Tribunal de grande instance de Paris

Ordonnance du 26 septembre 2018, N° RG 18/05303

26/09/2018

Renvoi

TRIBUNAL D E GRANDE INSTANCE DE PARIS

9ème chambre

2ème section

N° RG 18/05303

N° MINUTE : 9

Assignation du : 6 Mars 2018

Copies exécutoires délivrées le:

 

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT

rendue le Mercredi 26 Septembre 2018

DEMANDERESSE

Madame [A B] épouse [C]

[adresse 1]

[LOCALITE 2]

représentée par Maître Marc BORNHAUSER de la SELARL CABINET BORNHAUSER, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C1522

DÉFENDEUR

Le Directeur Général des Finances Publiques - poursuites et diligences du Directeur Régional des Finances Publiques d’Île de France et du Département de Paris - Pôle Fiscal Parisien 1 - Pôle Juridictionnel Judiciaire

[adresse 3]

[LOCALITE 4]

représenté par son inspecteur

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Nicolas MICHON, Juge

assisté de Céline LATINI, Greffier

DÉBATS

À l'audience du Mercredi 04 Juillet 2018, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le Mercredi 26 Septembre 2018 par mise à disposition au greffe.

ORDONNANCE

Rendue publiquement par mise à disposition au greffe

Contradictoire

Susceptible d'appel dans les conditions de l'article 776 du code de procédure civile

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Mme [A B] épouse [C] a vendu pour la somme de 197.000 euros, le 13 juin 2016, un immeuble qu'elle avait acquis le 26 octobre 1979 pour une somme en francs français équivalente à 22.867 euros. La plus-value a été exonérée d'impôt sur le revenu du fait de la durée de détention du bien par Mme [C]. Cette dernière a toutefois déclaré comme revenus, au titre de son impôt de solidarité sur la fortune 2017 (ci-après ISF), la totalité de la somme de 168.988 euros correspondant à la plus-value, pour les besoins de l'application du plafonnement de l'TSF, l'article 885 V bis, IT, alinéa 1, du code général des impôts (CGD), ne prévoyant pas de déduction. Le 12 octobre 2017, Mme [C] a introduit une réclamation contentieuse, par laquelle elle sollicitait la prise en compte d'un coefficient « d'érosion monétaire. »

Cette réclamation a été rejetée par la direction générale des finances publiques le 15 janvier 2018.

Par acte d'huissier de justice en date du 6 mars 2018, Mme [C] a donné assignation à la direction générale des finances publiques devant le présent tribunal.

Par conclusions signifiées le 5 avril 2018, Mme [C] a saisi le présent tribunal d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Par lettre reçue le 12 juin 2018, le ministère public a indiqué ne pas souhaiter conclure dans la présente affaire.

Aux termes de ses conclusions aux fins de QPC, Mme [C] demande au juge de la mise en état de :

« Vu l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, Vu l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen,

Vu notamment les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et 126-I du Code de procédure civile,

Vu l'article 885 V bis, IL, alinéa 1 er du Code général des impôts,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu les pièces versées au débat, Madame [A C] a l'honneur de solliciter de votre Tribunal qu'il lui plaise de bien vouloir :

- Prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 885 V bis, IL, alinéa 1 er du Code général des impôts issu de l'article 13 de la loi n° 2012- 1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 pour violation de l’article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ;

- Constater que la question soulevée porte sur des dispositions applicables au litige ou à la procédure, ou constituent le fondement des poursuites dont votre Tribunal est saisi ;

- Constater que la question soulevée porte sur des dispositions qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel dans des circonstances identiques et qu'un changement de circonstances justifie un nouvel examen ;

- Constater que la question soulevée n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;

- Transmettre sans délai la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à la Cour de cassation afin que celle-ci procède à l'examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité des dispositions contestées, prononce leur abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera ;

- Ordonner le sursis à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il est saisi, du Conseil constitutionnel ;

- Reporter la date de clôture de l'audience au fond dans l'attente de la décision qui sera prise par la Cour de cassation ou, s'il est saisi, par le Conseil constitutionnel. »

Mme [C] indique que, si la disposition concernée a fait l'objet d'un premier examen par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, considérant 97, il y a eu une modification des circonstances de droit justifiant un réexamen, dès lors que par deux décisions (2013-685 DC du 29 décembre 2013, cons. 46, et 2016-538 QPC du 22 avril 2016, cons. 11) rendues en matière d'imposition sur le revenu, le Conseil constitutionnel a indiqué que, si aucun abattement pour durée de détention n'a été prévu par le législateur, la plus-value imposable doit être déterminée en faisant application d'un coefficient d'érosion monétaire. Elle indique que ces décisions sont transposables à la présente affaire dès lors qu'il s'agit bien d'isoler, pour les besoins du plafonnement, la part de revenus réels de la part de capital.

Aux termes de ses conclusions, signifiées le 2 juillet 2018, la direction générale des finances publiques demande au tribunal de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité.

Elle indique que les décisions invoquées par Mme [C] sont inapplicables, dès lors qu'elles ont été rendues à propos d'un impôt de nature différente, et que l'examen du commentaire des décisions, notamment de celle du 22 avril 2016, p. 18, précise que la faiblesse des taux appliqués à une assiette brute (comme c'est le cas en matière d'ISF) ne permet pas de considérer que l'imposition soit confiscatoire.

L'incident a été plaidé le 4 juillet 2018, et la décision mise en délibéré au 26 septembre 2018, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION :

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée, une question prioritaire de constitutionnalité doit être présentée dans un écrit distinct, à peine d'irrecevabilité.

En application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité doit la transmettre à la Cour de cassation si la disposition contestée est applicable au litige, si la disposition n'a pas été déjà déclarée conforme à la Constitution à la fois dans les motifs et Le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel (sauf changement de circonstances), et, enfin, si elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l'espèce, la question a été soulevée dans un écrit distinct. La disposition critiquée est applicable au litige, puisque l'article 885 V bis, II, alinéa 1, du CGI constitue le fondement de l'absence de prise en compte de « l'érosion monétaire » critiquée par Mme [B]. Cette disposition n'a, par ailleurs, pas été déclarée conforme à la Constitution à la fois dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

Il convient donc d'examiner si la question est « dépourvue de caractère sérieux » au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance précitée.

Mme [C] indique, à raison, que le Conseil constitutionnel a, dans deux décisions (2013-6853 DC du 29 décembre 2013 et 2016-538 QPC du 22 avril 2016) censuré l'absence de prise en compte, pour l'application de l'impôt sur le revenu, de toute forme de prise en compte de « l'érosion de la valeur de la monnaie » et de l'absence de toute forme d'abattement, les commentaires de ces décisions aux Cahiers du Conseil constitutionnel précisant que l'imposition ne peut, à peine de méconnaître les capacités contributives des contribuables, porter sur un enrichissement purement nominal.

Si, comme le fait justement observer l'administration fiscale, il s'agit ici d'un impôt portant sur le capital et non sur les revenus, reste que le dispositif en cause dans la présente affaire est un mécanisme de plafonnement d'un impôt sur le capital en fonction des revenus. Or, le Conseil constitutionnel avait jugé dans une décision 2016-744 DC du 29 décembre 2016 (Loi de finances pour 2017) que :

« 22. Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans que soit méconnu le respect des capacités contributives des contribuables, avoir pour effet d'intégrer dans le revenu du contribuable pour le calcul du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année d'imposition.

En conséquence, la réintégration dans le calcul du plafonnement des revenus distribués à la société contrôlée par le contribuable implique que l'administration démontre que les dépenses ou les revenus de ce dernier sont, au cours de l'année de référence du plafonnement et à hauteur de cette réintégration, assurés, directement ou indirectement, par celte société de manière artificielle. » (soulignement ajouté)

Si l'administration fiscale souligne que le Conseil constitutionnel avait indiqué, dans le commentaire de la décision n° 2016-538 QPC qu'il n'y a pas de méconnaissance des capacités contributives « lorsque sont appliqués des taux peu élevés à une telle assiette brute » et que le taux de l'ISF est très faible, cela ne suffit pas à considérer que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme [C] soit dépourvue de caractère sérieux.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

« L'article 885 V bis, IL alinéa ler du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 13 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 est-il conforme aux droits et libertés garantis par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ?»

Il y a également lieu de surseoir à statuer jusqu'à la décision de la Cour de cassation ou, le cas échéant, du Conseil constitutionnel.

Les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS :

Le Juge de la Mise en Etat, par ordonnance contradictoire, susceptible d'appel dans les conditions de l'article 776 du code de procédure civile, rendue publiquement par mise à disposition au greffe :

TRANSMET à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

L'article 885 V bis, IL alinéa ler du code général des impôts dans sa rédaction issue de l'article 13 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 est-il conforme aux droits et libertés garantis par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ?

SURSEOIT à statuer jusqu'à la décision de la Cour de cassation ou, le cas échéant, du Conseil constitutionnel:

RESERVE les dépens.

Faite et rendue à Paris le 26 Septembre 2018

Le Greffier

Le Juge de la mise en état