Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence

Jugement du 16 mai 2018 n° 201500016083

16/05/2018

Renvoi

Tribunal de Grande Instance d'Aix-en-Provence

Service de l'application des peines

40 Boulevard Carnot

13616 AIX EN PROVENCE CEDEX 1

Cabinet de Annie BLIN, Vice-Présidente

Présidente du Tribunal de l'Application des peines

Dossier n° : 201500016083

Minute n° : 16/2018

JUGEMENT ORDONNANT LA TRANSMISSION A LA COUR DE CASSATION D'UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE ET SUR LE FOND LE RELEVEMENT PARTIEL DE LA PÉRIODE DE SÛRETE

Le 16 Mai 2018,

Le Tribunal de l'application des peines d'AIX-EN-PROVENCE, siégeant en Chambre du Conseil au Tribunal de Grande Instance d’AIX-EN-PROVENCE, composé ainsi lors des débats, du délibéré et du prononcé du jugement :

Madame Annie BLIN, Juge de l'application des peines, Présidente du Tribunal de l'application des peines près le Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN- PROVENCE avec comme assesseurs :

Madame Josiane MAGNAN, Juge de l'application des peines près le Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE ;

Madame Marie-Christine BERQUET, Juge de l'application des peines prés le Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE ;

Assistées de Madame Julie AUGUSTYNIAK, greffier présent lors des débats accompagnée de Madame [O P], stagiaire psychologue et de Madame [D E], stagiaire et de Madame Anaëlle FABRE, greffier présent lors du délibéré et du prononcé du jugement,

Vu le débat contradictoire qui s'est tenu au Centre de détention de Salon de Provence le 4 Avril 2018, concernant :

[F G]

né le [DateNaissance 1] 1978 à [LOCALITE 2]

de [F Q] et de [H I]

Détenu au Centre de détention de [LOCALITE 3] sous l'écrou n°[...], exécutant une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la date de libération prévisionnelle est fixée au 12 novembre 2022 avec une fin de période de sûreté fixée au 21 janvier 2020 ;

Condamné par la Cour d'Assises des Bouches-du-Rhône statuant en appel par arrêt en date du 19 septembre 2017 pour des faits de :

— ESCROQUERIE

— VOL EN BANDE ORGANISEE AVEC ARME

— ARRESTATION, ENLEVEMENT, SEQUESTRATION OÙ DETENTION ARBITRAIRE EN BANDE ORGANISEE SUIVI DE LIBERATION AVANT LE 7 EME JOUR

— tentative de VOL EN BANDE ORGANISEE

À une peine de 10 ans de réclusion criminelle

Comparant assisté de Maître BONFILS Philippe, avocat au barreau d'Aix-en- Provence,

En présence de Monsieur Olivier POULET, procureur de la République et de Madame [L M], Représentante de l'administration pénitentiaire :

Vu les articles 723-29 à 723-37, D49-11 à D49-35 et D147-31 à D147-44 du Code de procédure pénale,

Vu l'article 712-6 alinéa 3 du Code de procédure pénale ;

Vu le casier judiciaire et la fiche pénale ;

Vu les pièces judiciaires ;

Vu la requête en date du 10 janvier 2018 :

Vu le rapport d'expertise psychiatrique du Docteur [J K] en date du 1er mars 2018 :

Le Tribunal de l'application des peines a statué en ces termes :

SUR LA DEMANDE

Monsieur [G F] a été condamné le 19 septembre 2017 par la Cour d'assises des Bouches du Rhône statuant en appel à la peine de 10 ans de réclusion criminelle pour vol avec usage d'une arme, séquestration arbitraire suivie d'une libération avant le septième jour, tentative de vol en réunion dans un local d'habitation, et tentative d'escroquerie : cette condamnation est assortie d'une période de sûreté de plein droit de 5 ans qui doit prendre fin le 21 janvier 2020 ; la fin de peine est actuellement fixée au 12 novembre 2022 :

Par requête du 10 janvier 2018, il pose, à titre préliminaire, une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 132-23 du code pénal qui prévoit la période de sûreté de plein droit ;

Au fond, il sollicite le relèvement de la période de sûreté en application des dispositions de l'article 720-4 du code de procédure pénale, et à titre subsidiaire la réduction de la durée de cette période de sûreté ;

À titre préliminaire, sur la question prioritaire de constitutionnalité, Monsieur [G F] déclare que la période de sûreté de plein droit s'apparente a une peine automatique puisqu'elle n'est ni débattue, ni décidée, ni même prononcée ; il s'agit en outre d'une mesure d'une très grande sévérité puisqu'elle exclut tout aménagement de peine pendant sa durée ;

Monsieur [G F] ajoute que même si la période de sûreté n'est pas vraiment une peine, mais davantage une modalité d'application ou d'exécution de la peine, il n'en demeure pas moins que la protection de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui pose le principe de nécessité des peines d'où il découle l'interdiction des peines automatiques, s'étend et s'applique également à la période de sûreté ;

La question prioritaire de constitutionnalité portant sur la constitutionnalité de la période de sûreté de plein droit et plus précisément sur sa compatibilité avec le principe de nécessité des peines affirmé par l'article 8 précité est donc une question pertinente et sérieuse qui doit être transmise à la Cour de Cassation étant relevé que la possibilité pour le condamné d'en solliciter le relèvement ne suffit pas à rendre la disposition conforme au dit article 8 ;

ll s'agit également d'une question nouvelle car si la période de sûreté a déjà été examinée par le Conseil constitutionnel, il ne s'est jamais prononcé sur son caractère automatique ;

Sur la demande de relèvement ou de réduction de la période de sûreté présentée par Monsieur [G F], elle peut être examinée dès à présent s'agissant d'une personne qui est privée de liberté ;

A l'appui de sa demande, Monsieur [G F] expose qu'il manifeste des gages sérieux de réadaptation sociale, conformément aux dispositions de l'article 720-4 du code de procédure pénale ; c'est ainsi qu'avant de participer aux faits à l'origine de sa comparution devant la Cour d'assises, il n'a été condamné qu'une seule fois pour avoir mis le feu à une poubelle proche d'un gymnase alors qu'il avait juste 18 ans ; en outre, il a bénéficié d'une formation professionnelle et il a toujours travaillé :

Il ajoute que depuis qu'il est incarcéré, il adopte un comportement exemplaire et il a investi sa détention en participant à diverses activités : atelier d'information en économie sociale et familiale, formation au Centre de ressources multimédia, cours d'informatique, enseignement en philosophie ; il a également passé son brevet de secouriste et il a été suivi par le CSAPA ;

Enfin, il expose qu'au niveau professionnel, il a des perspectives d'avenir et que sur le plan personnel, il est entouré par sa famille et il envisage de sa marier après sa libération ;

Une expertise psychiatrique a été ordonnée aux fins d'évaluer notamment l'état de dangerosité de Monsieur [G F] ainsi que son évolution en détention et sa ré adaptabilité dans la société ;

Le Docteur [K] déclare en conclusion de son rapport que l'examen du sujet ne met pas en évidence de pathologie psychiatrique, ni de troubles caractérisés de la personnalité ; il ajoute que le temps déjà passé en détention a changé son état psychique dans un sens favorable, l'intéressé s'est investi en détention, il a suivi des formations, il travaille, il suit des soins, il paye la partie civile et il a élaboré un projet de vie réaliste ;

L'expert psychiatre estime enfin que Monsieur [G F] ne présente pas un état dangereux sur le plan psychiatrique, étant indemne de pathologie mentale : en ce qui concerne la dangerosité sur le plan criminologique, elle peut être considérée comme faible, le sujet ayant les moyens de mener une existence normale tant au niveau social que professionnel ou familial ;

Il ressort également du rapport qui a été établi par l'administration pénitentiaire sur le comportement et l'investissement de Monsieur [G F] en détention que ce dernier adopte un excellent comportement envers le personnel et qu'il a rapidement été classé à la maintenance où il fait un bon travail ; il a en outre mis en place des versements volontaires de 50 euros par mois au profit des parties civiles ;

Il y a lieu de juger que les éléments positifs du dossier et encourageants pour l'avenir justifient le relèvement partiel de la période de sûreté ;

En effet, les efforts manifestés par Monsieur [G F] depuis son incarcération constituent des gages sérieux de réadaptation sociale ; de plus,

l'expertise psychiatrique est positive sur les capacités de l'intéressé à se réinsérer dans la société ;

La réduction de la période de sûreté à hauteur d'un an est un encouragement donné au détenu dans la perspective d'un éventuel aménagement de peine.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal de l'application des peines, statuant en chambre du conseil et en premier ressort, après débat contradictoire,

VU les dispositions de l'article 61-1 alinéa 1 de la Constitution ;

VU les articles 720-4 et 712-7 du code de procédure pénale ;

VU l'article 132-23 alinéa 1er du code pénale ;

A titre préliminaire,

Transmet à la Cour de Cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante : Les dispositions de l'article 132-23 alinéa 1er du code pénal et de l'article 132-23 alinéa 2 du code pénal qui prévoient une période de sûreté de plein droit sont-elles constitutionnelles, et plus précisément compatibles avec le principe de nécessité des peines affirmé par l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ;

Au fond,

ORDONNE la réduction de la période de sûreté à hauteur de 1 an (un an) à la suite de la condamnation de Monsieur [G F] à la peine de 10 ans de réclusion criminelle prononcée le 19 septembre 2017 par la Cour d'assises des Bouches-du-Rhône statuant en appel ;

CHARGE le Directeur du Centre de détention de Salon de Provence de l'exécution de la présente décision.

RAPPELLE, conformément aux dispositions de l'article 712-14 du code de procédure pénale, que le présent jugement est exécutoire par provision.

RAPPELLE que le présent jugement est susceptible d'appel selon les modalités précisées ci-après.

Le présent jugement a été rendu et signé le 16 Mai 2018 par Annie BLIN, Présidente du Tribunal de l'application des peines, et Anaëlle FABRE/ greffier présent lors du délibéré et du prononcé du jugement.

La Présidente du Tribunal de l’application des peines

MODALITÉS D'APPEL

RAPPELLE qu'à compter de la notification, le condamné et le Procureur de la République disposent d'un délai de dix jours pour interjeter appel de la présente décision au greffe du Tribunal de l'application des peines du Tribunal de Grande instance d'AIX-EN-PROVENCE dans les conditions des deux premiers alinéas de l'article 502 du Code de procédure pénale ou par une déclaration auprès du Chef d'établissement de détention selon les termes de l'article 503 du Code de procédure pénale ; la déclaration étant ensuite adressée sans délai au greffe de l'application des peines ; (articles D49-39, 502 et 503 du Code de procédure pénale)

RAPPELLE que la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire, que néanmoins en cas de recours du Procureur de la République dans les 24 heures de la notification du jugement, l'exécution provisoire serait suspendue jusqu’à ce que la Cour d'appel ait statué ;

Notification du présent jugement a été faite par télécopie avec accusé-réception le 16 Mai 2018

- à Monsieur [G F] par l'intermédiaire du chef d'établissement pénitentiaire

- au Procureur de la République d'AIX-EN-PROVENCE

Copie du présent jugement a été transmise par télécopie avec accusé de réception le 16 Mai 2018

- au Centre de détention de Salon de Provence

- au SPIP du [LOCALITE 4]

- à Maître BONFILS ([XXXXXXXX 0 5]), conseil de Monsieur [G F]

Le Greffier