Conseil régional de discipline des avocats du ressort de la Cour d'Appel de Paris

Décision du 13 avril 2018

13/04/2018

Renvoi

CONSEIL REGIONAL DE DISCIPLINE

des Barreaux du ressort de La Cour d’Appel de Paris

Auxerre

Essonne

Fontainebleau

Meaux

Melun

Seine Saint Denis

Sens

Val de Marne

ARRETE DU 13 AVRIL 2018

L’AN DEUX MILLE DIX HUIT ET LE VENDREDI 13 AVRIL

A la Maison du Barreau sise rue de Hariay à PARIS, salle Gaston Monnerville, le Conseil Régional de Discipline s’est réuni, en Assemblée Plénière, sous la présidence de Monsieur le Bäâtonnier Eric ALLAIN, le lundi 9 avril 2018 à 14 hOO.

Maître Nathalie SOUFFIR est désignée comme secrétaire de séance.

Étaient présents : Maîtres Lionel COHEN, Catherine DE KOUCHKOVSKY, Jean-Sébastien TESLER, Pierre ELLUL, Cyrille ZIMMER, Fabrice NORET, Luc RIVRY, Florence FREDJ CATEL, Komi NOMENYO, Frédéric GUERREAU, Jacques MAYNARD, Catherine RENAUX-HEMET, Isabelle BERRY, François-Régis CALANDREAU, Damien MANABINO, Fatima AAZIZ-PEREZ, Sylvie EX-IGNOTIS, Eric ALLAIN, François PRESSAT, Bérangère LUCAS, Nathalie SOUFFIR

Pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées à l'encontre de Maître [A B] avocat au Barreau Du Val-de-Marne, domicilié [adresse 1] ([LOCALITE 2]) [LOCALITE 3].

La liste des membres du Conseil Régional de Discipline a été affichée à l'extérieur de la salle d'audience.

SAISINE :

Le Conseil Régional de Discipline a été saisi par Madame le Bâtonnier Annie KOSKAS, du Barreau du VAL DE MARNE, le 22 septembre 2017.

Par décision du Conseil de l'Ordre du 28 septembre 2017, Maître Olivier TOURNILLON a été désigné comme rapporteur.

Maître Olivier TOURNILLON a convoqué Maître [A B] pour une audition fixée au 18 décembre 2017, reportée, à la demande de Maître [A B] au 22 décembre 2017.

Maître [A B] s'est présenté, assisté de son Conseil, Monsieur le Bâtonnier Paul RIQUIER.

Le rapport d'instruction a été déposé au Conseil Régional de Discipline le 24 janvier 2018 et réceptionné le 25 janvier 2018.

Maître [A B] a été cité à comparaitre devant le Conseil Régional de Discipline pour l'audience du 05 mars 2018 par Madame le Bâtonnier du Barreau du VAL DE MARNE par citation de la SCP CHOURAQUI, NACACHE, FOURNIER et SADOUN, huissiers de justice à CRETEIL (94) en date du 21 février 2018, selon les dispositions du code de procédure civile.

L'avocat poursuivi a sollicité le report en invoquant le peu de temps entre la citation et la date d'audience et la nécessité de permettre le parfait exercice des droits de la défense.

Le conseil de l'avocat poursuivi invoquait, également, la complexité du dossier, la charge de travail de son cabinet et ses contraintes de représentation de son barreau dans le cadre du jumelage avec le barreau belge de Verviers.

Le Conseil Régional de Discipline, après en avoir délibéré, par un arrêté de renvoi du 05 mars 2018, renvoyait ce dossier à la présente audience du lundi 9 avril 2018 à 14 h O0.

AUDIENCE :

L'audience est ouverte à 14 heures par Monsieur le Président.

Il est procédé à la désignation du secrétaire de séance.

A l'unanimité, Maître Nathalie SOUFFIR, secrétaire du Conseil Régional de Discipline, est désignée à cette fonction.

Maître [A B] est présent, et assisté de Monsieur le Bâtonnier Paul RIQUIER, Avocat au Barreau de VERSAILLES et de Maître Thierry HERZOG, Avocat au Barreau de PARIS.

Madame le Bâtonnier poursuivant, Maître Pascale TAELMAN, du Barreau du VAL DE MARNE, est présente.

Monsieur le Président Eric ALLAIN procède à la vérification d'identité de l'avocat poursuivi et donne connaissance des termes de la poursuite et de la procédure.

Monsieur le Président informe les membres du Conseil de Discipline qu'il a été destinataire de plusieurs conclusions et mémoire, visant à la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité et au sursis à statuer.

Il précise aux parties et aux membres du Conseil qu'en application des dispositions de l'article 28-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, telles que résultant de la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009, il en a avisé le ministère public.

Il demande par ailleurs à l'avocat poursuivi et à ses conseils si ils entendent faire valoir d'autres moyens ou exceptions de procédure ; ce à quoi Monsieur le Bâtonnier RIQUIER et Maître Thierry HERZOG répondent par la négative.

ll leur en est donné acte.

Monsieur le Président rappelle au Conseil qu'il doit statuer sans délai, et par priorité, par une décision motivée sur la transmission à la Cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité.

L'avocat poursuivi dépose, par l'intermédiaire de ses conseils, un mémoire relatif à la question prioritaire de constitutionnalité, des conclusions de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation ainsi que des conclusions de sursis à statuer.

Monsieur le Bâtonnier Paul RIQUIER est entendu en ses observations, afin de soutenir ia question prioritaire de constitutionnalité qui est soulevée.

Il expose au Conseil que la question porte sur la rupture du principe d'égalité et la non conformité aux dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que représente l'omission, par le législateur, de dispositions de prescription des poursuites disciplinaires.

Il s'agit, selon lui, de constater l'incompétence négative du législateur en méconnaissant l'obligation pesant sur lui de garantir les droits constitutionnels des professionnels réglementés que sont les avocats.

Il précise que la question est directement applicable au litige, qu'elle n'est pas dépourvue de sérieux et qu'elle n'a pas été traitée par le Conseil Constitutionnel.

Sur ce dernier point il évoque différentes décisions du Conseil Constitutionnel mais qui ne concerneraient pas l'égalité mais la légalité et qu'en outre la loi du 20 avril 2016, instituant, au bénéfice des fonctionnaires, une prescription, constituerait un changement de circonstances.

Monsieur le Président demande les observations de Madame le Bâtonnier Pascale TAELMAN, autorité de poursuite, sur la question prioritaire soulevée.

Madame le Bâtonnier demande au Conseil de rejeter la demande de transmission à la Cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité car les trois conditions cumulatives qui subordonnent la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ne sont pas satisfaites.

Le litige ne porte en effet pas sur les faits initiaux commis par Maître [A B] mais bien sur les conséquences de diverses décisions judiciaires exécutoires et récentes qui, en outre, qualifient définitivement les faits et autorisaient les poursuites.

De sorte que la question ne porterait pas, dans le cas présent, sur une éventuelle prescription ; l'absence d'exécution des décisions de justice étant constante.

Enfin elle rappelle que la décision du Conseil Constitutionnel du 19 mai 2017 est intervenue postérieurement à la loi du 20 avril 2016 de sorte qu'il n'y a pas de changement de circonstances depuis la dernière décision, alors que depuis plusieurs années le Conseil Constitutionnel a déclaré que n'était pas contraire à la Constitution l'absence de prescription des manquements déontologiques au sein de professions réglementées.

Elle ajoute que la poursuite disciplinaire n'a été initiée qu'après épuisement des voies de recours exercées par Maitre [A B] en particulier dans la procédure pénale engagée à son encontre et notamment après le rejet de son pourvoi en cassation et qu'en l'espèce le prétendu retard ne serait imputable qu'à l'avocat poursuivi ; l'autorité de poursuite ayant attendu légitiment l'épuisement des recours éventuels pour se saisir des manquements reprochés ainsi établis.

Elle précise qu'il en est de même dans les trois dossiers justifiant la saisine du Conseil Régional de Discipline. Maître Thierry HERZOG, avocat de Maître [A B], est entendu en ses observations.

Il rappelle les principes auxquels la profession d'avocat se doit d'être attachée. Il souligne qu'il est paradoxal que l'avocat soit la profession la moins bien traitée en particulier à la suite de la loi du 16 février 2017 modifiant les délais de prescription.

Il considère anormal que la citation délivrée à Maître [A B] ne mentionne pas les dates des faits initiaux reprochés, souligne que le Parquet n'a pas interjeté appel du jugement correctionnel de relaxe et relève que, dans l'une des affaires évoquées, la victime aurait considéré elle-même qu'elle serait « classée ».

Puis la parole est donnée en dernier à l'avocat poursuivi, Maître [A B].

Monsieur le Président suspend l'audience afin de permettre au Conseil de délibérer sur la question prioritaire de constitutionnalité qui est présentée par l'avocat poursuivi.

Maître [A B], Monsieur le Bâtonnier Paul RIQUIER, Maître Thierry HERZOG et Madame le Bâtonnier Pascale TAELMAN se retirent.

A l'issue de la délibération, Maître [A B], Monsieur le Batonnier Paul RIQUIER, Maître Thierry HERZOG et Madame le Bâtonnier Pascale TAELMAN sont invités à entrer dans la salle d'audience et Monsieur le Président leur fait part de ce que le délibéré sera rendu par le Conseil Régional de Discipline le vendredi 13 avril 2018.

Il est précisé aux parties que cette décision leur sera notifiée.

DÉCISION :

A titre prioritaire

Le Conseil Régional de Discipline, réuni en sa formation plénière, prenant acte de ce que le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution, a été présenté dans un écrit distinct et motivé,

à la majorité requise et après en avoir délibéré,

considère que la question prioritaire de constitutionnalité qui lui est présentée répond aux trois critères fixés par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958

- si la disposition contestée ne constitue pas le seul fondement des poursuites, elle est effectivement applicable à la procédure ;

- s'agissant de la question du principe de l'égalité, il ne semble pas que le Conseil Constitutionnel se soit prononcé depuis sa décision du 25 novembre 2011, alors que l'entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2016 peut apparaître comme constituant un changement de circonstances ;

- s'agissant du constat que les poursuites disciplinaires des seules professions réglementées ne seraient pas assorties de règles de prescription, dont le principe apparaît par ailleurs reconnu assez généralement, la question posée n'apparaît pas dépourvue de sérieux.

En conséquence

Décide la transmission à la Cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« Les articles 22, 23 et 24 de la loi n°17-71130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, faute de comporter des dispositions prévoyant la prescription des poursuites disciplinaires contre les avocats, alors qu'il existe une prescription des poursuites disciplinaires pour toutes les autres catégories professionnelles, et notamment les fonctionnaires, sont-ils conformes au principe de légalité des citoyens devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. «

Sur le fond

1°) Considérant que l'article 23-3 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 autorise la juridiction à statuer Sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé.

Qu'en l'espèce l'article 195 du décret du 27 novembre 1991 stipule que « si dans les huit mois de la saisine de l'instance disciplinaire celle-ci n'a pas statué au fond ou par décision avant dire droit, la demande est réputée rejetée et l'autorité qui a engagé l'action disciplinaire peut saisir la cour d'appel. »

Que « lorsque l'affaire n'est pas en état d'être jugée ou lorsqu'elle prononce un renvoi à la demande de l'une des parties, l'instance disciplinaire peut décider de proroger ce délai dans la limite de quatre mois ».

Que la présente instance disciplinaire est dès lors tenue de statuer dans un délai déterminé et qu'elle peut statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité.

2°) Considérant d'autre part que si la question prioritaire posée par l'avocat mis en cause, semble présenter des caractères de sérieux, de nouveauté et concerner la procédure engagée, justifiant la transmission décidée en priorité, elle ne concerne pas l'intégralité des motifs de saisine du Conseil Régional de Discipline invoqués par l'autorité de poursuite à l'encontre de Maître [A B].

3°) Considérant par ailleurs que si les faits initiaux à l'origine des poursuites contre Maître [A B] remontent à 2004, 2006 et 2007, les décisions judiciaires exécutoires, matérialisant les faits et, pour certaines, les qualifiant, sont du 23 novembre 2016 (arrêt de la Cour de Cassation rejetant le pourvoi contre l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 21 mai 2015), du 3 avril 2012 (Ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Versailles) et du 6 janvier 2016 (ordonnance de radiation de la Cour d'appel de Paris sur appel du jugement du tribunal de grande instance d'Evry du 26 mai 2015) ; cette dernière emportant, à défaut de justification de réintroduction de l'instance, la péremption d'instance.

Le conseil régional de Discipline relève qu'il s'agit ainsi de décisions récentes dont le caractère exécutoire tout comme le défaut d'exécution de ces décisions motivent, pour l'autorité de poursuite, la saisine du Conseil de Discipline,

Constatant ainsi que l'examen des chefs de poursuites invoqués par l'autorité de poursuite ne dépend pas exclusivement de la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité et qu'il n'y a pas lieu de décider d'un sursis à statuer,

Décide de statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité et déboute Maître [A B] de sa demande de sursis à statuer.

Constatant toutefois que la défense de Maître [A B] s'est volontairement limitée à la question de constitutionnalité et n'était pas en mesure d'assurer la défense de Maître [A B], dans des conditions de nature à respecter les droits de la défense et le respect du principe du contradictoire des débats, le Conseil régional de Discipline décide de renvoyer l'examen des poursuites disciplinaires contre Maître [A B] à une audience ultérieure et de proroger en conséquence le délai qui lui est accordé pour statuer sur les poursuites en applications de l'article 195 du décret du 27 novembre 1991, à compter du 22 mai 2018,

Le Conseil Régional de Discipline Invite les parties à se mettre en état pour cette audience et communiquer contradictoirement les éléments qu'ils se proposent d'évoquer.

La présente décision de renvoi n'étant pas contradictoire, il appartiendra à l'autorité de poursuite de faire citer Maître [A B].

PAR CES MOTIFS

Le Conseil Régional de Discipline,

à la majorité requise et après en avoir délibéré,

• Décide la transmission à la Cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« Les articles 22, 23 et 24 de le loi n°17-71130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, faute de comporter des dispositions prévoyant la prescription des poursuites disciplinaires contre les avocats, alors qu'il existe une prescription des poursuites disciplinaire pour toutes les autres catégories professionnelles, et notamment les fonctionnaires, sont-ils conformes au principe de l'égalité des citoyens devant la loi, garant par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. «

Conformément aux dispositions de l'article 126-7 du code de procédure civile, la présente décision de transmission n'est susceptible d'aucun recours et les parties qui entendent présenter des observations devant la Cour de cassation doivent se conformer aux dispositions de l'article 126-9 ci après reproduit, ainsi que l'article 126-11 :

Art. 126-9 : « Les parties disposent d'un délai d'un mois à compiler de la décision de transmission pour faire connaître leurs éventuelles observations. Celles-ci sont signées par un avocat au Conseil d'Etat et à fa Cour de cassation, dans les matières où la représentation est obligatoire devant la Cour de Cassation »

Art. 126-11 : « Le président de la formation à laquelle l'affaire est distribuée » ou son délégué. à la demande de l'une des parties ou d'office, peut. en cas d'urgence, réduire le délai prévu parles articles 126-9 et 126-10 »

• Rejette la demande de sursis a statuer

• Décide de renvoyer l'examen des poursuites disciplinaires contre Maître [A B]., avocat au Barreau du Val de Marne, à un audience qui se tiendra dans les locaux de la Maison du Barreau, sis rue de Harlay à PARIS 75001. le lundi 4 juin à 9 h 30 et de proroger. pour une durée maximum de quatre mois à compter du 22 mai 2018, le délai dans lequel il devra statuer.

• Rappelle que la décision sera notifiée à Maître [A B], à Madame le Bâtonnier du Barreau du Val de Marne et à Madame le Procureure Générale par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans les formes de l'article 196 du décret du 27 novembre 1991 et de l'article 126-7 du code de procédure civile.

Le 13 avril 2018

President du Conseil Régional de Discipline

Monsieur le Batonnier Eric ALLAIN

Secrétaire du Conseil Régional dé Discipline

Maitre Nathalie SOUFFIR