Cour administrative d'appel de Lyon

Ordonnance du 16 janvier 2018 N° 16LY03150

16/01/2018

Renvoi

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL

DE LYON

 

N° 16LY03150

__________

 

Mme B... C... épouse A...

__________

 

Ordonnance du 16 janvier 2018

__________

 

 

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

La cour administrative d’appel de Lyon

 

Le président de la 5ème chambre

 

 

 

Vu la procédure suivante :

 

Procédure contentieuse antérieure

 

Mme B... C... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Dijon de lui accorder la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l’année 2011 à raison d’une plus-value de cession de droits sociaux et des pénalités correspondantes.

 

Par un jugement n° 1502058 du 23 juin 2016, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.

 

Procédure devant la cour

 

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 septembre 2016 et 23 mars 2017, Mme C..., représentée par Me Martin, avocat, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 23 juin 2016 du tribunal administratif de Dijon ;

2°) de lui accorder la décharge demandée ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Par un mémoire enregistré le 16 février 2017, le ministre de l’action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

 

Par deux mémoires, enregistrés le 11 avril 2017, Mme C... demande à la cour, à l’appui de sa requête susvisée, de transmettre au Conseil d’Etat, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, les questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du IV de l’article 150-0 A du code général des impôts et de l’article 883 du code civil.

 

Elle soutient que :

– les dispositions du IV de l’article 150-0 A du code général des impôts instaurent une différence de traitement, d’une part, entre les attributaires d’un bien indivis, selon que l’indivision est spontanée ou successorale, d’où il résulte une atteinte au principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et, d’autre part, entre indivisaires selon qu’ils sont ou non attributaires, ce qui entraîne une atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de la Déclaration et au principe de répartition de l’impôt selon les facultés contributives ;

– l’article 883 du code civil est contraire au principe d’égalité devant les charges publiques et au principe de répartition de l’impôt selon les facultés contributives.

 

Par un mémoire enregistré le 18 octobre 2017, le ministre de l’action et des comptes publics a présenté ses observations sur les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées.

 

Il soutient qu’il n’y a pas lieu de transmettre ces questions au Conseil d’Etat.

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu :

– la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

– le code général des impôts ;

– le code civil ;

– la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008, notamment son article 16 ;

– le code de justice administrative ;

 

 

Considérant ce qui suit :

 

Aux termes de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ».

 

Aux termes de l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 : « Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (…), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ». L’article 23-2 de la même ordonnance ajoute que : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ».

 

 

 

L’article R. 771-7 du code de justice administrative prévoit que : « Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ».

 

L’article 883 du code civil dispose que : « Chaque cohéritier est censé avoir succédé seul et immédiatement à tous les effets compris dans son lot, ou à lui échus sur licitation, et n'avoir jamais eu la propriété des autres effets de la succession. /Il en est de même des biens qui lui sont advenus par tout autre acte ayant pour effet de faire cesser l'indivision. Il n'est pas distingué selon que l'acte fait cesser l'indivision en tout ou partie, à l'égard de certains biens ou de certains héritiers seulement. /Toutefois, les actes valablement accomplis soit en vertu d'un mandat des coïndivisaires, soit en vertu d'une autorisation judiciaire, conservent leurs effets quelle que soit, lors du partage, l'attribution des biens qui en ont fait l'objet. ».

 

Aux termes de l'article 150-0 A du code général des impôts : « I. - 1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu. (…) /IV.- Le I ne s'applique pas aux partages qui portent sur des valeurs mobilières, des droits sociaux et des titres assimilés, dépendant d'une succession ou d'une communauté conjugale et qui interviennent uniquement entre les membres originaires de l'indivision, leur conjoint, des ascendants, des descendants ou des ayants droit à titre universel de l'un ou de plusieurs d'entre eux. Il en est de même des partages portant sur des biens indivis issus d'une donation-partage et des partages portant sur des biens indivis acquis par des partenaires ayant conclu un pacte civil de solidarité ou par des époux, avant ou pendant le pacte ou le mariage. Ces partages ne sont pas considérés comme translatifs de propriété dans la mesure des soultes ou plus-values. ».

 

Mme C... a reçu de son père, M. C..., par acte de donation en avancement de la part successorale du 6 décembre 2007, 125 parts de la SARL CAPPI. Par un second acte du 13 février 2009, elle a bénéficié d’une nouvelle donation de 194 parts de cette société. Par acte authentique du même jour, son père a légué à ses quatre filles l’ensemble des parts qu’il détenait encore dans la SARL CAPPI. M. C... est décédé le 23 mars 2009. Dans la déclaration de succession, les 306 parts de la SARL qu’il détenait ont été évaluées à 108 936 euros, soit 356 euros la part. Lors de la liquidation de la succession et du partage des biens en dépendant, Mme C... s’est vu attribuer ces 306 parts. L’ensemble des parts a été évalué sur la base de 790 euros l’une dans l’acte de partage successoral du 23 février 2011. Par cet acte, Mme C... a été reconnue redevable à l’égard de ses cohéritières de soultes d’un montant global de 215 870,33 euros. Le 25 mai 2011, l’intéressée a cédé à un tiers 222 parts de la SARL CAPPI pour un montant de 175 380 euros soit 790 euros la part.

 

L’administration fiscale a estimé qu’à l’occasion de cette cession, Mme C... avait réalisé une plus-value d’un montant brut de 434 euros pour chacune des 222 parts cédées. En conséquence, elle l’a assujettie à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales.

 

Suivant la règle posée par l’article 883 du code civil, Mme C... avait la propriété des biens lui revenant depuis l’origine de l’indivision successorale, soit le 23 mars 2009. Il résulte des dispositions du IV de l’article 150-0 A du code général des impôts que les partages visant à mettre fin à une indivision successorale ne sont pas considérés comme translatifs de propriété dans la mesure des soultes ou plus-values. En conséquence, les soultes versées par l’intéressée ne peuvent pas être prises en compte pour déterminer le prix d’acquisition des titres cédés. Ainsi, les dispositions législatives contestées sont applicables au litige.

 

Ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

La question de la conformité de ces dispositions au principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, au principe d’égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de cette Déclaration et au principe de répartition de l’impôt selon les facultés contributives n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

En conséquence, il y a lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

 

 

 

ORDONNE :

 

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du IV de l’article 150-0 A du code général des impôts et de l’article 883 du code civil est transmise au Conseil d’Etat.

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de Mme C... jusqu’à la réception de la décision du Conseil d’Etat ou, s’il a été saisi, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité soulevée.

 

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... C... épouse A... et au ministre de l’action et des comptes publics.

 

 

 

Fait à Lyon, le 16 janvier 2018

 

 

 

 

Jean-Pierre Clot

 

 

La République mande et ordonne au ministre de l’action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente ordonnance.

 

Pour expédition,

Le greffier,

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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