Cour d'Appel de Basse-Terre

Ordonnance du 8 janvier 2018 n° 16/00763

08/01/2018

Renvoi

EXTRAIT DES MINUTES OÙ SECRETARIAT-GREFFE DE LA COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

Chambre Sociale

Référence : RG 16/00763

affaire : Grand Port Maritime de la Guadeloupe c./ CGSS de la Guadeloupe

Ordonnance

Nous, Bernard ROUSSEAU, Président de la chambre sociale, magistrat chargé d’instruire l'affaire citée en référence,

assisté de Mme Lucile POMMIER, Greffière,

Vu l’article 61-1 de la Constitution

Vu les articles 126-1 et suivants du code de procédure civile,

Vu le mémoire adressé au greffe de la Cour le 22 novembre 2017 par le [LOCALITE 1] ([LOCALITE 2]) aux fins de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant l’article L. 5424-2 du code du travail,

Rappel de la procédure :

Par requête adressée par lettre recommandée avec avis de réception du 14 mars 2014, l'Etablissement Public à caractère industriel et commercial dénommé “Le Grand Port Autonome de la Guadeloupe (GPMG), a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Guadeloupe d’un recours à l’encontre d’une décision implicite de rejet de la Commission de Recours Amiable (CRA) de la Caisse Générale de Sécurité Sociale (CGSS) rejetant sa demande d’annulation de deux mises en demeure du 18 décembre 2013, lui réclamant le paiement, respectivement, de la somme de 108 988,33 euros d’une part et 92 867 euros d’autre part, correspondant à des cotisations impayées au titre de la régulation annuelle 2013 de la contribution assurance chômage.

Par jugement du 5 avril 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Guadeloupe déclarait recevable mais mal fondé le recours du GPMG , rejetait le moyen tendant à soutenir la nullité des deux mises en demeure, confirmait en conséquence la décision de rejet implicite de la CRA et validait les mises en demeure du 18 décembre 2013 pour les sommes respectives de 108 988,33 euros d’une part et 92 867 euros d’autre part, correspondant aux cotisations impayées au titre de la régularisation annuelle 2013 de la contribution assurance chômage.

Par courrier adressé le 24 mai 2016, le GPMG interjetait appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 9 mai 2016.

Par dernières conclusions en date du 21 mars 2017, ie GPMG demande que soit prononcée l’annulation du jugement du 5 avril 2016 pour défaut de motivation. Sollicitant l’évocation de l’affaire par la Cour, le GPMG entend voir déclarer irrégulières les mises en demeure contestées au motif qu’elles ne permettent pas de connaître la cause exacte et précise de la dette.

Subsidiairement le GPMG soulève l’illégalité des deux mises en demeure du 18 décembre 2013, au motif qu’étant un établissement public distinct du précédent Port Autonome de Guadeloupe (PAG), il n’est pas tenu par les engagements pris par celui-ci, plus précisément en ce qui concerne l’adhésion au régime général d’assurance chômage.

Le GPMG fait valoir qu’il dispose de l’option prévue par l’article L. 5424-2 du code du travail, qu’il a en conséquence rejeté la possibilité d’adhérer au régime général d’assurance chômage, en optant pour la conclusion d’une convention de gestion, après s’être rapproché de Pôle Emploi. Il en conclut que n’adhérant pas, depuis sa création le 1‘ janvier 2013, au régime général, 1l n’a pas à verser les cotisations d’assurance chômage.

La GPMG demande donc à être déchargé de ces cotisations, et réclame paiement de la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

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La CGSS, par conclusions du 12 septembre 2017, sollicite la confirmation du jugement entrepris et réclame paiement de la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que les premiers juges ont parfaitement motivé leur décision, et que les mises en demeure contestées renseignent parfaitement le débiteur sur la nature des cotisations, la cause et le montant des cotisations réclamées, ainsi que la période à laquelle chaque mise en demeure se rapporte, à savoir l’année 2013.

La CGSS fait valoir que le GPMG est lié par l’option prise par “feu le Port Autonome de Guadeloupe”, dans la mesure où son changement de dénomination sociale n’a aucune incidence sur sa forme juridique d’établissement public national et toutes les obligations du PAG lui ont été transférées, en particulier l’adhésion au régime général de l’assurance chômage. À ce titre la CGSS invoque la décision du 16 décembre 2013 de Pôle Emploi qui a refusé la conclusion d’une convention de gestion pour assurer le risque chômage. La CGSS reprend à son compte les motifs de cette décision.

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Par mémoire en date du 22 novembre 2017, adressé à la Cour le jour même par télécopie, établi dans le cadre des dispositions de l’article 61-1 de la Constitution, le GPMG soulève une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’inconstitutionnalité de l’article L. 5424-2 du code du travail, lequel dans sa rédaction actuelle dispose que :

“Les employeurs mentionnés à l'article L. 5424-1 assurent la charge et la gestion de l'allocation d'assurance. Ceux-ci peuvent, par convention conclue avec l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1, pour le compte de l'organisme mentionné à l'article L. 5427-I, lui confier cette gestion.

Toutefois, peuvent adhérer au régime d'assurance :

1° Les employeurs mentionnés au 2° de l’article L. 5424-1 ;

2° Par une option irrévocable, les employeurs mentionnés aux 3°, 4° et 6° de ce même article,

3° Pour leurs agents non titulaires, les établissements publics d'enseignement supérieur et les établissement publics à caractère scientifique et technologique

4° Pour les assistants d'éducation, les établissements d'enseignement mentionnés à l'article L. 916-1 du code de l'éducation...”

Le GPMG expose que l’article L. 5424-2 du code du travail porte atteinte à l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, en ce qu’il contrevient à la liberté d’entreprendre et à la liberté d’exploitation, dans la mesure où il lui serait interdit d’user d’un système d’auto-indemnisation, lequel passe par l’autofinancement, et que le montant des cotisations sur la masse salariale qu’il aurait dû verser, aurait été d’un montant de 1 799 680,64 euros pour les années 2014, 2015 et 2016 alors que, sur cette même période, le GPMG n’a payé que la somme de 58 115,50 euros au titre de l’auto-indemnisation.

Selon le GPMG l’article L. 5424-2 du code du travail, porterait atteinte à la liberté de gérer le capital, puisqu'il lui ferait perdre l’opportunité de gérer son capital, étant obligé d’affecter des dépenses au régime général, dépenses que d’autres EPIC dans sa situation n’ont pas à supporter.

C’est aussi pour le GPMG une atteinte à la liberté de recruter et de licencier, partie intégrante de la liberté d’entreprendre, puisqu’il n’aurait pas la possibilité de gérer l’assurance chômage comme la loi le permet pourtant à d’autres établissements publics, les dépenses au titre du régime général impactant la masse salariale, ce qui limite sa capacité de recrutement.

Le GPMG fait valoir que le caractère irrévocable de l’option ne procède pas d’une considération de l’intérêt général, puisque dans ce cas tous les EPIC seraient soumis à ce même régime.

Le GPMG ajoute qu’en prévoyant un mécanisme de convention irrévocable pour les EPIC, l’article L. 5424-2 permet la conclusion d’engagements perpétuels entre deux personnes privées, alors que le Conseil Constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle à l'interdiction des engagements perpétuels découlant de la liberté contractuelle, citant la décision CC, 9 nov. 1999, n° 99-419 DC, selon laquelle la liberté qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 justifie qu’un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l’un ou l’autre des contractants, l'information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de [a rupture, devant être garanties.

Le GPMG relève que l’article L. 5424-2 du code du travail, en prévoyant une option irrévocable, qui ne peut être dénoncée par les parties, permet de contracter des engagements perpétuels.

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Par ordonnance du 23 novembre 2017 du magistrat chargé d’instruire l’affaire, 1l était ordonné la transmission de la procédure à Madame le Procureur Général, laquelle, par voie de conclusions écrites, s’en remettait à la sagesse de la Cour, l’affaire étant appelée à l’audience des débats du 11 décembre 2017.

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A l’audience des débats le GPMG faisait valoir qu’il résulte des dispositions de l’article L. 5424-2 du code du travail que ne sont pas soumis à un régime d’adhésion irrévocable : les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs, les groupements d'intérêt public et les établissements publics à caractères scientifique et technologique. Une note en délibéré de la part du GPMG à ce sujet était autorisée.

Au cours des débats la CGSS ne faisait pas d'observation particulière sur la question préjudicielle de constitutionnalité.

Les parties ont été avisées que la décision serait rendue le 8 janvier 2018.

Dans la note en délibéré qui a été déposée le 15 décembre 2017, et communiquée à la partie adverse, le GPMG fait notamment état de la lettre circulaire de l’A.C.O.S.S., en date du 24 mai 2012, de laquelle il ressort expressément que les EPA territoriaux, les GIP et les collectivités territoriales ont la possibilité de souscrire une adhésion au régime d’assurance chômage révocable d’une durée de 6 ans.

Dans une note en réplique du 27 décembre 2017, la CGSS fait valoir que la décision de souscrire ou de ne pas souscrire à l’option irrévocable est la pleine application de la liberté de gestion dont le PAG a fait usage, et que le coût financier de l’adhésion au régime général n’est que la conséquence directe de la décision de gestion qui a été prise et ne peut caractériser une atteinte à la liberté d'exploitation, à la liberté de recruter et de licencier, ou encore à la liberté de gérer le capital, telles que prétendues par le GPMG.

La CGSS rappelle que l'employeur qui fait le choix irrévocable d’adhérer au régime général bénéfice d’une prise en charge immédiate au titre de l’indemnisation, alors que l’option révocable est assortie d’une période de stage de 6 mois pendant laquelle l’indemnisation n’est pas due, alors que les cotisations sont déjà perçues. Elle soutient que l’intérêt général de l’irrévocabilité de l’adhésion au régime général, est de ne pas fragiliser un système d'indemnisation générale, collectif en permettant à certains de bénéficier de conditions particulièrement avantageuses, puis de sortir de ce système lorsque la conjoncture leur permettrait de penser que l’auto-indemnisation serait plus avantageuse.

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Motifs de la décision :

La disposition contestée, en l’occurrence l’article L. 5424-2 du code du travail, s’applique bien au litige, objet de l’instance en cours, puisque cet article porte sur l’adhésion au régime d’assurance chômage des établissements publics à caractère industriel et commercial et qu’il assortit la possibilité d’une telle adhésion, d’un caractère irrévocable, ce qui en l’espèce contraint le GPMG à continuer indéfiniment à cotiser au régime général.

Il ne ressort pas des recherches effectuées que cette disposition ait été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel.

La contestation présentée par le GPMG n’est pas dépourvue de caractère sérieux, puisque la disposition contestée a pour effet d’imposer à cet établissement, une contrainte de gestion permanente et illimitée dans le temps, bien qu’étant soumis au secteur concurrentiel, alors que les établissements publics à caractère administratif par exemple, disposent d’une liberté d’option bien qu’ils ne soient pas soumis au secteur concurrentiel, la disposition contestée pouvant être considérée comme ayant pour effet de limiter les conditions d’exercice de la liberté d’entreprendre et de consacrer le caractère perpétuel d’un engagement dans le mode de gestion de l’entreprise.

En conséquence, les conditions fixées par l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, étant réunies, il y a lieu de transmettre la présente question préjudicielle de constitutionnalité à la Cour de Cassation pour saisine éventuelle du Conseil Constitutionnel.

Par ces motifs

Vu l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, Statuant publiquement, contradictoirement, par décision non susceptible de recours,

Ordonnons la transmission à la Cour de Cassation pour saisine éventuelle du Conseil Constitutionnel, de la question préjudicielle de constitutionnalité soulevée par le GPMP portant sur la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 5424-2 du code du travail,

Disons que la présente décision sera transmise par le greffe à la Cour de Cassation,

Disons que les parties et le Ministère Public seront avisés par le greffe, par tout moyen et sans délai, de la présente décision, et que les parties disposent d’un délai d’un mois à compter de la présente décision pour faire connaître leurs éventuelles observations, celles-ci devant être signées par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation,

Disons qu’il est sursis à statuer au fond sur l’appel interjeté le 24 mai 2015 par le

GPMG en l'attente de la décision de la Cour de Cassation, et le cas échéant du Conseil Constitutionnel.

Fait à BasseTerre, le 8 janvier 2018.