Cour d'Appel d'Angers

Arrêt du 12 septembre 2018 n° 2018/00183

12/09/2018

Renvoi

COUR D'APPEL D'ANGERS

CHAMBRE DE L'INSTRUCTION

ARRÊT SUR QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

DOSSIER N°2018/00183

ARRÊT N° 213 DU 12 septembre 2018

MIS EN EXAMEN : [E C]

Le 05 septembre 2018 à 9 heures

La chambre de l'instruction de la cour d'appel d'ANGERS, ainsi composée lors des débats et du délibéré,

M. SANSEN, président,

Mme NGUYEN, conseiller,

M. BINAULD, conseiller,

tous trois désignés en application des dispositions de l'article 191 du code de procédure pénale

En présence, lors des débats et du prononcé, de M. DELPERIÉ, Avocat général près la cour d'appel d'ANGERS et avec l'assistance de Mme NICAULT, greffier,

et réunie en audience publique a examiné la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par Me [H] dans une procédure instruite au Tribunal pour Enfants d'ANGERS, suivie contre :

[C E]

né le [Date Naissance 1] 2003 à [LOCALITE 2] ([LOCALITE 3])

de [K] et de [A B]

Collégien

demeurant [adresse 4] - [LOCALITE 5] - MIS EN EXAMEN des chefs de RECEL DE VOL, CONDUITE D'UN VEHICULE SANS PERMIS

Non comparant,

Représenté par Me DE BARY. substituant son conseil Me ROUILLER, Avocats au barreau d'ANGERS,

REPRÉSENTANT LÉGAL

LE CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE MAINE ET LOIRE

DGA - DSS - Service aide sociale à l'enfance

CS 94104

49941 ANGERS CEDEX 9

Non comparant ni représenté

La Cour a entendu :

- M. SANSEN, président, en son rapport,

- Me DE BARY, substituant Me ROUILLER, conseil du mis en examen,

- M. DELPERIÉ, Avocat général, en ses réquisitions,

- Et Me DE BARY, qui a eu la parole en dernier.

Les débats terminés, la chambre de l'instruction a mis l'affaire en délibéré pour que l'arrêt soit rendu à l'audience du 12 septembre 2018 : le président a informé de ce délibéré les parties présentes à l'audience,

Et ledit jour, la Cour, après avoir délibéré conformément aux dispositions de l'article 200 du code de procédure pénale, a rendu en audience publique, l'arrêt suivant dont lecture a été donnée à l'audience par M. SANSEN, président de la chambre.

LA COUR,

Vu les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le conseil constitutionnel,

Vu les articles R. 49-21 à R. 49-29 du code de procédure pénale,

Vu la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée le 13 juillet 2018 par Me [H], conseil de [C E],

Vu l'avis du ministère public en date du 24 juillet 2018,

Vu les notifications faites le 24 juillet 2018 aux parties et à leurs conseils, que l'affaire serait appelée à l'audience de cette chambre du 05 septembre 2018 à 9 heures conformément aux dispositions des articles 197 et 803-1 du code de procédure pénale,

Vu les pièces de la procédure dont le dossier a été déposé au greffe de la chambre de l'instruction et tenu à la disposition des conseils des parties pendant le délai légal,

Attendu qu'il a été satisfait aux prescriptions de l'article 197 du code de procédure pénale,

***

Le 22 décembre 2017 vers 20 h, sur la commune de [LOCALITE 6] ([LOCALITE 7]), à la vue des gendarmes, le mineur [F G] est sorti précipitamment d'un véhicule Renault Twingo volé, prenant la fuite à pied. Interpellé quelques instants plus tard, puis entendu dans le cadre d'une audition libre, il a notamment dénoncé un autre mineur, surnommé “[BB]”, comme étant le conducteur de la voiture volée (D 63 et D 64).

Quelques heures plus tard, [C E] s'est présentée spontanément à la gendarmerie. Entendu le 22 h 35 en audition libre, le jeune homme a déclaré qu'il n'avait pas volé la voiture, mais était bien au volant lorsque les gendarmes l'ont repérée. Il a expliqué s'être présenté de lui-même car il savait qu'il aurait été attrapé par les forces de l'ordre (D 57 et D 58).

Les investigations réalisées ont permis de s'assurer que l'ADN retrouvé sur le levier de vitesse du Renault Twingo était celui de [C E] (D 35).

Le 5 juillet 2018, le juge des enfants du tribunal de grande instance d'Angers a mis [C E] en examen pour avoir :

- à [LOCALITE 8] ([LOCALITE 9]), le 22 décembre 2017, recelé un véhicule Renault Twingo qu'il savait provenir d'un vol :

- à [LOCALITE 10] ([LOCALITE 11]), le 22 décembre 2017, conduit un véhicule Renault Twingo sans être titulaire du permis de conduire valable pour cette catégorie de véhicule.

Le 11 juillet 2018, Maître de BARY, conseil de [C E], a déposé une requête devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Angers afin de voir prononcer l'annulation de l'audition libre du 22 décembre 2017.

Maître de BARY observe que les droits du mineur placé en garde à vue tels qu'énoncés à l'article 4 de l'ordonnance 45-174 du 2 février 1945 n'ont pas été étendus à l'audition libre d'un mineur. Le conseil de [C E] considère que cette différence de traitement s'analyse en une rupture du principe d'égalité devant la procédure pénale. Il estime également que les dispositions relatives à l'audition libre ne respectent pas le principe imposant de prévoir pour les mineurs des procédures prenant en considération leur vulnérabilité. En conséquence, Maître de BARY pose la question de la conformité de l'article 61-1 du code de procédure pénale à la Constitution.

Le conseil de [C E] soutient que seule l'audition libre du mineur dont il assure la défense est de nature à démontrer l'implication de ce mis en examen, de sorte que la chambre de l'instruction devra annuler l'entière procédure, chaque acte subséquent ayant pour support nécessaire les auditions de [F G] et [C E].

Maître de BARY, es qualité, demande à la chambre de l'instruction de surseoir à statuer sur la requête en nullité dans l'attente de la décision à intervenir sur la question prioritaire de constitutionnalité qu'il demande à la chambre de l'instruction, par écrit séparé, de transmettre à la Cour de cassation et qui est ainsi rédigée :

"Les dispositions de l'article 61-1 du code de procédure pénale entraînent-elles une discrimination injustifiée entre, d’une part, un mineur auditionné librement et, d'autre pari, un mineur auditionné en garde à vue (application de l’article 4 de l'ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante), en n'assurant pas aux mineurs des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense et ce, en ce qu'elles ne prévoient pas les droits et garanties suivants :

1. l'obligation pour un officier de police judiciaire d’aviser les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel est confié le mineur,

2. l'obligation pour le procureur de la République ou le juge chargé de l'information de désigner un médecin qui examine le mineur de seize ans,

3. l'obligation pour un officier de police judiciaire d'aviser les représentants légaux du mineur de plus de seize ans de leur droit de demander un examen médical lorsqu'ils sont informés de l'audition libre,

4. l'obligation pour un officier de police judiciaire d'informer immédiatement le mineur qu'il doit être assisté par un avocat,

5. l'obligation pour un officier de police judiciaire, lorsque le mineur n'a pas sollicité l'assistance d'un avocat, d'aviser ses représentants légaux de ce droit lorsqu'ils sont informés de l'audition libre,

6. l'obligation pour un officier de police judiciaire, le procureur de la République ou le juge chargé de l'information, lorsque ni le mineur, ni ses représentants légaux n'ont désigné un avocat d'informer par tout moyen et sans délai le bâtonnier afin qu'il en commette un d'office,

7. l'obligation d'enregistrement audiovisuel de l'audition libre du mineur ?”

Le 24 juillet 2018, le président de la chambre de l'instruction a ordonné la transmission de la procédure au ministère public.

Le 24 juillet 2018, le procureur général près la cour d'appel d'Angers requiert voir ordonner la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la cour de cassation et de surseoir à statuer sur la requête en nullité dans l'attente de la décision de la cour de cassation ou du conseil constitutionnel.

MOTIFS

[C E] a été entendu sous le régime de l’audition libre, de sorte que les dispositions de l’article 61-1 du code de procédure pénale sont applicables à la présente procédure.

L'article 61-1 du code de procédure pénale n'a pas été déjà déclaré conforme a la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

Le mineur entendu en garde à vue se voit reconnaître des droits plus étendus que ceux du mineur entendu dans le cadre d'une audition libre.

La question relative au point de savoir si la situation ainsi décrite constitue ou non une discrimination injustifiée n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

Par ailleurs, l'article 61-1 du code de procédure pénale ne prévoit aucune disposition spécifique au mineur. Notamment, il n'est pas fait obligation à l'officier de police judiciaire d'aviser les parents, alors que ceux-ci ont qualité pour exercer les droits reconnus à leur enfant mineur, tel le droit de solliciter l'assistance d’un avocat. Il doit au surplus être observé que, à l'exception de l'audition libre, la présence d’un avocat est obligatoire à tous les stades d'une procédure pénale menée à l'égard d'un mineur.

La question de l'insuffisante prise en compte de la vulnérabilité du mineur n'apparaît ainsi pas dépourvue de caractère sérieux.

Par suite, les conditions de l’article 23-2 alinéa 1 de l'ordonnance 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel sont réunies.

En conséquence, la cour ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité.

En application de l'article 23-35, il convient de surseoir à statuer sur la requête en nullité jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS

Statuant en la chambre du conseil

Vu les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

Vu les articles 170 à 174, 194 à 218 du code de procédure pénale,

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

"Les dispositions de l'article 61-1 du code de procédure pénale entrainent-elles une discrimination injustifiée entre, d'une part, un mineur auditionné librement et, d'autre part, un mineur auditionné en garde à vue (application de l'article 4 de l'ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante), en n'assurant pas aux mineurs des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense et ce, en ce qu'elles ne prévoient pas les droits et garanties suivants :

1. l'obligation pour un officier de police judiciaire d'aviser les parents, le tuteur, la personne ou le service auquel est confié le mineur,

2. l'obligation pour le procureur de la République ou le juge chargé de l'information de désigner un médecin qui examine le mineur de seize ans,

3. l'obligation pour un officier de police judiciaire d'aviser les représentants légaux du mineur de plus de seize ans de leur droit de demander un examen médical lorsqu'ils sont informés de l'audition libre,

4. l'obligation pour un officier de police judiciaire d'informer immédiatement le mineur qu'il doit être assisté par un avocat,

5. l'obligation pour un officier de police judiciaire, lorsque le mineur n'a pas sollicité l'assistance d'un avocat, d'aviser ses représentants légaux de ce droit lorsqu'ils sont informés de l'audition libre,

6. l'obligation pour un officier de police judiciaire, le procureur de la République ou le juge chargé de l'information, lorsque ni le mineur, ni ses représentants légaux n'ont désigné un avocat d'informer par tout moyen et sans délai le bâtonnier afin qu'il en commette un d'office,

7. l'obligation d'enregistrement audiovisuel de l'audition libre du mineur ?”:

Sursoit à statuer sur la requête en nullité jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

Dit que les parties comparantes et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision.

Dit que les parties non comparantes seront avisées par lettre recommandée avec accusé de réception. °

Et ont signé le président et le greffier d'audience.

Le greffier d'audience

Le président

Bruno SANSEN