Tribunal de grande instance de Chartres

Jugement du 13 septembre 2018 n° 2018/1206

13/09/2018

Renvoi

Cour d'Appel de Versailles

Tribunal de Grande Instance de Chartres

Jugement du : 13/09/2018

Chambre correctionnelle

N° minute : 2018/1206

N° parquet 17033000097

Plaidé le 06/09/2018

Délibéré le 13/09/2018

JUGEMENT CORRECTIONNEL

A l'audience publique du Tribunal Correctionnel de Chartres le SIX SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX-HUIT,

Composé de :

Président : Monsieur VAUTIER Stéphane, vice-président,

Assesseurs : Madame DAOUST Aurélie, vice-président,

Monsieur LOIRET Christian, magistrat à titre temporaire,

assistés de Madame FARDIN Céline, greffière,

en présence de Monsieur REYMONDET Marc, procureur de la République adjoint, a été appelée l’affaire

ENTRE :

Monsieur le PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE, près ce tribunal, demandeur et poursuivant

ET

Prévenu

Nom : [A I]

né le [DateNaissance 1] 1996 à [LOCALITE 2] ([LOCALITE 3])

de [K J] et de [A B]

Nationalité : française

Situation familiale :

Situation professionnelle : vendeur de matelas

Antécédents judiciaires : jamais condamné

Dermeurant : [adresse 4] — [LOCALITE 5]

Situation pénale : libre

comparant assisté de Maître MARSIGNY Emmanuel avocat au barreau de PARIS,

Prévenu des chefs de :

EXECUTION EN BANDE ORGANISEE D'UN TRAVAIL DISSIMULE faits commis du ler janvier 2014 au 18 décembre 2017 sur le territoire national

BLANCHIMENT AGGRAVE : CONCOURS EN BANDE ORGANISEE A UNE OPERATION DE PLACEMENT, DISSIMULATION OÙ CONVERSION DU PRODUIT D'UN DELIT faits commis du ler janvier 2014 au 18 décembre 2017 sur le territoire national

Prévenue

Nom : [C D]

née le [DateNaissance 6] 1994 à [LOCALITE 7] ([LOCALITE 8])

de [C E] et de [N O]

Nationalité : française

Situation familiale : concubine

Situation professionnelle : sans profession

Antécédents judiciaires : jamais condamnée

Demeurant : [adresse 9] - [LOCALITE 10]

Situation pénale : libre

non comparante représentée par Maître MARSIGNY Emmanuel avocat au barreau de PARIS, muni d'un pouvoir en date du 28/08/2018

Prévenue du chef de :

BLANCHIMENT AGGRAVE : CONCOURS EN BANDE ORGANISEE A UNE OPERATION DE PLACEMENT, DISSIMULATION OÙ CONVERSION DU PRODUIT D'UN DELIT faits commis du ler janvier 2014 au 18 décembre 2017 sur le territoire national

Prévenu

Nom : [K J]

né le [DateNaissance 11] 1965 à [LOCALITE 12] ([LOCALITE 13])

de [K M] et de [G H]

Nationalité : française

Situation familiale : concubin

Situation professionnelle : sans emploi

Antécédents judiciaires : jamais condamné

Demeurant : Lieu-dit [LOCALITE 14] - [LOCALITE 15]

Situation pénale : libre

comparant assisté de Maître MARSIGNY Emmanuel avocat au barreau de PARIS,

Prévenu des chefs de :

EXECUTION EN BANDE ORGANISEE D'UN TRAVAIL DISSIMULE faits commis du 1er janvier 2014 au 18 décembre 2017 sur Le territoire national

BLANCHIMENT AGGRAVE : CONCOURS EN BANDE ORGANISEE A UNE OPERATION DE PLACEMENT, DISSIMULATION OU CONVERSION DU PRODUIT D'UN DELIT faits commis du ler janvier 20 14 au 18 décembre 2017 sur le territoire national

Prévenu

Nom : [A L]

né le [DateNaissance 16] 1989 à [LOCALITE 17] ([LOCALITE 18])

de [F F] et de [A B]

Nationalité ; française

Situation familiale : concubin

Situation professionnelle : commerçant ambulant

Antécédents judiciaires : jamais condamné

Demeurant : [adresse 19] - [LOCALITE 20]

Situation pénale : libre

comparant assisté de Maître MARSIGNY Emmanuel avocat au barreau de PARIS,

Prévenu des chefs de :

EXECUTION EN BANDE ORGANISEE D'UN TRAVAIL DISSIMULE faits commis du 1er janvier 2014 au 18 décembre 2017 sur le territoire national

BLANCHIMENT AGGRAVE : CONCOURS EN BANDE ORGANISEE A UNE OPERATION DE PLACEMENT, DISSIMULATION OÙ CONVERSION DU PRODUIT D'UN DELIT faits commis du ler janvier 2014 au 18 décembre 2017 sur le territoire national

DEBATS

À l'appel de la cause, le président, après avoir informé les personnes, de leur droit d’être assistées par un interprète, a constaté l’absence de [C D] et la présence et l’identité de [A I], [K J] et [A L] et a donné connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal.

Le président a informé les prévenus de leur droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui leur sont posées ou de se taire.

Maître MARSIGNY Emmanuel, conseil de [A I], [K J], [A L] et [C D] a déposé des conclusions écrites relatives à une question prioritaire de constitutionnalité et deux jeux de conclusions in limine litis qui ont aussitôt été visées par le président et le greffier et versées au dossier ;

Maître MARSIGNY Emmanuel a été entendu en sa plaidoirie concernant la question prioritaire de constitutionnalité ;

Le ministère public a été entendu en ses réquisitions sur la question prioritaire de constitutionnalité.

Maître MARSIGNY Emmanuel et [A I], [K J], et [A L] ont eu la parole en dernier.

Le greffier a tenu note du déroulement des débats.

Puis à l'issue des débats tenus à l'audience du SIX SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX- HUIT, le tribunal a informé les parties présentes ou régulièrement représentées que le jugement serait prononcé le TREIZE SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX-HUIT à 09:30.

A cette date, vidant son délibéré conformément à la loi, Monsieur VAUTIER Stéphane, Président a donné lecture de la décision, en vertu de l'article 485 du code de procédure pénale,

assisté de Madame FARDIN Céline, greffière, et en présence du ministère public.

Le tribunal a délibéré et statué conformément à la loi en ces termes :

Une convocation à l'audience du 6 septembre 2018 a été notifiée à [A I] le 6 février 2018 par un agent ou un officier de police judiciaire sur instruction du procureur de la République et avis lui a été donné de son droit de se faire assister d'un avocat de son choix ou, s'il en fait la demande, d'un avocat commis d'office, dont les frais seront à sa charge sauf s'il remplit les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle, et qu'il a également la possibilité de bénéficier, le cas échéant, gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d'accès au droit. Conformément à l'article 390-1 du code de procédure pénale, cette convocation vaut citation à personne.

Il est prévenu :

- d'avoir sur l'ensemble du territoire national, entre le 01/01/2014 et le 18/12/2017, et depuis temps n'emportant pas prescription, intentionnellement accompli des actes de commerce, en l'espèce avoir procédé à une activité de vente au déballage de matelas et de literie en ne procédant pas aux déclarations devant être faites aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale, en l'espèce en dissimulant l'intégralité de son chiffre d'affaire évalué sur la période à 174 229 euros avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée., faits prévus par ART.L.8224-2 AL3, ART.L.8221-1 AL.I 1°, ART.L.8221-3, ART.L.8221-4, ART.L.8221-5, ART.L.8221-6 CTRAVAIL. ART.132-71 C.PENAL. et réprimés par ART.L.8224-2 AL.3, ART.L.8224-3, ART.L.8224-4 C.TRAVAIL.

- d'avoir sur l'ensemble du territoire national, entre le 01/01/2014 et le 18/12/2017, et depuis temps n'emportant pas prescription, apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect du délit de travail dissimulé, en l'espèce en convertissant les recettes de son activité non déclarée en gains de paris hippiques soit par le rachat de ticket gagnant, soit par des prises de paris réels, en encaissant sur ces comptes personnels, les recettes de l'activité dissimulée de M. [K J], son père, et en faisant l'acquisition de deux véhicules dont la valeur estimée est de 60 000 euros avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée... faits prévus par ART.324-2 2°, ART.324-1 AL.2, ART324-1-1, ART.132-71 C.PENAL. et réprimés par ART.324-2 AL.1, ART.324-3, ART.324-7, ART.324-8 C.PENAL.

[A I] comparu à l'audience assisté de son conseil ; il y a lieu de statuer contradictoirement à son égard.

Une convocation à l'audience du 6 septembre 2018 a été notifiée à [C D] le 6 février 2018 par un agent ou un officier de police judiciaire sur instruction du procureur de la République et avis lui a été donné de son droit de se faire assister d'un avocat de son choix ou, s'il en fait la demande, d'un avocat commis d'office, dont les frais seront à sa charge sauf s'il remplit les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle, et qu'il a également la possibilité de bénéficier, le cas échéant, gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d'accès au droit. Conformément à l'article 390-1 du code de procédure pénale, cette convocation vaut citation à personne.

Elle est prévenue :

- d'avoir sur l'ensemble du territoire national, entre le 01/01/2014 et le 18/12/2017, et depuis temps n'emportant pas prescription, apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect du délit de travail dissimulé, en l'espèce en créditant ses comptes bancaires avec les recettes de l'activité illégale de son conjoint [A L] et en dissimulant une partie de ces recettes dans un coffre fort loué à son nom auprès d'un établissement bancaire, avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée., faits prévus par ART.324-2 2°, ART.324-1 AL.2, ART.324-1-1, ART.132-71 C.PENAL. et réprimés par ART.324-2 AL.I, ART.324-3, ART.324-7, ART.324-8 C.PENAL.

[C D] n’a pas comparu mais est régulièrement représentée par son conseil muni d’un mandat ; il y a lieu de statuer contradictoirement à son égard.

Une convocation à l'audience du 6 septembre 2018 a été notifiée à [K J] le 6 février 2018 par un agent ou un officier de police judiciaire sur instruction du procureur de la République et avis lui a été donné de son droit de se faire assister d'un avocat de son choix ou, s'il en fait la demande, d'un avocat commis d'office, dont les frais seront à sa charge sauf s'il remplit les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle, et qu'il a également la possibilité de bénéficier, le cas échéant, gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d'accès au droit. Conformément à l'article 390-1 du code de procédure pénale, cette convocation vaut citation à personne.

Il est prévenu :

- d'avoir sur l'ensemble du territoire national, entre le 01/01/2014 et le 18/12/2017, et depuis temps n'emportant pas prescription, intentionnellement accompli des actes de commerce, en l'espèce avoir procédé à une activité de vente au déballage de matelas et de literie en ne procédant pas aux déclarations devant être faites aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale, en l'espèce en dissimulant l'intégralité de son chiffre d'affaire évalué sur la période à 174 229 euros avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée. faits prévus par ART.L.8224-2 AL.3, ART.L.8221-1 AL.1 1°, ART.L.8221-3, ART.L.8221-4, ART.L.8221-5, ART.L.8221-6 C.TRAVAIL. ART.132-71 C.PENAL. et réprimés par ART.L.8224-2 AL.3, ART.L.8224-3, ART.L.8224-4 C.TRAVAIL.

- d'avoir sur l'ensemble du territoire national, entre le 01/01/2014 et le 18/12/2017, et depuis temps n'emportant pas prescription, apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect du délit de travail dissimulé, en l'espèce en convertissant les recettes de son activité non déclarée en gains de paris hippiques soit par le rachat de ticket gagnant, soit par des prises de paris réels, et en créditant les recettes de son activité illégale sur les comptes de son fils [A I], avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée. faits prévus par ART.324-2 2°, ART.324-1 AL.2, ART.324-1-1, ART.132-71 CPENAL. et réprimés par ART.324-2 ALI, ART.324-3, ART.324-7, ART.324-8 C.PENAL.

[K J] a comparu à l’audience assisté de son conseil ; il y a lieu de statuer contradictoirement à son égard.

Une convocation à l'audience du 6 septembre 2018 a été notifiée à [A L] le 6 février 2018 par un agent ou un officier de police judiciaire sur instruction du procureur de la République et avis lui a été donné de son droit de se faire assister d'un avocat de son choix ou, s'il en fait la demande, d'un avocat commis d'office, dont les frais seront à sa charge sauf s'il remplit les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle, et qu'il a également la possibilité de bénéficier, le cas échéant, gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d'accès au droit. Conformément à l'article 390-1 du code de procédure pénale, cette convocation vaut citation à personne.

Il est prévenu :

- d'avoir sur l'ensemble du territoire national, entre le 01/01/2014 et le 18/12/2017, et depuis temps n'emportant pas prescription, intentionnellement accompli des actes de commerce, en l'espèce avoir procédé à une activité de vente au déballage de matelas et de literie en ne procédant pas aux déclarations devant être faites aux organismes de protection sociale où à l'administration fiscale, en l'espèce en dissimulant l'intégralité de son chiffre d'affaire évalué sur la période à 330 797 euros causant un préjudice de 47 958 euros au Régime Social des Indépendants avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée, faits prévus par ART.L.8224-2 AL.3, ART.L.8221-1 AL.I 1°, ART.L.8221-3, ART.L.8221-4, ART.L.8221-S, ART.L.8221-6 C.TRAVAIL. ART.132-71 C.PENAL. et réprimés par ART.L.8224-2 AL.3, ART.L.8224-3, ART.L.8224-4 CTRAVAIL.

-_ d'avoir sur l'ensemble du territoire national, entre le 01/01/2014 et le 18/12/2017, et depuis temps n'emportant pas prescription, apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect du délit de travail dissimulé, en l'espèce en convertissant les recettes de son activité non déclarée en gains de paris hippiques soit par le rachat de ticket gagnant, soit par des prises de paris réels, et en procédant à l'acquisition de véhicules de luxe estimés à plus de 70 000 euros, avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée. faits prévus par ART.324-2 2°, ART.324-1 AL.2, ART.324-1- 1, ART.132-71 C.PENAL. et réprimés par ART.324-2 AL.I1, ART.324-3, ART.324-7, ART.324-8 C.PENAL.

[A L] a comparu à l’audience assisté de son conseil ; il y a lieu de statuer contradictoirement à son égard.

M. [I A] est partie en qualité de prévenu à la procédure diligentée contre également [J K], [L A] et [D C] des chefs d'exécution de travail dissimulé en bande organisée et blanchiment aggravé.

M. [I A] fait valoir dans ses conclusions que l'article 65 alinéa 1 § i) du code des douanes, dont il a été fait application dans le cadre de la procédure, est inconstitutionnel en ce qu'il porte atteinte au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

En application de l'article R 49-25 du code de procédure pénale, le ministère public et les parties ont été appelées ou entendues et ont présentées leurs observations, en l'occurrence orales, sur la question prioritaire de constitutionnalité.

Le ministère public s'est opposé à la transmission de la question à la Cour de cassation en soulignant que le Conseil constitutionnel avait déjà statué en 2012 en déclarant l'article 65 du code des douanes conforme à la Constitution et que depuis cette date récente les technologies n'avaient guère évoluées. Il a également soutenu que l'article 65 n'était pas le copier-coller des dispositions que le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles en 2015 sur l'autorité de la concurrence et en 2017 à propos de l'AMF, la disposition critiquée offrant plus de garanties en termes de délais et de contrôle hiérarchique de l'agent de douanes requérant. Il a enfin mis en exergue que depuis le revirement allégué par l'avocat de M. [A], aucune QPC n'a été soulevée à propos de l'article 65 du code des douanes.

Il a estimé plus largement qu'il n'existe pas de revirement de jurisprudence transposable à l'article 65 du code des douanes et donc pas de changement des circonstances de droit rendant possible un nouvel examen de la disposition critiquée.

SUR CE :

Sur la recevabilité formelle du moyen tiré de l'inconstitutionnalité de l'article 65 du code des douanes :

Aux termes de l'article 23-1 de la loi n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel « Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. I] ne peut être relevé d'office ».

Cette question prioritaire de constitutionnalité ne peut être présentée qu'à l'appui d'une demande et son régime suit donc celui des demandes à l'occasion desquelles la question est soulevée.

L'avocat de M. [I A] a présenté dans un écrit distinct et motivé une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question prioritaire de constitutionnalité venant au soutien de deux exceptions de nullité, elle est présentée « in limine litis » en même temps que les deux exceptions de nullité soulevées.

Le moyen tiré de ce que l'article 65 du code des douanes porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est donc formellement recevable.

Sur l'application de l'article 65 du code des douanes à la procédure d'enquête :

L'article 65 du code des douanes dans sa rédaction issue de la loi de 2007 dispose que (...) « les agents des douanes ayant au moins le grade de contrôleur peuvent exiger la communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service quel qu'en soit le support (...)« i) chez les opérateurs de télécommunications et les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-5735 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, pour les données conservées et traitées par ces derniers, dans le cadre de l’article L. 34-1 du code des postes et télécommunications ».

Il ressort du procès-verbal de renseignements judiciaires en date du 25 janvier 2017 qu'un agent des douanes détaché auprès du GIR d'[LOCALITE 21], a fait usage de son droit de communication, prévu à l'article 65 I) i) du code des douanes et qu'il a ainsi pu identifier la ligne téléphonique utilisée dans deux annonces publiées sur le site internet « [SiteInternet 22] ». M. [I A] a ainsi été identifié comme étant le titulaire de la ligne téléphonique utilisée dans ces annonces. Sans que cela soit expressément indiqué dans le procès-verbal de renseignements judiciaires, il ressort que cette information a été communiquée par le site « [SiteInternet 23] » dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication en ligne au sens de l'article 6 I) 1°) de la loin °2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

En conséquence, il est établi que la disposition de l'article 65 et plus particulièrement l'alinéa } §i) a bien reçu application au présent litige.

Sur le caractère «nouveau» ou sérieux de cette question prioritaire de constitutionnalité :

Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée, la disposition contestée ne doit pas avoir déjà été « déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ».

Dans sa décision n° 2009-595 DC du 03 décembre 2009, le Conseil a précisé que l’expression « changement des circonstances » concerne à la fois les circonstances de droit et les circonstances de fait. I] a ainsi conclut qu'« en réservant le cas du “changement des circonstances", elle [la loi organique] conduit à ce qu'une disposition législative déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel soit de nouveau soumise à son examen lorsqu'un tel réexamen est justifié par les changements intervenus, depuis la précédente décision, dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les circonstances, de droit ou de fait, qui affectent la portée de la disposition législative critiquée ».

Ainsi 1l est admis qu'une évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel peut constituer un changement des circonstances de droit particulièrement quand elle est liée à une évolution de la société ou du contexte par rapport à la date à laquelle il a déjà statué.

Or, en l'espèce, l'article 65 du code des douanes dans sa rédaction antérieure à la loin °2004-1485 du 30 décembre 2004 de finances rectificatives pour 2004 ainsi que dans sa rédaction modifiée par l'article 91 de cette même loi, a déjà été déclaré conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel n° 2011-214 en date du 27 janvier 2012 dite Société COVED SA.

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a estimé que la procédure instaurée par l'article 65 du code des douanes n'affecte pas la liberté individuelle et que le droit reconnu aux agents de l’administration des douanes d’accéder aux documents relatifs aux opérations intéressant leur service ne saurait, en lui-même, méconnaître les droits de la défense. Le Conseil constitutionnel a mis en avant le fait que « si les dispositions contestées imposent aux personnes intéressées de remettre aux agents de l’administration des douanes les documents dont ces derniers sollicitent la communication, elles ne confèrent pas à ces agents un pouvoir d’exécution forcée pour obtenir la remise de ces documents ; qu’elles ne leur confèrent pas davantage un pouvoir général d’audition ou un pouvoir de perquisition ; qu’en l'absence d’autorisation préalable de l'autorité judiciaire, seuls les documents qui ont été volontairement communiqués à l’administration peuvent être saisis ».

A titre liminaire, il est relevé que si postérieurement à la loi n°2004-1485, Ja loi du 25 décembre 2007 a modifié cet article en abrogeant l'alinéa 8 de cet article, cette modification du cadre législatif n'est pas déterminante pour la disposition législative contestée. En effet, la disposition législative contestée se rapporte à l'alinéa 1 § i).

Cependant, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a manifestement évoluée depuis cette décision à propos de la communication, dans le cadre d'une enquête, de données de connexion conservées et traitées par les opérateurs de communications et par les prestataires de services, en l'occurrence lorsqu'il est fait application de l’article L. 34-1 du code des postes et télécommunications.

Or, l'article 65 alinéa 1 § i du code des douanes prévoit un droit de communication très large au profit des agents des douanes, leur permettant en particulier de solliciter la communication de telles données de connexion, même si en l'espèce le droit de communication exercé par les agents des douanes n'a visé qu'à obtenir l'identité du titulaire d'une ligne téléphonique.

Même si la décision déjà rendue par le Conseil constitutionnel ne date que de 2012 de sorte que les actuelles circonstances de fait pourraient apparaître relativement similaires à celles qui existaient alors comme l'a souligné le ministère public, le Conseil constitutionnel a posé des exigences plus fortes en matière de protection de la vie privée quant aux garanties entourant la communication de ces données de connexion lorsqu'il a été amené à se prononcer sur les procédures de communication des données de connexion en faveur de l'Autorité de la concurrence prévue à l'article L 450-3 du code de commerce et en faveur de l'AMF prévue à l'article L 621-10 du code monétaire et financier, dont on relèvera qu'elles ont été bâties sur le même modèle que la procédure prévue à l'alinéa 1 § i de l'article 65 du code des douanes contesté et ceci par des décisions DC 2015-715 du 5 août 2015 et DC n°2017-646/647 du 21 juillet 2017). Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que les deux dispositions législatives précitées étaient contraires à la Constitution en ce qu'elles n'apportent pas de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public. La juridiction suprême à ainsi estimé que le fait de réserver à des agents habilités et soumis au secret professionnel le pouvoir d'obtenir de telles données dans le cadre d'une enquête sans leur conférer un pouvoir d'exécution forcée ne constituaient pas des garanties suffisantes.

À ce titre, dans le commentaire de sa décision du 21 juillet 2017, le Conseil constitutionnel a lui-même expressément souligné que la décision du 5 août 2015 constituait un revirement de sa jurisprudence en particulier par rapport à sa décision du 27 janvier 2012 sur l'article 65 du code des douanes.

L'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, lequel a élevé ses exigences en matière de protection de la vie privée pour prendre en compte les évolutions technologiques qui se sont accélérées ces dernières années, apparaît donc bien comme un changement de circonstances de droit.

Par ailleurs, la Cour de cassation, le Conseil d' État ou le Conseil constitutionnel ne sont à ce Jour saisis d'aucune question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause l'article 65 du code des douanes.

En outre, il n'appartient pas, sauf évidence et pour écarter toute question fantaisiste ou manifestement dilatoire, au juge du fond de rechercher si l'inconstitutionnalité éventuelle de la disposition critiquée aurait une conséquence utile sur la procédure d'enquête dans son ensemble. En l'espèce, la nullité du procès verbal de renseignement établi et faisant mention de l'exercice du droit de communication de l'agent des douanes du GIR de [LOCALITE 24] est soulevée par M. [I A] qui estime que le prononcé de cette nullité doit entraîner l'annulation de la procédure d'enquête préliminaire entière. La question posée n'est pas dépourvue de sérieux.

Les conditions de recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité paraissent donc réunies de sorte qu'il y a lieu d'ordonner la transmission à la Cour de cassation de la question posée par M. [I A] telle que reprise au dispositif en vue du réexamen éventuel au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel de l'alinéa 1 § i de l'article 65 du code des douanes.

SUR L'ACTION PUBLIQUE :

En l’espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires où conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

Il sera donc sursis à statuer sur l’action publique, l’examen de l’affaire étant renvoyé à l’audience du 2 septembre 2019 à 13h30.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire à l'égard de tous les prévenus, non susceptible de recours,

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question suivante : Les dispositions de l'article 65 du code des douanes selon lesquelles « 1°) les agents des douanes ayant au moins le grade de contrôleur peuvent exiger la communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service quel qu'en soit le support (...)« à) chez les opérateurs de télécommunications et les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-5735 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, pour les données conservées et traitées par ces derniers, dans le cadre de l'article L. 34-1 du code des postes et télécommunications » portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et plus précisément au droit au respect de la vie privée, protégé par l'article 2 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, et ce dans la mesure notamment où le législateur n'a pas apporté de garanties suffisantes pour respecter ce droit au regard de l'article 34 de la Constitution ? »

DIT que la présente décision sera adressée par le greffe à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité :

SURSOIT à statuer sur les exceptions de nullité soulevées et l'action publique ;

RENVOIE l'examen de la présente affaire à l'audience du 2 septembre 2019 à 13h30.

et le présent jugement ayant été signé par le président et le greffier.