Conseil d'Etat

Décision du 7 décembre 2017 n° 408379

07/12/2017

Non renvoi

CONSEIL D'ETAT

statuant

au contentieux

MT

 

 

 

Nos 408379,408450

 

__________

 

- CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL - FORCE OUVRIERE

 

SYNDICAT CGT GODYEAR AMIENS

(USINE AMIENS NORD) et autres

__________

 

M. Frédéric Pacoud

Rapporteur

__________

 

M. Charles Touboul

Rapporteur public

__________

 

Séance du 4 décembre 2017

Lecture du 7 décembre 2017

__________

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

 

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 6ème chambres réunies)

 

 

Sur le rapport de la 1ère chambre

de la Section du contentieux

 

 

 

 

 

 

Vu la procédure suivante :

 

1° Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 février et 28 avril 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat sous le n° 408379, la Confédération générale du travail - Force ouvrière demande au Conseil d’Etat :

 

1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1909 du 28 décembre 2016 relatif aux accords de préservation ou de développement de l'emploi mentionnés à l'article L. 2254-2 et suivants du code du travail et au parcours d'accompagnement personnalisé ;

 

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

 

 

…………………………………………………………………………

 

 

2° Par une requête, enregistrée le 28 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat sous le n° 408450, le syndicat CGT Goodyear Amiens (usine Amiens nord), le syndicat CGT Pullman Paris Montparnasse, le syndicat des salariés des hôtels de prestige et économiques CGT, le syndicat des salariés des établissements Marks and Spencer de la région parisienne, le syndicat CGT Allibert Auchel, le syndicat CGT Faurecia de Meru, l’union locale des syndicats CGT de Béthune et environs, le syndicat Info’com CGT CSTP, le syndicat CGT Energie Paris, le syndicat CGT du CHRU de Lille, le syndicat MICT CGT du CHRU de Lille et le syndicat CGT Randstad France demandent au Conseil d’Etat :

 

1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1909 du 28 décembre 2016 relatif aux accords de préservation ou de développement de l'emploi mentionnés à l'article L. 2254-2 et suivants du code du travail et au parcours d'accompagnement personnalisé ;

 

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 500 euros à verser à chacun d’eux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

 

 

 

…………………………………………………………………………

 

 

 

Vu les autres pièces des dossiers ;

 

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la convention internationale du travail n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur, ratifiée le 16 mars 1989 ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code du travail, notamment son article L. 2254-2 ;

- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, notamment son article 22 ;

- la décision n° 408379 du 19 juillet 2017 par laquelle le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Confédération générale du travail - Force ouvrière ;

- la décision n° 2017-665 QPC du Conseil constitutionnel du 20 octobre 2017 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Confédération générale du travail - Force ouvrière ;

- le code de justice administrative ;

 

 

 

Après avoir entendu en séance publique :

 

- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,

 

- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public. ;

 

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat de la Confédération générale du travail - Force ouvrière et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat du Syndicat CGT Goodyear Amiens (usine Amiens nord) et autres.

 

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 décembre 2017, présentée par le syndicat CGT Goodyear Amiens (usine Amiens nord) et les autres requérants dans l’affaire n° 408450 ;

 

 

 

Considérant ce qui suit :

 

1. Aux termes de l’article L. 2254-2 inséré dans le code du travail par l’article 22 de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels : « I.- Lorsqu'un accord d'entreprise est conclu en vue de la préservation ou du développement de l'emploi, ses stipulations se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération et de durée du travail. / Lorsque l'employeur envisage d'engager des négociations relatives à la conclusion d'un accord mentionné au premier alinéa du présent I, il transmet aux organisations syndicales de salariés toutes les informations nécessaires à l'établissement d'un diagnostic partagé entre l'employeur et les organisations syndicales de salariés. / L'accord mentionné au même premier alinéa comporte un préambule indiquant notamment les objectifs de l'accord en matière de préservation ou de développement de l'emploi. Par dérogation au second alinéa de l'article L. 2222-3-3, l'absence de préambule entraîne la nullité de l'accord. / L'accord mentionné au premier alinéa du présent I ne peut avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle du salarié. / (…) / II.- Le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l'application de l'accord mentionné au premier alinéa du I du présent article. Ce refus doit être écrit. / Si l'employeur engage une procédure de licenciement à l'encontre du salarié ayant refusé l'application de l'accord mentionné au même premier alinéa, ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse et est soumis aux seules modalités et conditions définies aux articles L. 1233-11 à L. 1233-15 applicables au licenciement individuel pour motif économique ainsi qu'aux articles L. 1234-1 à L. 1234-20. La lettre de licenciement comporte l'énoncé du motif spécifique sur lequel repose le licenciement. / L'employeur est tenu de proposer, lors de l'entretien préalable, le bénéfice du dispositif d'accompagnement mentionné à l'article L. 2254-3 à chaque salarié dont il envisage le licenciement. (…) / III.- L'accord mentionné au premier alinéa du I du présent article précise : / 1° Les modalités selon lesquelles est prise en compte la situation des salariés invoquant une atteinte disproportionnée à leur vie personnelle ou familiale ; / 2° Les modalités d'information des salariés sur son application et son suivi pendant toute sa durée. / L'accord peut prévoir les conditions dans lesquelles fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux autres salariés : / - les dirigeants salariés exerçant dans le périmètre de l'accord ; / - les mandataires sociaux et les actionnaires, dans le respect des compétences des organes d'administration et de surveillance. / L'accord peut prévoir les conditions dans lesquelles les salariés bénéficient d'une amélioration de la situation économique de l'entreprise à l'issue de l'accord. / Afin d'assister dans la négociation les délégués syndicaux ou, à défaut, les élus ou les salariés mandatés mentionnés au dernier alinéa du I, un expert-comptable peut être mandaté (…) / Le coût de l'expertise est pris en charge par l'employeur. / Un décret définit la rémunération mensuelle mentionnée à l'avant-dernier alinéa du I du présent article et les modalités selon lesquelles les salariés sont informés et font connaître, le cas échéant, leur refus de voir appliquer l'accord à leur contrat de travail. / IV.- Par dérogation au premier alinéa de l'article L. 2222-4, l'accord est conclu pour une durée déterminée. A défaut de stipulation de l'accord sur sa durée, celle-ci est fixée à cinq ans. / V.- Un bilan de l'application de l'accord est effectué chaque année par les signataires de l'accord ».

 

2. Par deux requêtes qu’il y a lieu de joindre, la Confédération générale du travail - Force ouvrière et le syndicat CGT Goodyear Amiens (usine Amiens nord) demandent l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 décembre 2016 par lequel le Premier ministre a notamment défini la rémunération mensuelle mentionnée à l'avant-dernier alinéa du I de l’article L. 2254-2 du code du travail et les modalités selon lesquelles les salariés sont informés et font connaître, le cas échéant, leur refus de voir appliquer l'accord à leur contrat de travail.

 

Sur les interventions :

 

3. Le syndicat CGT des agents catégorie C EPSM Lille métropole, le syndicat CGT des fonctionnaires et agents territoriaux actifs(ves) et retraités(es) publics et privés de Roubaix et autres et le syndicat CGT du centre hospitalier d’Armentières et autres justifient d’un intérêt suffisant à l’annulation du décret attaqué. Ainsi, leurs interventions au soutien de la requête du syndicat CGT Goodyear Amiens (usine Amiens nord) et autres sont recevables.

 

Sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le syndicat CGT Goodyear Amiens (usine Amiens nord) et autres :

 

4. Aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (…) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

 

5. Les requérants soutiennent que les dispositions de l’article L. 2254-2 du code du travail, dans leur rédaction résultant de la loi du 8 août 2016, méconnaissent la liberté contractuelle, ainsi que le principe de clarté de la loi, l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi et l’article 34 de la Constitution, en tant qu’elles prévoient que les stipulations d’un accord d'entreprise conclu en vue de la préservation ou du développement de l'emploi se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail et que l'employeur peut engager une procédure de licenciement à l'encontre du salarié qui refuse la modification de son contrat de travail résultant de l'application d’un tel accord.

 

6. En premier lieu, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

 

7. Il résulte des travaux préparatoires de l’article 22 de la loi du 8 août 2016 duquel sont issues les dispositions critiquées qu’en instaurant les accords prévus à l'article L. 2254-2 du code du travail, le législateur a entendu favoriser la préservation et le développement de l'emploi en permettant aux entreprises d'ajuster leur organisation collective afin de garantir leur pérennité et leur développement. Si les dispositions contestées prévoient que les stipulations d’un tel accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération et de durée du travail, le même article précise que l’accord, négocié après transmission aux organisations syndicales de salariés de toutes les informations nécessaires à l'établissement d'un diagnostic partagé entre elles et l'employeur, doit comporter, à peine de nullité, un préambule indiquant notamment ses objectifs en matière de préservation ou de développement de l’emploi, qu’il ne peut avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle du salarié, qu’il précise les modalités selon lesquelles est prise en compte la situation des salariés invoquant une atteinte disproportionnée à leur vie personnelle ou familiale et les modalités d'information des salariés sur son application et son suivi et qu’il est conclu pour une durée déterminée fixée à cinq ans sauf stipulation contraire. En outre, il résulte des dispositions des articles L. 2232-12, L. 2232-21-1 et L. 2232-27 du code du travail, dans leur rédaction issue respectivement de la loi du 8 août 2016, de celle du 17 août 2015 et de celle du 20 août 2008, que l’accord n’est valide que s’il a été signé par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, ou s’il a été approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés. Dans ces conditions, les dispositions critiquées de l’article L. 2254-2 du code du travail, qui sont fondées sur un motif d'intérêt général suffisant, ne peuvent être regardées comme portant à la liberté contractuelle une atteinte contraire à la Constitution.

 

8. En second lieu, en tout état de cause, les dispositions critiquées ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent pas l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.

 

9. Par suite, la question soulevée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu’il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l’article L. 2254-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l’article 22 de la loi du 8 août 2016, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

 

Sur la légalité externe du décret attaqué :

 

10. En premier lieu, le dernier alinéa du III de l’article L. 2254-2 du code du travail prévoit qu’un décret définit les modalités selon lesquelles les salariés sont informés et font connaître, le cas échéant, leur refus de voir appliquer l'accord à leur contrat de travail. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret serait entaché d’incompétence en tant qu’il précise, à l’article D. 2254-2 qu’il insère dans le code du travail, qu’en l'absence de réponse dans le délai d’un mois à compter de son information par l’employeur, le salarié est réputé avoir accepté l'application de l'accord à son contrat de travail.

 

11. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l’article L. 1 du code du travail : « Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation ». Le décret attaqué, pris pour l’application de l'article L. 2254-2 du code du travail, ne peut être regardé en lui-même comme une réforme au sens de ces dispositions. Par suite, la méconnaissance de l’article L. 1 du code du travail ne peut être utilement invoquée.

 

12. En troisième lieu, les moyens tirés de ce que le décret empièterait pour partie sur la compétence du législateur et aurait été adopté sans que soient respectées les formalités, procédures et consultations préalables requises ne sont pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé.

 

Sur la légalité interne du décret attaqué :

 

13. En premier lieu, par sa décision n° 2017-665 QPC du 20 octobre 2017, le Conseil constitutionnel, qui a regardé la question qui lui était renvoyée de la conformité à la Constitution de l’article L. 2254-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016, comme portant sur le deuxième alinéa du II et le dernier alinéa du III de cet article, a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution sous la réserve qu’un licenciement fondé sur le refus par le salarié de la modification de son contrat de travail ne saurait, sans méconnaître le droit à l'emploi, intervenir au-delà d'un délai raisonnable à compter de ce refus. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions de l’article L. 2254-2 du code du travail seraient contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

 

14. En deuxième lieu, l’article 4 de la convention internationale du travail n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur stipule que : « Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ». Aux termes de l’article 8 de cette convention : « 1. Un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement injustifiée aura le droit de recourir contre cette mesure devant un organisme impartial tel qu'un tribunal, un tribunal du travail, une commission d'arbitrage ou un arbitre. / (…) ». Aux termes de l’article 9 de la même convention : « 1. Les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention devront être habilités à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et à décider si le licenciement était justifié. / 2. Afin que le salarié n'ait pas à supporter seul la charge de prouver que le licenciement n'était pas justifié, les méthodes d'application mentionnées à l'article 1 de la présente convention devront prévoir l'une ou l'autre ou les deux possibilités suivantes : / (a) la charge de prouver l'existence d'un motif valable de licenciement tel que défini à l'article 4 de la présente convention devra incomber à l'employeur; / (b) les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention devront être habilités à former leur conviction quant aux motifs du licenciement au vu des éléments de preuve fournis par les parties et selon des procédures conformes à la législation et à la pratique nationales. / 3. En cas de licenciement motivé par les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service, les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention devront être habilités à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour ces motifs, étant entendu que l'étendue de leurs pouvoirs éventuels pour décider si ces motifs sont suffisants pour justifier ce licenciement sera définie par les méthodes d'application mentionnées à l'article 1 de la présente convention ».

 

15. Ainsi qu’il a été dit au point 7, il résulte des dispositions de l'article L. 2254-2 du code du travail qu’en instaurant les accords qu’elles prévoient, le législateur a entendu favoriser la préservation et le développement de l'emploi en permettant aux entreprises d'ajuster leur organisation collective afin de garantir leur pérennité et leur développement. L’accord, qui comporte, à peine de nullité, un préambule indiquant notamment ses objectifs en matière de préservation ou de développement de l'emploi, repose sur un diagnostic partagé entre l'employeur et les organisations syndicales de salariés sur les efforts demandés aux salariés pour améliorer le fonctionnement de l’entreprise. Le licenciement d’un salarié ayant refusé la modification de son contrat de travail résultant de l'application de cet accord peut ainsi être regardé comme fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise. En outre, si les dispositions du même article prévoient que ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse, elles ne font pas obstacle à ce que le salarié le conteste devant le juge, afin, d’une part, que ce dernier examine si les conditions auxquelles renvoie le paragraphe II de l'article L. 2254-2 du code du travail sont réunies et que, d’autre part, dans l’hypothèse où seuls certains des salariés ayant refusé la modification de leur contrat de travail seraient licenciés, il exige de l’employeur, sans que celui-ci ne soit pour autant tenu de justifier d’un ordre des licenciements ni de se fonder sur tout ou partie des critères prévus à cette fin par la loi, de fournir les éléments nécessaires pour contrôler le caractère objectif des raisons l’ayant conduit à procéder au licenciement contesté et pour vérifier qu’il n’est pas fondé sur des motifs discriminatoires tels que ceux qui sont cités à l’article 5 de la convention internationale du travail n° 158. Par suite, le moyen tiré de la contrariété des dispositions de l’article L. 2254-2 du code du travail aux articles 4, 8 et 9 de cette convention doit être écarté.

 

16. En troisième lieu, en vertu du quatrième alinéa du I de l’article L. 2254-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 8 août 2016, l’accord conclu en vue de la préservation ou du développement de l’emploi ne peut avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle du salarié, dont le dernier alinéa du III du même article renvoie la définition à un décret. Par sa décision n° 2017-665 QPC du 20 octobre 2017, le Conseil constitutionnel a considéré qu’en se référant à la notion de « rémunération mensuelle », le législateur avait entendu renvoyer à la définition de la rémunération figurant à l'article L. 3221-3 du même code, lequel dispose que : « Constitue une rémunération au sens du présent chapitre, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au salarié en raison de l'emploi de ce dernier ». Il en résulte que la rémunération mensuelle mentionnée tant par les dispositions de l’article L. 2254-2 que par l’article D. 2254-1 que le décret attaqué insère dans le code du travail pour leur application inclut l’ensemble des éléments de rémunération, qu’ils trouvent ou non leur source dans le contrat de travail, sous la seule réserve des éléments de rémunération dont la périodicité de versement est supérieure au mois. Au surplus, l’article D. 2254-1 renvoie à l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, qui précise que sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail. Par suite, la Confédération générale du travail - Force ouvrière n’est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le décret attaqué serait illégal faute de préciser ce point.

 

17. En dernier lieu, le II de l’article L. 2254-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 8 août 2016, prévoit que le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l'application de l'accord conclu en vue de la préservation ou du développement de l'emploi et que ce refus doit être écrit. Il en résulte nécessairement qu’en l’absence de refus écrit du salarié, celui-ci est réputé avoir accepté cette modification. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, l’article L. 2254-2 du code du travail n’est pas méconnu par les dispositions de l’article D. 2254-2, inséré dans le code du travail par le décret attaqué, qui prévoient qu’en l'absence de réponse dans le délai d’un mois à compter de son information par l’employeur, le salarié est réputé avoir accepté l'application de l'accord à son contrat de travail.

 

18. Il résulte de tout ce qui précède que les syndicats requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation du décret qu’ils attaquent. Les conclusions qu’ils présentent au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de même, en tout état de cause, que celles que présentent au même titre les syndicats qui interviennent au soutien de la requête du syndicat CGT Goodyear Amiens (usine Amiens nord), doivent également, en conséquence, être rejetées.

 

 

D E C I D E :

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Article 1er : Les interventions du syndicat CGT des agents catégorie C EPSM Lille métropole et autres, du syndicat CGT des fonctionnaires et agents territoriaux actifs(ves) et retraités(es) publics et privés de Roubaix et autres et du syndicat CGT du centre hospitalier d’Armentières et autres sont admises.

 

Article 2 : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, à l’appui de la requête n° 408450, par le syndicat CGT Goodyear Amiens (usine Amiens nord) et les autres requérants.

 

Article 3 : Les requêtes de la Confédération générale du travail - Force ouvrière et du syndicat CGT Goodyear Amiens (usine Amiens nord) sont rejetées.

 

Article 4 : Les conclusions des syndicats intervenant au soutien de la requête du syndicat CGT Goodyear Amiens (usine Amiens nord) et autres présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

 

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Confédération générale du travail - Force ouvrière, pour l’ensemble des requérants ayant présenté la requête n° 408450, au syndicat CGT Allibert Auchel, représentant unique, pour l’ensemble des syndicats ayant présenté une intervention commune avec ces syndicats, au syndicat CGT des agents catégorie C EPSM Lille métropole, au syndicat CGT des fonctionnaires et agents territoriaux actifs(ves) et retraités(es) publics et privés de Roubaix et au syndicat CGT du centre hospitalier d’Armentières, premiers dénommés de chacune des interventions, et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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