Tribunal de grande instance de Bayonne

Jugement du 15 novembre 2018 n° 182906000099

15/11/2018

Renvoi

Cour d'Appel de Pau

Tribunal de grande instance de Bayonne

Jugement du : 15/11/2018

Tribunal correctionnel - comparutions immédiates

N° minute 1222/1/18

N° parquet 182906000099

JUGEMENT DE TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

A l'audience publique du Tribunal Correctionnel de Bayonne le QUINZE NOVEMBRE DEUX MILLE DIX-HUIT,

Composé de :

Président : Madame FORMOND-ESKENAZI Héléna, vice-président,

Assesseurs :

Mademoiselle LEGRAS Isabelle, juge,

Mademoiselle LE PETIT Virginie, juge,

Assisté(s) de Madame BONHOURE Pascale, greffière,

en présence de Mademoiselle LE HERISSIER Aude, substitut,

a été appelée l’affaire

ENTRE :

Monsieur le PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE, près ce tribunal, demandeur et poursuivant

L' Administration des douanes,

représentée par [K L], inspecteur des douanes, agent poursuivant à la direction des douanes de [LOCALITE 1], [adresse 2] ;

Comparante

ET

Prévenu

Nom : [M O]

né le [DateNaissance 3] 1973 à [LOCALITE 4] ([LOCALITE 5])

de [M O] et de [I J]

Nationalité : néerlandaise

Situation familiale : concubin

Situation professionnelle : consultant en marketing

Demeurant : [LOCALITE 6]

Situation pénale : détenu provisoirement à la [LOCALITE 7]

Mandat de dépôt en date du [8/10/2018

comparant assisté de Maître BINET Sébastien avocat au barreau de BAYONNE, avocat commis d'office,

Prévenu :

d'avoir à [LOCALITE 8], le 15 octobre 2018, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, apporté son concours à une opération de placement, dissimulation ou de conversion de produits qu'il savait provenir d'un trafic de stupéfiants, faits prévus par ART.222-38 AL.I, ART.222-36 AL.I, ART222-37 C.PENAL. ARTL5132-7 C.SANTE.PUB. ART. ARR.MINIST DU 22/02/1990, et réprimés par ART.222-38, ART.222-44, ART.222-45, ART.222- 47, ART.222-48, ART.222-49, ART.222-50, ART.222-51 C.PENAL.

d'avoir à [LOCALITE 9], le 15 octobre 2018, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, transféré sans déclaration des sommes, titres ou valeurs d'au moins 10 000 euros en l'espèce 64 000 euros entre la France et l'étranger sans l'intermédiaire d'un établissement autorisé à effectuer des opérations de banque., faits prévus par ART.L.152-1 CMF. ART.464 CDOUANES. ART.1649-QUATER-A C.GI. ART3 REGLTCE 2005-1889 DU 26/10/2005. et réprimés par ART.L.152-4 C.M.F. ART.465 C.DOUANES.

d'avoir à [LOCALITE 10], le 16 octobre 2018, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, refusé de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie en l'espèce les codes PIN de la téléphonie et du GPS, faits prévus par ART.434-15-2 C.PENAL. et réprimés par ART.434-15-2 AI.2, ART.434:44 AL.4 C.PENAL.

d'avoir à [LOCALITE 11], le 15 octobre 2018, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, par exportation, importation, transfert ou compensation, procédé à une opération financière entre la France et l'étranger portant sur des fonds (en l'espèce 64 000 euros) qu'il savait provenir d'une infraction à la législations sur les stupéfiants, faits prévus par ART.415, ART.415-1 C. DOUANES. et réprimés par ART,415, ART.369 C.DOUANES.

DEBATS

Avant l’audition de [M O], la présidente a constaté que celui-ci ne parlait pas suffisamment la langue française ;

Il a désigné [A B C D-E], interprète Inscrit sur la liste de la Cour d'Appel de PAU : l'interprète a ensuite prêté son ministère chaque fois qu’il a été utile.

A l'appel de la cause, la présidente a constaté la présence et l’identité de [M O] et a donné connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal.

[M O] assisté de Maître BINET Sébastien expose la question suivante :

Le 1 de l'article L 152-4 du code monétaire et financier tel qu'issu des rédactions de l'article 41 de la loi 2016-731 du 3 juin 2016 méconnaît-il le principe constitutionnel de proportionnalité des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'il prévoit une amende proportionnelle en cas de simple manquement à l'obligation déclarative prévue à l'article L 152-1] du code monétaire et financier alors même que les sommes non déclarées ne concourent à la fixation d'aucun impôt ou taxe douanière et qu'aucune infraction à une loi où à un règlement fiscale, douanier ou financier n'a été commise ?

Madame [K L], agent poursuivant de l'administration des douanes a été entendue en ses observations concernant la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la défense ;

Le Ministère public a demandé au tribunal la non transmission à la Cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité en l'absence de caractère sérieux ;

Le greffier a tenu note du déroulement des débats.

Le tribunal, après en avoir délibéré, a statué en ces termes :

MOTIFS DE LA DECISION

Vu les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel :

Vu les articles R.49-21 à R.49-29 du Code de Procédure Pénale et notamment l'article R.49-28 ;

Vu la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct et motivé le 25 octobre 2018 par [M O] assisté de Maître Sébastien BINET, avocat au barreau de BAYONNE ;

Vu le mémoire en réponse de l' Administration des douanes en date du 15 novembre 2018 ;

Vu l'avis du ministère public en date du [5 novembre 2018 ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

Sur la recevabilité:

Le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a bien été présenté dans un écrit distinct et motivé.

La demande est donc recevable en la forme.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation:

En l'espèce, la question posée porte bien sur des dispositions législatives: l'article 152-4 du code monétaire et financier constitue le fondement d'une partie des poursuites.

Cette question n'a pas déjà fait l'objet d'une déclaration de conformité à la Constitution.

Le conseil de monsieur [M] fait valoir que l'article 152-4 du code monétaire et financier sanctionne le seul manquement à une obligation déclarative d'une amende égale à 50% de la totalité des sommes appréhendées, et ce de manière forfaitaire, automatique, sans progressivité et sans possibilité de retenir de circonstances atténuantes. Ainsi, il estime que ces dispositions méconnaissent le principe de proportionnalité des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution.

Il pose ainsi la QPC suivante: Le 1 de l'article L 152-4 du code monétaire et financier tel qu'issu des rédactions de l'article 41 de la loi 2016-731 du 3 juin 2016 méconnaît-il le principe constitutionnel de proportionnalité des peines découlant de l'article 8 de [a Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'il prévoit une amende proportionnelle en cas de simple manquement à l'obligation déclarative prévue à l'article L 152-1 du code monétaire et financier alors même que les sommes non déclarées ne concourent à la fixation d'aucun impôt ou taxe douanière et qu'aucune infraction à une loi ou à un règlement fiscal, douanier ou financier n'a été commise ?

Cependant, une QPC a été soumise à la Cour de cassation pour transmission au Conseil Constitutionnel au sujet de la conformité du même article pris dans son ancienne rédaction, qui réprimait le manquement à l'obligation déclarative d'une amende proportionnelle d'un quart du montant appréhendé,

Le Conseil Constitutionnel doit prochainement se prononcer sur cette question. Il convient de constater que la QPC posée par le conseil de monsieur [M] porte sur le même motif.

Il résulte donc de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité présente un caractère sérieux et sera donc transmise à la Cour de Cassation.

Néanmoins, selon les termes de l'article 23-3 de l'Ordonnance du 7 novembre 1958 portant Loi Organique sur le Conseil Constitutionnel (modifiée par la Loi Organique du 10 décembre 2009), il n'est sursis à statuer lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance;

En l'espèce, monsieur [M] est poursuivi dans le cadre d'une procédure de comparution immédiate; le dossier a fait l'objet d'un renvoi le 18 octobre dernier afin que le ministère public et les douanes puissent se prononcer sur la QPC et la question préjudicielle soulevées par le conseil de monsieur [M]; monsieur [M] a été placé en détention provisoire jusqu'à ce jour;

Dans ces conditions, le tribunal peut statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité;

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’égard de [M O] et de l'Administration des douanes, non susceptible de recours :

Ordonne la transmission à la Cour de Cassation de la question suivante :

Le 1 de l'article L 152-4 du code monétaire et financier tel qu'issu des rédactions de l'article 41 de la loi 2016-731 du 3 juin 2016 méconnait-il le principe constitutionnel de proportionnalité des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'il prévoit une amende proportionnelle en cas de simple manquement à l'obligation déclarative prévue à l'article L 152-1 du code monétaire et financier alors même que les sommes non déclarées ne concourent à la fixation d'aucun impôt ou taxe douanière et qu'aucune infraction à une loi ou à un règlement fiscale, douanier ou financier n'a été commise?

Dit n‘y avoir lieu à surseoir à statuer ;

et le présent jugement ayant été signé par la présidente et la greffière,

PRESIDENTE

LA GREFFIERE