était passé avec un ami ou une connaissance du contribuable, non héritier ou personne interposée, ou une personne morale qu’il contrôle ; que le critère apparaît également sans rapport avec les buts poursuivis par le législateur lorsque le prêteur est lui-même soumis à l'ISF ; que dans cette hypothèse, la réalité et la sincérité de la dette sont implicitement mais nécessairement reconnus par l’administration fiscale puisque la créance du prêteur est imposée à l’ISF, que celui-ci soit un.héritier de son emprunteur ou pas ; qu’ainsi, l’on ne saurait concevoir, sans.créer une rupture d’égalité devant les charges publiques, qu’une même obligation juridique puisse, pour l’application d’un même impôt et au titre d’une même période d’imposition, être regardée concomitamment comme réelle chez l’une des parties et fictive chez l’autre ; que Mme [C] se trouve précisément dans cette situation ; que le dispositif est, enfin, en outre susceptible d’entraîner une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques en faisant peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive ; qu’alors que la dette finance l’acquisition d’un bien qui demeure imposable à F'ISF, que la créance correspondante est imposable à l’ISF chez le prêteur, la dette n’est pas déductible si l’acte n’a pas été enregistré ou n’a pas été passé en la forme authentique ; qu’ainsi alors que le patrimoine du contribuable débiteur n’a pas augmenté, 1l va subir une pression fiscale supérieure à celle du contribuable qui aurait emprunté la même somme auprès d’un tiers qui n’aurait pas la qualité d’héritier ;

Considérant que l’administration fiscale réplique que les deuxièmes et troisièmes conditions posées par l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel ne sont pas rempliés ; qu’en effet le Conseil Constitutionnel s’est déjà prononcé sur la constitutionnalité de l’article 773-2 du CGI à l’occasion d’ailleurs de la première QPC posée par Mme [C], le Conseil Constitutionnel ayant jugé ladite disposition conforme à la constitution dans sa décision du ler décembre 2017 ; qu’or, la présente QPC conteste la constitutionnalité de l’article 885 D du CGT et est rédigée en termes identiques à la précédente, Mme [C] développant les mêmes arguments ; que si le juge constitutionnel a indiqué qu’il n’y avait pas lieu pour lui d'examiner l’argument tiré de cette différence de traitement, ni les autres arguments portant sur l’impôt de solidarité sur la fortune développés par la requérante à l’appui de ces griefs dirigés contre le 2 de l’article 773, c’est uniquement en raison des mécanismes particuliers de contrôle de constitutionnalité utilisés par le Conseil Constitutionnel ; qu’il résulte donc de la décision du ler décembre 2017, éclairée par les commentaires, que les griefs portant sur la différence de traitement opérée par les dispositions du 2 de l’article 773 du CGI rendu applicable à l’ISF par le renvoi de l’article 885 D du même code, ont déjà été examinées par le Conseil Constitutionnel ; qu’elle rappelle que les règles posées par la législation fiscale en matière de déductibilité des dettes sont d’interprétation stricte ; que selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, en l’absence d’acte authentique ou d’un acte sous-seing-privé ayant acquis date certaine autrement que par le décès d’une des parties contractantes, la déduction des dettes visées au 2 de l’article 773 du CGI n’est pas autorisée ; que, sur le fond, le principe d’égalité devant la loi interdit seulement qu’à des situations semblables soient appliquées des règles différentes ; qu’en l’espèce, la législation fiscale n’établit aucune discrimination et ne méconnaît aucun principe constitutionnel en soumettant la déductibilité des dettes consenties par Le redevable de l’ISF au profit de ses héritiers ou de personnes interposées à certaines conditions de preuve ; qu’ainsi, tous les débiteurs visés par ces dispositions sont placés dans une situation identique ; qu'aucun principe constitutionnel ne fait obligation au législateur de soumettre à des règles analogues des dettes qui sont souscrites auprès de créanciers différents (dettes consenties par le redevable de PISF au profit de ses héritiers ou de tiers) ; qu’en prévoyant des modalités de déductibilité des dettes particulières eu égard aux parties en présence, le législateur a pris en considération leur situation particulière et a répondu à l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale ; qu’il n’est donc pas sérieux de prétendre, comme le soutient Mme [C], que le risque de fraude est similaire dans les situations où l’emprunt est souscrit auprès d’un parent ou d’un tiers ; que bien évidemment, le risque de fraude est identique que l’on soit en présence d’un héritier ou d’un redevable de l’ISF dès lors que ce sont les rapports de parenté qui sont visés dans lés deux cas par la législation fiscale ; que si Mme [C] souligne que lorsque le contribuable soumis à l'ISF emprunte une somme à un tiers, lui-même personne physique soumise à cet impôt, l’emprunteur peut déduire sa dette de son actif alors que le prêteur ne peut pas déduire le prêt de son patrimoine imposable à l’ISF, ce grief est inopérant dès lors que la règle résulte de l’application des dispositions fiscales ; qu’à l’évidence, 1l ne peut y avoir une double déduction, du côté de l’emprunteur et du côté du prêteur ; que pour ce dernier, le prêt constitue une créance imposable à l’ISF, conformément à l’article 750 ter du CGI ; qu’enfin, il doit être rappelé que le principe de non déductibilité de la dette posé par le 2 de l’article 773 du CGI admet la preuve contraire ; qu’il est donc permis de s'interroger sur l’absence d’acte authentique ou d’acte sous-seing-privé ayant date certaine dans cette instance, compte tenu du montant des emprunts souscrits par Mme [C] auprès de ses parents ; que le dispositif ne méconnaît par ailleurs nullement le principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques ; que le législateur fiscal, en refusant la déductibilité des dettes consenties par le redevable de l’ISF au profit de ses héritiers, a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels, à savoir les liens de parenté entre le débiteur.et le créancier et ce, en fonction des buts recherchés par la loi, à savoir la lutte contre la fraude fiscale ; qu’en effet d’une part, et a contrario, la rupture d’égalité pourrait être établie dans la situation décrite par la requérante dès lors que la déductibilité de la dette serait liée à l’assujettissement ou non du créancier à l’ISF alors que la situation serait en tous points identiques du côté du débiteur ; que d’autre part, la Cour de cassation a toujours confirmé le caractère strictement limitatif des dispositions fiscales ; que le fait que l’administration fiscale perçoive des impositions sur la créance ne peut pallier l’absence d’acte authentique ou d’acte sous-seing-privé enregistré permettant la déductibilité de la dette correspondante ; qu’il est par ailleurs évident que la législation critiquée ne porte aucune atteinte aux facultés contributives des redevables soumis à l’ISF ; que, comme le souligne le juge constitutionnel dans la décision QPC du 1er décembre 2017, la différence de traitement opérée par les dispositions contestées repose sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l’objet de la loi ; qu’enfin, en ce qui concerne le respect du droit de propriété, le mémoire de la partie adverse ne comporte aucune argumentation sur ce point précis ; que l’article 17 de la Déclaration des droits] de l’homme limite les atteintes à la propriété au cas où la nécessité publique légalement constatée l’exige évidemment et dans tous les cas sous la condition d’une juste et préalable indemnité ; que la mise en œuvre de cette disposition n’aurait évidemment aucun sens en matière fiscale où une telle idée d’indemnisation est hors de propos ; que cette analyse est conforme à la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme ; qu’en conséquence, les griefs développés par Mme [C] sont sans fondement ; qu'aucune des atteintes à un droit protégé par la constitution ne s’avère établie ; qu'il en résulte que, faute d’être sérieuse, la question prioritaire de constitutionnalité ne peut donner lieu à transmission à la Cour de cassation ;

*****

Considérant ceci exposé que l'article 61-1 de la Constitution permet la saisine du Conseil Constitutionnel par la Cour de cassation lorsqu'une partie soutient, à l'occasion d'une instance en cours, qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ;

Considérant que l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 dans sa rédaction issue de la loi organique du 10 décembre 2009 prise pour l'application de cet article dispose, notamment, que la juridiction saisie transmet la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites, si elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution - sauf changement des circonstances - et si elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;

Considérant que l'article 126-2 du code de procédure civile précise les conditions de recevabilité de la demande ;

Considérant que le moyen a été présenté dans un écrit distinct et motivé ;

Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité est donc recevable ;

Considérant que la disposition contestée est appliquée par l'administration au litige; que le tribunal s'est fondé sur elle; qu'elle constitue le fondement des poursuites ;

Considérant qu'elle n'a pas été déclarée conforme à la Constitution ;

Considérant que ces deux conditions sont donc remplies ;

Considérant que Mme [C] doit justifier que la question n'est pas «dépourvue de caractère sérieux » ;

Considérant qu'il résulte des articles 23-2 et 23-4 de l'ordonnance précitée que la juridiction saisie au fond transmet la question à la Cour de cassation si elle «n'est pas dépourvue de caractère sérieux » alors que ladite cour la renvoie au Conseil Constitutionnel si elle «présente un caractère sérieux » ;

Considérant que l'étendue du contrôle est donc différente, le juge du fond devant apprécier si le moyen est opérant ;

Considérant que l'article 88S D du CGI renvoie, en matière d'ISF, notamment à l'article 773 du CGT ;

Considérant que l'article 773 du CGI est relatif au passif déductible en matière d'assiette des droits de mutation à titre gratuit; qu'il dispose que : « Toutefois ne sont pas déductibles :

(') 2° Les dettes consenties par le défunt au profit de ses héritiers ou de personnes interposées. Sont réputées personnes interposées les personnes désignées dans l'article 911, dernier alinéa, du code civil. Néanmoins, lorsque la dette a été consentie par un acte authentique ou par un acte sous-seing privé ayant date certaine avant l'ouverture de la succession autrement que par le décès d'une des parties contractantes, les héritiers, donataires et légataires, et les personnes réputées interposées ont le droit de prouver la sincérité de cette dette et son existence au jour de l'ouverture de la succession (');

Considérant que les conditions de déduction des emprunts souscrits dans un cadre familial sont ainsi plus rigoureuses que celles des prêts consentis par d'autres personnes, physiques ou morales ;

Considérant qu'un même emprunteur est donc soumis à une différence de traitement selon la qualité du prêteur ;

Considérant que ce texte résulte d'une loi du 25 février 1901 qui a, pour leur déductibilité, imposé un formalisme particulier aux prêts souscrits dans un cadre familial ; que l'intention du législateur était d'éviter une fraude potentielle aux droits de succession, une seule partie pouvant alors alléguer l'existence du prêt ; que, de même, la qualité d'héritier présente alors un caractère définitif ;

Considérant que la différence de traitement s'explique donc par la nécessité de lutter contre une fraude particulière permise par la nature des droits de succession ;

Considérant qu'en matière d'ISF, les deux parties peuvent établir l'existence du prêt; que l'administration peut en vérifier l'existence; que la réalité et la sincérité du prêt peuvent être établies ;

Considérant, en outre, que, si le préteur est soumis à l'ISF, la dette constitue un élément du patrimoine taxable à l'ISF alors que l'emprunteur ne peut la déduire ;

Considérant, enfin, que l'héritier peut perdre sa qualité ;

Considérant que, compte tenu de ces différences, la question de la conformité de l’article 885 D du code général des impôts transposant en matière d'ISF l’article 773-2 du même code au regard du principe d'égalité devant la loi n'est pas «dépourvue de sérieux» même eh prenant en compte l'objectif de valeur constitutionnelle qu'est la lutte contre la fraude fiscale ;

Considérant que cet élément justifie la transmission de la question ;

Considérant qu'il résulte des mêmes développements que la question de la conformité de cette disposition au regard du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques et du droit de propriété n'est pas dénuée de caractère sérieux ;

Considérant que, dès lors, la question sera transmise à la Cour de cassation ;

Considérant qu'il sera, en application de l'article 23-3 de l'ordonnance précitée, sursis à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil Constitutionnel ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par mise à disposition, par arrêt contradictoire, insusceptible de recours indépendamment de l’arrêt sur le fond,

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante :

« Les dispositions de l’article 885 D du code général des impôts portent-elles atteinte aux droits garantis par la Constitution du 4 octobre 1958 et, plus particulièrement, par les articles 6, 13 et 17 de la Déclaration des Droits de l’ Homme de Citoyen de 1789, en ce que notamment :

- d’une part, elles conduisent à soumettre à un formalisme plus rigoureux un contribuable assujetti à l’impôt de solidarité sur la fortune ayant emprunté des fonds auprès de ses héritiers ou de personnes interposées au sens de l’article 911 du code civil que celui exigé d’un contribuable ayant emprunté des fonds auprès d’un tiers,

- d’autre part, elles font obstacle, chez l’emprunteur, à la déduction de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune, d’une dette dont la réalité et la sincérité résulte de l’assujettissement de la créance correspondante au même impôt et au titre de la même période d’imposition du chef du créancier ? »,

Dit que le présent arrêt sera adressé à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires qu conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité,

Dit que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision,

Surseoit à statuer sur les demandes des parties,

Dit que l'affaire pendante au fond portant le numéro de RG 15/04279 sera rappelée à l’audience de mise en état du jeudi 09 mai 2019,

Réserve les dépens.

- prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Alain PALAU, président, et par Madame Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,