Tribunal administratif de Melun

Ordonnance du 16 novembre 2018 N° 1804476

16/11/2018

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE MELUN

 

 

N° 1804476

___________

 

M. A... B...

___________

 

Ordonnance du 16 novembre 2018

___________

 

 

 

 

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

La présidente de la 6ème chambre,

 

 

 

 

 

Vu la procédure suivante :

 

Par une requête enregistrée le 1er juin 2018, M. A... B..., représenté par le cabinet Cassel, demande au tribunal :

 

1°) d’annuler l’arrêté notifié le 3 avril 2018 par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice, l’a exclu temporairement de ses fonctions pour une durée de trois mois ;

 

2°) d’enjoindre au ministre de la justice de le réintégrer dans ses fonctions et d’effacer la sanction litigieuse de son dossier administratif et de tout autre fichier, à compter du jugement à intervenir, en application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative ;

 

3°) d’assortir cette injonction d’une astreinte de 200 euros par jour de retard ;

 

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

 

Par un mémoire enregistré le 4 juin 2018, présenté en application des articles 23-1 à

23-3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. B... demande au tribunal de transmettre au Conseil d’Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’article 3 de l’ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire.

 

Il soutient que :

- l’ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire, prise en application de la loi n° 58-520 du 3 juin 1958 relative aux pleins pouvoirs, a modifié la loi n° 46-2249 du 19 octobre 1946 relative au statut général des fonctionnaires et a donc elle-même valeur législative ; son article 3, qui concerne les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’Etat, constitue donc bien une disposition législative au sens de l’article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

- les dispositions de l’article 3 de l’ordonnance n° 58-696, visées par la décision contestée, sont applicables au litige ;

- le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur la constitutionnalité de l’article 3 de l’ordonnance n° 58-696, ni au regard du principe des droits de la défense garantis par la Constitution ni au regard d’autres droits et libertés ;

- le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de consacrer le caractère constitutionnel du respect des droits de la défense ; en prévoyant que « toute cessation concernée des services, tout acte collectif d’indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l’administration pénitentiaire » pourraient être sanctionnés « en dehors des garanties disciplinaires », l’article 3 de l’ordonnance n° 58-696 exclut que les droits de la défense soient respectés ; cet article viole ainsi directement le principe fondamental reconnu par les lois de la République que constitue le respect des droits de la défense ainsi que l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

 

 

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut à la non-transmission de la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. B... au Conseil d’Etat.

 

Il soutient que la question soulevée dans le cadre de l’instance ne présente pas de caractère sérieux au sens de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1607 du 7 novembre 1958, dès lors que, eu égard aux missions d’ordre public qui incombent aux agents de l’administration pénitentiaire et à l’interdiction du droit de grève, il est loisible au législateur de prévoir des mesures de restriction des droits et libertés.

 

 

Par un mémoire en réplique, enregistré le 24 août 2018, M. B... persiste dans ses écritures.

 

Il soutient en outre que l’article 3 de l’ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 exclut purement et simplement toutes garanties disciplinaires, ce qui a pour effet d’écarter le principe du contradictoire, lequel devrait être maintenu afin que l’agent puisse à tout le moins être entendu sur la matérialité des faits et de se défendre quant aux reproches formulés à son encontre.

 

 

Vu les autres pièces du dossier.

 

Vu :

- la Constitution ;

- la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- la loi n° 58-520 du 3 juin 1958 relative aux pleins pouvoirs ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- l’ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire ;

- le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution ;

- la décision n° 76-70 DC du 2 décembre 1976 ;

- la décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006 ;

- le code de justice administrative.

 

 

 

Considérant ce qui suit :

 

 

 

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que le tribunal administratif, saisi d’un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Aux termes de l’article R. 771-7 du code de justice administrative : « Les présidents de tribunal administratif (…) peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité ».

 

 

 

 

 

 

 

2. L’article 3 de l’ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire dispose, dans sa rédaction issue de la loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République : « Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire est interdit. Ces faits, lorsqu'ils sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public, pourront être sanctionnés en dehors des garanties disciplinaires. ». Ces dispositions, qui ont été prises en application de la loi n° 58-520 du 3 juin 1958 relative aux pleins pouvoirs et modifient la loi n° 46-2249 du 19 octobre 1946 relative au statut général des fonctionnaires, ont valeur législative et sont applicables au présent litige. Elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu’elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au respect des droits de la défense, principe fondamental reconnu par les lois de la République et garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, soulève une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

 

 

 

 

 

 

O R D O N N E :

 

 

 

 

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 3 de l’ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 est transmise au Conseil d’Etat.

 

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête n° 1804476 de M. B... jusqu’à la réception de la décision du Conseil d’Etat ou, s’il a été saisi, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. A... B... et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

 

 

Fait à Melun, le 16 novembre 2018.

 

 

La présidente de la 6ème chambre,

 

 

 

 

 

F. DEMURGER

 

 

Pour expédition conforme,

La greffière,

 

 

 

 

S. SCHILDER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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N° 1804476