Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 18 juin 2018 n° 18/00123

18/06/2018

Renvoi

COUR D'APPEL DE PARIS

Palais de Justice

34, quai des orfèvres

15055 PARIS LOUVRE SP

N° Dossier : 18/00123

N° BO : P12268048229

Pôle 5 - Ch.12

ARRÊT DE TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

N° de minute : 89

Le 18 juin 2018,

La Cour, composée lors des débats, du délibéré :

M. François REYGROBELLET, Président de chambre

Mme Françoise MERY-DUJARDIN, Conseiller

M. David CADIN, Conseiller

lors du prononcé de l'arrêt de :

M.REYGROBELLET, Président de Chambre en application de l'article 485 du code de procédure pénale

GREFFIER : Mme Noumbé-Laëtitia NDOYE, Greffier, lors des débats et du prononcé de l'arrêt

MINISTÈRE PUBLIC : M. Jean-Christophe MULLER, Avocat Général, lors des débats et Alain GALLAIRE, Avocat Général lors du prononcé de l'arrêt ;

Vu les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu les articles R. 49-21 à R. 49-29 du Code de Procédure Pénale et notamment l’article R.49-25 alinéa 2 :

Statuant sur la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par [A B G] ;

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Suite à l’exercice, le 20 mars 2007, de son droit de communication auprès de la banque NATEXIS, L'ADMINISTRATION DES DOUANES retenait qu'entre le 5 mai 2005 et le 24 avril 2009 la société CAMERON FRANCE, filiale du groupe de droit américain CAMERON, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de matériel de forage pétrolier, avait émis à l’ordre de l’un de ses représentants commerciaux [A B G] vingt neuf chèques pour un montant total de 3 546 810, 8 euros.

Il ressortait des investigations douanières que [A B G], ressortissant algérien disposant d’un titre de séjour, était détenteur en France de comptes bancaires auprès de l’agence de la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE (agence [LOCALITE 1] ), de la BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS (agence [LOCALITE 2]), et était titulaire de deux comptes ouverts au [LOCALITE 3] auprès de la banque DEXTA et de la banque EDMOND DE ROTHSCHILD,

Dix neuf chèques émanant du compte bancaire ouvert auprès de la banque NATEXIS de la société CAMERON avaient été transférés de France, sans déclaration préalable, entre le 18 août 2005 et le 24 avril 2009, sur ces deux comptes bancaires luxembourgeois.

Le montant des sommes ainsi transférées était de 2 813 610 euros et une partie avait alimenté, par virement le compte ouvert auprès de la Société Générale.

Entendu le 22 juin 2009, [A B G] après avoir précisé travailler en [LOCALITE 4] pour le compte de la société CAMERON admettait avoir effectivement transféré ces fonds dans l’ignorance de la prohibition édictée par les articles L.152-1 du code monétaire et financier et 464 du Code des douanes.

Il était justifié par le mis en cause que les procédures de contrôle fiscal n’avaient abouti en France à aucune rectification, redressement ou poursuite pour les années 2008, 2009 et 2010.

Sur citation, en date du 17 septembre 2012, de la DIRECTION NATIONALE DU RENSEIGNEMENT ET DES ENQUÊTES DOUANIÈRES, [A B G] était poursuivi devant le tribunal correctionnel de [LOCALITE 5] du chef de transfert non déclaré de sommes titres ou valeurs d’au moins 10 000 euros depuis la France vers le [LOCALITE 6].

Par jugement du 25 septembre 2013, cette juridiction déclarait coupable dans les termes de la prévention [A B G] et le condamnait au paiement d’une amende douanière de 234 467, 50 euros.

[A B G] interjetait appel Le 3 octobre ; le ministère public interjetant appel incident le même jour.

Par arrêt du 4 février 2015 la chambre 13 du pole 5 de la Cour d’appel de Paris, infirmant partiellement, relaxait [A B G] pour le transfert des chèques postérieur au 22 novembre 2007, et confirmait la déclaration de culpabilité pour le surplus.

Infirmant le jugement sur la peine, cette juridiction condamnait [A B G] à une amende fiscale de 126 968, 84 euros.

Pourvois étaient formés par l’ ADMINISTRATION DES DOUANES et [A B G].

Le 1 juin 2016 la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation rejetait le pourvoi de [A B G] et sur le pourvoi de l’administration des douanes cassait et annulait l’ arrêt du 4 février 2015 en ses seules dispositions ayant renvoyé [A B G] des fins de la poursuite du chef de transfert de chèques sans déclaration postérieurs au 22 novembre 2007 et ayant condamné ce dernier au paiement d’une amende douanière de 126 968 , 84 euros : toutes les autres dispositions de l’arrêt du 4 février 2015 étant expressément maintenues.

La Cour d’Appel de Paris autrement composée, était désignée comme Cour de renvoi.

DEVANT LA COUR DE RENVOI

Après renvoi du 15 janvier 2018, les débats se sont ouverts le 7 mai.

Le 15 janvier 2018 [A B G] a fait déposer son mémoire tendant au transfert d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Présent et assisté, [A B G] a fait déposer le 7 mai un mémoire dit récapitulatif de celui déposé le LS janvier, tendant à ce que la question prioritaire de constitutionnalité portant sur inconstitutionnalité de L’ article L.152- 4 du code monétaire et financier soit transmise à la Cour de Cassation et fait conclure et plaider, à titre principal en le sursis à statuer sur le fond dans l’attente des “ décisions à venir de la Cour de Cassation”.

À titre subsidiaire, il a été demandé la “ réduction de l'amende fiscale à un montant symbolique”. Au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité, il est énoncé, sous la forme interrogative, que le “I. de l’article L. 152- 4 du code monétaire et financier tel qu’issu des rédactions de la loi 2004- 204 du 9 mars 2004 et de la loi 2006-1771 du 30 décembre 2006 méconnaît-il le principe constitutionnel de proportionnalité des peines découlant de l’article 8 de La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en ce qu’il prévoit une amende proportionnelle en cas de simple manquement à l'obligation déclarative prévue à l’article L. 152-1 du code monétaire et financier alors même que les sommes non déclarées ne concourent à la fixation d’aucun impôt ou taxe douanière et qu’aucune infraction à une loi ou un règlement fiscal douanier ou financier n’a été commise”.

Dans son avis écrit Monsieur l’avocat général est d’avis qu’il y a lieu à transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité au motif que cette question “concerne une disposition prévoyant une amende proportionnelle pour la violation d'une simple obligation déclarative de transfert financiers dans des conditions qui n'apparaissent pas avoir pour objet ou effet de faciliter directement l'accès de 1 ‘administration fiscale aux informations bancaires dans le cadre de l'amélioration de la lutte contre la fraude, présente un caractère sérieux”.

Par conclusions régulièrement déposées, l’administration des douanes a conclu en le défaut de caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité aux motifs :

- que le Conseil Constitutionnel dans son contrôle de l’adéquation de la sanction à l’ infraction n' exerce qu’un contrôle de l” erreur manifeste d’ appréciation,

- que de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel il évince ( cf conclusions pages 12 et suivantes):

1- l’obligation déclarative de transfert de capitaux n’a pas pour objet d’asseoir l’impôt mais de permettre aux autorités de retracer les mouvements physiques d’argent liquide. [J] dans sa décision du 16 mars 2017, relative aux obligations déclaratives incombant aux administrateurs de trusts , le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité a été écarté “compte tenu de la gravité des faits qu'a entendu réprimer le législateur et des difficultés propres à l'identification de la détention d’avoirs en France ou à l'étranger par le truchement d’un trust”’.

2- l’amende prévue à l' article L.152-4 du code monétaire et financier obéit à la logique de pourvoir suivre les flux financiers afin de lutter contre le blanchiment d’argent et non de simplement sanctionner le non respect d’une obligation fiscale,

3- le règlement n° 1889/2005 du 26 octobre 2005 qui ne sanctionne que les mouvements d° argent liquide significatifs puisque supérieurs à 10 000 euros a notamment pour objet d'éviter le contournement des règles de contrôles des transactions effectuées par l'intermédiaire d’établissements financiers ; le législateur par la loi du 3 juin 2016 ayant rehaussé le montant de l’amende à 50 % de la somme,

4- la Commission européenne et la Cour Européenne ont apprécié comme proportionnelles les sanctions prévues par l’article 465 du code des douanes,

SUR CE LA COUR

Considérant qu’il sera mentionné au présent arrêt que les débats n’ont porté le 7 mai 2018 que sur la question prioritaire de constitutionnalité et que le fond du litige tel que fixé par l’arrêt de Cassation du 11 juin 2016 n’a pas été abordé ;

Considérant qu’en conséquence de l’arrêt de Cassation susvisé il incombe de recevoir les appels du prévenu [G] et du ministère public contre le jugement prononcé le 25 septembre 2013 ;

Considérant que toute personne poursuivie devant un ordre juridictionnel dispose, depuis l’entrée en vigueur de la loi organique n° 2009- 1523 du 10 décembre 2009, de la faculté légale de contester la constitutionnalité des textes législatifs invoqués dans un litige auquel elle est partie ;

Considérant au cas d'espèce que Île premier paragraphe de 1 ‘article L 152- 4 du code monétaire et financier 1ssu des lois des 9 mars 2004 et 30 décembre 2006 est applicable au litige et constitue le fondement de la poursuite de l’ action douanière intentée, depuis le 17 septembre 2012, contre [A B G] ;

Considérant que les parties s’accordent sur ce point, qui n’est pas en litige, ainsi que sur le fait que la question prioritaire de constitutionnalité, qui a fait l’objet d' écrits séparés, n’a jamais fait l’objet à ce jour d’une décision du Conseil constitutionnel déclarant l’article susvisé du code monétaire et financier conforme à la Constitution ;

Considérant sur le caractère sérieux de la question, qu’il est principalement invoqué au soutien de la transmission les décisions du Conseil Constitutionnel des 22 juillet 2016, 16 mars 2017 et 22 octobre 2017 qui ont jugé non conformes à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et des citoyens les dispositions ($ 4 de l’article 1736, article 1649 Ab et alinéa 2 de l’article 1766 du code général des impôts) ; que, selon le demandeur à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, rejoint par le Ministère public, “ toute dispositions pénale ou assimilée instituant une sanction, non plafonnée, imputable à une simple omission de déclaration, alors même qu'il n'est pas démontré que des revenus ou produits aient été soustraits à l’ impôt, contrevient à l’article 8 précité de la déclaration:

Considérant qu’il est exact que le premier paragraphe de l’article L. 152 -4 du code monétaire et financier édicte le prononcé d’une amende qui à l’époque des faits reprochés à la personne poursuivie, était “égale à un quart de la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction” et que cette infraction ou tentative résultait du seul fait que le transfert des fonds ou valeur n’avait pas été déclaré ;

Considérant que la Cour prend en compte les contestations de l’administration des douanes qui a engagé l’action douanière notamment sur la nécessaire prise en compte de la “gravité des faits qu'a entendu réprimer le législateur” et de l'objectif légitime pour les autorités étatiques de “pouvoir suivre les flux financiers afin de lutter contre le blanchiment d’ argent ou le financement d'activités criminelles” mais apprécie que la question posée ne pouvant être jugée comme dépourvue de caractère sérieux, sa transmission doit être ordonnée afin qu’ il soit statué sur ce caractère sérieux par la juridiction seule compétente pour saisir le Conseil Constitutionnel; qu’ en effet l’ appréciation de ce caractère sérieux suppose, selon ce qui apparaît ressortir de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, intégrée aux écritures du demandeur à la transmission, que soit caractérisé l’existence d’un lien entre l’omission déclarative et une infraction recherchée ;

Considérant que sur la nature et l’étendue de ce lien la présente juridiction juge devoir, faute de caractère à l’évidence peu sérieux de la question débattue le 7 mai 2018, saisir l’instance juridique interne supérieur ;

Considérant que pour ce motif la question prioritaire de constitutionnalité sera transmise et l’examen du fond renvoyé pour indication au 24 septembre 2018 ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement par arrêt avant dire droit,

Vu l'arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation du 11 juin 2016, Statuant comme Cour de renvoi,

Reçoit les appels de [A B G] et du Ministère public contre le jugement du 25 septembre 2013,

Vu le dépôt le 18 janvier 2018 du mémoire et le 7 mai du mémoire récapitulatif à appui de la question prioritaire de constitutionnalité,

Reçoit en la forme la question prioritaire de constitutionnalité,

La juge sérieuse,

Transmet à la Cour de Cassation cette question ainsi libellée :

le I de l’article L 152- 4 du code monétaire et financier tel qu’issu des rédactions de la loi 2004- 204 du 9 mars 2004 et de la loi n° 2006 -1771 du 30 décembre 2006 méconnaît il le principe constitutionnel de proportionnalité des peines découlant de l’ article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en ce qu’ il prévoit une amende proportionnelle en cas de simple manquement à l’ obligation déclarative prévue à l' article L 152- 1 du code monétaire et financier alors même que les sommes non déclarées ne concourent à la fixation d’ aucun impôt ou taxe douanière et qu'aucune infraction à une loi ou à un règlement fiscale, douanier ou financier n’ a été commise.

Sursoit à statuer sur le fond,

Renvoie pour indication au 24 septembre 2018 :