Cour administrative d'appel de Paris

Ordonnance du 2 juillet 2018 N° 17PA00467

02/07/2018

Renvoi

COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL

DE PARIS

 

 

N° 17PA00467

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M. C... B...

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Ordonnance du 2 juillet 2018

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

Le président-assesseur de la 7ème chambre

de la Cour administrative d'appel de Paris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par deux mémoires distincts, enregistrés respectivement les 14 mai et 18 juin 2018, M. B..., représenté par la SCP Hélène Didier et François Pinet, demande à la Cour, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 193 ter et 194 du code général des impôts en ce que ces dispositions, selon l’interprétation qui leur est donnée par la jurisprudence du Conseil d’Etat (décision n° 393214 du 28 décembre 2016), font en toute hypothèse obstacle à ce qu’en cas de résidence alternée d’un enfant mineur, la pension alimentaire versée par l’un des parents à l’autre soit prise en compte pour apprécier si le parent débiteur de cette pension assume la charge principale de l’enfant, condition requise pour qu’il bénéficie non pas de la moitié, mais de la totalité de la majoration du quotient familial attachée à la charge de cet enfant.

 

Il soutient que les articles 193 ter et 194 du code général des impôts ainsi interprétés par le Conseil d’Etat méconnaissent le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt proclamé par l’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen sans que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

 

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2018, le ministre de l’action et des comptes publics conclut à ce que la Cour ne transmette pas au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionalité soulevée par M. B....

 

Il soutient que la question soulevée est dépourvue de caractère sérieux.

 

Vu les autres pièces du dossier.

 

Vu :

- la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;

- la Constitution, notamment son article 61-1, et son Préambule ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-12 ;

- le code général des impôts ;

- la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002 ;

- le code de justice administrative.

 

Considérant ce qui suit :

 

1. A... termes de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article ».

 

2. A... termes de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat (…), le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d’appel. Il ne peut être relevé d’office » ; qu’aux termes de l’article 23-2 de cette ordonnance : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu’elle est saisie de moyens contestant la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d’Etat (…) » .

 

3. Selon l’article R. 771-7 du code de justice administrative : « Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, le vice-président du Tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité ».

 

4. A... termes de l’article 193 ter du code général des impôts : « A défaut de dispositions spécifiques, les enfants ou les personnes à charge s’entendent de ceux dont le contribuable assume la charge d’entretien à titre exclusif ou principal nonobstant le versement ou la perception d’une pension alimentaire pour l’entretien desdits enfants ». A... termes du I de l’article 194 du même code : « (…) En cas de résidence alternée au domicile de chacun des parents et sauf disposition contraire dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l’accord entre les parents, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l’un et de l’autre parent. Cette présomption peut être écartée s’il est justifié que l’un d’eux assume la charge principale des enfants. Lorsque les enfants sont réputés être à la charge égale de chacun des parents, ils ouvrent droit à une majoration de : / a) 0,25 part pour chacun des deux premiers enfants (…) lorsque par ailleurs le contribuable n’assume la charge exclusive ou principale d’aucun enfant (…) ».

 

5. La conformité à la Constitution des dispositions citées au point précédent est contestée par M. B... en ce que, selon l’interprétation qu’en fait la jurisprudence du Conseil d’Etat à la lumière des travaux préparatoires de la loi de finances rectificative pour 2002, dont elles sont issues, le versement ou la perception d’une pension alimentaire ne doit pas, en vertu de l’article 193 ter, être pris en compte pour apprécier la charge d’entretien qui est assumée par chaque parent, y compris en cas de résidence alternée, lorsque l’un des parents entend écarter la présomption de charge égale posée au I de l’article 194 pour justifier qu’il assume en réalité la charge principale de l’enfant.

 

6. M. B... soutient qu’en cas de résidence alternée de l’enfant au domicile de chacun de ses parents, il existe une rupture d’égalité injustifiée entre contribuables devant les charges publiques dès lors que ces dispositions ainsi interprétées conduisent à conférer une majoration de quotient familial différente à un contribuable selon qu’il prend directement en charge certaines dépenses d’entretien et d’éducation pour cet enfant ou qu’il prend en charge ces dernières par le biais du versement à l’autre parent d’une pension alimentaire, laquelle n’est en outre pas déductible de ses revenus en vertu des dispositions du deuxième alinéa du 2 du II de l’article 156 du code général des impôts.

 

7. Le moyen tiré de ce que les dispositions en cause, telles qu’elles sont interprétées par la jurisprudence du Conseil d’Etat, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et, notamment, au principe d’égalité devant les charges publiques posé à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, soulève une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

8. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant la Cour, qui est applicable au litige et porte sur des dispositions qui, dans leur version issue de l’article 30 de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002, n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

 

 

ORDONNE :

 

 

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles 193 ter et 194 du code général des impôts est transmise au Conseil d’Etat.

 

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C... B... et au ministre de l’action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d’Ile-de-France et du département de Paris (pôle fiscal parisien 1).

 

Fait à Paris, le 2 juillet 2018.

 

 

Le président-assesseur de la 7ème chambre,

 

 

 

B. AUVRAY

 

 

La République mande et ordonne au ministre de l’action et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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