Tribunal de commerce de Paris

Jugement du 2 juillet 2018 n° 2016071676

02/07/2018

Renvoi

Copie aux demandeurs : 2

Copie eux défendeurs : 7

Copie : Ministère Public

Copies : M. [D G] et Mme Rigolot

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS

13 EME CHAMBRE

JUGEMENT PRONONCE LE 02/07/2018 par sa mise à disposition au Greffe

RG 2016071676

ENTRE :

Monsieur le Ministre de l'économie et des finances, domicilié [adresse 1], [...] [...] [...], agissant en vertu des dispositions de l'article L.442-6 du code de commerces, représenté par Mme [A B], Directrice Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, [adresse 2], (adresse à laquelle devront être envoyées toutes les correspondances), conformément aux dispositions de l'article R.490-2 du code de commerce

Partie demanderesse : comparant par M. [J K] et M. [P Q] dûment représentées, [...] [adresse 3]

ET :

1) SNC INTERDIS, RCS de Caen [...], dont le siège social est situé [LOCALITE 4]

2) SAS CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, RCS de Caen [...], dent le siège social est situé [LOCALITE 5]

3) SAS CARREFOUR HYPERMARCHES, RCS d'Evry [...], dont le siège social est [adresse 6], [LOCALITE 7], [LOCALITE 8]

4) SAS CSF, RCS de Caen [...], dont le siège social est situé [LOCALITE 9]

5) SAS CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, RCS de Caen [...], dont Île siège social est situé [LOCALITE 10]

Parties défenderesses : assistées de Mes [C D E] et [N O] membres du Cabinet CLIFFORD CHANCE EUROPE LLP avocats (K112) et comparant par Me Pierre HERNE avocat (B835)

APRES EN AVOIR DELIBERE

LE CONTEXTE FACTUEL

Le Ministre de l'Economie et des Finances a attrait en novembre 2016 différentes sociétés du groupe CARREFOUR devant ce tribunal pour les voir sanctionnées en raison de pratiques qu'il estime contrevenir aux dispositions de l'article L 442-6-I 2° du code de commerce, à savoir en substance, pour avoir recouru à des pratiques illicites pour maintenir ou tenter de maintenir son positionnement vis-à-vis de ses concurrents, en imposant aux fournisseurs des magasins de distribution de proximité une ristourne complémentaire de distribution présentée comme un prérequis à l'ouverture des roi eut commerciales et en accompagnant cette demande de mesures de rétorsion.

Les sociétés défenderesses se sont expliquées sur les raisons qui les auraient conduites à introduire pour l'année 2016 une Remise Complémentaire de Distribution (RDC) compensant les coûts des prestations logistiques additionnelles engagées pour l'approvisionnement des magasins dé proximité, contestent l'existence des manquements reprochés comme la caractérisation d'une infraction aux dispositions de l’article L 442-6-1 2° du code de commerce,

Puis, à l'audience 10 novembre 2017, elles présentent au tribunal deux questions prioritaires de constitutionnalité :

◦ l’une mettant en cause la constitutionnalité de l’article L.442-6-1 2° du code de commerce,

◦ l'autre mettent en cause la constitutionnalité de l'article L.441-7 1 code de commerce,

et lui demandent de les transmettre à la Cour de cassation conformément aux articles 23 et suivants de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009.

LA PROCEDURE DONT A ETE INITIALEMENT SAISI CE TRIBUNAL

• Par exploits des 8 novembre 2016, Monsieur le Ministre de l'Economie et des Finances attrait les sociétés INTERDIS, CARREFOUR HYPERMARCHES, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE devant ce tribunal.

• Par ces actes et par conclusions en réponse n°1 soutenues oralement à l'audience du 7 juillet 2017, il lui demande, au visa de l'article L.442-6 du code de commerce, compte tenu de ses dernières modifications, de :

◦ dire et juger que la pratique des sociétés du groupe CARREFOUR, premier groupe de la grande distribution en France, consistant à tenter d'obtenir ou à obtenir des fournisseurs une remise complémentaire de distribution (RCD) :

- non négociable, présentée comme un prérequis à la négociation commerciale et accompagnée de mesures de rétorsion faisant ainsi peser une menace sur le respect de la date prévue pour la conclusion de la convention prévue à l'article L 441-7 du code de commerce,

- sans permettre aux fournisseurs de vérifier l'assiette de la RCD ainsi que sa justification en termes de coûts logistiques et en refusant d'accorder des contreparties à la RCD, alors même que l'enseigne impose à ses fournisseurs de prendre en charge un coût important et supérieur aux coûts logistiques déjà couverts par les remises de distribution (RDD) de certains d'entre eux,

est constitutif d'une soumission ou d'une tentative de soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au profit de l'enseigne CARREFOUR et eu détriment de ses fournisseurs, et contrevient donc aux dispositions de l'article L.442-6 I 2° du code de commerce,

◦ débouter, en conséquence, les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE de l'ensemble de leurs demandes,

En conséquence, en vertu de l'article L 442-6-I1I du code de commerce :

◦ enjoindre aux sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE de cesser les pratiques susvisées,

◦ condamner in solidum les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE à une amende civile de 5 833 300 euros,

◦ condamner in solidum les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE à publier pendant six mois à compter du jugement à intervenir, le dispositif dudit jugement sur le site internet : [Site Internet 11],

◦ condamner in solidum les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE à publier à leurs frais, sous huit jours à compter du jugement à intervenir, le dispositif dudit Jugement dans trois quotidiens nationaux : Le Monde, Les Echos et Le Figaro,

◦ condamner in solidum les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE à payer au Trésor Public la somme de 3 000 euros au litre de l'article 700 du code de procédure civils.

• À l'audience du 12 mai 2017, les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE demandent au tribunal, aux visas des articles L 442-6-1 2° du code de commerce et L 442-6 III du code de commerce, de l'article 6 §2 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de :

◦ dire et juger que l'application de l'article L 442-6-1 2° du code de commerce suppose la caractérisation cumulative de deux éléments distincts,

◦ dire et juger que la structure du marché de la distribution ne suffit pas à caractériser le premier élément constitutif du manquement visé à l'article L442-6-1 2° du code de commerce, sauf à violer l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 6 §2 de la Convention européenne des droits de l'homme,

◦ dire et juger que le Ministre de l'Economie ne rapporte pas la preuve de ce que les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE se seraient rendues coupables d'un comportement ayant consisté à « soumettre ou tenter de soumettre » ses fournisseurs à obligations, au sens de l'articie L 442-6-I 2° du code de commerce,

◦ constater que les remises négociées par CARREFOUR au litre de la RCD ont pour contrepartie les services logistiques rendus par cette dernière,

◦ constater que l'octroi de cette remise par les fournisseurs n'emporte aucun déséquilibre significatif au bénéfice de CARREFOUR,

◦ dire et juger que le Ministre de l'Economie ne rapporte pas la preuve ds ce que les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE se seraient rendues coupables du manquement visé à l'article L 442-6-1 2° du code de commerce,

o débouter en conséquence le Ministre de l'Economie de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire :

◦ dire et juger que les demandes de publication du jugement à intervenir sont injustifiées,

◦ dire et juger que le Ministre de l'Economie ne rapporte pas la preuve d'un dommage causé à l'économie,

◦ débouter par conséquent le Ministre de l'Economie de ses demandes,

En tout état de cause :

◦ condamner le Ministre de l'Economie à verser aux sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE la somme de 15 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

◦ le condamner aux dépens.

DEMANDE DE TRANSMISSION DE DEUX QUESTIONS PRIORITAIRES DE CONSTITUTIONNALITE

À l'audience du 10 novembre 2017, les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE soulèvent le moyen selon lequel deux dispositions législatives, 3 savoir l'article L 442-6-1 2° du code de commerce et l'article L 441-7 I du même code portent « atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution» et posent deux questions prioritaires de constitutionnalité

1. Question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L 442.61 2° du code de commerce

• Par mémoire régularisé à l'audience du 10 novembre 2017, les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE concluent à ce qu'il plaise au tribunal de commerce de Paris de :

◦ constater que l'article L 442-6-1 2° du code de commerce est applicable au litige,

◦ constater que les décisions de la Cour de cassation intervenues depuis la décision n°2010-85 QPC du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2011 constituent un changement de circonstances de droit,

◦ constater que présente un caractère sérieux la question selon laquelle :

L'article L 442-6-1 2° du code de commerce qui, tel qu'il est désormais interprété par la Cour de cassation, permet au juge :

I d'interdire à un partenaire commercial donné d'insérer, à l'avenir, certaines clauses dans ses contrats, quelles que soient la personne du cocontractant à venir ou les adaptations logistiques rendues nécessaires, dans le futur, par l'évolution de la distribution, et/ou

II d'exercer un contrôle sur les prix, porte-t-il atteinte à /a présomption d'innocence, au principe de légalité des délits et des peines, ainsi qu'à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, respectivement garantis par les articles 8, 9, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme du citoyen de 1789 reprises dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, ainsi qu'au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 reprise dans lé préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et de l'article 1er de la Constitution ?

◦ En conséquence, transmettre à la Cour de cassation cette question prioritaire de constitutionnalité, avec toutes conséquences de droit,

• Par mémoire en réponse régularisé à l’audience du 19 janvier 2018, la Ministre de l'Economie et des Finances demande à ce qu'il plaise au tribunal de :

◦ dire et Juger que les interprétations contestées de l'article L 442.6-I 2° du code de commerce ne sont pas applicables au litige,

◦ dire et juger que l’article L 442.6-1 2° du code de commerce a déjà été déclaré conforme à la Constitution,

◦ dire et juger qu'il n'existe aucune circonstances de fait ou de droit de nature à justifier un nouvel examen de cette question,

◦ dire et juger que la question est dépourvue de caractère sérieux,

En conséquence,

◦ constater que les conditions subordonnant le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité devant la Cour de cassation ne sont pas remplies,

◦ rejeter la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité des sociétés du groupe CARREFOUR.

• Par mémoire 16 février 2018, les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE formulent des observations non récapitulatives en réplique sans modifier le dispositif de leur précédent mémoire.

2. Question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L 441-7-I du code de commerce

• Par mémoire régularisé à l'audience du 10 novembre 2017, les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE concluent à ce qu'il plaise au tribunal de commerce de Paris de :

◦ constater que l'article L 441-7 1 du cade de commerce est applicable au litige,

◦ constater que l'article L441-7 I code de commerce n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel,

◦ constater que présente un caractère sérieux la question selon laquelle :

L'article L 441-7 I code de commerce qui, tel qu'il est désormais interprété par la Cour de cassation, permet au juge d'exercer, en application de l'article L 442-6-1 2° du même code, un contrôle sur les prix, porte-t-il atteinte à !a liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, respectivement garanties par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 reprise dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 ?

◦ En conséquence, transmettre à la Cour de cassation cette question prioritaire de constitutionnalité, avec toutes conséquences de droit.

• Par mémoire régularisé à l'audience du 19 janvier 2018, le Ministre de l'Economie et des Finances demande à ce qu'il plaise au tribunal de :

◦ dire et juger que l'article L 441-7 1 code de commerce n'est pas applicable au litige,

◦ dire et juger que la question est dépourvue de caractère sérieux,

En conséquence,

◦ constater que les conditions subordonnant le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité devant la Cour de cassation ne sont pas remplies,

◦ rejeter la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité de CARREFOUR.

• Par mémoire 16 février 2018, les sociétés INTERDIS, CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, CARREFOUR HYPERMARCHES, CSF et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE formulent des observations non récapitulatives en réplique sans en modifier le dispositif.

• L'affaire a été communiquée au ministère public afin qu'i puisse faire connaitre son avis,

• Les demandes relatives à la transmission des deux questions prioritaire de constitutionnalité ont été renvoyées pour être plaidées à l'audience du 1er juin 2018 de la 13ème chambre du tribunal en sa formation collégiale. Le président de la formation présente un rapport dans les conditions de l'article 870 du code de procédure civile. Au cours de cette audience, le tribunal entend les observations verbales des sociétés demanderesses à la transmission des questions prioritaires de constitutionnalité puis celles du Ministre de l'Economie et des Finances, prononce la clôture des débats, met l'affaire en délibéré et annonce que la décision statuant sur les demandes de transmission sera prononcée par sa mise à disposition au greffe de ce tribunal le 2 juillet 2018, en application des dispositions du 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LES MOYENS DES PARTIES SUR LA TRANSMISSION

1. Question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L 442-6-1 2° du code de commerce

• Les sociétés du groupe CARREFOUR soutiennent que l'ensemble des conditions posées par le texte pour que la question relative à la constitutionnalité de l'article L442-6-1 2° du code de commerce soit transmise à la Cour de cassation sont remplies et, pour l'essentiel, font valoir à cet égard :

Applicabilité à la procédure des dispositions contestées

◦ que ce texte est applicable à |a procédure et que, d'ailleurs, il constitue « le fondement des poursuites »,

◦ que, contrairement à ce qu'objecte le ministre, elles ne contestent pas les pouvoirs conférés au ministre par l'article L 442-6-II1 mais critiquent les conditions dans lesquelles le comportement visé à l'article L 442.6-1 2° pourrait être apprécié abstraitement, en dehors de tout contrai conclu, ce qui aboutit de fait à des prohibitions pour l'avenir,

◦ que l'interprétation autorisant un contrôle judiciaire du prix n'est pas absente de l'assignation du ministre, même si ce dernier affirme aujourd'hui ne pas remettre en Cause l'adéquation de la ristourne avec le service logistique attendu,

Absence de déclaration de conformité à la Constitution des dispositions contestées

◦ que le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur la conformité des dispositions critiquées le 13 janvier 2011, mais que, selon sa décisions du 8 avril 2011 n°2011-120 QPC, peut être contestée « la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative » et que l'interprétation postérieure de la Cour de cassation peut constituer un « changement de circonstances » de droit justifiant un nouvel examen de constitutionnalité,

◦ que précisément, par différentes décisions, la Cour de cassation consacre des interdictions de clauses pour l'avenir, indépendamment de circonstances propres aux différents cas d'espèce, et aboutit à valider un contrôle des prix pourtant exclu par la déclaration de conformité du Conseil constitutionnel de 2011,

◦ que le principe de la libre négociabilité des conditions de vente et notamment des tarifs consacré par la loi LME du 4 août 2008 et l'article L 410-2 du code de commerce exclut le contrôle Judiciaire de la lésion dans le cadre du contrôle des pratiques restrictives de concurrence ; que plus précisément l'article L 442-6-1 2° vise un déséquilibre significatif au seul plan juridique et n'autorise pas un contrôle économique, interprétation confortée par le Conseil constitutionnel qui dans sa décision de conformité sous réserve du 13 janvier 2011 n°2010-85 QPC relève la similitude des notions de déséquilibre significatif prévues à l'article L 132- 1 devenu L 212-1 du code de la consommation et à l'article L 442-641 2 du code de commerce,

◦ que cependant, par un arrêt du 27 janvier 2017 confirmant un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 1er juillet 2015, la Cour de cassation dit que « l'article L 442-6-1 2° précité qui figure dans le Livre quatrième du cade de commerce relatif & la liberté des prix et la concurrence, et au Chapitre l du Titre IV, dédié aux pratiques restrictives de concurrence, n'exclut pas, contrairement à l'article L 212-1 du code de la consommation, que le déséquilibre significatif puisse résulter d'une inadéquation du prix au bien vendu ;.... qu'il suit de là que l'article L 442-6-1 2° du code de commerce autorise un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties »,

◦ que cet arrêt qui donne une portée nouvelle au texte constitue une modification de circonstances de droit par rapport à 2011,

Caractère sérieux de la question

◦ que plusieurs garanties constitutionnelles sont en jeu, ce qui justifie le sérieux de la question posée: la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle, la présomption d'innocence, le principe de légalité des délits et des peines ainsi que le principe d'égalité,

◦ que plus précisément sont en jeu la liberté de fixer les prix comme la liberté de contracter ; que le contrôle judiciaire sur le prix porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, comme à la présomption d'innocence et au principe de légalité de l'incrimination,

• Le Ministre de l'Économie et Finances conteste que la question posée puisse être transmise car les conditions posées ne sont pas réunies et fait valoir en substance :

Applicabilité à la procédure des dispositions contestées

◦ qu'il n'existe pas le « lien réel et suffisant » entre le litige et la disposition contestée car il n'est pas demandé au juge d'appliquer le texte selon l'interprétation contestée,

◦ que le Conseil constitutionnel pourrait tout au plus formuler une réserve d'interprétation qui serait sans effet utile sur la présente procédure car la cessation des pratiques demandée n'est pas formulée sur le fondement de cet article mais sur celui de L 442-6-III,

◦ qu'en tout cas il n'est pas demandé d'interdire à l'avenir des clauses comportant des ristournes de ce type dans les contrats ni d'ordonner la restitution de l'indu pour inadéquation du montant de la ristourne imposée au service rendu : qu'il est seulement demandé une condamnation à une amende civile pour soumission à un déséquilibre significatif, Absence de déclaration de conformité à le Constitution des dispositions contestées

◦ que le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur la constitutionnalité de l'article L442-68-1 2° du code de commerce et l'a déclaré conforme dans sa décision du 13 janvier 2011 (n°2010-85 QPC), que les interprétations supposées nouvelles ne constituent pas un changement de circonstances de droit,

◦ que la Cour de cassation n'a jamais dit que le juge pouvait prohiber des clauses de contrat type pour l'avenir quelque soient les circonstances et qu'au surplus, selon un arrêt de la Cour de cassation du 25 juin 2015 (n°14-28013) disant n'y avoir lieu à renvoi, la question de l'interdiction d'une clause pour l'avenir n'est pas nouvelle,

◦ que le contrôle judiciaire des prix n'est pas exclu par la législation commerciale, que l'article L 442-6-1 2° du code de commerce qui vise « les obligations » n'exclut aucun élément susceptible d'être retenu par le juge pour caractériser le déséquilibre significatif,

◦ que le contrôle des pratiques commerciales restrictives qui créent un déséquilibre significatif doit nécessairement porter sur le facteur du prix mails que la jurisprudence qui l'a admis (arrêt incriminé du 25 janvier 2017) précise que ce contrôle du prix ne peut être effectué que si « celui- ci ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties »,

◦ qu'ainsi interprété, l'article L 442-6-1 2° permet de prendre en compte les clauses fixant les obligations essentielles des parties et en particulier de vérifier que le prix fixé résulte d'une réelle négociation entre les parties et ne caractérise pas un déséquilibre significatif ; qu'une telle interprétation n'a pas modifié la portée du texte et n'a fait que rappeler que la libre négociabilité tarifaire à pour corollaire la possibilité d'un contrôle par l'administration d'un prix négocié par comparaison avec le tarif fournisseur et dans le respect l'équilibre contractuel, ce au vu de la convention prévue à l'article L 441-7,

Caractère sérieux de la question

◦ que la question posée ne présente pas de caractère sérieux,

◦ que la liberté d'entreprendre n'est pas absolue ; qu'il a déjà été jugé à de multiples reprises que le contrôle judiciaire Sur le prix ne constitue pas une atteinte à la liberté d'entreprendre ou à la liberté contractuelle,

◦ que l'arrêt précité de la Cour de cassation du 25 juin 2015 à jugé que la question de la prohibition générale et pour l'avenir de clauses n'est pas sérieuse, observant en outre que ce pouvoir est prévu par l'article L 442-6- III jugé compatible (Conseil constitutionnel du 13 mai 2011 n°2011-126

◦ que la question posée du contrôle des prix repose Sur une lecture tronquée de la décision précitée de la Cour de cassation du 25 janvier 2017, omettant  le cadrage posé du droit de contrôle, que la loi comme jurisprudence (arrêt Galec de la Cour d'appel de Paris du 1er juillet 2015) n'ont pas supprimé la nécessité des contreparties,

◦ que CARREFOUR ne démontre pas en quoi la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation porterait atteinte aux garanties fondamentales, alors qu'au contraire la jurisprudence se base sur des faisceaux d'indices propres à la relation.

2. Question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L 441-741 du code de commerce

• Les sociétés du groupe CARREFOUR soutiennent que l'ensemble des conditions posées par le texte pour que la question relative à l'article L. 441-7 I du code de commerce soit transmise à la Cour de cassation sont remplies, et, pour l'essentiel font valoir :

Applicabilité à la procédure des dispositions contestées

◦ que selon la jurisprudence de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 n°15-23547, la possibilité dont bénéficierait le juge d'exercer un contrôle sur les prix pratiqués, en vertu de l'article L 442-8-I 2° du code de commerce, « s'apprécie au regard de la convention écrite prévue par l'article L 441-7 I » du même code ; que ce texte est donc bien applicable au litige,

Absence de déclaration de conformité à la Constitution des dispositions contestées

◦ que l'article L441-7 I n'a jamais fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel, celui-ci n'ayant connu que de l'article L 441-7 II,

Caractère sérieux de le question

◦ que la condamnation de clauses relatives aux remises et aux prix, à un moment où les droits et obligations ne sont pas encore figés, remet bien en cause la liberté de fixer les prix et constitua une entrave disproportionnée à la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle,

◦ que le contrôle des prix est manifestement sans proportion avec l'objectif poursuivi,

◦ que la Cour de cassation a en définitive estimé que la Convention unique prévue par l'article L441-7 I a pour finalité de permettre un contrôle judiciaire a posteriori des prix, qu'une telle interprétation de ce texte l'a rendu non conforme aux garanties constitutionnelles précitées,

◦ que l'action du ministre s'est muée en outil de dirigisme étatique pur et simple avec le droit de substituer son appréciation du prix du service à celles des parties et de le faire ex post en recourant au juge.

• Le Ministre de l'Économie et Finances conteste que la question posée doive être transmise car les conditions posées ne sont pas réunies et pour l'essentiel, fait, valoir :

Applicabilité à la procédure des dispositions contestées

◦ que l'action du ministre est fondée exclusivement sur l'article L 442-6-1 2° du code de commerce et que l'article L 441-7 I n'est pas applicable au litige,

◦ qu'il n'existe pas de lien réel et suffisant entre le litige et la disposition contestée car le ministre ne conteste pas lé montant du prix négocié par les parties du fait de l'imposition des clauses relatives à la RCD ni leur inadéquation avec le service logistique rendu - ce pourquoi aucune demande de répétition n’a été formulée - mais seulement la sanction de la soumission à un déséquilibre significatif visé par l'article L 442-6-1 2° du code de commerce,

Caractère sérieux de la question

◦ que la question ne revêt pas un caractère sérieux et qu'il ne fait pas de doute que l'article L 441-7 I ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre ou à la liberté contractuelle,

◦ que le contrôle des prix est indépendant de l'existence de l'article L 441-7 I et que c’est la combinaison des articles l'article L 441-7 I et L 442-6-III qui permet en réalité un contrôle judiciaire du prix depuis 2001,

◦ que le texte même prévoit l'établissement de la convention unique « en vue de fixer le prix de la négociation commerciale » et que la Cour d'appel de Paris, dans son arrêt GALEC du 1er juillet 2015, n'a pas ajouté au texte en relevant que ce document doit permettre d'exercer un contrôle a posteriori sur la négociation commerciale et sur lés engagements.

SUR CE, LE TRIBUNAL :

Sur la recevabilité des demandes de transmission de deux questions de prioritaires de constitutionnalité

Attendu que les sociétés ont soulevé des moyens d'inconstitutionnalité et présenté les questions prioritaires de constitutionnalité dont elles demandent la transmission, que chacune des questions posées l'a été dans un « écrit distinct et motivé », sous forme de deux mémoires régularisés à l'audience du 10 novembre 2017, en conformité avec les dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 tel qu'il a été introduit par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 ; que le tribunal dira donc les demandes de transmission recevables.

Sur la suite à donner à ces demandes,

Attendu que, selon l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée :

« La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestés est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;

Qu'il en résulte que ce tribunal doit procéder à un premier examen, de nature limitée, et vérifier que sont satisfaites chacune des trois conditions posées par l'article précité pour que le transmission soit ordonnée, qu'il le fera successivement pour chacune des questions.

1. Question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L 442-6-I 2° du code de commerce

Applicabilité au litige des dispositions contestées

Attendu que le tribunal est saisi d'une demande du Ministre de l'Economie et des Finances tendant à voir dire que les sociétés attraites dépendant du groupe Carrefour ont contrevenu aux dispositions de l'article L 442-6-1 2° du code de commerce, que ce texte fonde donc les poursuites ; que le ministre prétend cependant qu'il doit être déclaré non applicable à la procédure dès lors qu'il n'a pas été demandé au juge de l'appliquer selon les interprétations contestées, mais qu'il n'est pas fondé à le faire car il ajoute alors à l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée une condition inexistante,

Que par suite le tribunal constatera que la condition selon laquelle « La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites », est satisfaite.

Absence de déclaration de conformité à la Constitution des dispositions contestées

Attendu qu'il est constant que le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur là conformité de la disposition contestée par sa décision du 13 janvier 2011 n°2010-85 QPC : mais que les sociétés du groupe Carrefour entendent user de leur « droit de contester la constitutionnalité et la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition », droit reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 avril 2011 n°2011- 20 QPC, et prétendent que certaines interprétations de l'article L 442-6-1 2° du code de commerce par la Cour de cassation constituent un changement de circonstances de droit ;

Attendu qu'elles se réfèrent aux interprétations de la Cour suprême qui, d'une part, auraient consacré des interdictions de clauses pour l'avenir, indépendamment de l'espèce et, d'autre part, admis que le contrôle du déséquilibre significatif pouvait justifier un contrôle judiciaire des prix,

Sur l'interdiction de clauses pour l'avenir

Attendu que, concernant l'interdiction de clauses pour l'avenir, si les sociétés du groupe Carrefour évoquent les arrêts de la Cour de cassation des 29 septembre 2015 n°13-25043 et 3 mars 2015 n°14-10907 et n°13-27525, elles se référent essentiellement à l'arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 2016 n°14-28013 rendu contrairement à l'avis de l'avocat général [R], qui a rejeté le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel du 1er octobre 2014 (RG n°13/16336) qui avait « dit que les clauses susvisées (un certain nombre de clauses extraites des accords commerciaux 2009) sont contraires aux dispositions de l'article L 442-6-1 2° du code de commerce et enjoint (aux différentes sociétés du groupe Carrefour attraites) de casser pour l'avenir la pratique consistant à mentionner dans leurs contrats commerciaux les clauses ayant été déclarées contraires aux dispositions de l'article L 442-6-I 2° du code de commerce » ; que la Cour de cassation y a notamment retenu que la cour d'appel avait « pu se référer à la structure du secteur de la distribution alimentaire en France pour caractériser l'existence d'une tentative de soumission au sens de l'article L 442-6- I 2° du code de commerce » et que, la tentative de soumission étant également prohibée, « ce texte peut s'appliquer à un contrat-type proposé à des fournisseurs » et non pas seulement à un contrat finalisé et réellement conclu au regard de son économie globale, contrairement à ce qui était soutenu, qu'elle n'a pas non plus retenu lé moyen selon lequel l'interdiction prononcée des clauses était beaucoup trop générale ;

Attendu que le ministre ajoute que, en cours de pourvoi contre cet arrêt, les sociétés incriminées ont déjà posé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle, résultant de la prohibition pure et simple, en application de L 442-6-1 2° du code de commerce, « de l'insertion de certaines clauses, portant notamment des obligations de résultat, dans des contrats conclus entre distributeurs et fournisseurs, privant ainsi des parties, de manière générale de la possibilité de convenir de telles clause » et que la Cour de cassation a, par arrêt du 25 juin 2015 n°14-28013, refusé la transmission au motif que « L 442-6-I 2° du code de commerce ne permet pas de prohiber de manière générale et pour l'avenir l'insertion dans des contrats commerciaux de clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, l'interdiction de telles clauses étant prévue par l'article L 442-6-III alinéa 2 de ce code » ; qu'elle avait d’ailleurs déjà par arrêt du 12 juillet 2011 refusé de transmettre une question portant sur la conformité de l'article L 442-6-III du code de commerce ; mais que ces décisions de non-lieu à renvoi sur des questions proches mais non analogues ne peuvent par elles-mêmes justifier un refus de transmission de la présente demande,

Attendu que force est de relever que la question des conséquences susceptibles d'être tirées par le juge de la constatation de pratiques tendant à soumettre ou tenter de soumettre Un partenaire à des obligations créant un déséquilibre significatif ne trouve pas sa solution dans le texte lui-même qui évoque la seule responsabilité encourus ; que les jugés du fond ont alors cherché très progressivement à en tirer les potentialités implicites,

Attendu que les interprétations de la Cour de cassation apportent des éclairages substantiels mais encore insuffisants sur la question de la nature et de l'étendue des conséquences concrètes susceptibles d'être ordonnées dans le cadre d'une décision prise sur le fondement combiné des articles L 442-6-1 5° et L 442-6-III du code de commerce « enjoignant la cessation des pratiques illicites », sur l'articulation d'une telle décision avec celle prononçant, où refusant de prononcer, la nullité de clauses ou de contrats et sur celle de la portée d'un interdiction éventuelle d'insertion de clauses à l'avenir au regard notamment de l'arrêt précité du 4 octobre 2016,

Attendu qu'il apparait notamment artificiel de prétendre que l'article L 442-6-1 2° est par lui-même sans effet sur le sort dé clauses ou du contrat au prétexte que le ministre dispose d'un pouvoir propre prévu par l'article L442-6-III de demander la cessation des pratiques et le cas échéant ta nullité des clauses ou du contrat illicite, puisqu'à l'évidence une action sur ce fondement ne saurait être déconnectée d'une décision sur l'existence d'une soumission ou tentative de soumission, ce que confirme d'ailleurs la demande du ministre dans la présente affaire,

Attendu qu'en tout état de cause, quand le juge est saisi non par le ministre mais par un partenaire commercial, le texte ne permet pas au juge de savoir ce qu'il peut faire quant au sort des clauses critiquées quand il a caractérisé une pratique tendant à soumettre ou tenter de soumettre un partenaire à des obligations créant un déséquilibre significatif, les décisions des juges du fond retenant des solutions diverses sur le sort réservé aux clauses critiquées,

Attendu qu'en définitive ces interprétations jurisprudentielles ont bien sûr été rendues nécessaires par le texte lui-même ; mais qu'elles y ont nécessairement ajouté et en ont éventuellement modifié la portée; qu'elles constituent donc un changement de circonstances,

Sur le contrôle judiciaire des prix

Attendu que, concernant le contrôle judiciaire des prix, les sociétés relèvent que, alors que l'article L 442-6-I 2° du code de commerce était conçu dans des termes juridiques et économiques, la Cour de cassation, par un arrêt du 25 janvier 2017 n‘15-23547 dans une affaire GALEC a expressément admis que « L 442-6-1 2’ du code de commerce [....] n'exclut pas, contrairement à la L 202-2 du code de la consommation, que le déséquilibre significatif puisse résulter d'une inadéquation du prix au bien vendu, qu'il suit de là que l'article L 442-6-1 2° du code de commerce autorise un contrôle judiciaire du prix, dés lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties »,

Attendu que ne sont pas déterminantes, au regard de la question de savoir si cette décision caractérise un changement de circonstances, les observations du ministre qui relève que le contrôle judiciaire des prix est en germe dans le texte initial et que la législation commerciale n’a jamais exclu le contrôle des prix ; qu'en effet il n’en demeure pas moins que le consensus Initial sur la portée des dispositions de l'article L 442-6-1 2e du code de commerce était que le déséquilibre significatif visé consistait en un déséquilibre juridique ; que telle paraît d'ailleurs avoir été la position du Conseil constitutionnel qui dans sa décision du 13 janvier 2011 (n° 2010-85 QPC) relevait que

Attendu qu'il se déduit de ces observations que la jurisprudence qui ouvre de nouvelles perspectives sur les sanctions susceptibles d’être appliquées et l’étendue du contrôle, constitue un changement de circonstances qui Justifie que le texte de l’article L 442-6-1 2° du code de commerce tel qu'il est désormais interprété fasse l’objet d'un nouvel examen de constitutionnalité ; que le tribunal dira donc que la deuxième condition posée à la transmission de la question est satisfaite.

Caractère sérieux de la question

Attendu qu'il n'appartient pas au tribunal de se prononcer sur le bien-fondé de la position sous-jacente des auteurs de la question mais seulement de constater que la question posée n'est pas dépourvue de sérieux,

Attendu qu'il est raisonnable de considérer que les interprétations nouvelles susvisées justifient une nouvelle vérification de la compatibilité du texte avec les droits et libertés que la Constitution garantit, la liberté d'entreprendre, ta liberté contractuelle, la présomption d'innocence et singulièrement le principe de légalité des délits et des peines,

Attendu, plus particulièrement, que la Cour de cassation paraît avoir instauré en quelque sorte une présomption de culpabilité détachée de l'élément intentionnel subjectif constitutif de la faute inscrit dans la lettre du texte, en admettant que le déséquilibre significatif puisse résulter de la seule structure de marché et être déduit d'un résultat objectif, sans considération pour les comportements subjectifs tendant à soumettre où 3 tenter de soumettre le partenaire ; que le glissement sémantique a été progressif, le juge n'évoquant plus l'action de soumettre ou tenter de soumettre mais seulement la soumission ou la tentative de soumission, ainsi de la Cour de cassation dans sa décision du 25 janvier 2017 ; que cette disparition de l'élément intentionnel est aboutie dans l'arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 2016 précité et conduit la Cour de cassation à affirmer que « /a Cour d'appel a pu se référer à la structure du secteur de la distribution alimentaire en France pour caractériser une soumission ou une tentative de soumission au sens de l'article L 442-6-I 2° du code de commerce »,

Qu'en conséquences, le tribunal dira la question posée n'est pas dépourvue de sérieux,

Attendu que par suite, le tribunal :

◦ Constatera que les dispositions contestées de l'article L 442-64-1 2° du code de commerce sont applicables au litige ou à la procédure et constituent le fondement dés poursuites,

◦ Dira que les décisions de la Cour de cassation intervenue depuis la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2011 n°2010-85 QPC constituent un changement de circonstances de droit,

◦ Dira que présente un caractère sérieux la question posée à savoir :

« L'article L 442-6-I 2° du code de commerce qui, tel qu'il est désormais Interprété par la Cour de cassation, permet au Juge :

I d'interdire à un partenaire commercial donné d'insérer, à l'avenir, certaines clauses dans ses contrats, quelles que soient la personne du cocontractant à venir ou les adaptations logistiques rendues nécessaires, dans le futur, par l'évolution de la distribution, et/ou

II d'exercer un contrôle sur les prix,

porte-t-il atteinte à la présomption d'innocence, au principe de légalité des délits et des peines, ainsi qu'à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, respectivement garantis par les articles 8, 9, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme du citoyen de 1789 reprises dans la préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, ainsi qu'au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 reprise dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et de l’article 1er de la Constitution ? »

◦ Ordonnera en conséquence la transmission à la Cour de Cassation de la question posée dans les huit jours du prononcé du présent jugement avec les mémoires ou les conclusions des parties.

2. Question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L 441-7 ° du code de commerce

Applicabilité au litige des dispositions contestées

Attendu que, comme le rappelle la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 1er juillet 2015, la jurisprudence considère que la formalisation des obligations dans fa convention unique doit permettre à l'administration d'exercer un contrôle a posteriori sur la négociation et sur les engagements pris, dans le respect de l'article L 442-6, et que la Cour de cassation valide cette approche dans son arrêt du 25 janvier 2017 (n°15-23547) en affirmant que « dans les rapports noués entre un fournisseur et un distributeur, le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties s'apprécie au regard de {a convention écrite prévue par l'article L 441-7 du codée de commerce, laquelle précise les obligations auxquelles se sont engagées les parties et fixe, notamment, les conditions de l'opération de vente de produits ou des prestations de services, comprennent les réductions de prix, telles qu'elles résultent de là négociation commerciale qui s'opère dans le respect de l'article L 441-6 de ce code »,

Attendu que, si les dispositions de l'article L 441-7 I du code de commerce ne fondent pas directement l’action du ministre, elles ne lui sont cependant pas étrangères ; qu'en effet le ministre reproche Justement aux sociétés du groupe Carrefour d'avoir discuté des remises de distribution (RCD) en tentant de les inclure dans les CGV des fournisseurs, ce avant la négociation de la convention annuelle et en dehors de son cadre, en violation des dispositions de l'article L 441-7, alors que la négociation de cette convention annuelle est supposée comprendre l'ensemble des éléments visés audit article, sans doute selon le ministre pour empêcher que les fournisseurs ne tentent d'obtenir des contreparties à cette ristourne ; que selon le ministre la signature de la RCD aurait même été présentée comme un prérequis à la signature de la convention annuelle ; que c'est précisément ce comportement d'anticipation de la négociation de la convention annuelle qui s'analyserait en une soumission à des conditions constitutives d'un déséquilibre significatif,

Que cela l'a conduit à invoquer la violation des dispositions de l'article L 441-7 pour demander au tribunat de dire illicite au regard de l'article L 442-6-1 2°, la pratique consistant à tenter d'obtenir ou à obtenir des fournisseurs une remise complémentaire de distribution (RCD) présentée comme un prérequis à la négociation commerciale et accompagnée de mesures de rétorsion, faisant ainsi peser une menace sur le respect de la date prévue pour la conclusion de la convention prévue à l'article L 441-7 du code de commerce,

Attendu qu'en réalité les manquements allégués par le ministre résultent de la violation des dispositions combinées des articles L 442-8-1 2°et L 441-7 du code de commerce, ces dispositions étant l'une et l’autre le fondement de son action,

Que par suite le tribunal dira que l'article L 441-7 I code de commerce est applicable au litige.

Absence de déclaration de la conformité à la Constitution des dispositions contestées

Attendu qu'il est constant que les dispositions contestées de l'article L 441-7 1 n'ont pas fait l'objet d'une déclaration de conformité à la Constitution, seul l'article L 441-7 II ayant fait l'objet d'un examen par le Conseil constitutionnel,

Que le tribunal constatera dès lors que la deuxième question posée à le transmission de la question est satisfaite,

Caractère sérieux de la question

Attendu que l'action du ministre reposant sur la combinaison de différentes dispositions du code de commerce, notamment de celles dés articles L 442-6-I 2° et de L 441-7 1, il est raisonnable d'admettre que soit posées ensemble les questions relatives à la constitutionnalité de ces deux dispositions,

Que dès lors le tribunal qui n'a pas à se prononcer sur le bien-fondé de la position sous-jacente des auteurs de la question, dira que la question posée n'est pas dépourvue de sérieux,

Attendu que par suite, le tribunal :

◦ Constatera que les dispositions contestées de l'article L441-7 du code de commerce sont applicables au litige ou à la procédure et constituent le fondement des poursuites,

◦ Constatera que l'article L 441-7 1 code de commerce n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel,

◦ Dira que présente un caractère sérieux la question posée à savoir :

L'article L441-7 I code de commerce qui, tel qu'il est désormais interprété par la Cour de cassation, permet au juge d'exercer, en application de l’article L 442-6-1 2° du même code, un contrôle sur les prix, porte-t-il atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, respectivement garanties par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 reprise dans je préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 ?

◦ Ordonnera en conséquence la transmission à la Cour de Cassation de la question posée dans les huit jours du prononcé du présent jugement avec les mémoires ou les conclusions des parties.

3. Sur le sursis à statuer et les dépens

Attendu que l'article 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée dispose que « Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cessation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel », qu'aucune des situations visées comme pouvant justifier qu'il ne soit pas sursis à statuer n'existe dans la présente affaire,

Que par suite le tribunal ordonnera le sursis à statuer pour cause de transmission jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel ;

Que les dépens seront réservés ;

PAR CES MOTIFS :

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire insusceptible de recours,

Vu les articles 23 et suivant de l'Ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée,

Vu les articles 126-1 à 126-7 du code de procédure civile,

Le ministère public ayant été avisé,

◦ Dit recevables les demandes de transmission des deux questions prioritaires de constitutionnalité posées par les sociétés SNC INTERDIS, SAS CARREFOUR HYPERMARCHES, SAS CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE, SAS CSF el SAS CARREFOUR PROXIMITE FRANCE,

Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative 4 l'article L 442-6-1 2 ° du code de commerce :

◦ Constate que les dispositions contestées de l'article L 442-641 2° du code de commerce sont applicables au litige ou à la procédure et constituent le fondement des poursuites,

◦ Dit que les décisions de la Cour de cassation intervenue depuis la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2011 n°2010-85 QPC constituent un changement de circonstances de droit,

◦ Dit que présente un caractère sérieux la question posée à savoir :

« L'article L 442.6-1 2° du code de commerce qui, tel qu'il est désormais interprété par la Cour de cassation, permet au Juge :

I d'interdire à un partenaire commercial donné d'insérer, à l'avenir, certaines clauses dans ses contrats, quelles que soient la personne du cocontractant à venir ou les adaptations logistiques rendues nécessaires, dans le futur, par l’évolution de la distribution, et/ou

II d'exercer un contrôle sur les prix,

porte-t-il atteinte à la présomption d'innocence, au principe de légalité des délits et des peines, ainsi qu'à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, respectivement garantis par les articles 8, 9, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme du citoyen de 1783 reprises dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, ainsi qu'au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 reprise dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et de l'article 1er de la Constitution ? »

◦ Ordonne en conséquence la transmission à la Cour de Cassation de la question posée dans les huit jours du prononcé du présent jugement avec les mémoires ou les conclusions des parties.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L 441-7 1 code

de commerce :

◦ Constate qua les dispositions contestées de l'article L 441-7 | du code de commerce sont applicables au litige ou à la procédure et constituent le fondement des poursuites,

◦ Constate que l'article L441-7 I code de commerce n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel,

◦ Dit que présents un caractère sérieux la question posée à savoir :

L'article L 441-7 I code de commerce qui, tel qu'il est désormais interprété par la Cour de cassation, permet au Juge d'exercer, en application de l'article L 442-6-1 2° du même code, un contrôle sur les prix, porte-t4l atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, respectivement garanties par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 reprise dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 ?

◦ Ordonne en conséquence la transmission à la Cour de Cassation de la question posée dans les huit jours du prononcé du présent jugement avec les mémoires où les conclusions des parties.

◦ Dit qu'avis sera donné aux parties et au ministère public de la présente décision statuant sur les questions prioritaires de constitutionnalité dans les conditions prévues à l'article 126-7 du code de procédure civile.

Sur le sursis à statuer et les dépens :

◦ Ordonne le sursis à statuer pour cause de transmission jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel,

◦ Réserve las dépens.

En application des dispositions de l'article 871 du code de procédure civile, l'affaire a été débattus le 1er juin 2018, an audience publique, devant Mme Geneviève Rigolot, M. [F D G] et M. [L M].

Un rapport oral a été présenté lors de cette audience.

Délibéré la 8 juin 2018 par les mêmes juges.

Dit que le présent jugement est prononcé par sa mise à disposition au greffe de ce tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

La minute du Jugement est signée par Mme Geneviäve Rigolot, président du délibéré et par Mme Marina Nassivera, greffier.

Le greffier

Le président