Tribunal de grande instance de Paris

Ordonnance du 6 avril 2018 n° 18/01795

06/04/2018

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

1/2/2 nationalité B

N° RG : 18/01795

N° MINUTE : 10

Assignation du : 13 Février 2018

C.C.

 

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT rendue le 06 Avril 2018

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE À LA COUR DE CASSATION

Demandeur à la question prioritaire de constitutionnalité

Monsieur [A B C D]

[adresse 1]

[LOCALITE 2]

représenté par Me Matthias PUJOS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0288

Défendeur à la question prioritaire de constitutionnalité

LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE

Parquet 01 Nationalités

4 Boulevard du Palais

75055 PARIS

Madame LYON-CAEN, Vice Procureur

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Mme CHEGARAY, Vice-Président

assistée de Mme LOUVIGNÉ, Greffier à l’audience du 16 mars 2018 et de Mme [P] faisant fonction de Greffier

DÉBATS

À l’audience du 16 mars 2018, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 06 Avril 2018.

ORDONNANCE

Contradictoire

Prononcé en audience publique, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

Signé par Mme CHEGARAY, Président et par Mme MONDÉLICE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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Vu l’assignation délivrée le 2 décembre 2017 par M. [A B C D], né le [DateNaissance 3] 1988 à [LOCALITE 4] ([LOCALITE 5]), à l'encontre de Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir juger qu’il est français par filiation paternelle en application des dispositions de l’article 18 du Code civil, son arrière grand mère dans la branche paternelle, [E F-G H I] née le [DateNaissance 6] 1887 à [LOCALITE 7] ([LOCALITE 8]), étant française,

Vu la décision de refus de délivrance à M. [A B C D] d’un certificat de nationalité française en date du 4 mai 2017 par le pôle de la nationalité française de Paris au motif que “la nationalité française du grand père paternel de l’intéressé n’est pas rapportée. En effet, sous l’empire de la loi du 10 août 1927 modifiée par le décret du 12 novembre 1938, l’enfant légitime né à l'étranger d’une mère française n’était pas français”,

Vu le premier mémoire de M. [A B C D] notifiée par voie électronique le 13 février 2018 ainsi que son dernier mémoire en réplique notifié par voie électronique le 7 mars 2018 afin que la Cour de cassation soit saisie de la question prioritaire de constitutionnalité ainsi libellée :

“Les dispositions des 1° et 3° de l’article 1er de la loi du 10 août 1927 sur la nationalité -dont il résulte que l’enfant légitime né d’une mère française n’est français que s’il est né en France, l’enfant légitime né à l’étranger n’ayant la nationalité française que si son père est français — méconnaissent-elles le principe d’égalité devant la loi et le principe d'égalité entre les hommes et les femmes, tels qu’ils sont garantis respectivement par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le troisième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ?”,

Vu le mémoire en réponse du ministère public notifié par voie électronique le 23 février 2018 estimant qu’à défaut de caractère sérieux, la question prioritaire de constitutionnalité posée n’a pas lieu d’être transmise à la Cour de cassation,

Vu les débats tenus à l’audience de mise en état du 16 mars 2018,

MOTIFS

Aux termes de l’article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l’article 126-3 du code de procédure civile, le juge qui statue sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité est celui qui connaît de l'instance au cours de laquelle cette question est soulevée ; le magistrat chargé de la mise en état statue par ordonnance sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant lui.

Aux termes de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, tel que modifié par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis.

Aux termes de l’article 23-2 de la même ordonnance, la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l’espèce, M. [A B C D], né le [DateNaissance 9] 1988 à [LOCALITE 10] ([LOCALITE 11]), se dit français comme issu du mariage célébré le [Date mariage 12] 1979 à [LOCALITE 13] entre [A B C J], né le [DateNaissance 14] 1956 à [LOCALITE 15], et [F M D], née le [DateNaissance 16] 1955 à [LOCALITE 17]), son père étant français par filiation paternelle pour être né le [DateNaissance 18] 1956 au [LOCALITE 19] de [J C H] lui-même né au [LOCALITE 20] le [DateNaissance 21] 1924, français pour être né du mariage célébré le [Date mariage 22] 1912 entre [B C], chilien, et [A-G H], née le [DateNaissance 23] 1887 à [LOCALITE 24] (actuelles [LOCALITE 25]), de nationalité française.

La nationalité française d’origine de [A-G H] n’est pas contestée par le ministère public pas plus le fait qu’elle ait conservé sa nationalité française après son mariage chilien.

1- L'action déclaratoire de nationalité de M. [A B C D] fait suite au refus de délivrance d’un certificat de nationalité française fondé sur la loi du 10 août 1927 modifiée par le décret du 12 décembre 1938.

Aux termes des 1° et 3° de l’article 1er de la loi du 19 août 1927 sur la nationalité :

« Sont Français :

1° Tout enfant légitime né d’un Français en France ou à l’étranger ; [...]

3° Tout enfant légitime né en France d’une mère française ».

Il est constant qu’il résulte du rapprochement des dispositions des 1° et 3° de l'article 1er de la loi du 10 août 1927 que l'enfant légitime né d'une mère française n'est français que s'il est né en France, l'enfant légitime né à l'étranger n'ayant la nationalité française, en vertu du 1° de ce texte, que si son père est français.

Ainsi, la règle selon laquelle une mère française ne transmettait pas sa nationalité à son enfant né à l'étranger est fondée sur les deux dispositions contestées.

En conséquence, contrairement à ce que soutient le ministère public, tant les dispositions du 1° que du 3° de l'article 1er de la loi du 10 août 1927 sont applicables au présent litige.

2- Ces dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

3- Au vu de la double différence de traitement que renferment ces dispositions entre d’une part le père français et la mère française d’un enfant né à l’étranger — seul le premier transmettait sa nationalité française ; d'autre part l'enfant né à l’étranger d'un père français et l’enfant né à l'étranger d’une mère française - seul lé premier avait la nationalité française, il apparaît que la question de leur constitutionnalité au regard du principe d’égalité devant la loi et du principe d'égalité entre les hommes et les femmes n’est pas dépourvue de caractère sérieux, la justification de la différence de traitement par l'intérêt général d’accroissement démographique des nationaux français sur le sol français avancée par le ministère public n’étant pas suffisante pour asseoir le défaut de caractère sérieux de la question.

En conséquence, il y a lieu d’ordonner la transmission de la présente question, avec les mémoire des parties, à la Cour de cassation et de surseoir à statuer dans l’instance pendante dans l’attente de la décision de la Cour de cassation, en application de l’article 379 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état statuant publiquement, sur mémoires en question prioritaire de constitutionnalité, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire,

Transmet à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. [A B C D] relative aux 1° et 3° de l’article 1er de la loi du 10 août 1927 sur la nationalité, suivante :

“Les dispositions des 1° et 3° de l’article 1er de la loi du 10 août 1927 sur la nationalité -dont il résulte que l’enfant légitime né d’une mère française n’est français que s’1l est né en France, l’enfant légitime né à l'étranger n’ayant la nationalité française que si son père est français — méconnaissent-elles le principe d'égalité devant la loi et le principe d’égalité entre les hommes et les femmes, tels qu’ils sont garantis respectivement par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le troisième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ?”,

Rappelle que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires des parties,

Rappelle que la présente décision n’est susceptible d’aucun recours,

Dit qu'il sera sursis à statuer dans l’instance RG 17/15547 pendante devant la 1ère chambre 2ème section B de ce Tribunal dans l’attente de la décision de la Cour de cassation,

Réserve les dépens.

Faite et rendue à Paris le 06 Avril 2018

Le Président

C. CHEGARAY

EXPÉDITION exécutoire dans l’affaire :

Demandeur : M. [A B C D]

Défenderesse : LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

EN CONSÉQUENCE, LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE mande et ordonne :

À tous les huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ladite décision à exécution,

Aux Procureurs Généraux et aux Procureurs de la République près les Tribunaux de Grande Instance d’y tenir la main,

À tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront requis.

En foi de quoi la présente a été signée et délivrée par nous Greffier en Chef soussigné au Greffe du Tribunal de Grande Instance de Paris

p/Le Greffier en Chef